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Section II. La protection des droits des justiciables pénaux à l’épreuve des finalités de la norme « objet » du contrôle de constitutionnalité a posterior

A) L’assise factuelle divergente dans l’examen des moyens d’inconstitutionnalité

55. Le rôle divergent des considérations factuelles dans les motifs des juges constitutionnels français et canadiens. L’adhésion à la conception « concrète » ou

« abstraite » du contrôle a posteriori a une incidence sur les paramètres de contrôle utilisés par les juges constitutionnels français et canadiens lors de l’examen de la contestation constitutionnelle qui leur est soumise. Plus précisément, selon l’adhésion à la conception concrète ou abstraite du contrôle a posteriori, le souci de résoudre la contestation constitutionnelle d’une disposition criminelle en présence des faits en litige sera plus ou moins marqué. Partant, si au Canada les considérations factuelles sont prépondérantes dans l’examen de la contestation constitutionnelle (1), en France elles demeurent exceptionnelles (2).

1) Les considérations factuelles prépondérantes dans l’examen de la contestation constitutionnelle au Canada

56. La prise en compte des faits dans l’examen de la contestation constitutionnelle.

Comme nous l’avons déjà évoqué, au Canada, certains principes jurisprudentiels témoignent de cette préoccupation et invitent les juges à trancher les questions constitutionnelles en présence d’un fondement factuel. Se pose dès lors la question des modalités procédurales de l’examen de la contestation constitutionnelle prenant naissance au sein d’une instance criminelle. Sur ce point, si le juge en Chef au sein de l’affaire Laba246 a pu souligner que « lorsque la constitutionnalité d’une règle de

droit est attaquée au cours d’une instance criminelle, cette constatation est en fait une instance distincte », certains principes jurisprudentiels, notamment mentionnés au sein de l’affaire DeSousa247, encouragent les juges canadiens à trancher la

contestation constitutionnelle conjointement avec l’instance criminelle. Deux

2161 ; V. LARRIBAU-TERNEYRE, L'article 365 du code civil constitutionnel ... mais inconventionnel ?, Dr. fam, 2010, n° 11, pp. 1-2.

246 R. c. Laba [1992], 74 CCC (3d) 538 (CAO). 247 R. c. DeSousa [1992], 2 RCS 944.

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principes jurisprudentiels militent en ce sens. D’une part, «il faut éviter de fragmenter le processus pénal par des procédures interlocutoires. D’autre part, les tribunaux doivent éviter de trancher une question constitutionnelle sans fondement factuel, c’est-à-dire dans l’abstrait »248. Si, à première vue, il n’apparaît pas

nécessaire d’évoquer le concept d’« instance distincte » afin de démontrer l’applicabilité du principe de la nécessité d’une assise factuelle en matière pénale au Canada, sa référence est utile dans la mesure où, en France, la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité provoque, au contraire, une dissociation entre la contestation constitutionnelle et le procès pénal au cours duquel le problème constitutionnel a émergé. D’un point de vue procédural, la question prioritaire de constitutionnalité institue, d’une certaine façon, un contrôle concret a posteriori puisque la question prioritaire de constitutionnalité est posée au cours d’un litige pénal ordinaire249. Cependant, au fil du double filtrage des questions prioritaires de

constitutionnalité effectué, d’abord, par les juridictions pénales ordinaires, puis par la Cour de cassation, la question de constitutionnalité se détache du litige pénal né entre les parties. Partant, la fragmentation entre la contestation constitutionnelle et le procès pénal initial demeure le principe en France. En revanche, au Canada, l’examen d’une contestation constitutionnelle en présence d’une assise factuelle solide représente le principe. Même dans le cadre spécifique d’une instance criminelle, il ne peut être dérogé à cette règle que dans de rares cas de figure, si bien que les problèmes de constitutionnalité sont rarement tranchés en dehors du cadre de l’instance criminelle à partir de laquelle ont émergé ces derniers. En France, il semblerait que la prise en compte des faits dans l’examen de la contestation constitutionnelle soit beaucoup plus nuancée.

248 P. BELIVEAU, M. VAUCLAIR, Traité général de preuve et de procédure pénales, op. cit., p. 36.

249 C. LAGRAVE, « Le caractère concret du contrôle de constitutionnalité a posteriori. Dans les modèles espagnol, italien et français », in La question prioritaire de constitutionnalité Approche de droit comparé (sous la dir. L.

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2) Les considérations factuelles exceptionnelles dans l’examen de la contestation constitutionnelle en France

57. Le maintien du caractère abstrait du contrôle de constitutionnalité a posteriori en France. De prime abord, il convient de constater que pareilles décisions invitant

les juges constitutionnels à trancher les contestations constitutionnelles en présence d’un fondement factuel n’existent pas en France. Par ailleurs, il appert que le Conseil constitutionnel maintient son contrôle de constitutionnalité a posteriori à un haut niveau d’abstraction. Cependant, la décision relative à la garde à vue250 témoigne

d’une certaine préoccupation des juges constitutionnels à l’endroit des considérations factuelles qui a permis de caractériser d’une part, un changement de circonstances de fait justifiant le réexamen de dispositions déjà déclarées conformes à la Constitution, et d’autre part, de procéder à une nouvelle appréciation de cette conformité à la norme suprême251. Plus précisément, la prise en compte des données

factuelles lors de l’examen de la constitutionnalité du régime de droit commun de garde à vue par le Conseil constitutionnel peut être attestée par les considérants 15, 16, 17 et 18 de sa décision. En effet, il observe tout d’abord « que depuis 1993, certaines modifications des règles de la procédure pénale ainsi que des changements dans les conditions de sa mise en œuvre ont conduit à un recours de plus en plus fréquent à la garde à vue et modifié l'équilibre des pouvoirs et des droits fixés par le code de procédure pénale »252. En particulier, le Conseil constitutionnel relève que

« l’instruction préparatoire n’a cessé de diminuer et représente moins de 3 % des affaires jugées par les tribunaux correctionnels si bien que la garde à vue est devenue la phase principale de constitution du dossier de la procédure en vue du jugement de la personne mise en cause. Cette évolution, ajoute-t-il, s'est trouvée accrue par la pratique, initiée au début des années 1990 pour assurer une réponse pénale plus

250 Cons. const. 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, Monsieur Daniel W. et autres [Garde à vue], consid. n° 14 et s, JORF 31 juill. 2010, p. 14198 ; comm. NCCC, 2010, n° 30 ; O. BACHELET, « La garde à vue, entre inconstitutionnalité virtuelle et inconventionnalité réelle », 2010, n° 216-217, pp. 14-17 ; S. LAVRIC, p. 1876- 1876. ; A. MARON, M. HAAS, « L'article 61-1 de la constitution efface les articles 62 et suivants du code de procédure pénale », RDP, 2010, n° 10, pp. 37-42 ; F. CHALTIEL, op. cit., pp. 3-10 ; C. CHARRIERE-BOURNAZEL, « Garde à vue : le sursaut républicain », D., 2010, n° 29, p. 1928 ; P. PUIG, « QPC : le changement de circonstances source d'inconstitutionnalité » ; note sous déc., Cons. const., 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, Monsieur Daniel W. et autres [Garde à vue], RTD Civ., 2010, n° 3, pp. 513-517.

251 Dans sa décision du 11 août 1993, (décis. n° 93-326 DC du 11 août 1993), le Conseil constitutionnel avait déclaré conforme à la Constitution le régime de droit commun de la garde à vue.

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rapide, du traitement dit « en temps réel » de la procédure consistant, pour l'officier de police judiciaire chargé de l'enquête, à solliciter la décision du procureur de la République sur l'action publique alors que la personne en cause est encore gardée à vue. Celle-ci est donc le plus souvent jugée sur la base des seuls éléments de preuve rassemblés avant l'expiration de sa garde à vue et, notamment, sur les aveux qu'elle a pu faire pendant celle-ci »253. Le Conseil observe ensuite « que, depuis 1993, les

exigences conditionnant l'attribution de la qualité d'officier de police judiciaire ont été réduites et que, corrélativement, le nombre de ces fonctionnaires a plus que doublé, passant de 25 000 à 53 000 »254. Il constate enfin une tendance à la

banalisation de la garde à vue, y compris pour les infractions mineures, comptant plus de 790 000 mesures de garde à vue décidées en 2009255. En somme, ce cas

jurisprudentiel témoigne de la préoccupation du Conseil constitutionnel à l’endroit des données matérielles lors de son contrôle de constitutionnalité a posteriori. Cependant, ce cas jurisprudentiel est loin d’être représentatif du contrôle a posteriori effectué habituellement par le Conseil constitutionnel. De manière générale, les juges de la Rue Montpensier ne prennent pas en compte les données factuelles afin de justifier leurs décisions. Une éviction des considérations factuelles dans le raisonnement du Conseil constitutionnel n’étonne guère dans la mesure où, comme mentionné précédemment, l’objet du contrôle de constitutionnalité a posteriori exercé en France demeure celui de la loi stricto sensu. Ce faisant, les faits de l’espèce ne représentent qu’un paramètre de contrôle minime pour le Conseil constitutionnel. Le fait que l’objet du contrôle a posteriori en France demeure la loi dénuée de fondement factuel, atteste, une nouvelle fois, de la nature abstraite du contrôle a

posteriori. Par conséquent, au regard de la distinction des différents modèles de

justice constitutionnelle proposée par le professeur Francisco Rubio Llorente256, il

peut être affirmé que le modèle de constitutionnalité des lois a posteriori en France reste principalement « centré sur la loi »257 et poursuit une finalité particulière, celle

de la garantie de « la division constitutionnelle des pouvoirs »258, lorsque le modèle

253 Cons. const., 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, consid. n° 16. 254 Cons. const., 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, consid. n° 17. 255 Cons. const., 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, consid. n° 18.

256 F. RUBIO LLORENTE, « Tendances actuelles de la juridiction constitutionnelle en Europe », AIJC, 1996, vol. XII, pp. 16-29.

257 Ibidem. 258 Ibidem.

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de justice constitutionnelle centré sur les droits fondamentaux n’a d’autre finalité que de garantir l’effectivité de ces droits »259.

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