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Chapitre II : La protection des droits des justiciables pénaux à l’épreuve de la détermination de la norme de référence du contrôle de constitutionnalité a

A) Le champ d’application des normes constitutionnelles par rapport aux incriminations

76. Les apories d’un contrôle abstrait de la clarté de la loi pénale en France En

France, le professeur Koubi a mis en garde contre les apories liées à un contrôle

abstrait de la clarté d’une loi. L’auteur conçoit en effet que « la bonne lecture de la

loi par les citoyens, c’est-à-dire celle qui emporte leur compréhension, ne peut se révéler qu’au stade de l’application concrète de la norme »348. Toutefois, s’il semble

que les Sages ont, dans un premier temps, été réticents à exercer une certaine forme de contrôle concret en la matière, l’étude de l’évaluation de la clarté et de la précision des lois par ces derniers semble, dans une certaine mesure, démentir l’hypothèse de départ. Partant du postulat suivant lequel l’intégration des décisions antérieures de la disposition litigieuse par les juges constitutionnels participe à la recherche

concrète de clarté de la loi, il peut être relevé une certaine réticence de la part du

347 R. c. Morgentaler, [1988] 1 RCS 30, §. 43.

348 G. KOUBI, « Lire et comprendre : quelle intelligibilité de la loi ? », in Le titre préliminaire du code civil, (sous la dir. G. FAURÉ, G. KOUBI), Économica, coll. Études juridiques, 2003, p. 223.

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Conseil constitutionnel à traiter l’argument d’imprécision de manière concrète. Cette réticence a pu être d’ores et déjà caractérisée lors du contrôle a priori349.

Refusant d’intégrer les jurisprudences antérieures à la disposition litigieuse afin d’accueillir ou non du grief d’imprécision, la position du Conseil constitutionnel a pu être décrite comme s’inscrivant « dans la vision très classique du juge « bouche de la loi »350. Néanmoins, dans le cadre du contrôle a posteriori, il semblerait que

certains arguments utilisés par le Conseil constitutionnel démentent cette tendance. Si le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de prononcer sur le fondement de la méconnaissance de l’exigence de précision de la loi pénale plusieurs censures de dispositions insuffisamment imprécises351, la question prioritaire de

constitutionnalité précitée du 13 janvier 2011352 est particulièrement éloquente en

ce qu’elle témoigne de l’effet « palliatif » et justificatif, de la jurisprudence antérieure quant au rejet du grief d’imprécision. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a validé la conformité à la Constitution du 2° du I de l'article L. 442- 6 du code de commerce. La notion qui soulevait des difficultés en l’espèce était celle du « déséquilibre significatif » introduite par le législateur avec la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 afin de prévoir des gardes fous à d'éventuels excès dans la négociation commerciale entre les partenaires commerciaux. La sanction encourue en cas de soumission d'une partie à des obligations créant un « déséquilibre significatif » est notamment le paiement d'une amende civile. Assimilant cette dernière à une « sanction ayant le caractère d'une punition », le Conseil constitutionnel a admis que le principe de légalité des délits et des peines était susceptible d'être affecté par la disposition critiquée. Autrement dit, le Conseil constitutionnel valide dans le cas d’espèce, la compétence du législateur

349 « Le recours à l’incompétence négative du législateur dans le cadre du contrôle a posteriori de la loi : une construction inachevée », http://www.droitconstitutionnel.org/congresNancy/comN7/porteT7.pdf, p. 2.

350 B. MATHIEU, « La qualité du travail parlementaire : une exigence constitutionnelle », in Constitutions et

pouvoirs, Mélanges en l’honneur de Jean Gicquel, Montchrestien, 2008, p. 357.

351 Cons. const., 16 sept. 2011, n° 2011-163 QPC, consid. 4 ; Cons. const. 4 mai 2012, n° 2012-240 QPC ; Cons. const. 6 févr. 2015, n° 2014-448 QPC, M. Claude A. [Agression sexuelle commise avec une contrainte morale],

JORF n° 0033, 8 févr. 2015, p. 2326, texte n° 37 ; Cons. const., 7 avril 2017, n° 2017-625 QPC, M. Amadou S.

[Entreprise individuelle terroriste], JORF n° 0085, 9 avril 2017, texte n° 38 ; Cons. const. 10 févr. 2017, M. David P. [Délit de consultation habituelle de sites internet terroristes], JORF n°0037, 12 févr. 2017 texte n° 46 ; Cons. const. 24 janv. 2017, n° 2016-608 QPC, Mme Audrey J. [Délit de communication irrégulière avec un détenu],

JORF n° 0023, 27 janv. 2017, texte n° 99 ; Cons. const., 4 mai 2012, n° 2012-240 DC, M. Gérard D., [Définition

du délit de harcèlement sexuel], JORF 5 mai 2012, p. 8015, texte n° 150, Rec., p. 233 ; Cons. const., 16 sept. 2011, n° 2011-163 QPC, « M. Claude N. [Définition des délits et crimes incestueux] », JORF, 17 sept. 2011, p. 15600, texte n° 74, Rec., p. 446 ; Cons. const. 17 févr. 2012, n° 2011-222 QPC, M. Bruno L. [Définition du délit d'atteintes sexuelles incestueuses], JORF, 18 févr. 2012, p. 2846, texte n° 71, Rec., p. 123 ; v. infra n° 290, 291 et n° 292. 352 Supra n° 71.

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pour assortir la violation de certaines obligations civiles et commerciales d'une amende civile353. Mais dès lors, il incombe au législateur de définir en des termes

clairs et précis la prescription dont il sanctionne le manquement. Une nouvelle fois, le Conseil constitutionnel estime que tel est le cas en l'espèce. Ce dernier utilise plusieurs arguments dont un qui retiendra particulièrement l’attention. En effet, après avoir argué du fait que la notion de « déséquilibre significatif » était déjà employée par le législateur354 et que « la juridiction saisie peut (…) consulter la

commission d’examen des pratiques commerciales »355, le Conseil constitutionnel

précise que « le contenu de la notion a déjà été précisé par la jurisprudence et du fait de cette interprétation jurisprudentielle, l’infraction est définie dans des conditions qui permettent au juge de se prononcer sans que son interprétation puisse encourir la critique d’arbitraire »356. Ce dernier argument témoigne, à l’image de l’analyse

canadienne du grief d’imprécision, de l’intégration de la jurisprudence antérieure à la disposition critiquée. Néanmoins, il convient de préciser que ce raisonnement va à l’encontre d’une décision qui affirme implicitement que la norme jurisprudentielle ne saurait se substituer en droit constitutionnel, à la légalité357. Excès de zèle ou

revirement de jurisprudence ? Il reste que cette décision autorise à conclure, comme le font les commentateurs dans les Cahiers, « qu’une infraction qui ne serait pas définie dans un texte de manière claire et précise, ou ne serait pas explicitée, peut ne pas entraîner d’inconstitutionnalité, si d’autres textes du même domaine ou la jurisprudence ont apporté les éclaircissements permettant de compléter les lacunes

353 Cons. const., 30 mars 2017, n° 2016-621 QPC, consid. 4, Société Clos Teddi et autre [Cumul des poursuites pénales et administratives en cas d'emploi illégal d'un travailleur étranger], JORF n° 0078, 1er avr. 2017, texte n° 104 ; M. MAYEL, « Winter is coming ou la douche froide dans la saga du cumul des sanctions », Gaz Pal., 11 juill. 2017, n° 26, p. 21-23 ; A. CERF-HOLLENDER, « Cumul des poursuites pénales et administratives en cas d'emploi illégal d'un travailleur étranger », RSC, avril-juin 2017, n° 2, pp. 325-329.

Cons. const., 1er juill. 2016, n° 2016-550 QPC, M. Stéphane R. et autre [Procédure devant la cour de discipline budgétaire et financière], JORF n° 0153, 2 juill. 2016, texte n° 104 ; supra n° 52 « le principe de légalité des délits et des peines est applicable non pas seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives, mais à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle ». A. CAMUS, « Commentaire de la décision n° 2016-550 QPC du Conseil constitutionnel en date du 1er juillet 2016 à propos du cumul des sanctions disciplinaires et pénales », DA, févr. 2017, n° 2, pp. 24-25 ; O. LE BOT, « Cumul de sanctions pénales et disciplinaires : deux réserves d'interprétation pour la CDBF », Constitutions, juill.-sept. 2016, n° 2016-3, pp. 468-470 ; F. WASERMAN, « L'application du principe non bis in idem et les procédures devant la CDBF », Constitutions, juill.-sept. 2016, n° 2016-3, pp. 456- 464.

354 Cons. const., 13 janv. 2011, n° 2010-85 QPC, consid. 4 : Notamment au sein de l’article L. 132-1 du code de la consommation, qui lui-même reprend les termes de l'article 3 de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.

355 Cons. const., 13 janv. 2011, n° 2010-85 QPC, consid. 4 356 Cons. const., 13 janv. 2011, n° 2010-85 QPC, consid. 4. 357 Cons. const., 13 janv. 2011, n° 2010-85 QPC.

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du texte»358. En somme, l’étalon du contrôle de constitutionnalité est moins la

connaissance de la loi en tant que telle, que la connaissance de la jurisprudence par les citoyens. Un autre argument mérite d’être mentionné dans la mesure où il témoigne de la difficulté d’analyser le grief d’imprécision dans l’abstrait. Ainsi, en second lieu, le Conseil constitutionnel, rappelle que l'exigence de clarté et de précision des dispositions instaurant des délits et des peines repose sur un principe de proportionnalité « suffisant » entre le degré de précision et la nature de l'infraction359, ce qui implique de procéder à une analyse au cas par cas, et insiste

sur la nature purement pécuniaire de la sanction. Parce qu'elle n'est pas privative de droits, la sanction prévue, c’est-à-dire l'amende civile, n'implique pas que l'« infraction » soit définie en des termes aussi clairs et précis que si elle emportait une privation de droits de sorte qu'ainsi définie, elle s'avère suffisamment claire et précise pour être conforme au principe de légalité des délits et des peines.

Deux autres composantes découlent du principe de légalité, soit d’accessibilité et d’intelligibilité. Au Canada, la jurisprudence a forgé une théorie d’imprécision constitutionnelle qui compte plusieurs principes directeurs sous-jacents tels que le principe de l’avertissement raisonnable aux citoyens et celui de la limitation du pouvoir judiciaire dans l’application des lois360. Ainsi, la présence d’une déclinaison

de termes proches en fonction des besoins de l’espèce autorise ainsi à percevoir certains points de recoupement avec la France.

ii) Le contenu de l’exigence d’accessibilité et d’intelligibilité

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