• Aucun résultat trouvé

Le cantonnement de l’invocation de la théorie d’imprécision constitutionnelle.

Chapitre II : La protection des droits des justiciables pénaux à l’épreuve de la détermination de la norme de référence du contrôle de constitutionnalité a

A) Le champ d’application des normes constitutionnelles par rapport aux incriminations

68. Le cantonnement de l’invocation de la théorie d’imprécision constitutionnelle.

En France et au Canada, les juges constitutionnels convergent dans la recherche d’une qualité formelle minimale quant aux lois pénales. Outre-Atlantique, la théorie de la nullité pour imprécision a été véritablement élaborée dans l’affaire charnière

Nova Scotia Pharmaceutical Society296. Le juge Gonthier a posé le critère de

l’imprécision ainsi : « Une loi sera jugée d’une imprécision inconstitutionnelle si elle manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire »297. Deux fondements, directement liés au principe de la primauté

du droit298, sous-tendent la théorie de l’imprécision. D’une part, la nécessité de

donner aux citoyens un avertissement raisonnable au sujet de la conduite prohibée et,

295 R. KOERING-JOULIN, J.-F. SEUVIC, « Droits fondamentaux et droit criminel », AJDA, 20 juill. 1998, n° spécial, p. 106.

296 R. c. Nova Scotia Pharmaceutical society, [1992] 2 RCS 606 : les appelants ont fait l’objet d’une mise en accusation portant sur deux chefs de complot pour empêcher ou diminuer, indûment, la concurrence, en contravention de l’article 32 (1) c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Les juges suprêmes étaient appelés à déterminer si le terme «indûment», dans le cadre de l’article 32 (1) c) de la Loi, était imprécis au point d'être incompatible avec l’article 7 de la Charte. La Cour suprême du Canada juge la disposition législative contestée conforme à l’article 7 de la Charte.

297 Ibidem.

298 A. VIOLETTE, Précisions sur la théorie de l’imprécision en matière constitutionnelle, R. du. B., Tome 63, 2003, p. 108.

93

d’autre part, la nécessité de limiter le pouvoir discrétionnaire dans l’application des lois299. La première composante de la primauté du droit, soit l’avertissement

raisonnable aux justiciables se compose de deux dimensions. La première, formelle, tend à l’accessibilité de la disposition, c’est-à-dire à la publicité formelle de la disposition300. La seconde, matérielle, vise à la compréhension de la disposition.

Plus précisément, « Du point de vue du fond, l'avertissement raisonnable réside donc dans la conscience subjective de l'illégalité d'une conduite, fondée sur les valeurs qui forment le substrat du texte d'incrimination et sur le rôle que joue le texte d'incrimination dans la vie de la société »301. Cette première composante de la

primauté du droit combiné avec la deuxième, c’est-à-dire la nécessité de limiter le pouvoir discrétionnaire dans l’application des lois, élaborent le critère de la « sphère du risque »302 au regard duquel les juges constitutionnels évaluent la précision de la

disposition.

Plus exactement, il ressort de la jurisprudence canadienne, que le grief d’imprécision peut être invoqué au regard de trois normes de référence : les articles 7, 11 et 1er de

la Charte canadienne des droits et liberté de 1982. Dans le cas des articles 7 et 11, l’imprécision représente une violation directe de garanties constitutionnelles. Dans celui de l’article 1er, l’imprécision représente un vice qui empêche de sauvegarder

une atteinte aux droits dans le cadre d’une société libre et démocratique. Autrement dit, l’imprécision peut être invoquée dans le cadre de ces trois principaux articles substantiels de la Charte comprenant une « restriction inhérente »303 aux droits ou

libertés fondamentaux.

C’est au regard de l’article 7 de la Charte que le grief d’imprécision est le plus souvent invoqué par les justiciables304, mais rarement avec succès. A ce titre, la

précision législative constitue un « principe de justice fondamentale »305.

299 R. c. Nova Scotia Pharmaceutical society, [1992] 2 RCS 606, p. 626-627.

300 R. c. Nova Scotia Pharmaceutical, [1992] 2 RCS 606, note 5, p. 633. L’exigence de publicité formelle est présumée satisfaite, dans le cadre du droit criminel, en raison de la présence de l’article 19 du Code criminel. Cet article impose, en effet, une présomption de connaissance et de compréhension de la loi.

301 R. c. Nova Scotia Pharmaceutical, [1992] 2 RCS 606, note 5 à la p. 634. 302 R. c. Nova Scotia Pharmaceutical, [1992] 2 RCS 606, note 5 à la p. 634.

303 R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 RCS 606, note 3, p. 631 : « L'imprécision peut être soulevée aux termes des dispositions de fond de la Charte chaque fois que ces dispositions comprennent une restriction inhérente ».

304 L. GAY, « Le contrôle des qualités formelles de la loi en droit constitutionnel comparé : France, Espagne et Canada », in Autour de la qualité des normes, op. cit., p. 111.

94

De même, une disposition législative qui prévoit un motif de détention avant procès en termes imprécis enfreint l’alinéa 11e) de la Charte, selon lequel « tout inculpé a le droit de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable »306. La mention « sans juste cause » commande que la

mise en liberté sous caution ne soit refusée que dans certains cas précis.

Enfin, l’article 1er de la Charte canadienne de 1982, qui énonce que « La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils

ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique » offre une troisième possibilité d’invoquer le grief d’imprécision d’une loi restreignant une liberté ou un droit garanti par ce texte et cela sous deux aspects. Premièrement, à l’étape de la règle de droit, au motif que la disposition est imprécise au point qu’elle ne satisfait pas à l’exigence selon laquelle une restriction de droits garantis par la Charte doit être prescrite « par une règle de droit ». Ainsi, dans l’affaire Irwin Toy307, la Cour suprême a pu préciser qu’une loi

trop imprécise pourrait ne pas constituer « une règle de droit » au sens de l’article 1er susvisé. En second lieu, à l’étape du volet de « l’atteinte minimale » du test de

proportionnalité de l’article premier308. En ce sens, l’affaire Keegstra309 atteste que

la théorie de l’imprécision peut jouer sous le volet relatif à l’atteinte minimale au droit. En effet, il convient de rappeler que les juges canadiens doivent s’assurer de la légitimité de la restriction apportée à un droit ou une liberté. Pour ce faire, les juges canadiens procèdent en plusieurs étapes.

Ainsi, lorsqu’il est établi que la restriction est bien prévue par une règle de droit et qu’elle poursuit un objectif suffisamment important, la Cour suprême la soumet ensuite à un test de proportionnalité qui se subdivise en trois étapes. Le jugement

Oakes310 précise sur ce point, que les trois étapes portent sur le contrôle de

l’existence d’un lien rationnel entre la restriction au droit et l’objectif poursuivi, de l’atteinte minimale au droit et de la proportionnalité proprement dite entre la restriction et les objectifs poursuivis.

306 R. c. Morales, [1992] 3 RCS 711.

307 Irwin Toy Ltd c. Québec, [1989] 1 RCS 927.

308 R. c. Nova Scotia Pharmaceutical society, [1992] 2 RCS 606, note 3, p. 626. 309 R. c. Keegstra, [1990], 3 RCS 697.

95

Concernant la deuxième étape qui a trait à la vérification de l’atteinte minimale, la Cour suprême du Canada admet qu’un texte manquant de clarté pourrait conduire à le restreindre au-delà de ce qui est nécessaire, justifiant de surcroît l’invalidité de la disposition litigieuse311.

En somme, l’identification des possibilités d’invoquer la théorie de l’imprécision sur les chefs des articles 7, 11 et 1er de la Charte atteste de la place plurielle de

l’imprécision dans les litiges relatifs à la Charte canadienne des droits et libertés de

1982. C’est en ce sens qu’il est permis d’avancer que l’imprécision représente un

étalon général de constitutionnalité à l’image de la situation française312.

Outline

Documents relatifs