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CONDITIONS DE DURABILITÉ DES PROJETS DE MANAGEMENT SOCIO-ÉCONOMIQUE

522 VERBATIM DEUXIEME PARTIEintervenants-

6 LA VIE OFFICIELLE DES PROJETS SOCIO-ÉCONOMIQUES

6.2 Le fonctionnement des projets socio-économiques

6.2.3 L’accompagnement des acteurs

Nous retenons l’accompagnement dans sa dimension empirique. C’est à la fois une posture et une fonction, une relation et une démarche, à la fois spécifique et devant s’adapter à un contexte et à une matrice relationnelle. Il donne consistance à des représentations personnelles et à des interprétations et il permet de prendre autrui

à témoin du sens que l’on veut conférer à ses propres expériences, à travers cette

matérialisation. C’est en quelque sorte une co-construction (Avenier 2000)213

résultant « d’une approche globale du devenir ».

Ce thème a été largement exprimé comme clé de réussite par les dirigeants et managers de la durabilité du management socio-économique.

Il est intéressant de noter que ce thème n’est quasiment pas abordé par les

intervenants de l’ISEOR. Les intervenants semblent penser que le processus

d’intervention et la formation concertation suffisent à accompagner le changement de méthode. Nous avons vu son efficacité dans la partie précédente. Cependant, nous ne pouvons pas considérer que l’individu renonce à son expression individuelle et se conforme aux attentes prédéfinies de l’entreprise.

Les dirigeants et managers mettent en avant que les acteurs d’un changement de méthode de management, en tant que groupe ou individu, peuvent rencontrer de la réticence, de la difficulté, de la souffrance. Lorsque les acteurs se sentent contraints d’entrer dans de nouveaux modes organisationnels imposés sans concertation, ils expriment généralement la crainte de ne plus être « eux-mêmes ». Ils manifestent alors une certaine réticence à adopter les références et les outils de changement proposés et revendiquent de maintenir des modes d’action plus personnels. Les outils de management proposés leur apparaissent alors comme privatifs de liberté de réalisation individuelle et préjudiciables à leur créativité (Guillaume A., 2010)214. Nous nous intéresserons d’abord au besoin d’accompagnement, puis à l’accompagnement des acteurs au travers de l’expression des acteurs interviewés.

213

AVENIER, M.-J., Ingénierie des Pratiques Collectives – La Cordée et le Quatuor, L’Harmattan, ouvr. coll., 2000, 462 p.

214

GUILLAUME A., Prise en compte de la singularité de l’individu en management et efficience de l’organisation, Tutorat doctoral, Aix-en-Provence, 2010.

143 6.2.3.1 Le besoin d’accompagnement

L’ampleur et l’omniprésence que peut prendre un changement de méthode de management dans une organisation nous ont conduit à mieux comprendre ce que peut révéler l’expression de souffrance organisationnelle.

Les programmes de changement en entreprise semblent en effet aujourd’hui

susciter des attitudes et des comportements plus individuels et intériorisés que des résistances marquées, ouvertes et collectives.

Les acteurs ne doivent plus seulement être mobilisés et adhérer au changement. On attend d’eux qu’ils s’approprient le changement en faisant leur les espaces d’autonomie et d’expérimentations ouvertes dans l’organisation afin de permettre la construction de l’action collective (Perret, V. 2009).215

La fabrique du consentement ne se fait pas sans violence, même si celle-ci s’exprime, au sein des organisations, moins sous les formes de la répression que

sous le visage plus feutré de la violence psychique (Gaulejac, de V., 2005) 216.

Comme le signalent Crozier et Friedberg (1977)217, le changement réussi ne peut être le remplacement d’un modèle ancien par un modèle nouveau qui aurait été conçu d’avance par des sages quelconques ; il est le résultat d’un processus collectif à travers lequel sont mobilisées, voire créées, les ressources et capacités des participants nécessaires pour la constitution de nouveaux jeux dont la mise en œuvre libre non contrainte permettra au système de s’orienter ou de se réorienter comme un ensemble humain et non comme une machine.

6.2.3.2 L’accompagnement des acteurs

L’accompagnement des acteurs est aux confins des sciences humaines et des sciences de gestion.

L'accompagnement réunit au moins deux personnes, dont une doit être en mesure de soutenir l'autre, de lui permettre de trouver son autonomie dans la démarche, de lui laisser la place pour acquérir la confiance en soi nécessaire et de lui permettre de s'autoriser à opérer certains changements. C’est un dispositif et des moyens techniques et relationnels qui aident le bénéficiaire à progresser par lui-même.

Nous considérons comme accompagnement tout ce qui favorise l’implantation des

projets socio-économiques, qui ne soit pas prévu dans le processus défini par l’ISEOR comme par exemple les formations techniques, les formations RH, le développement personnel, le coaching…

215 PERRET, V., Quand le changement devient soluble ou l’idéologie managériale du changement

organisationnel, dans Golsorkhi, Huault et Leca (Coord), Critique du management : une perspective française, Chap. III.1, 209-231, Presses de l’Université de Laval, 2009.

216

GAULEJAC, de V., La société malade de la gestion : idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social, Paris : Seuil, 2005.

144 Certains y voient : « À la fois, l’expression d’un mal de vivre dans nos environnements postmodernes et révélateur d’un déplacement anthropologique dans nos constructions culturelles, tel semble être le paysage dominant qui entoure

l’accompagnement et ses pratiques. » Boutinet J.-P., 2004)218

Les nombreuses techniques d’accompagnement et de développement personnel sont souvent qualifiées de nébuleuses, et présupposent, pour nombre d’entre elles, que le pouvoir de la pensée est sans limite et que tout dépend de soi, de la motivation que l’on se donne (Bayad, M. & Persson, S. 2005)219

.

Pour les dirigeants et managers, la finalité n’est pas seulement d’implanter la méthode choisie par eux, mais de s’assurer de l’efficience du changement qu’ils veulent apporter.

Au sein des entreprises B et LN, dans les deux projets que nous avons menés avec l’ISEOR, nous avons observé que les besoins d’accompagnement touchent les personnes les moins prêtes au changement de méthode de management.

Ce sont principalement l’encadrement de proximité et les agents de maîtrise, arrivés à cet échelon hiérarchique par ancienneté et à qui il est demandé désormais d’être capables de mener des entretiens en tête-à-tête et de fixer des objectifs. Ce sont également les fonctions dont le rôle et les missions vont évoluer comme le contrôle de gestion ou les Ressources Humaines, ou bien ces cadres qui ont une rente de situation dans l’organisation par protection ou mise à l’écart de l’opérationnel. Enfin, les individus qui ont un comportement qui n’est pas naturellement coopératif ou dont l’importance dans la société repose sur une compétence technique très pointue (experts).

Ces personnes non accompagnées deviennent des freins à l’implantation, voire des acteurs négatifs ayant un pouvoir de nuisance.

Les dirigeants et managers interviewés sur les projets socio-économiques estiment qu’en complément du processus d’implantation iséorien, il semble nécessaire de s’appuyer sur un accompagnement.

Cet accompagnement peut se traduire par un support plus accentué des

ressources humaines, non seulement dans la phase d’implantation mais aussi

dans la phase de maintenance des projets socio-économiques :

« Gros travail de RH en amont : grille, salaires, coefficient… » « Un accompagnement RH en parallèle au projet. »

« Pour éviter la routine et la lassitude, il faut un accompagnement type RH (relancer la flamme, motivation pour rendre perpétuel le management socio-économique). »

218

BOUTINET J.-P., Questionnement anthropologique autour de l’accompagnement ? Éducation permanente 153, 2004.

219

BAYAD, M, PERSSON, S., Le coaching au service de la transformation managériale. Est-il possible d'infléchir le changement ?, Revue internationale de psychosociologie, Vol.11, (25), 63-91, 2005.

145 Certains demandent une formation aux basiques du fonctionnement de

l’entreprise. Avec l’approche socio-économique, certains découvrent la finalité

sociale et économique de leur entreprise, l’importance voire l’existence de la stratégie, l’interdépendance des fonctions, les tableaux de bord et les indicateurs. Même avec la bonne volonté d’apprendre une nouvelle façon de gérer, ils ont besoin de comprendre ce que gérer veut dire dans leur entreprise.

« Une formation au management au préalable à la formation management socio- économique. »

Ces deux points sont mentionnés par des dirigeants qui ont déjà implanté un projet socio-économique et qui n’avaient pas mis en place ces mesures au préalable. On peut se demander si l’accompagnement est une mesure nécessaire à l’arrivée d’un management particulièrement impliquant pour tous les acteurs de leur entreprise, ou bien si l’introduction de ce mode de management sert de révélateur à des dysfonctionnements existants en termes d’accompagnement et détectables à partir

du diagnostic socio-économique220.

La principale expression des dirigeants et managers porte sur un

accompagnement des personnes. Les verbatim mettent en évidence leur

isolement, leur déstabilisation, certainement leurs peurs, face à un changement organisationnel qui va remettre en cause leurs modes de fonctionnement, leurs comportements et pour certains leurs valeurs.

« Ce n'est pas naturel pour L’homme. »

« C'est difficile de changer de comportement, et c'est plus long à mettre en place. » « On est assez démuni sur les comportements humains. »

« On ne tient pas assez compte de la psychologie, j'aurais eu besoin d'un coach. » « Les dirigeants sont des êtres sensibles et seuls, toujours le nez dans le guidon. »

Il ne s’agit pas d’apprendre quelque chose, d’acquérir un nouveau savoir-faire ; il s’agit de savoir-être, touchant à la fois les traits de personnalité, l’identité, la culture, le comportement, les attitudes, mais aussi l’idée de volonté, de motivation des acteurs.

Les techniques d’accompagnement s’individualisent et puisent dans le champ de la psychologie. Ainsi, certains reconnaissent dans le développement croissant des pratiques de coaching les signes d’un nouveau paradigme du management appelant à de nouveaux comportements qui mettent l’accent sur la responsabilisation et le développement personnel (Hamlin, B ; Ellinger, A. & Beattie, R, 2004)221.

220

Diagnostic socio-économique : voir lexique.

221

HAMLIN B, ELLINGER A, BEATTIE R, In Support of Coaching Models of Management and Leadership, 2004.

146 Mais cet accompagnement peut prendre d’autres formes, par exemple des formations plus orientées sur la gestion des relations interpersonnelles, des enquêtes internes anticipatives pour détecter les risques de blocage, des prises en charge post-implantation des populations ou individus en difficulté :

« On se plante si on ne fait pas un peu de psycho du travail ou d'étude de comportements. »

« J'ai toujours eu besoin d'un support RH, accompagnement des équipes, car on remue l'intérieur des gens. Pourquoi ne pas l'intégrer à la méthode ? »

« Les facteurs positifs avant implantation : repérages des adhésions sous-jacentes, sensibilité aux tableaux de bord et aux managers. »

Nous avons participé à deux implantations de projet socio-économique avec l’ISEOR. Dans les deux cas, la société avait prévu un éventail d’accompagnement avec une cohabitation plus ou moins facile entre consultants externes et intervenants ISEOR.

Ces éléments ont été confirmés par les collaborateurs avec qui nous avons travaillé :

« Cascade (formation RH) nous avait préparés. »

« J’y ai surtout approché la connaissance et le contrôle de soi dans le management des équipes avec M (consultant RH). »

Lorsque nous avons appliqué le management socio-économique comme outil de

performance individuelle sans l’ISEOR pour mener à bien nos projets et nos

équipes, nous avons senti le besoin de nous former au coaching pour accompagner les acteurs concernés.

Ce complément d’accompagnement est ressenti comme nécessaire par les dirigeants. Il pourrait être intégré en complément du processus d’implantation par l’ISEOR. Ils trouvent des solutions en interne ou à l’extérieur pour le faire.