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DURABILITÉ DES MÉTHODES DE MANAGEMENT
DANS LES ORGANISATIONS Cas des projets de
management socio-économique
Gérard Desmaison
To cite this version:
Gérard Desmaison. DURABILITÉ DES MÉTHODES DE MANAGEMENT DANS LES ORGAN-ISATIONS Cas des projets de management socio-économique. Gestion et management. Université Lyon 3 J. Moulin, 2014. Français. �tel-02073577�
THÈSE POUR L’OBTENTION DU GRADE DE DOCTEUR EN SCIENCES DE GESTION
DESMAISON Gérard
DURABILITÉ DES MÉTHODES DE MANAGEMENT
DANS LES ORGANISATIONS
Cas des projets de management socio-économique
MEMBRES DU JURY :
Madame Véronique ZARDET, directrice de thèse, Professeur des Universités, Université Jean Moulin Lyon 3.
Monsieur Laurent CAPPELLETTI, rapporteur, Professeur des Universités, CNAM Paris.
Monsieur Stéphane TREBUCQ, rapporteur, Professeur des Universités, Université Bordeaux IV.
Monsieur Guy SAINT LEGER, Docteur Habilité à Diriger des Recherches. Monsieur Henri SAVALL, Professeur Emérite, Université Jean Moulin, Lyon 3. Monsieur Henri TALAZSKA, Dirigeant de grandes entreprises et consultant en management.
3 L’Université Jean Moulin Lyon III n’entend donner ni approbation, ni improbation aux opinions émises dans les thèses. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.
5
REMERCIEMENTS
Nous remercions tout d’abord le professeur-émérite Henri SAVALL, qui nous a dirigé dans cette recherche, qui a su nous apprendre la patience stratégique du chercheur et qui a conservé une posture éthique exemplaire dans l’étude d’un objet de recherche lui tenant particulièrement à cœur.
Nous remercions sincèrement le professeur Véronique ZARDET pour la qualité de l’enseignement de la recherche en sciences de gestion et, à travers elle, tous les enseignants de ce programme, pour l’animation des séminaires doctoraux de l’ISEOR, et pour sa pugnacité à défendre les intérêts des doctorants-professionnels.
Nous avons la chance d’avoir comme membres du jury, le professeur Stéphane TREBUCQ, le professer Laurent CAPPELLETTI, le docteur H.D.R. Guy SAINT-LEGER, Monsieur Henri TALASZKA, dirigeant d’entreprises, toutes des personnes pour lesquelles nous avons une admiration pour leurs idées et leurs réalisations. Nous les remercions de leur contribution et de leurs critiques constructives.
Notre thèse n’existerait pas sans l’apport et le support des personnes interviewées qu’elles soient dirigeants, managers, intervenants-chercheurs, salariés. Leur sincérité et leur confiance ont permis une expression vraie de leurs points de vue et aussi de corriger nos a priori.
Un grand merci à tous les doctorants, docteurs, professeurs, en particulier ceux croisés au cours des tutorats, qui nous ont permis d’enrichir nos travaux et nos idées, et nous laisser envisager d’autres hypothèses de recherche.
Nous adressons un grand remerciement au personnel des bibliothèques de l’Université LYON3 et de l’Université PMF de Grenoble pour leur hospitalité et leurs conseils dans nos bibliographies.
Les associations Atelier Du Dirigeant Durable (A3D) et International Coaching Federation (ICF) de Grenoble ont été des appuis conséquents par leurs réseaux de dirigeants et pour avoir permis de tester nos hypothèses et nos recommandations.
6 Nous exprimons notre reconnaissance à tous les auteurs que nous avons découverts, parfois mal cités, et qui nous ont permis d’entrevoir la richesse de la connaissance académique.
Nous souhaitons remercier toutes les personnes qui ont contribué par leurs conseils et relectures à ce que cette thèse produite par un professionnel soit académiquement présentable.
Nous remercions notre famille et nos amis pour nous avoir supporté (dans tous les sens du terme) durant ces quatre années et qu’ils nous pardonnent pour le temps et l’énergie que nous leur avons « volés ».
Tous, à votre façon, vous nous avez donné l’envie et la volonté de contribuer dans le futur à persévérer dans d’autres recherches qui permettront de réconcilier l’humain et l’économique dans l’entreprise et de rapprocher le monde de l’entreprise du monde académique.
7
SOMMAIRE
INTRODUCTION………. 9
PREMIÈRE PARTIE : MISE EN ŒUVRE DE LA RECHERCHE 1 ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE LA RECHERCHE ... 20
2 MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE ET CADRE THÉORIQUE ... 42
3 TERRAIN ET MATERIAUX D’EXPÉRIMENTATION ... 63
4 DISCUSSION SUR LA MISE EN ŒUVRE DE LA RECHERCHE ... 104
DEUXIÈME PARTIE : CONDITIONS DE DURABILITÉ DES PROJETS DE MANAGEMENT SOCIO-ÉCONOMIQUE 5 APPROCHE QUANTITATIVE ET QUALITATIVE DES RÉSULTATS ... 117
6 LA VIE OFFICIELLE DES PROJETS SOCIO-ÉCONOMIQUES ... 125
7 L’ARRÊT DES PROJETS DE MANAGEMENT SOCIO-ÉCONOMIQUE ... 167
8 DISCUSSION SUR LA DURABILITÉ DES PROJETS DE MANAGEMENT SOCIO-ÉCONOMIQUE ... 199
TROISIÈME PARTIE : CONDITIONS DE DURABILITÉ DES MÉTHODES DE MANAGEMENT 9 DE « LA DURABILITÉ DES PROJETS SOCIO-ÉCONOMIQUES » À « LA DURABILITÉ DES MÉTHODES DE MANAGEMENT » ... 219
10 LES SPÉCIFICITÉS DU MANAGEMENT SOCIO-ÉCONOMIQUE ... 229
11 CONDITIONS DE DURABILITÉ GÉNÉRALISABLES Á D’AUTRES MÉTHODES DE MANAGEMENT ... 243
12 L’ANTICIPATION DES ASPIRATIONS DES ACTEURS (3A) ... 289
13 DISCUSSION SUR LES CONDITIONS DE DURABILITÉ DES MÉTHODES DE MANAGEMENT ... 301
8
Bibliographie………321
Lexique………..335
Table des Figures………349
Table des Tableaux……….351
Table des Matières………..353
9
DURABILITÉ DES MÉTHODES DE
MANAGEMENT DANS LES ORGANISATIONS
Cas des projets de management socio-économique
INTRODUCTION
« Dans une organisation, pourquoi faut-il dépenser tant d’énergie, de temps et d’argent à changer fréquemment de méthodes de management et perturber ainsi le travail de responsables ne demandant qu’à poursuivre sereinement des projets et objectifs en cours ? »
C’est la question que nous nous sommes posée tout au long de notre vie professionnelle. C’est aussi la question que des collaborateurs nous ont souvent posée. C’est la question qui nous a motivé à engager cette recherche.
Les organisations ont besoin de pilotage global à travers un ensemble de politiques cohérentes entre elles, qui convergent dans le sens du projet stratégique et se
traduisent dans la culture organisationnelle (Évrard Y., 1993)1. Le management est
donc fondamental, les outils et les méthodes ne sont et ne restent que des supports. Les méthodes du management n’ont pas de finalité en elles-mêmes. Elles peuvent plus ou moins s’adapter à des objectifs.
Nous avons constaté que les méthodes de management sont nombreuses, elles évoluent avec le temps et ont une durée de vie très variable dans les entreprises.
Les changements de méthodes de management entraînent des
dysfonctionnements stratégiques et opérationnels et des perturbations socio-psychologiques pour les acteurs.
Compte tenu des enjeux sociétaux et de l’intérêt académique, il nous a donc paru
opportun et pertinent de s’intéresser à la durabilité des méthodes de
1
10
management dans les organisations. Une meilleure connaissance de cette
problématique devrait contribuer à améliorer l’efficience et le mieux-être des organisations et des acteurs.
Nous avons choisi de disserter sur la durabilité plutôt que sur la pérennité des
méthodes de management. En effet, nous sommes convaincu qu’une méthode de
management est destinée, un jour ou l’autre, à être remplacée par une autre dans une organisation. Nous recherchons modestement quelles sont les conditions permettant qu’une méthode de management dure plus longtemps dans les entreprises, afin que ces dernières soient plus efficaces et leur personnel moins stressé. Nous ne remettons pas en cause l’innovation managériale, car elle nous semble nécessaire et utile. Innover dans le domaine managérial, c’est lutter contre
l’inefficacité du management (Thevenet M., 2012)2. Si l’on prend de la distance
vis-à-vis de l’impératif d’innover, la première des innovations ne consisterait-elle pas à revenir aux principes de base du management, avant même d’essayer de dessiner des formes novatrices ?
L’imagination managériale est aujourd’hui une question de survie mais, dans de nombreuses entreprises, l’enjeu est de reconstruire une maîtrise minimale de la direction par ses managers sur l’organisation et ses personnels, en redécouvrant
les vertus de la confiance et de la simplicité (Dupuis F., 2011).3 Faire en sorte que
les innovations managériales perdurent dans les entreprises concourt aussi à l’innovation managériale.
Notre problématique est donc de déterminer quels sont les éléments qui contribuent à la pérennité des méthodes de management dans les entreprises, avant, pendant et après leur introduction.
Pour répondre à cette problématique, nous avons décidé d’entreprendre une
recherche. Pourquoi une recherche ? Nous aurions pu prendre l’initiative d’écrire un livre sur le sujet ou de faire du conseil sur cette problématique. L’académisme d’une recherche nous a semblé une garantie de rigueur dans la production de nouvelles connaissances. Ces dernières sont appelées à être discutées par des communautés partageant les mêmes aspirations : d’une part, les chercheurs du monde académique, et d’autre part, les dirigeants et les managers du monde de l’entreprise. Notre démarche répond à un besoin d’avoir des réponses certaines,
légitimées, partagées, partageables et actionnables (David A., Hatchuel A., 1998)4.
Notre motivation de ce besoin de légitimité et d’actionnabilité a plusieurs origines. Elle vient du fait que nous avons ressenti personnellement les effets négatifs de la problématique, qu’ils soient opérationnels ou humains. Nous avons encore
2
THEVENET M., Du management plutôt que de l’innovation managériale, Université d’hiver Entreprise et Personnel, jan.2012.
3 DUPUY F., Lost in Management, 2011, actes de l’université d’hiver E&P janv. 2012. 4
DAVID A., HATCHUEL A., Des connaissances actionnables aux théories universelles en sciences de gestion, 1998.
11 beaucoup de relations familiales et personnelles exerçant des responsabilités dans les entreprises. Nos petits-enfants seront à leur place dans le futur. Nous y voyons une responsabilité personnelle et la nécessité de produire des résultats dans un cadre non partisan donc scientifique. Notre motivation a été assez forte pour y consacrer quatre années sans financement.
Comme l'écrit Popper, cité par J. Girin (1990)5 : « Il est totalement erroné de supposer que l'objectivité de la science dépend de l'objectivité de l'homme de science. » (Adorno-Popper, 1969, 1979 : 826) Cela est d’autant plus vrai que, présentement, l’« homme de science » est un professionnel expérimenté. L’insertion de doctorants professionnels dans une équipe de recherche se distingue
de l’insertion de doctorants issus de l’Université. (Zardet V., 2008)7
. Nous avons eu rapidement conscience que notre manque d’expérience en recherche et notre forte pratique en entreprise pouvaient être un handicap à cet objectif.
Trouver un terrain de recherche couvrant diverses méthodes de management nous a semblé un objectif difficilement réalisable. Nous nous sommes donc focalisé sur une méthode de management : le management socio-économique dans les organisations. Nous avons étudié la durabilité des projets de management socio-économique sur une période assez longue, de 1985 à nos jours, pour en mesurer l’évolution liée au temps. Ce choix a été guidé par notre pratique de cette méthode
de management en entreprise pendant une vingtaine d’années en tant que cadre
opérationnel. De plus, cette méthode existe depuis de nombreuses années et a fait l’objet d’une littérature académique importante de la part du centre de recherche l’ayant créée, et d’autres auteurs comme Boje D., Combere J., De Geuser F., Péqueux Y., Plane J-M…
C’est donc naturellement que nous nous sommes tourné vers l’ISEOR, centre de recherche-intervention créateur et diffuseur de la méthode choisie. Nous ne connaissions de l’ISEOR, en tant que cadre d’entreprise, que quelques
intervenants-chercheurs et l’application d’une méthode de management efficiente.
Nous y avons découvert le fonctionnement d’un centre de recherche, la recherche-intervention et les relations avec le monde académique.
Alors que la plupart des thèses soutenues au sein de l’ISEOR utilisent la recherche-intervention socio-économique comme méthode de recherche, nous nous distinguons en menant une recherche dont le champ restreint de l’objet est le management socio-économique.
5
GIRIN J., L'analyse empirique des situations de gestion : Éléments de théorie et de méthode, in Épistémologies et sciences de gestion, Économica, 1990, p. 141-182.
6
ADORNO, T W. et POPPER, K R., 1969: Der Positivismusstreit in der deutchen, Soziologie, Hermann
Luchterhand Verlag, Darmstadt und Neuwied. De Vienne à Francfort: la querelle, allemande des sciences
sociales, Éditions Complexe, Bruxelles, 1979.
7
ZARDET V, La thèse de doctorat et l’activité professionnelle : bilan de trois décennies de direction de
12 Nous avons aussi très vite compris que l’interprétation hâtive de la proximité entre le champ de la recherche (le management socio-économique), le centre de recherche (ISEOR) et la direction de la recherche pouvait porter à critiques. Nous avons également été conscient qu’une recherche sur le management socio-économique pouvait déboucher sur des résultats qui ne seraient pas toujours positifs pour la méthode, les intervenants-chercheurs et le centre de recherche-intervention qui nous a accueilli.
En somme, non seulement nous nous sommes trouvé une responsabilité à produire des résultats actionnables par des professionnels et reconnus par le monde académique. Mais également, nous avons choisi d’évoluer dans un environnement de recherche critiqué par certains chercheurs et universitaires. De plus, nous allons produire des résultats qui peuvent déplaire aux créateurs de la méthode observée. Notre objectif n’est pas de faire un plaidoyer de cette méthode de management, mais d’avoir des réponses légitimées à nos questions, même si nous savons que « tout est relatif, voilà le seul principe » (A. Comte, 1817)8. Cette réalité est toujours remise en cause et correspond à une représentation du chercheur. Notre progression dans la recherche s’est toujours faite avec le souci de produire des résultats pouvant faire progresser, à la fois, les acteurs tels que les dirigeants, managers, collaborateurs, intervenants, et modestement les sciences de gestion. Pour ces raisons, nous avons donc dû accorder une attention particulière à l’élaboration de notre recherche. Cela nous a conduit à expliciter la structuration de nos hypothèses initiales, à calibrer et valider les résultats obtenus, à contrôler les effets de transfert et contre-transfert du chercheur sur son objet. Ce processus rigoureux a contribué à prendre du recul et de l’abstraction par rapport à notre expérience, d’une part, et au voisinage du centre de recherche créateur de la méthode, d’autre part. Nous avons consacré toute la première partie de la thèse à
détailler la mise en œuvre de la recherche.9
Pour cela, il nous a fallu commencer par assimiler le processus d’une recherche
académique pour des non-universitaires en le vulgarisant (Desmaison G., 2009)10,
puis acquérir les compétences propres à un chercheur en sciences de gestion. Nous avons consacré beaucoup de temps en recherches personnelles sur les cadres théoriques et les aspects méthodologiques. Cela est certainement une des raisons qui font qu’une thèse de professionnel dure plus longtemps qu’une thèse d’un chercheur issu de l’Université.
Nous nous appuyons sur une méthodologie de recherche rigoureuse basée sur l’approche qualimétrique (Savall H., Zardet V., 2004)11
et sur les écrits de grands noms de l’épistémologie en sciences de gestion (Aktouf O., Avenier M-J, Barbier R.,
8 Nous n’avons pas retrouvé l’origine de cette citation issue d’un recueil personnel de maximes. 9
Quitte à présenter une introduction qui peut paraître courte pour une thèse.
10
DESMAISON G., Le chercheur jardinier, Colloque ISEOR juin 2009.
11
13 Ben Aissa H., David A., Girin R., Hatchuel A., Hlady Rispal, Lalle B., Yin R…. pour n’en citer que quelques-uns). Cette méthodologie sera détaillée dans la première partie.
Les concepts théoriques se sont affinés au fur et à mesure pour se focaliser sur les
outils de gestion (avec, entre autres, Martineau R., Dupuy Y., De Vaujany F.-X.,
Moisdon J.-C., David A.), la théorie des conventions (Boltanski L., Thevenot L.),
l’analyse stratégique (Crozier et Friedberg E.), la théorie du potentiel humain
(Savall H., Zardet V.) et la résilience managériale (Weick K.E., Koninckx G., Teneau G., Poirot M.). Ces concepts sont expliqués dans la première partie et nous les confrontons aux résultats de la recherche dans la troisième partie.
Notre terrain de recherche est principalement constitué d’interviews croisées de dirigeants pratiquant la méthode de mangement socio-économique, d’intervenants-chercheurs de l’ISEOR et d’acteurs d’entreprise, soit près de cinquante projets de management socio-économique ayant eu des durées de vie très variées, de six mois à trente ans. Notre expérience de dirigeant, vingt années de pratique de la méthode, avec et sans l’ISEOR, et l’observation pendant quatre ans du centre de recherche qui a créé et qui diffuse la méthode ont été des sources complémentaires
de données de terrain En additionnant le nombre d’années pratiquées par les
dirigeants, les managers et les intervenants interviewés, nous basons nos travaux sur 160 ans de projets de management socio-économique.
Pour aborder notre recherche, nous avons considéré une méthode de management comme un être vivant avec des étapes de croissance et de déclin : une genèse, un développement, une mort, une phase post-mortem. Cette durée de vie dans une organisation est conditionnée par deux moments primordiaux : le démarrage, ou genèse, et la fin, ou mort officielle, de la méthode de management.
Au démarrage de la recherche, nous sommes parti sans idée préconçue, sans hypothèse principale. La seule hypothèse que nous avons émise avant les
interviews est qu’il y a une vie cachée des méthodes de management après la
décision d’arrêt officiel de la méthode dans une organisation. Les hypothèses se sont structurées au fur et à mesure des interviews pour devenir descriptives,
explicatives et prescriptibles pour les acteurs. Nous n’employons pas le terme
« prescriptives » car nous menons une action, et non une recherche-intervention. Nous estimons que l’ actionnabilité de notre recherche s’arrête à l’appropriation par les acteurs concernés des hypothèses suggestives ou prescriptibles.
Dans un premier temps, notre but est, pour chacune des étapes de la vie d’un projet en entreprise, de déterminer les conditions de durabilité de la méthode
de management étudiée, le management socio-économique. C’est ce que nous
détaillerons dans la deuxième partie de la thèse. Nous consolidons nos résultats par un calibrage constitué d’une évaluation quantitative des idées émises. Elle porte sur les résultats présentés, les convergences et divergences entre les populations
14 et une vérification de nos hypothèses. Ce tâtonnement progressif nous permet de prendre de la distance et de construire une autre vision du management socio-économique que celle de notre pratique.
Ces résultats, spécifiques au management socio-économique, ne répondent que partiellement à notre problématique existentielle initiale, qui ambitionne d’intéresser tous les dirigeants et managers et toutes les méthodes de management qu’ils peuvent utiliser. Notre objectif est de rendre ces résultats actionnables pour un maximum d’acteurs et sur d’autres méthodes de management.
Comment généraliser à partir de données empiriques afin de produire des connaissances actionnables et des théories universelles ? Ceci nous a demandé une démarche d’introspection et de clarification, mais aussi un engagement et une éthique (B. Lallé, 2004)12.
Nous détaillons, dans la troisième partie, la généralisation possible à d’autres méthodes de management, des résultats obtenus en observant le management socio-économique. Dans un premier temps, nous définirons les conditions de durabilité qui ne s’appliquent exclusivement qu’au management socio-économique afin de les exclure de la généralisation. Puis nous élargirons le champ de la recherche en complétant nos matériaux par des interviews de dirigeants pratiquant d’autres méthodes de management. Pour vérifier la consistance de nos résultats, nous avons sélectionné des méthodes très connues et d’autres très peu connues. Nous nous demanderons également comment faire en sorte que les changements de méthode de management se passent sans incidence dommageable pour l’efficience des organisations et le mieux-être des acteurs. On peut se poser la question de savoir si le contexte socio-économique actuel de crise de ce début du
XXIe siècle n’interfère pas ou n’explique pas les résultats obtenus de conditions de
durabilité des méthodes de management.
Nous en tirerons les grands axes qui permettent de renforcer la durabilité des méthodes de management dans les organisations. Nous confronterons ces résultats aux concepts théoriques mobilisés.
Dans la première partie de la thèse, nous détaillons la mise en œuvre de la recherche en examinant successivement les éléments de la recherche (objet, constat, problématique, hypothèses centrales, périmètres…), la méthodologie de recherche, les cadres et concepts théoriques utilisés, les terrains d’expérimentation, l’exploitation des matériaux d’expérimentation.
Dans la deuxième partie de la thèse, nous étudions les conditions de durabilité de la vie officielle des projets socio-économiques dans les
12
LALLE B., Production de la connaissance et de l'action en sciences de gestion, Revue française de gestion 1/2004 (no 158), p. 45-65.
15
organisations, de la genèse à la décision d’arrêt. Nous analysons ce qui se passe dans la vie cachée des projets socio-économiques dans les organisations en nous intéressant à l’arrêt de la méthode et aux comportements des acteurs.
Dans la troisième partie, nous déterminons les conditions généralisables à d’autres méthodes de management permettant de pérenniser les méthodes dans les organisations. Nous étudions ce qui permet de gérer l’accélération de ces changements par une prise en compte anticipatrice des aspirations des acteurs.
Chacune de ces 3 parties se termine par des propositions actionnables par les acteurs concernés.
DURABILITÉ DES MÉTHODES DE MANAGEMENT DANS LES ORGANISATIONS
Cas des projets de management socio-économique
PARTIE 1 : La mise en œuvre de la recherche
PARTIE 2 : Les conditions de durabilité des projets de management socio-économique
17
1
rePARTIE :
19
1
rePARTIE :
MISE EN ŒUVRE DE LA RECHERCHE
Dans cette première partie de la thèse, nous présentons les éléments et le processus qui ont permis de produire des résultats sur les conditions de la durabilité des projets de management socio-économique.
Dans un premier temps, nous délimitons, expliquons et détaillons les éléments constitutifs de la recherche. Sur quels constats sommes-nous parti ? Ce que nous voulons observer et dans quel champ ou périmètre ? Quelles sont les questions auxquelles nous voulons répondre ?
À partir de ces éléments, nous détaillerons la méthodologie que nous avons employée et comment nous nous situons par rapport à d’autres approches de la
recherche en sciences de gestion. Nous montrerons comment s’est
progressivement constitué notre socle de concepts et théories sur lequel nous avons confronté nos résultats.
Puis nous expliquerons les éléments observés constituant notre terrain d’expérimentation en attachant une place particulière aux interviews des trois populations concernées : dirigeants et managers, intervenants-chercheurs et collaborateurs.
Enfin, à partir des matériaux bruts de recherche, nous décrirons l’exploitation qui en a été faite pour être en mesure de présenter des résultats sur les conditions de durabilité des projets de management socio-économique.
Cette première partie devrait intéresser les néo-doctorants, principalement ceux issus de l’entreprise ; pour la conduite de leur recherche.
Dans cette première partie, nous verrons donc successivement :
Les éléments constitutifs de la recherche.
La méthodologie et les concepts théoriques de la recherche.
Le terrain et les matériaux d’expérimentation.
20
1 ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE LA RECHERCHE
Dans ce paragraphe, nous regroupons les éléments qui nous ont permis de délimiter notre recherche : objet, constats, problématiques, hypothèses centrale et secondaires, périmètre et champ, méthodologie et cadre théorique de la recherche.
1.1 Objet de la recherche : la durabilité des méthodes de management
1.1.1 L’objet de recherche
En sciences de gestion, le sujet est en même temps l’objet (Mouchot, 1990)13
. Par objet, nous entendons le cœur de notre recherche, ce que nous avons voulu
observer, un aspect particulier d’une situation (ou d’une théorie) que nous
proposons d’approfondir, d’étudier, de comprendre. C’est une indication, un aperçu
d’un domaine sur lequel le chercheur compte porter ses efforts14
(O. Aktouf, 2006). Notre objet de recherche porte sur la durabilité des méthodes de management. 1.1.1.1 La durabilité
Par durabilité, nous entendons continuité, longévité, permanence, persistance, pérennité, stabilité. La durabilité exprime ce qui dure toujours ou très longtemps. Nous excluons la définition du terme durabilité « utilisé depuis les années 1990
pour désigner la configuration de la société humaine qui lui permette d’assurer sa
pérennité ». Ce terme s’associe à Développement Durable (DD) et Responsabilité
Sociétale des Entreprises (RSE); nous parlerons plutôt de soutenabilité (traduction de sustainability) pour cette approche.
Nous n’avons pas retenu le terme « pérennité », car il suppose une possibilité de durée indéterminée d’une méthode de management.
Pour nous, « durabilité » implique un début et une fin et peut s’exprimer en mesure de temps (mois, années). Elle implique également la notion de changement, de rupture, de suites.
1.1.1.2 Le management
Par management, nous entendons la manière de conduire une organisation, de la diriger, de planifier son développement, de la contrôler, et ce, dans tous les domaines d’activité de l’entreprise (R.A. Thiétart, 1966)15
.
13
In : SAVALL H., ZARDET V. Recherche en Sciences de Gestion : Approche Qualimétrique. Paris : Economica, 2004, 432 p.
14
AKTOUF O. Méthodologie des sciences sociales et approche qualitative des organisations : Une introduction
à la démarche classique et une critique. Québec : Presses de l’Université du Québec, 1987, 2e éd., 2006, 213 p.
15
21 Le management s’intéresse principalement au pilotage des activités, au développement des organisations et à la conduite des acteurs en situation de travail. (Plane J.-M., 2008).16 Il peut être aussi considéré comme « le liant actif qui anime les ressources matérielles et immatérielles au cœur des organisations à la recherche constante d’un équilibre satisfaisant entre un fonctionnement effectif et
un fonctionnement souhaité » (H. Savall, V. Zardet, 1995)17.
Finalement, comme l’écrivait P. Drucker18, c’est une « activité visant à obtenir des
hommes un résultat collectif en leur donnant un but commun, des valeurs
communes, une organisation convenable et la formation nécessaire pour qu’ils
soient performants et puissent s’adapter au changement ». 1.1.1.3 Méthodes de management
Pour piloter des activités, développer des organisations, ou conduire des acteurs en situation de travail, le management a besoin de méthodes.
Par méthode, nous entendons l’ensemble des démarches rationnelles et organisées pour parvenir à un but prédéterminé.
Ces méthodes sont issues, selon M.X. Noël (2007)19, de processus techniques, de
rhétoriques à la mode, de variables de recherches académiques ou bien d’expériences vécues par des gestionnaires. Au carrefour des théories produites par les sciences de gestion et des pratiques managériales, se trouvent les outils de gestion dont nous reviendrons sur la définition.
L’action managériale constitue ainsi une base de discussion à partir de laquelle on peut vouloir tirer des leçons.
1.1.1.4 Exemples de méthodes de management
Certaines méthodes de management portent le nom de leurs concepteurs : la matrice de Mc Kinsey, la matrice B.C.G., la roue de Deming, le diagramme d’Ishikawa, les méthodes de division du travail de Taylor, ou bien du concept développé : le balanced score card associé à Kaplan et Norton, le management socio-économique de l’ISEOR développé par H. Savall.
R. Martineau (2012) 20 présente les 25 outils de gestion les plus connus selon le cabinet de consulting Bain & Company, qui réalise une enquête par questionnaire chaque année auprès de plus de 11 000 managers (Tableau 1).
16
PLANE J.-M., Théorie et management des organisations, Dunod,2012 - 3e édition, 1re Ed 2008 – 304 p.
17
SAVALL H., ZARDET V. Ingénierie stratégique du roseau : souple et enracinée. Paris : Economica, 1995, 517 p.
18
DRUCKER P., Les meilleurs textes de Peter Drucker, Village Mondial, Pearson, 2011, 352 p.
19
NOËL M.X. Action et connaissance en management : une exploration épistémologique des 100 best-sellers
de la Harvard Business Review. In : AIMS. XVIe Conférence Internationale de Management Stratégique
(Montréal, 6-7 juin 2007).
20
MARTINEAU R., « Une « User Based View » pour mieux définir les outils de gestion », XXIe Conférence de l’AIMS, 4-6 juin 2012, Lille, France.
22
Balanced Scorecard Enterprise Risk
Management
Satisfaction and Loyalty Management
Benchmarking Knowledge Management Scenario and Contingency
Planning
Business Process Reengineering
Mergers & Acquisitions Shared Service Centers
Change Management Programs
Mission and Vision Statements
Social Media Programs
Core Competencies Open Innovation Strategic Alliances
Customer relationship Management
Outsourcing Strategic Planning
Customer Segmentation Price Optimization Models Supply Chain Management
Decision Rights Tools Rapid Prototyping Total Quality Management
Downsizing
Tableau 1 Les 25 outils de gestion les plus populaires (Bain & Company, 2011)
1.2 Constats
Notre objectif n’est pas de démontrer que le changement de méthode de management a un effet négatif sur les organisations.
Le changement est devenu une composante structurelle du management. Porter (1986) ou Senge (1999) ont démontré l’importance du changement dans les entreprises et nous ne contestons pas cette logique.
Notre réflexion sur le changement de méthode de management porte plutôt sur le
« comment bien changer ? » que sur le « pourquoi changer ? » (O. Vassal, 2008).21
Notre recherche est issue d’un certain nombre de constats, de faits objectifs vécus dans une vie professionnelle de quarante ans en entreprises et corroborés par de nombreux écrits académiques.
Nous avons travaillé pour trois grands groupes internationaux. :
Le premier groupe, N., américain, avait des méthodes de management qui
évoluaient en fonction des changements de stratégies, de direction,
21
23 d’évolution de l’actionnariat jusqu’à ce que le président de la filiale française réussisse à imposer une méthode de management française. Il a maintenu cette méthode jusqu’à son départ pour laisser la place à une autre méthode dominante.
Le deuxième groupe A, français, n’a jamais pu imposer sa méthode de
management à la filiale (société L) pour laquelle nous travaillions, car elle était trop excentrée du core business et avait une forte culture interne.
Le troisième groupe, italien, F., plutôt intra-entrepreneur, laissait ses filiales s’organiser jusqu’à la tentative d’implantation d’une certaine dose de Balanced Score Card surtout appliqué au siège.
Nous avons connu de nombreuses méthodes de management et nous avons pu constater que, dans chaque groupe, les méthodes évoluaient, changeaient et étaient remplacées par d’autres au fil des ans.
1.2.1 Les méthodes de management évoluent avec le temps
Les organisations évoluent continuellement, insensiblement, et s’adaptent
facilement (J.G. March, 1991)22. Les méthodes de management sont nombreuses
et varient en fonction de l’évolution des paradigmes de gestion (Bouchikhi, H. et Kimberly, J.R., (1999).23
Tout comme les êtres humains, les méthodes de gestion vivent, meurent, naissent, et connaissent parfois la célébrité. Elles évoluent par des innovations managériales,
définies par David (1996)24 comme une idée nouvelle qui peut être soit une
recombinaison d’idées anciennes, soit un schéma qui modifie l’ordre du présent, soit une formule ou une approche unique perçue comme nouvelle par les individus concernés. Ces innovations contribuent à augmenter le stock de connaissances
dont disposent les managers, lequel prend la forme d’améliorations ou d’ajouts
apportés à l’ensemble des techniques, pratiques et méthodes de gestion, et exerce
donc un impact direct sur le mode de management (Godowski C., 2003)25.
Chaque méthode évolue elle-même et fait l’objet d’ajustements et de révisions. Le Balanced Score Card d’aujourd’hui n’est plus le même que celui à l’origine de sa création au début des années quatre-vingt-dix. Chaque organisation, en s’appropriant une méthode de management, a tendance à y insérer sa culture, ses outils existants et donc la modifie. Par ailleurs, nous avons pu observer, qu’avec le temps, pour une même méthode, certains outils de gestion disparaissaient et d’autres apparaissaient.
22 MARCH J.-G. Décisions et organisations. Paris : Éd d’Organisation, 1991, 275 p. 23
BOUCHIKHI, H. ET KIMBERLY, J.-R., « L’entreprise à la carte : un nouveau paradigme de gestion pour le
XXIe siècle », Revue Internationale de Gestion, 24(3), 114-121, 1999.
24
DAVID A. « Structure et dynamique des innovations managériales » AIMS Lille 1996.
25
GODOWSKI C., Essai sur la dynamique d’assimilation des innovations managériales : le cas des approches par activité, Comptabilité Contrôle Audit, mai 2003.
24
1.2.2 Les méthodes de management sont nombreuses
Depuis une vingtaine d’années, les dirigeants et managers d’entreprises ont été soumis à un flot continu de méthodes, modes et modèles de management. En
1995, A. Chauvet26 a recensé 132 méthodes réparties en 20 groupes et 5 familles,
avec pour chacune des types d’utilisateurs différents. Y. de Keroorguen et A. Bouayad (2004)27 ont analysé à leur tour trente grands thèmes contemporains du management : reengineering, management des compétences, réduction du temps de travail, valeur actionnariale, gouvernance d’entreprise, qualité totale, relation client, développement durable, responsabilité sociale, etc., Chacun de ces grands thèmes a été source de méthodes de management.
M.X. Noël28 mentionne l’inventaire établi par P. Carson et al. (2000) :
« Management by objectives (MBO), Program evaluation and review technique (PERT), Employee assistance programs (EAPs); 1960s: Sensitivity training and T-groups; 1970s: Quality-of-worklife programs, Quality circles; 1980s: Corporate culture, Total quality management (TQM), International Standards Organization 9000 (ISO 9000), Benchmarking; 1990s, Employee empowerment, Horizontal corporations, Vision, Reengineering, Agile strategies, Core competencies. »
Et depuis, d’autres méthodes sont apparues et sont devenues très usitées comme
Six Sigma et Lean Management, instrumentalisées souvent par le progiciel SAP. De plus, nous assistons depuis une dizaine d’années à l’intégration de la psychologie dans les méthodes de management (coaching, accompagnement…).
1.2.3 Les méthodes de management ont des durées de vie variable
Bouchikhy et Kimberly (1999) ont montré l’évolution des paradigmes de gestion au travers des trois derniers siècles, conduisant à la création et aussi à la destruction de méthodes de management. Toute technique perd son pouvoir quand il devient
évident que c’est une technique (R. Farson, 1996)29
. Sur les 132 méthodes recensées en 1995 par A. Chauvet, certaines ont disparu ou sont passées de mode : courbe en S, OPT, Waenier, Merise…
D’un côté, il y a des consultants toujours à l’affût pour imaginer des démarches prêtes à consommer, de l’autre des dirigeants friands d’approches leur facilitant la vie (O. Vassal, 2008). Pour en faire un business rentable, certains consultants les complexifient, les rendent opaques, et en faisant cela, ils les tuent (A. Chauvet, 1995)30. La prolifération des remèdes à la mode peut aboutir à ce que plus on
26 CHAUVET A., Méthodes en Management : Le guide. Paris : Éd d’Organisation, 1995, 287 p. 27
DE KERORGUEN Y., BOUAYAD A., La Face cachée du management, Dunod, 2004,
28
Ibid.
29
FARSON R. En finir avec les poncifs du management : Quelques principes essentiels de gestion qui
bousculent les théories. Paris : Maxima, 1996, 225 p.
30
25 change de méthode de management, plus on génère de la même chose et moins on change l’existant.
Nous avons également constaté que, dans les entreprises qui nous employaient, et dans d’autres observées, que ces changements intervenaient de plus en plus fréquemment.
1.2.4 Les changements de méthode de management déstabilisent les organisations et les acteurs
Les changements de méthodes de management ont des impacts à la fois sur les organisations et sur les acteurs participant à ces changements.
En ce qui concerne les organisations, nous avons pu constater que chaque changement de méthode de management se traduisait par des changements d’organisation, d’organigramme, de mutation d’acteurs-clés, un blocage des projets en cours, une attente de nouvelles directives, un repli sur soi des acteurs, une période d’appropriation, et finalement une perte de temps dans le développement
des organisations. Ces changements ruinent les bases d’un mode de
fonctionnement stable et impliquent une remise en cause permanente.
Par acteurs, nous entendons toutes les personnes impliquées directement ou indirectement dans un changement de méthode de management, quels que soient le niveau hiérarchique, la fonction, la responsabilité : dirigeant, encadrant,
personnel de base, consultant, intervenant. Suivant l’enquête OVAT de 200931,
57 % des salariés évaluent défavorablement les méthodes de management (perçues comme trop rigides, contraignantes). Parmi les acteurs, il y a toujours un décalage entre la prise de conscience du changement et la réaction vis-à-vis du changement. Pour C. Bareil et A. Savoie (1999)32, chaque individu touché par un changement, dont un changement de méthode de management, passe par différents stades de préoccupations liés à des états cognitivo-affectifs, allant de « cela ne me concerne pas » au souci continu d’amélioration du changement. Tout changement, y compris de méthode de management, induit un sentiment de crainte, et toute personne concernée est amenée à se poser ces questions : « Est-ce que Est-cela va durer ? Quelle sera ma plaEst-ce dans Est-ce nouveau modèle de management ? Que vais-je perdre ou gagner ? »
Le responsable et ceux les plus concernés par le changement de management deviennent généralement les personnes les moins compétentes pour résoudre les
problèmes interpersonnels liés à ce changement (V. Lenhardt, 1992)33. Pour
31
OVAT. Résultats de l’enquête nationale 2009 de l’Observatoire de la vie au travail [en ligne]. Disponible sur : http://ovat.fr/synthese/OVAT-synthese-23-juin.pdf.
32
BAREIL C., SAVOIE A. « Comprendre et mieux gérer les individus en situation de changement ». Gestion, 1999, no 24, p. 86.
33
LENHARDT V. Les responsables porteurs de sens : Culture et pratique du coaching et du team-building. 2e éd. Paris : INSEP, 2002, 432 p.
26 certains acteurs, cela se traduit par une remise en cause de leur identité (Enriquez, 2002), d’autres de leurs valeurs ou de leurs repères. Chaque acteur concerné par un changement de méthode de management est pris dans « l’ambivalence du consentement, ambivalence que l’on voudrait éclairer sous l’angle des deux actes
que sont le « vaincre » et le « convaincre » (Y. Pesqueux, 2009)34.
1.2.5 Les changements de méthodes de management entraînent des dysfonctionnements
Ces dysfonctionnements sont les conséquences de la déstabilisation ressentie par l’organisation et les acteurs. C’est pourquoi cette recherche a toute sa place en sciences de gestion.
1.2.5.1 Les dysfonctionnements stratégiques et opérationnels
Nous ne disons pas que le changement est contreproductif à une organisation. Il est au contraire nécessaire pour survivre et se développer. Mais il conduit à une période de déstabilisation au cours de laquelle l’organisation perd un existant connu pour un avenir justifié par un progrès futur dont l’efficience est à démontrer
(Autissier D, Vandangeon-Derumez I, Vas A., 2010).35 Certains discours
économiques et managériaux relèvent au mieux de l'incantation, au pire de l'évitement ou de la manipulation. Une méthode de management est au service d’une stratégie : les outils, méthodes, systèmes sont normalement mis en place pour mieux implanter et/ou faire progresser des objectifs stratégiques.
Nous avons quelquefois constaté que le lien avec la stratégie n’est souvent pas fait en entreprise. Par exemple, une nouvelle stratégie était définie sans que la méthode de management soit adaptée et donc il n’y avait pas de réelle mise en œuvre stratégique. Ou bien la méthode de management nouvelle était implantée et menait à la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie (cas de l’entreprise L, du groupe français A) conduisant certains cadres clés et leaders, hostiles à une nouvelle méthode, à changer de fonctions et décalant dans le temps des projets de rénovation. Nous avons vu également, dans le groupe F., que généralement l’arrivée d’un nouveau directeur général dans un pays impliquait un changement de
méthode ; cela se traduisant par une remise en cause de la stratégie, de l’équipe
dirigeante et par l’arrivée de nouveaux systèmes d’information traitant les mêmes informations de gestion que l’équipe précédente.
Lorsque les stratégies perdent de leur visibilité, lorsque les personnes redoutent ou ne saisissent pas la finalité des méthodes de management, l’organisation produit moins de sens et devient une réalité de plus en plus distante, virtuelle,
34
PESQUEUX Y. Un modèle sadomasochiste de l’organisation ? Colloque scientifique (Paris, 2009), IEST.
Marketing et Management entre Eros et Polemos : Principes de liaison et dé-liaison en entreprise.
35
27 insaisissable, (Vassal O., 2008).36 D’autre part, tout changement de méthode de management entraîne immanquablement des coûts opérationnels : changements de systèmes et d’organisation, arrêts ou ralentissements des projets, démotivation des personnels, temps et coûts d’apprentissage, résistances diverses.
Évaluation d’un coût de changement de méthode de management
Pour avoir un ordre d’idée du coût de ces dysfonctionnements, nous avons fait une estimation basée sur les projets que nous avons menés pour les temps estimés et sur la méthodologie des coûts cachés37. Suivant l’ISEOR38, le coût caché (ou manque à gagner en contribution aux frais de structure) des entreprises varie de 15 k€ et 60 k€ par an et par personne, suivant le degré d’automatisation de son processus.
Nous partons du constat que le coût généré par le changement de méthode de management dans une très petite entreprise (TPE) est proportionnellement moins important, en temps et en coûts cachés (un artisan peintre voulant impliquer une DPO, par exemple) que dans une très grande entreprise (TGE). Ce peut être le cas d’un groupe de téléphonie voulant évoluer d’une entreprise publique à un groupe commercial en implantant une méthode de management de type Six Sigma, par exemple. Ce constat peut être schématisé par la figure A suivante :
Figure A Coûts cachés d’un changement de méthode de management
Dans le cas de la TGE, nous estimons que la mise en place de la méthode prendra
2 ans, que 50 % du personnel est concerné par ce changement et que, pendant
cette période, l’ensemble du personnel consacrera 30 % de son énergie à cet
objectif.
36
VASSAL O., Le changement sans fin, PEARSON Village Mondial, 2008, 200 p.
37
SAVALL H., ZARDET V., BONNET M., Libérer les performances cachées des entreprises par un
management socio-économique, 2e éd. Genève : BIT ; Écully : ISEOR, 2008, 180 p.
38
Voir site ISEOR http://www.iseor.com/.
Très Grandes Entreprises
TPE
28 Le calcul des coûts cachés pour une TGE de 200 000 personnes pourrait être estimé à :
200 000 pers x 2 ans x 60 k€ x 30 % de coûts cachés générés x 50 % du personnel = 4 milliards €
Pour comparaison, le résultat net de Orange est de 4 milliards € pour 170 000 personnes en 2011.
Dans le cas de la TPE, la mise en place prendra 3 mois, pendant lesquels la
société fonctionnera à 80 % de son potentiel (soit 20 % de coûts cachés générés). Nous pouvons estimer que le coût d’un changement de méthode de management est, pour une TPE de 5 personnes, de l’ordre de :
5 pers. x 3/12 mois x 15 k€ x 20 % x 100 % = 4 k€
Pour comparaison, notre artisan peintre (5 personnes) avait un résultat proche de zéro en 2011.
Cette estimation n’est pas rigoureusement scientifique, mais elle permet de se rendre compte de l’importance que peuvent prendre les coûts liés à un changement de méthode de management.
1.2.5.2 Des perturbations psychosociologiques sur les acteurs
Cette période est caractérisée par un stress important, une anxiété forte des acteurs, des incertitudes sur l'avenir et a des répercussions sur la vie matérielle, psychique et relationnelle. Le stress survient lorsqu'il y a déséquilibre entre la perception qu'une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu'elle a de ses propres ressources pour y faire face (Hélis, 2006). Stress au travail et risques psychosociaux (RPS) sont devenus un sujet d’actualité pour les entreprises, en partie à cause de l’accélération des changements de méthodes. Les causes du stress sont à rechercher dans l'organisation du travail (41 %) et la non-satisfaction aux exigences personnelles (38 %). Selon une enquête
de l’ANACT/CSA39
, les relations avec la hiérarchie, le harcèlement vertical et les collègues, le harcèlement horizontal (31 %) ainsi que les changements dans le travail (31 %) jouent également un rôle important dans le développement des RPS. Les changements de méthode de management sont au cœur des causes de stress et des RPS.
Les RPS ont un impact économique important :
En France, le coût social du stress au travail est compris entre 830 et 1 656 millions d'euros, ce qui représente 10 à 20 % des dépenses de la
39
29 branche accidents du travail / maladies professionnelles de la sécurité sociale. (INRS – Institut National de Recherche et de Sécurité)
Le stress touche 4 salariés sur 10. Il est en nette augmentation dans les catégories supérieures (47 %) et pour les cadres supérieurs (57 %) (Enquête ANACT/CSA, 2009).
Les RPS font l’objet d’une littérature et de recherches abondantes et nouvelles (M. Vezina, R. Bourbonnais, C. Brisson, 2006 ; B. Sahler, M. Berthet, P. Douillet,
2007 ; I. Niedhammer, J.F Chastang, l. Gendrey, S. David, S. Degioanni, 2007 ; P.
Nasse, P. Légeron, 2008 ; J. Bué, 2008 ; Y. Clot, 2010 ; M. Loriol, 2010 et beaucoup d’autres).
Nous avons assisté en entreprise au développement des harcèlements de tout
genre, de comportements borderline (Sutton R., 2007)40 et à une certaine
ambivalence du consentement des acteurs (Pesqueux Y., 2009).41 Du jour au
lendemain, une direction demande à un acteur qui, jusqu’à présent, a toujours
progressé par ancienneté dans son entreprise, d’évaluer ses collaborateurs, d’être noté sur ses résultats ou de négocier avec des clients ou simplement de vendre. Ou encore, avec la mise en place d’un logiciel de gestion (E.R.P.), comme SAP, de passer d’une vision globale et complète d’un poste de travail à une vision parcellaire et taylorienne d’une tache répétitive à accomplir.
Il en résulte des situations dramatiques (harcèlement, mise au placard, dépression… jusqu’au suicide), dont les médias s’en font quotidiennement les échos (Orange, Renault, La Poste…). Ces drames témoignent que le travail ne se réduit pas à un simple gagne-pain. C'est un lieu où « chacun joue son identité » (Enriquez, 2005)42.
1.2.6 Constats contextuels
Nous voulons ajouter deux autres constats liés au contexte socio-économique du début du XXIe siècle.
Les changements de méthodes se sont accélérés avec le développement
du capitalisme néolibéral
Nous avons constaté que les changements de méthodes de management se
sont accélérés depuis une quinzaine d’années avec le développement du
capitalisme néolibéral, et ils sont accentués par les crises cycliques. Chaque nouvelle crise est « LA » crise qui succède aux précédentes : crise du pétrole,
40
SUTTON R., Objectif zéro sale con, Vuibert, 2007.
41
PESQUEUX Y, Un modèle sado maso des organisations ? Colloque IEST, Paris 2009.
42
ENRIQUEZ E., Perte de travail, perte d’identité, Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels, 2005/24 (Vol. XI, 188 p.).
30
de l’immobilier, de la bulle internet, des subprimes, de l’euro… en attendant la
prochaine.
Dès 1998, Bourdieu, estimait que les entreprises, placées sous une menace permanente, doivent s’ajuster de manière de plus en plus rapide aux exigences des marchés, ce qui place les individus en compétition les uns avec les autres et produit une nouvelle forme d'aliénation : un individu totalement consacré à l'atteinte de ses propres intérêts, incapable de penser le « Bien Commun »
(Bourdieu, 1998).43
Malgré le développement d’un mouvement managérial humaniste
Ces changements et leurs conséquences sur les individus semblent en contradiction avec le développement actuel d’un courant de pensée émergent, novateur et à la mode, que l’on pourrait qualifier d’ « humaniste » et prônant la
Responsabilité Sociale de l’Entreprises (R.S.E.) et le Développement Durable
(D.D.). Ce courant se traduit par un certain nombre de normes (normes ISO 26000), de labels (Afac 1000NR), de chartes (charte du MEDEF), de « Grenelle », et de recommandations gouvernementales.
Après de nombreuses années de pratique en management qui sont confirmées par la littérature académique, nous pouvons en conclure que les méthodes de management sont de plus en plus nombreuses, durent un certain temps, changent
de plus en plus rapidement, et que d’en changer peut avoir des conséquences
économiquement et psychologiquement néfastes pour les organisations et les acteurs.
La pérennité n’est pas synonyme d’immobilisme. Elle est souvent associée à des stratégies d’innovation, même si ces dernières s’avèrent souvent prudentes
(Mignon S., 2009)44. Dans ces constats, notre question est plus dans le
« comment » pérenniser des méthodes que dans la promotion de la durabilité des méthodes de management. Il n'y a pas de changement qui ne s'ancre dans la permanence comme il n'existe pas de permanence qui ne suppose le changement (Vassal O., 2008).45
1.3 Problématique
Il y a un intérêt de nous poser et de tenter de répondre à un certain nombre de questions sur la durabilité des méthodes de management dans les organisations. Nous y voyons un intérêt particulier du point de vue des pratiques sociales, des débats professionnels, des nouveaux défis à résoudre dans les organisations du point de vue de la communauté économique, mais également compte tenu des
43
BOURDIEU P., « L'essence du néolibéralisme », rédigé dans le Monde Diplomatique en 1998.
44
MIGNON S., « La pérennité organisationnelle », Revue française de gestion 2/2009 (no 192), p. 73-89.
45
31 avancées théoriques, conceptuelles à travers la littérature académique de gestion (Savall H., Zardet V., 2004)46.
Notre approche a été d’assimiler la vie d’une méthode de management dans une organisation à une vie d’un être vivant ou d’une organisation, avec les
mêmes difficultés de savoir quand elle commence et quand elle finit. « Aucun but vivant ne saurait être d'achèvement. Tous les buts vivants se confondent avec le
chemin. » (Morin E., 1980)47. La mort du construit social est un ensemble
d‘interactions entre acteurs qui permettent une action organisée et contribuent par là même à faire émerger une forme d'organisation qui peut subsister à la mort formelle (Poroli C., 2010)48. Notre démarche n’est pas de mobiliser la théorie
cellulaire, mais simplement d’apporter une métaphore pédagogique pour bien
illustrer la problématique.
Notre problématique générale repose sur la question suivante :
« Dans les organisations, comment naissent, vivent et meurent les méthodes de management ? Comment les pérenniser ? »
Toujours en nous basant sur le parallèle avec la vie des êtres, cette problématique générale peut être démultipliée en plusieurs questions et sous-questions auxquelles nous nous efforcerons de répondre et que nous présentons dans le tableau 2 ci-après :
QUESTIONS SOUS-QUESTIONS
Comment naissent les méthodes de management dans les organisations ?
Comment une organisation décide-t-elle d’implanter telle méthode plutôt qu’une autre ? Qui décide ? Comment se fait la rencontre ? Que se passe-t-il durant la gestation ? Qu’est-ce qui pourrait favoriser son éclosion ?
Il ne s’agit pas de répondre à la question « comment crée-t-on,
conçoit-on une nouvelle méthode de
gestion ? »
Comment vivent les méthodes de management dans les organisations ?
Qu’est-ce qui fait qu’une méthode croît
et se développe dans une
organisation ? Qu’est-ce qui pourrait renforcer sa vitalité ? Qu’est-ce qui
46
SAVALL H., ZARDET V., Recherche en sciences de gestion, approche qualimétrique, Economica, 2004.
47
MORIN E., La méthode, 2. La Vie de la Vie, Paris, Éditions du Seuil, 1980.
48
POROLI Corinne, De la mort formelle de l'organisation à la nouvelle vie organisationnelle, Revue Sciences de Gestion No 76, 2010, p. 25 à 46.
32 pourrait retarder son vieillissement, obsolescence ?
Comment meurent les méthodes de management dans les organisations ?
Y a-t-il des facteurs prédictifs ? Quelles sont les causes d’arrêt ? Quelle a été la durée de vie ? Pourquoi est-ce différent dans d’autres organisations ? Comment réagissent les acteurs à l’arrêt d’une méthode de management ?
Qu’est-ce qui se passe après la mort d’une méthode de management dans une organisation ?
Comment se décompose-t-elle ? Y a-t-il une vie après la mort ? Quels sont les facteurs qui pourraient concourir à sa pérennité, voire à son immortalité ?
Que faudrait-il faire pour que la durabilité de la vie d’une méthode de management ne soit plus une problématique ?
Quels sont les facteurs qui pourraient
éviter les dysfonctionnements
économiques et psycho-sociaux des
changements de méthodes de
management ? Comment rendre
acceptable et supportable un
changement de méthode de
management pour les acteurs ? Tableau 2 Questions et sous-questions de recherche
Notre questionnement concerne les méthodes de management dans les organisations et non les organisations par elles-mêmes. Nous ne nous posons donc pas la question de savoir « comment vivent et meurent les organisations ? », traitée par Poroli C., 2010 ; Krantz J., 1985 49; Sutton T., 198750.
1.4 Hypothèse centrale et secondaires
Pour répondre à cette problématique, nous sommes parti d’une hypothèse centrale et d’hypothèses secondaires issues d’une intime conviction que nous transformons
en idées validées au fur et à mesure de la recherche (H. Savall, V. Zardet, 2004)51.
Pour certains auteurs, ces idées ne sont jamais complètement validées, mais
49
KRANTZ J., « Group Process under conditions of Organizational Decline », The Journal of Applied Behavioral Science, 1985, vol. 21, no 1, p. 1-17.
50
SUTTON R.I, « The Process of Organizational Death : Disbanding and Reconnecting », Administrative Science Quarterly, 1987, vol 32, p. 542-569.
51
33 légitimées (Avenier M.-J., Albert M.-N., 2011)52. Ces hypothèses constituent en quelque sorte une base avancée de ce que nous cherchons à prouver. C’est une anticipation des conclusions que nous nous efforcerons de justifier et de démontrer
méthodiquement et systématiquement (Aktouf O., 2006)53.
Nous avons émis l’hypothèse centrale suivante pour indiquer les voies possibles de réponse aux questions que pose le problème de la recherche.
1.4.1 Hypothèse centrale : Des méthodes de management durables contribuent à la performance globale des organisations et permettent de concilier l’économique et l’humain dans les entreprises.
Selon H. Savall et V. Zardet (2005)54, la performance globale des organisations vise
l’amélioration simultanée de la performance économique et de la performance humaine et sociale. Sans nier la nécessité du changement dans les organisations,
nous sommes parti de l’hypothèse que plus les méthodes de management durent
dans les organisations et plus les organisations sont efficaces et tous leurs
employés heureux d’y travailler (M. Pierson, 2011)55
.
Dans la figure B suivante, nous voyons que les dysfonctionnements stratégiques et opérationnels et de perturbations psychologiques des acteurs symbolisés par sont moins nombreux si la méthode de management dure longtemps.
Les dysfonctionnements dépendent de deux moments cruciaux : le début et la fin de la méthode dans une organisation.
Figure B Constats et hypothèse centrale
Comme le précise M. Csikszentmilhalyi (2004), le plaisir au travail est à la fois une source d’efficacité et une preuve que nous sommes dans l’efficacité. Il existe deux
52
AVENIER M.-J., ALBERT M.-N., « Légitimation de savoirs élaborés dans une épistémologie constructiviste à partir de l’expérience de praticiens », Recherches Qualitatives, Vol. 30 (2), 2011.
53
AKTOUF O., Méthodologie des sciences sociales et approche qualitative des organisations : Une introduction
à la démarche classique et une critique. 2e éd. Québec : Presses de l’Université du Québec, 2006, 213 p.
54
SAVALL H., ZARDET V., Tétranormalisation : Défis et dynamiques. Paris : Economica, 2005, 195 p.
55
PIERSON M., Et si on décidait d’être heureux même au travail ? Saint-Denis : AFNOR, 2011, 320 p.
METHODES CONSTATS A B C D E F Dysfonctionnemnts économiques et psychologiques METHODES HYPOTHESE CENTRALE Temps
A
B
34 notions d’efficacité : l’efficacité masochiste qui consiste à « redoubler d’efforts pour atteindre nos buts » et l’efficacité « épicurienne » qui passe par le développement d’une véritable intelligence de l’action56
. Quand ces conditions sont réunies, nous
pouvons parler de management durable (Atelier Du Dirigeant Durable).57
Nous sommes conscient que c’est loin d’être le cas dans beaucoup d’organisations aujourd’hui. C’est pourquoi nous voulons savoir comment naissent, vivent et meurent les méthodes de management.
Cette hypothèse centrale a été étudiée suivant deux hypothèses secondaires liées au temps. La première considère qu’il y a une vie officielle des méthodes de management dans les organisations. Pour la seconde, nous nous sommes intéressé à ce qui se passait après l’arrêt officiel de la méthode.
1.4.2 Il y a une vie officielle des méthodes de management
Par vie officielle des méthodes de management, nous entendons l’espace de
temps situé entre la genèse d’une méthode de management dans une organisation et la décision officielle d’arrêt complet et définitif des processus et outils de cette méthode dans cette organisation.
La vie et la mort d’une méthode de management dans une organisation sont à
rapprocher du sens médical. Un organisme, et par analogie une méthode de management, est dit vivant lorsqu'il échange de la matière et de l'énergie avec son environnement tout en conservant son autonomie. Cet être vivant se reproduit et évolue par sélection naturelle.
La vie se caractérise par un état dynamique ou latent d'unités complexes auto-organisées et homéostatiques, c’est-à-dire ayant tendance à se maintenir constants et en équilibre dans son milieu interne. Ces unités complexes possèdent des paramètres physiologiques, de la matière (organismes vivants), et éventuellement une capacité de duplication et d'évolution.
Il y a mort quand il y a disparition de sa cohérence fonctionnelle et destruction progressive de ses unités tissulaires et cellulaires. Généralement, elle est précédée d’une phase de déclin.
Nous retenons comme vie officielle d’une méthode de management la durée entre la naissance et la mort, telles qu’elles sont perçues par le dirigeant. En effet, la durée peut être différente suivant les acteurs dans l’entreprise. Pour un dirigeant, la
vie démarre à la conception d’un projet stratégique de changement ; pour les
employés, elle démarre quand ils appliquent les outils ; pour le consultant, quand il signe le contrat d’intervention.
56
CSIKSZENTMILHALYI M. Vivre : La psychologie du bonheur. Paris : Robert Laffont, 2004, 264 p.
57