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L’évolution des formes métriques au cours de la Renaissance

A. Origines de la silve

2. L’évolution des formes métriques au cours de la Renaissance

Stace fut récupéré par la Renaissance italienne, qui profita de la liberté métrique de la silve en l’adaptant à l’esprit du temps. Les silves néo-latines reprennent Stace pour le comprendre lors de la composition, et pour ainsi l’actualiser. La silve s’adapte ensuite aux langues latines. En fait, l’adaptation de la silve participe d’une série d’expérimentations, qu’implique la composition de poèmes en strophes irrégulières et de poèmes avec une alternance de vers au nombre impair de syllabes, comme la « estancia » et le madrigal. En 1927, José Gorostiza composa un madrigal705

inspiré de Cetina, ce qui nous permettra d’annoncer quelques procédés d’adaptation moderne de formes classiques.

a) La silve de la Renaissance composée en latin

Il existe aussi des silves néo-latines, composées directement en latin au cours de la Renaissance.

L’humaniste italien Angelo Poliziano (1454-1594) en composa cinq, avec grand succès. Il s’agit d’une silve comique (« Sylva in scabiem », composée vers 1479), de trois poèmes voués à préfacer des commentaires aux textes classiques (de Virgile, de Théocrite et d’Homère) et d’une composition en hommage à la poésie elle-même, « Nutricia ».706 Ce sont des silves en tant que variations libres sur un sujet, et en référence directe à Stace. Il s’agit d’un prolongement de la littérature latine. Poliziano fut énormément lu par les humanistes espagnols, quoique son influence ne concerne pas directement la fixation métrique en langue romane.

705 Cf. José GOROSTIZA, Poesía y poética [1988], Nanterre, ALLCA XX, Colección Archivos, 1996, p. 50.

706 Antonio RAMAJO CAÑO, « Notas sobre la recepción del Poliziano latino en España: una “monodia” del catedrático salmantino Blas López », in Criticón, n. 55, 1992, p. 41-55.

En ce qui concerne la silve néo-latine, on peut mentionner aussi les silves de Baptista Mantuano (1447-1516), divisées en sept livres, où prédominent toujours les hexamètres. La référence à Stace est évidente.

Des silves néo-latines sont publiées au XVIème siècle ailleurs en Europe : Humbert de Montmoret et Théodore de Bèze en France, Eobanus Hesse et Dantiscus en Allemagne, par exemple.707 Aussi, aux Pays Bas (de Janus Secundus à Hugo Grotius) et en Angleterre les silves néo-latine ont du succès. Les hexamètres restent de règle. En Espagne, des silves néo-latines sont composées par Martín Ivarra, Juan Ángel González ou Joannes Vaccaeus Castellanus.708

Ces silves néo-latines ont en commun la référence directe à Stace, en utilisant ce modèle comme un moule ouvert pour y placer tout sujet panégyrique de la vie d’un homme. Ces compositions se différencient des épigrammes et des odes fondamentalement par leur extension, presque toujours supérieure à cinquante vers. D’autre part, ces silves se différencient des élégies par l’usage dominant des hexamètres et la possibilité d’inclure d’autres formes métriques.709 La silve néo-latine pose les bases pour des compositions variées propres à l’expérimentation.

Mais la silve réapparaît aussi dans les langues romanes, avec une persistance thématique et une transformation métrique.

b) La silve en langue romane : persistance des thèmes

Des poèmes composés en langue romane reçurent aussi le nom de silve. Comme pour l’apparition de toute nouvelle forme poétique dans une langue, cette silve romane, renouvelée, fut d’abord soumise à grand nombre d’essais. Mais l’aspect thématique demeura stable, constituant le principal élément de cohérence du genre. Attardons-nous d’abord sur la persistance thématique de la silve en langue romane au cours de la Renaissance.

En Italie, il faut signaler d’emblée l’apparition des « Selves d’amore » de Lorenzo de Medicis. Ceci étant, elles furent composées en octaves ou tercets, ce qui ne correspond pas à la silve métrique.710 La référence à la silve latine est essentiellement thématique. Ces silves, présentes dans

707 Juan F. ALCINA, op. cit., p. 133. 708 Ibid., p. 137-138.

709 Ibid., p. 139.

710 Juan MONTERO DELGADO, et Pedro RUIZ PÉREZ, « La silva entre el metro y el género », in : Begoña LÓPEZ BUENO, op. cit., p. 29.

un ensemble de poèmes variés, sont souvent liées à la description de la nature. Sur ce dernier aspect, elles furent peut-être une référence pour Góngora, – mais non pas en ce qui concerne la métrique.

Ainsi, la référence à une « forêt de vers » divers se prolonge. En 1554, Ronsard compose un Bocage aux formes variées. On pense en Espagne à celle qui est peut-être la première silve métrique, composée par Pedro Espinosa, sous le titre de « Boscarecha ».711 En ce sens, la silve a des liens profonds avec les thèmes bucoliques – c’est le cas des silves de Espinosa et Jáuregui, comme le remarque Elías Rivers.712 Ce qui prolonge le nom même de silve, sylvestre.

Du point de vue thématique, on peut distinguer aussi une thématique « méta-artistique » – selon l’expression de Montero et Ruiz, par quoi ils font référence aux vers qui mènent une réflexion sur l’art, notamment la première silve de Rioja. La silve est donc liée aux questions morales, mais aussi à une réflexion sur la création artistique :

en sus tanteos iniciales, la silva iba apuntando hacia un modelo genérico con los siguientes rasgos : poema lírico de extensión media, con un narratario (persona o cosa) expreso, orientado preferentemente a la descripción del mundo natural (al servicio de la ejemplaridad moral o la piedad religiosa), y con tendencia a incluir consideraciones meta-artísticas [...].713

La silve est en même temps liée de près aux traductions en langue romane de textes bibliques ou d’auteurs de l’Antiquité. Par l’influence des traductions, la silve est aussi liée au psaumes. Il s’agit, par exemple, des traductions des psaumes par Montemayor, Mal Lara ou Fray Luis. Ceci rapproche la silve des odes morales – comme pour certaines silves de Rioja et Quevedo. Au cours de la Renaissance espagnole des traductions de vers latins furent composées par Mal Lara, Fray Luis de León, Herrera (dans ses Anotaciones), Medrano, Juan de la Cueva. Plus tard, ont été rédigées aussi les dix-huit odes d’Horace qu’Espinosa inclut dans les Flores de poetas ilustres (Valladolid, 1605).714 Selon Montero et Ruiz : « el vínculo entre la oda y la silva de temática moral es tan innegable que no sería abusivo considerar a ésta como un avatar barroco de aquélla ».715 Les

711 Cf. Juan F. ALCINA, op. cit., p. 146.

712 Elías RIVERS, « La problemática silva española », NRFH, XXXVI, 1988, p. 256. 713 Juan MONTERO DELGADO, Pedro RUIZ PÉREZ, op. cit., p. 35-36.

714 Aurora EGIDO, « La silva en la poesía andaluza del Barroco (con un excurso sobre Estacio y las obrecillas de Fray Luis) », Criticón, 46, 1989, p. 12-13. Cf. aussi Pablo JAURALDE POU, « Las silvas de Quevedo », in : Begoña LÓPEZ BUENO, op. cit., p. 169 – cet article résume ceux d’Asensio et d’Egido.

vingt-cinq traductions des odes d’Horace par Fray Luis, comme pour les silves, sont composées dans une alternance d’heptasyllabes et d’hendécasyllabes – ceci étant, les six vers de chaque première strophe fixe la forme des strophes suivantes, au niveau métrique et au niveau de la rime : cette régularité éloigne l’ode de la silve. Ce rapport entre la silve et l’ode est explicité par Méndez Plancarte, aussi, lorsqu’il qualifie la silve de Sor Juana « Epinico Gratulatorio » comme une « Oda soberbia »716.

En fait, certains poètes ont utilisé la silve comme une forme plus libre pour réussir la traduction en langue romane. Dans un même élan, certains poètes, aussi, ont désiré s’affranchir de la rime par imitation des classiques gréco-latins.717 Nous verrons plus loin que certains vers dans la silve baroque sont non-rimés, et que de toutes façons la rime dans la silve ne répond pas toujours à une structuration cyclique.

La silve en langue romane naît donc à partir de l’imitation de Stace, notamment par l’imitation de certaines thématiques. Mais d’autres thématiques sont à relier aussi à la silve ; c’est le cas de l’ode morale, associée au ton de grand nombre de silves comme conséquence des traductions des classiques. Il faut noter, pourtant, que ces traductions ont assimilé la silve par sa forme métrique. Car, au cours de la Renaissance, la silve fut peu à peu associée à une libre alternance d’heptasyllabes et d’hendécasyllabes, qui constituent la silve métrique.

c) La silve en langue romane : la question métrique

La forme métrique ne pouvait apparaître qu’après une première période d’adaptation. Cette adaptation explique que la silve par la suite ait été associée à une expérimentation formelle. En fait, comme le notent Montero Delgado et Ruiz Montero, pour décrire la naissance de la silve romane, il faut prendre en compte deux facteurs. D’une part, les essais métriques qui ont eu lieu dans des domaines poétiques autres que le pétrarquisme, surtout en ce qui touche aux traductions et aux adaptations en langue romane de textes des classiques ou bibliques, comme nous venons de le voir. D’autre part, la rénovation formelle qui a eu lieu au sein du pétrarquisme, et qui touche à ses formes canoniques – par exemple, la « canción » composée en « estancias » – ou annexes – par exemple, le

716 Sor JUANA INÉS DE LA CRUZ, Obras completas, I, Lírica personal, Mexico, Buenos Aires, FCE, 1951, p. 570.

madrigal.718 La silve dans les langues romanes naît dans un contexte de forte expérimentation formelle.

Tout ceci nous mène à réfléchir d’abord sur la question métrique, en rapport avec l’adaptation dans les langues romanes de la métrique latine. Pour la silve, une alternance d’heptasyllabes et d’hendécasyllabes fut retenue. Il restera ensuite à s’interroger sur le lien entre la silve et d’autres formes déjà présentes composées elles aussi à partir de cette alternance rythmique.

La question métrique est fondamentale : la métrique latine est fondée dans la longueur des syllabes (longues ou brèves) ; la métrique des langues romanes est basée dans le nombre de syllabes. Une transposition stricte des hexamètres ne peut avoir lieu si ce n’est par une transposition au système syllabique, ce qui dénature en fait l’hexamètre. Au cours de la Renaissance, l’apparition de poèmes nommés « silve » en référence à la silve latine s’explique donc parce que ses poèmes abritent des strophes d’une longueur variable, sont composés de mètres divers et ont une thématique commune avec la silve latine. Il ne faut pas oublier, par ailleurs, le désir d’imiter la poésie latine, perçue comme une source de renouvellement.

Ainsi, la « estancia » se construit comme la silve à partir d’hendécasyllabes et d’heptasyllabes disposés librement dans la strophe. Les deux formes sont très proches : la « estancia » constitue sûrement un précédent pour la silve. Son existence indique que l’alternance d’heptasyllabes et d’hendécasyllabes ne constitue pas une rupture rythmique. La construction poétique à partir de l’opposition permanente de ses deux formes métriques, d’ailleurs, a semblé naturelle aux traducteurs des poètes anciens, comme nous venons de le voir. Ceci étant, la « estancia » répète dans ses successives strophes une structure cyclique basée dans la rime, ce qui la distingue clairement de la silve. En outre, la « estancia » se base sur la composition de strophes bien délimitées. Dans la « estancia », la première strophe dicte le rythme des strophes suivantes, alors que, dans un premier temps la silve est « una forma métrica cuyo rasgo más destacado es el de liberar al poema de una construcción estrófica predeterminada ».719

Nous parlons donc de « silve », en référence directe aux silves staciennes. Par silves, on entend faire référence à des poèmes à sujets divers et à forme variée, à image d’une « forêt ». Avec l’apparition de la silve dans les langues romanes, notamment en Italie, la silve s’adapte au système métrique syllabique. Les hexamètres, dominants pour la silve latine, se transforment en une alternance d’heptasyllabes et d’hendécasyllabes. Cette recherche formelle propre à la Renaissance,

718 Juan MONTERO DELGADO, Pedro RUIZ PÉREZ, op. cit., p. 23.

basée dans l’alternance d’heptasyllabes et d’hendécasyllabes sans ordre préétabli, est aussi à mettre en rapport avec le madrigal, qui en constitue un excellent exemple.