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L’éthique, du normatif à l’axiologique

Chapitre 4 Une éthique de la violence politique ?

4.1 C OMMENT PEUT ON PARLER D ’ UNE ETHIQUE DE LA VIOLENCE ?

4.1.1 L’éthique, du normatif à l’axiologique

Que faut-il entendre, dans le cadre précis dans lequel nous nous plaçons, par éthique et/ou morale ? De quelle éthique s’agit-il dans le champ qui nous occupe ? Nous avons précédemment considéré le sens que ces deux termes pouvaient trouver pour une sociologie de l’éthique en tant respectivement que conduite de la vie, au plan individuel, et, au plan collectif, en tant qu’ensemble de pratiques, d’habitudes et de valeurs communes (voir chap. 2).

D’un point de vue philosophique et en écho à leur sens étymologique commun1, nous ne distinguerons pas, à strictement parler, morale et éthique, cette option étant également retenue par certains courants de la philosophie analytique (voir Ogien et Tappolet, 2008, p. 23). En effet, il est probablement impossible de proposer un critère précis de délimitation du domaine moral ou éthique qui fasse l’unanimité2. En revanche, en philosophie morale, on distingue l’éthique normative de la méta-éthique. La vocation de la première est prescriptive, en ce sens qu’elle est censée nous dire ce qu’il faut faire, ce qui est bien ou mal, juste ou injuste. La seconde est une discipline descriptive, c’est-à-dire qu’elle identifie les caractères spécifiques du jugement moral par rapport à d’autres types de jugement, qu’il soit factuel ou esthétique (voir Ogien, 2007, p. 14). [À ces deux branches principales de la philosophie morale, il faut en ajouter une troisième, l’éthique appliquée, consistant dans la tentative de clarifier l’attitude qu’il conviendrait d’adopter face à des questions concrètes se posant dans des domaines spécifiques comme la médecine, la bioéthique, l’usage des nouvelles technologies, l’environnement.]

1 « Éthique » vient du grec ethos, « morale » du latin mores, tous deux signifiant « mœurs ».

2 Pour certains et a minima, la distinction consisterait à utiliser « éthique » pour qualifier le rapport de soi à soi et « morale » pour aborder le rapport de soi aux autres ou des autres entre eux (voir Ogien, 2007, p. 16).

Du côté de la morale et si l’on s’en remet aux déterminations proposées par P. Ricœur, on peut assigner une double fonction à cette dernière, en l’occurrence « celle de désigner, d’une part, la région des normes, autrement dit les principes du permis et du défendu, d’autre part, le sentiment d’obligation en tant que face subjective du rapport d’un sujet à des normes » (Ricœur, 2004, p. 689). La morale désigne alors une obligation orientée en direction de trois sphères d’application : le soi, autrui et la cité. [Concernant autrui, la sollicitude désigne « la structure commune à toutes ces dispositions favorables à autrui qui sous-tendent les relations courtes d’intersubjectivité » (Ricœur, 2004, p. 692). Ces formules très générales distribuent l’impératif dans une pluralité de sphères, maintien de soi, sollicitude pour le prochain, participation citoyenne à la souveraineté (voir Ricœur, 2004, p. 693). Néanmoins elles ne deviennent des maximes concrètes d’action que reprises, retravaillées, réarticulées dans des éthiques régionales, spéciales, telles que l’éthique médicale, l’éthique judiciaire, l’éthique des affaires. Ainsi la morale s’articule au champ de l’éthique appliquée.]

L’éthique, pour sa part et dans la diversité de ces fonctions et acceptions, ouvre des perspectives sur l’action. Pour évoquer ce qui doit être ou ce qu’on doit faire, par opposition à ce qui est, la philosophie a recours aux termes « norme » et « valeur », « normatif » et « évaluatif ». Une rapide incursion dans la philosophie analytique permettra de comprendre les enjeux associés à l’usage de ces termes ainsi qu’à leur distinction ou à leur assimilation. Nous préciserons brièvement le champ de l’éthique en rappelant plusieurs arguments permettant de distinguer les jugements évaluatifs (ou axiologiques) des jugements normatifs (ou déontiques).

En premier lieu, les concepts axiologiques, à la différence des concepts normatifs, se divisent en deux classes : « épais » (thick) et « fins » (thin) (Williams, 1985, p. 141-142 ; Ogien et Tappolet, 2008, p. 451). Les concepts « épais » sont des concepts axiologiques plus

spécifiques que les concepts dits « fins ». Ainsi « généreux », « honnête », « cruel » ou « ponctuel »

sont des exemples de termes renvoyant à des concepts épais, contrairement à « bon », « mauvais », ou encore « devoir », qui sont classés comme « fins ». Les concepts épais sont à la fois prescriptifs et descriptifs, c’est-à-dire qu’ils ont à la fois la fonction de guider l’action et celle de décrire comment sont les choses en se laissant guider par la réalité2.

[La classe des concepts normatifs, pour sa part, est divisée en deux grands groupes. D’une part, des concepts spécifiques comme généreux ou courageux, d’autres moins spécifiques comme

admirable, et enfin les concepts les plus généraux, bon et mauvais et, d’autre part, un groupe de

concepts indiquant ce qui est exigé, permis, interdit. Les premiers sont tous liés par des relations d’implication – le fait qu’une action soit généreuse ou admirable implique qu’elle soit bonne sous un de ses aspects au moins – mais ils n’impliquent pas les seconds. Dire d’une action qu’elle est généreuse implique qu’elle est admirable et bonne sous un aspect, mais n’implique rien quant à son caractère obligatoire, permis ou interdit (Ogien et Tappolet, 2008, p. 47-48).

En second lieu,] les concepts normatifs s’appliquent avant tout aux actions et portent donc sur un domaine plus étroit que les concepts axiologiques, lesquels peuvent concerner toutes sortes d’autres choses. Les énoncés normatifs portent sur ce qu’il faut faire et s’appliquent plutôt à des actions humaines (Pritchard, 1949, p. 4). Ainsi tout énoncé normatif devrait, en principe, faire référence à un certain genre d’action, préciser quels agents peuvent, doivent ou ne doivent pas l’accomplir et dans quelles circonstances. [Toutefois, le champ d’applicationdes normes est plus étroit qu’il n’y paraît. Comme Stephen Darwall le souligne, les normes doivent être telles qu’on puisse s’y conformer – selon le principe « devoir implique pouvoir » – ou les transgresser – où

1 Voir aussi Murdoch, 1970 ; McDowell, 1979, 1981 ; Putnam, 1994, 2003 ; Scanlon, 2003.

2 « Courageux » par exemple contient une composante prescriptive (dire d’une action qu’elle est courageuse semble impliquer que c’est une action que nous avons une raison d’accomplir), mais aussi une composante descriptive (dire d’une action qu’elle est courageuse implique la référence à des caractéristiques factuelles telles que prendre volontairement le risque de s’exposer à des dangers physiques ou sociaux importants, manifester de l’endurance face à la souffrance ou aux difficultés, etc.).

devoir implique « pouvoir ne pas » (voir Darwall, 2003, p. 478). Ainsi la normativité serait le domaine d’une certaine forme de contrainte mais aussi de liberté (voir Railton, 2000) et les normes porteraient sur ce qui n’est ni nécessaire ni impossible (voir von Wright, 1983, 1995 ; Ogien, 2003).] La distinction entre l’axiologique et le normatif se précise alors pour autant que les concepts normatifs ne portent que sur ce qui est soumis, directement ou indirectement, à la volonté.

Toute délibération, qui précède l’action, convoquerait donc deux sortes de concepts. Elle suppose, d’une part, de comparer les options qui se présentent. Certaines se révéleront peut-être incommensurables, voire incomparables. La comparaison s’appuie sur des concepts axiologiques, car elle se construit sur le fondement de jugements de valeurs à propos des options envisagées. Néanmoins comparer des options ne suffit pas pour agir. Lorsque la meilleure des options est identifiée, un pas de plus est requis : l’agent doit prendre une décision et former une intention. En somme, il doit juger que l’option en question est celle qui doit être choisie, que l’action en question est celle que l’agent pense devoir accomplir. Or pour réaliser ce pas supplémentaire, l’agent a besoin de concepts normatifs (voir Ogien et Tappolet, 2008, p. 73). Ces concepts axiologiques sont nécessaires car il ne suffit pas de juger qu’une option est bonne pour se décider ni pour agir. En effet, il n’est pas irrationnel de juger qu’une option est la meilleure tout bien considéré, sans se décider en sa faveur (Ogien et Tappolet, 2008, p. 74 ; voir aussi Stroud et Tappolet, 2003). Sans être irrationnel, un agent peut décider de ne pas prendre de congés, même s’il a jugé que ce serait la meilleure chose à faire si, par exemple, sa promesse de terminer la rédaction d’un livre lui donne une raison suffisante de ne pas en prendre.

Ainsi concepts axiologiques et concepts normatifs sont bien distincts, tout de même que les valeurs et les normes sont deux catégories de choses différentes. Les jugements axiologiques (qui contiennent des concepts comme bien, plaisant, etc.) présentent des caractéristiques différentes des jugements normatifs (lesquels contiennent les concepts d’obligatoire, de permis, d’interdit). Cette distinction permet de corriger l’a priori laissant penser que tout ce qui est « juste » et « injuste » est normatif, ce faisant, que ces termes le sont aussi et qu’ils commandent donc l’action. Or cette référence au juste et au légitime est centrale dans les représentations que nous allons analyser. En effet, les notions de juste, d’injuste, tout comme l’idée de justice peuvent être comprises dans un sens « légal » et purement normatif, mais aussi en un sens « moral » les reliant aux idées de bien et de mal, les « teintant de valeurs » (von Wright, 1963, p. 7). En un certain sens du terme, « juste » serait donc axiologique. Des personnes ou des sociétés justes seraient des personnes ou des sociétés bonnes. En revanche, quand on dit qu’une action est « juste », on affirme plutôt qu’elle est moralement exigée, qu’elle est l’action qu’il faut accomplir (voir Ogien et Tappolet, 2008, p. 59). Comment ces concepts permettent-ils d’aborder les discours d’anciens participants aux luttes armées européennes ? En quoi sont-ils pertinents pour comprendre leur recours aux armes et sa légitimation ?

Les acteurs de la lutte armée et du sabotage n’écartent pas la question de l’éthique de la violence, qu’ils l’abordent spontanément ou que ce soit dans le cadre de notre enquête. Une forme d’éthique de la mise en œuvre de la violence est théorisée par des acteurs non étatiques, tels Ulrike Meinhof (RAF) qui écrit en mai 1968 : « Les balles tirées sur Rudi ont mis fin au rêve de la non-violence. Qui ne s’arme pas meurt, qui ne meurt pas est enterré vivant dans les prisons, les maisons de rééducation, dans le sinistre béton des tours résidentielles » (Konkret). Des études ont montré que les groupes armés contestataires, en Amérique du sud par exemple, ont un code moral et des normes de comportement qui interdisent la participation des combattants à des actes déviants n’entrant pas dans le cadre strict de la lutte armée (Felices-Luna, 2008, p. 180). Plus récemment, la dimension morale appert dans la revendication de l’incendie du bâtiment Enedis, fournisseur d’électricité, à Crest.

« Nous nous sentons solidaires des personnes qui de par leurs actes et leurs discours nous semblent transmettre une volonté de combattre ici et maintenant

le pouvoir sous toutes ses formes.

Pour nous la manière la plus sincère de soutenir des individu.es en révolte c’est de se révolter soi-même et d’attaquer. Que des personnes qui s’envisagent comme potentiellement complices se transmettent de la force peut permettre que ce soit nos éthiques et nos passions qui guident nos actes et non pas la peur et la résignation qu’amène la répression.
 Au travers de l’attaque nous voulons briser l’isolement et exprimer nos colères et nos tristesses. Dans des moments où l’on ne compte plus les prises de distances, nous réaffirmons des positions offensives et irrécupérables » (« À propos de dialogue, de solidarité et d’attaque », suite à l’incendie de Crest, 12 juin 20171).

L’éthique individuelle, l’exigence morale personnelle est présentée comme la source et l’origine du recours à un certain illégalisme, au sabotage par exemple. Une partie des sciences sociales s’est détournée de l’explication des actes terroristes invoquant une « éclipse des convictions morales » (voir Pharo, 1997, p. 171 ; Bronner, 2009). Ces approches sont fondées sur une interprétation et une articulation de notre vie axiologique autour de la mise en balance continue d’intérêts et de valeurs ainsi que de la concurrence intra-individuelle entre ces mêmes valeurs (voir Bronner, 2009). Nombre de témoignages soulignent la dimension axiologique de la violence. De même, certains courants de la pensée politique occidentale considèrent la violence comme une façon ordinaire de faire de la politique, qu’il s’agisse de Maurice Merleau- Ponty, déclarant que « la violence révolutionnaire doit être préférée [à la violence « hypocrite et dissimulée de la société bourgeoise »] parce qu’elle a un avenir d’humanisme » (Merleau- Ponty, 1947, p. 116), de Simone de Beauvoir (1947) ou de Carl Schmitt (1932) – dans un autre registre toutefois pour ce dernier. Cette réinterprétation axiologique de la violence sous-tend, dans la pratique et plus simplement dans les discours, des justifications d’assassinats tels celui d’Antoine Tramoni2 proclamant que « “la justice populaire” pallierait “la mansuétude de la justice de classe” à l’égard de celui qui était devenu pour certains “le symbole de la répression anti-ouvrière” » (Le Monde, 25 mars 1977).

L’intégration de la dimension axiologique, dans l’analyse de la violence politique, est indispensable pour rendre compte, non pas tellement des phénomènes considérés, mais de leur

reconstruction sociale dans le cadre d’un travail de catégorisation de cette violence (Rapin, 2008,

p. 182)3. Cette prise en considération est fondamentale, lorsqu’elle se réfère à la justice, non seulement dans les groupes d’extrême gauche et de libération nationale, mais aussi parce qu’une lecture de « l’usage de la violence comme éthiquement “juste” augmente la tendance d’un individu à prendre part à des confrontations violentes » (Della Porta, 2010, p. 286). Cette perspective suppose d’assumer une interprétation fondée sur la rationalité, laquelle assure une continuité

descriptive entre les manifestations axiologiques, aussi diverses soient-elles (voir Bronner, 2001,

p. 156). Les narratifs susceptibles d’influencer les formes et les degrés de la violence déployée varient selon les organisations illégales au même titre que la rhétorique mise en œuvre pour la justifier. Les idéologies d’extrême gauche sont connues pour motiver la violence au nom d’un discours conséquentialiste, considérant que la violence est justifiée par son efficacité en vue de parvenir à la cause visée, ou encore qu’elle est susceptible de renverser l’État ou de provoquer une brutale répression de la part de ce dernier, laquelle induira, dans les masses, la conscience de la nécessité d’un soulèvement violent (voir Della Porta, 2013, p. 206-207). Tel semble également être le cas pour les groupes dits ethniques « qui considèrent souvent que tuer et bombarder ne sont pas des choses bonnes en elles-mêmes voire que ces actions sont mauvaises dans certains contextes et que, par conséquent, elles doivent être évitées dans ces contextes

1 https://nantes.indymedia.org/articles/37979

2 Qui lui-même exécuta Pierre Overney, militant de la Gauche prolétarienne, à Boulogne-Billancourt le 25 février 1972.

3 Elle se distingue spécifiquement des justifications instrumentales de la violence que nous envisagerons ultérieurement (voir infra 4.3.3).

précis ». A contrario, « les groupes fascistes ou cimentés par la haine n’appréhendent pas nécessairement leurs actes comme mauvais en eux-mêmes, dans la mesure où ils envisagent leurs cibles comme moralement non pertinentes (irrelevant), qu’elles soient noires, juives, communistes ou favorables à l’avortement » (O’Boyle, 2002, p. 27-28). Les religieux fondamentalistes tendent également à justifier la violence de façon déontologique au titre d’instrument de Dieu (O’Boyle, 2002, p. 27). Enfin une dimension éthique et non pas seulement normative intervient, lorsqu’il s’agit d’opérer des distinctions entre « violences politiques plus ou moins terroristes » (Crettiez, 1999, p. 206), c’est-à-dire de discriminer les groupes qui pratiquent des violences meurtrières de ceux qui limitent leurs attaques à des cibles matérielles. Néanmoins les répertoires de justification de la violence politique sont évolutifs. Ils s’adaptent aux variations des cibles désignées par les organisations ainsi qu’à celle de la violence déployée. Comme nous l’avons vu précédemment (chap. 3), plusieurs des acteurs engagés dans la lutte armée défendent, en dépit des illégalités et des crimes commis, le fait de s’ancrer dans un ordre moral supérieur à celui dans lequel évoluent les puissants des démocraties occidentales. L’entretien avec Cyprien fournit ainsi une illustration de la façon dont s’articule la dimension axiologique dans l’usage de la violence politique :

« - Tout à l’heure vous parliez de votre morale, de votre éthique personnelle. Y a-t-il une morale dans ce type de lutte armée ?

Oui, même on nous a reproché d’être des moralistes - Qui ?

C : Je pense que Cohn-Bendit a été l’un des mecs qui a sorti le truc de la… Et en Italie aussi, sur les moralistes de la lutte armée ; c’est-à-dire ceux qui ont… l’application de la morale qui va jusqu’à la peine de mort. Oui, on avait une éthique. Le monopole de la morale est du côté du pouvoir. Moi je pense éthique. Oui oui oui : j’ai jamais eu autant de discussions. Je pense que le système ne se pose jamais de questions d’éthique comme un groupe de lutte armé : “est-ce que ça serait admis, est-ce que ça serait acceptable si on faisait ça ?” Je t’ai cité un exemple qu’on a signé en commun avec la RAF

Pour rentrer dans l’air base en juillet 85, il fallait fabriquer des faux papiers pour rentrer. Et la solution qui a été prise à la fin c’était d’enlever un sous-officier américain, de l’exécuter pour prendre ses papiers et de rentrer dans la base avec sa voiture. Ça a été une discussion mais éthique mais incroyable. C’est-à-dire le

tuer quand il était prisonnier, c’était une chose impensable. Ça a foutu un bordel

en Allemagne extrême aussi dans le mouvement. Parce que éthiquement c’est difficile à prendre cette décision. En même temps les Américains venaient de dire que désormais, suite à plusieurs attaques leurs bases étaient inviolables : c’était une question très importante. Donc je pense pas que quand un général français, au moment du bombardement d’une ville en Syrie pose autant de question que nous.

Je pense que la discussion sur ce qu’il est juste de faire et non juste a été très importante pendant toute la phase de lutte armée. Parce que l’usage et le droit de tuer quelqu’un, le droit de tuer quelqu’un, c’est pas un truc qui est innocent, c’est

pas un truc qui est banalisé. J’étais outré par des camarades italiens qui étaient

dans la banalisation de ce qu’ils faisaient. Il y en avait d’autres heureusement, je pense à Moretti, à Curcio qui étaient vraiment des gens avec une éthique révolutionnaire, etc. Mais il y avait des gens à la base, parce qu’il y a toujours des matamores qui entrent dans les structures armées, qui arrivent à être des cadres. Mais franchement j’ai pas vu de discussions ailleurs dans les centres de décision aussi acharnées sur ce qu’il est acceptable de faire » (nous soulignons).

La distinction entre axiologique et normatif, antérieurement exposée, prend ici tout son sens. Par définition, ces acteurs s’affranchissent des lois, de ce qui est prescrit, i.e. de la norme légale, sans pour autant se situer à l’extérieur de tout champ axiologique. Ils dessinent un ordre moral qui leur est à la fois spécifique mais en outre justifié axiologiquement1. La comparaison

axiologique des options est à l’œuvre s’agissant du meilleur moyen et du moyen le plus acceptable éthiquement pour entrer dans la base aérienne américaine. L’évaluation de l’incidence morale de l’exécution d’un prisonnier – en soi et sur le mouvement – est menée. Puis la décision est prise, le pas est franchi, le sous-officier américain est tué.