• Aucun résultat trouvé

L’émergence de la lutte pour le droit de vote 1 Une lutte intermittente (1880-1945)

Du fait de l’évolution différente de la situation en matière d’autodétermination et de représentation nationale au fil des ans, la lutte pour ces deux causes n’a pas émergé au même moment ni connu la même progression depuis la création de la capitale.

243 H. WOLMAN, op. cit., (note 133), p. 7, 19.

244 On peut remarquer que ces trois villes sont comme DC des districts fédéraux. À la différence de Washington,

les trois villes disposent désormais de représentants, depuis 1949 pour Canberra, et depuis les années 1980 pour les deux autres.

245 Habitants de Buenos Aires

246 L’article 36 de la Constitution de 1853 mentionne les habitants de la capitale aux côtés des habitants des

provinces fédérées. De même, ils sont mentionnés spécifiquement à l’article 81, qui prévoit leur participation aux élections présidentielles.

247 H. WOLMAN, op. cit., (note 133), p. 7, 22.

248 Le représentant de la capitale australienne au parlement n’est alors pas doté du droit de vote (sauf sur les

questions concernant la ville), car Canberra ne compte que 16 000 habitants, dont 11 000 électeurs potentiels, tandis que la plus petite circonscription du pays en compte 30 000 et certaines plus de 50 000. Le représentant de la capitale sera pourvu d’un plein droit de vote lorsque la ville aura atteint le seuil des 30 000 habitants. (“Canberra’s Example,” WP, 14 juillet 1951)

117 Le District a été pourvu d’une forme d’autodétermination pendant la plupart du XIXe siècle. De 1802 à 1871, les Washingtoniens ont en effet disposé d’un minimum de pouvoir sur l’administration de leur cité sous la forme d’un conseil municipal et/ou d’un maire élu. Ils n’avaient par conséquent nul besoin de lutter pour l’obtention d’un droit dont ils disposaient déjà. La lutte devient fondée à partir de 1871, lorsque ce droit leur est retiré. Le mouvement de lutte pour l’autodétermination met néanmoins du temps à s’organiser. Cela tient notamment au contexte de l’époque. En effet, le changement de régime décidé en 1871 est en partie dû à des errances du pouvoir local, qui ont poussé le Congrès à reprendre en main la gestion pour éponger les dettes accumulées et éviter de futures dérives. Dans ce contexte, la tendance est donc au retrait d’autonomie, non à son augmentation, et ce pendant plusieurs décennies. Le souvenir du déficit des années 1860 reste en effet présent à la mémoire des acteurs locaux, en particulier des élites économiques, qui sont très réticentes à redonner le pouvoir local aux citoyens. Cela explique que la lutte pour l’autodétermination soit pratiquement inexistante dans la capitale au XIXe siècle.

Il n’en va pas de même pour ce qui est de la représentation nationale. Le District n’a jamais été pourvu de députés ni de sénateurs depuis sa création. Le seul semblant de représentation dont la capitale ait bénéficié est un délégué à la Chambre non pourvu du droit de vote entre 1871 et 1874. Dans ce domaine, le problème est donc bien plus ancien que celui de l’autodétermination. Cela contribue à expliquer que la lutte pour la représentation nationale se soit organisée avant celle pour la Home Rule. Elle a été initiée à la fin des années 1880, principalement à l’initiative de Theodore Noyes, fils du rédacteur-en-chef du Washington Evening Star et futur rédacteur-en- chef lui-même. Après l’échec de quelques projets de loi, la lutte connaît un certain repli dans les années qui suivent.

Le climat commence à changer légèrement dans les années 1910, principalement sous l’influence du mouvement féministe qui est alors très actif dans le pays en général et dans la

118 capitale en particulier. Les femmes, qui ne disposent alors pas du droit de vote249, lancent en

effet leur assaut final au cours de cette décennie. Leur quartier général washingtonien est une pièce maitresse du dispositif de lutte.

En 1912, la District Suffrage League, organise un référendum sur la question du droit de vote dans la capitale. Sept questions sont posées, divisées en trois parties : la première sur le droit de vote, la seconde sur le candidat préféré pour les élections présidentielles en cours, la troisième sur le mode de gouvernement municipal et la représentation du District au Congrès. Le référendum a lieu le 5 novembre, jour

des élections présidentielles, dans 50 bureaux de vote répartis dans l’ensemble de la ville (annexe 5). Les résultats montrent une très forte majorité en faveur du droit de vote. Sur près de 12 000 votants, 10 471 se prononcent en faveur du droit de vote, 902 contre. Sur la question du gouvernement local, 10 164 votants souhaitent que les habitants du Districts gèrent les affaires locales, 1 323 s’y

opposent. Dans le cas où la forme de gouvernement municipal par trois commissaires serait maintenue, 10 374 votants estiment que les commissaires devraient être élus, 987 y sont opposés. Sur le plan de la représentation au Congrès, enfin, 10 437 votants contre 903 veulent que la

249 Elles l’obtiendront en 1920 avec la ratification du 19e amendement à la Constitution

119 capitale dispose d’un représentant et 10 416 contre 903 votants souhaitent que ce représentant soit élu250.

Le résultat du référendum montre un appui massif des Washingtoniens au droit de vote. Mais il montre aussi que la population de la capitale est peu mobilisée sur le sujet. Une participation de 12 000 personnes n’est certes pas ridicule. Elle atteste qu’un bon nombre d’habitants se sentent alors suffisamment concernés pour se déplacer jusqu’à un bureau de vote. Toutefois, rapportés à une

population de 330 000

habitants, les 12 000 votants restent très peu nombreux. La volonté d’obtenir le droit de vote existe bel et bien dans la capitale dès le début du siècle, mais elle reste cantonnée à des cercles restreints et ne constitue pas une demande massive. L’ensemble de la population se soucie peu de la question251.

Ces années voient également l’émergence de la lutte pour l’organisation d’élections primaires officielles dans la capitale. Les élections primaires sont destinées à sélectionner les représentants de chaque État au sein des conventions nationales républicaine et démocrate, qui désignent tous les quatre ans le candidat de chaque parti aux élections présidentielles. Pendant plusieurs décennies, les délégués aux conventions nationales ont été choisis dans des cercles restreints au sein de chaque État. La pratique d’élections primaires plus ouvertes commence à se répandre dans les années 1900 et 1910. C’est dans ce contexte qu’émerge la demande de primaires

250 “Roosevelt and District Franchise Win in Suffrage Election,” WP, 6 novembre 1912, p. 4; “District to Vote

Tuesday,” Baltimore Sun, 4 novembre 1912, p. 10; “Push work for vote,” WP, 7 novembre 1912, p. 3.

251 A. LESSOFF, “Washington under Federal Rule, 1871-1945,” in A. DAUM et C. MAUCH (DIR.), Berlin-

Washington, 1800-2000: Capital Cities, Cultural Representation, and National Identities, 2005, p. 252.

Figure 13 - Cartoon publié dans le Washington Post le 6 novembre 1912

120 « ouvertes » dans la capitale. Une première tentative a lieu à l’initiative de membres du Congrès en 1911 et 1912. Un projet de loi est déposé par le sénateur Joseph Bristow (R., Kan.) et soutenu par le député George Norris (R., Neb.), sans résultat252.

Au cours de la même période, Theodore Noyes est à l’origine de la création d’un comité de citoyens pour la représentation nationale du District de Columbia253. Le comité est composé

d’une trentaine d’organisations locales qui ont un objectif commun : obtenir la ratification d’un amendement à la Constitution qui dote Washington de représentants au Congrès et du droit de vote aux élections présidentielles254. Des projets de loi sont soumis à la Chambre et au Sénat au

printemps 1917, mais l’entrée en guerre des États-Unis fait passer le sujet au second plan. Une fois la guerre achevée, la mobilisation peine à reprendre, notamment car l’implication des féministes faiblit au milieu des années 1920, après l’adoption du 19e amendement.

L’atmosphère du New Deal provoque une nouvelle évolution du contexte. Les débats autour de la Fair Employment Practices Commission (FEPC) contribuent à modifier le climat, de même que les premières actions contre la pratique de la ségrégation dans les lieux publics. Au cours des années 1930, les activistes locaux s’expriment notamment dans la presse et à la radio. La question des élections primaires revient sur le devant de la scène lorsque la députée Mary T. Norton (D., NJ) dépose en 1934 un projet de loi prévoyant l’organisation de primaires dans la capitale. Son initiative, répétée en 1935 et 1936, est suivie d’autres initiatives quasiment annuelles entre 1937 et 1943 mais qui n’aboutissent pas.

En mars 1938, la District of Columbia Suffrage Association (DCSA) 255 organise un congrès

sur le droit de vote qui réunit 700 délégués dans la capitale. Le mois suivant, un nouveau référendum montre l’intérêt accru des Washingtoniens pour la question électorale. Il est organisé à l’initiative de 271 organisations locales rassemblées au sein de la Citizens’ Conference on

252 “May vote in District,” WP, 12 mai 1911, p. 4; “Demand Primary law,” WP, 13 mars 1912, p. 4. 253 Citizens’ Joint Committee on National Representation for the District of Columbia

254 C. GREEN, op. cit. (note 44), p. 254; C. VOSE., op. cit. (note 181), p.115.

255 Créée en 1937 (“Meeting Maps Effort to Get Vote for D.C.,” WP, 24 juillet 1937, p. 11; “Civic Group Votes

121 District Suffrage (CCDS). Son ampleur est supérieure à celle du référendum précédent. Pour l’occasion, la CCDS met en place 62 bureaux de vote256, que l’on voit sur la carte ci-dessous.

Les deux sujets de l’autodétermination et de la représentation nationale sont abordés à travers les questions suivantes :

Voulez-vous voter aux élections présidentielles et aux élections législatives ?257

Voulez-vous voter afin d’élire les dirigeants du District ?258

Figure 14 - Carte des bureaux de vote du référendum d’avril 1938259

Après le référendum de 1912, qui avait vu la participation de 12 000 personnes, ce sont près de 95 000 personnes qui se rendent dans les bureaux de vote le 30 avril 1938 pour soutenir en masse le droit de vote. Les Washingtoniens votent à 88,3 % en faveur de l’autodétermination et

256 “Heavy Vote Urged for Suffrage Today,” WP, 30 avril 1938, p. X1.

257 “Do you want to vote for President and for members of Congress from the District of Columbia?” 258 “Do you want to vote for officials of your own city government in the District?”

122 à 92,7 % en faveur d’une représentation au Congrès260.La mobilisation des Washingtoniens ne

change rien à la situation. En 1940, les membres de la DCSA réfléchissent avec des représentants d’associations et d’entreprises de la capitale à un plan d’action pour obtenir le droit de vote. D’autres structures lancent des actions de leur côté. Au même moment, le Washington Junior Board of Trade envoie un millier de lettres dans le pays appelant à soutenir la représentation des Washingtoniens au Congrès.

Dans cette atmosphère propice aux évolutions, le mouvement pour l’autodétermination semble progresser davantage dans les quelques années d’avant-guerre qu’au cours des décennies précédentes. Une réelle préoccupation existe désormais dans le domaine. De nouveaux projets de loi sont soumis au Congrès par le sénateur Arthur Capper (R., Kan.) et le député Charles Sumners (D., Mass.). Parallèlement, les démocrates libéraux du Nord s’attaquent à la résistance des sudistes conservateurs de leur parti261.

L’entrée en guerre freine toutefois la progression des Washingtoniens dans leur lutte. Les efforts et l’attention du pays se concentrent alors ailleurs. Les auditions qui se tiennent sur le sujet en 1941 et 1943 n’aboutissent à rien. Pour certains, le contexte n’est pas le seul responsable de ces échecs répétés : l’apathie de la population est également fautive. Un constat s’impose donc en 1945 : la situation de la capitale reste la même qu’en 1874. La ville ne dispose pas d’élus municipaux, ni de représentants au Congrès ni du droit de vote aux élections présidentielles, et la lutte pour l’obtention de ces droits n’est pas encore lancée à grande échelle.

2. Les acteurs de la lutte

De la fin du XIXe au début du XXe siècle, la lutte en faveur du droit de vote des Washingtoniens est menée par quelques organisations. Au premier rang de celles-ci se trouvent la DCLWV, le Washington Post et dans une moindre mesure la FCA.

260 “Local Self-Government Indorsed by Margin of 6 to 1,” WP, 1er mai 1938, p. M1; “Washington's Suffrage

Poll,” WP, 17 avril 1938, p. B8; “D.C. Votes 7-1 For Self-Rule, 13-1 for Seats In Congress,” WP, 2 mai 1938, p. X1; C. GREEN, op. cit. (note 44), p. 432-433; A. LESSOFF, op. cit. (note 248), p. 258.

123 La DCLWV a succédé en 1921 à l’Equal Suffrage Association of the District of Columbia (ESA), qui militait depuis 1898 pour le droit de vote des femmes en général, mais également celui des Washingtoniennes. Lorsque les femmes obtiennent le droit de vote par le 19e amendement à la Constitution, en 1920, une recomposition du mouvement féministe se produit sur le plan national. La National American Woman Suffrage Association cesse d’exister pour céder la place à la League of Women Voters, dont l’objet n’est plus l’obtention du droit de vote, mais le soutien aux femmes dans l’exercice du droit de vote récemment acquis. Dans la capitale, la DCLWV reste néanmoins confrontée au problème de l’obtention du droit de vote. La ligue continue donc à se mobiliser pour le droit de vote. C’est pour cette raison que la DCLWV décide en 1926 de se rebaptiser D. C. « Voteless » League of Women Voters. Des années 1920 au milieu des années 1930, elle se concentre principalement sur la représentation nationale. À partir de 1936, les féministes washingtoniennes mettent l’autodétermination au cœur de leur lutte. Elles sont le fer de lance du combat washingtonien.

Un autre acteur important est la FCA. Celle-ci regroupe l’ensemble les associations de quartier de la capitale. Ces associations ont pour la plupart vu le jour à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Elles évoquent lors de réunions mensuelles des questions qui vont du budget de la ville à l’état des rues, en passant par les problèmes de nuisances et de circulation. La fédération a quant à elle vu le jour en mars 1910. En 1940, elle regroupe 65 associations de quartiers qui représentent environ 40 000 habitants262. L’engagement de la FCA dans la lutte

pour le droit de vote est plus limité que celui de la DCLWV. De manière générale, la fédération soutient les initiatives destinées à accorder le droit de vote aux Washingtoniens. Mais avec des nuances. Il existe de grandes différentes économiques et sociales entre certains quartiers de la capitale, voire au sein d’une partie d’entre eux. Ces différences se répercutent naturellement

262 J. C. SMITH, “Citizens Federation to Mark Its 30th Birthday on Tuesday,” WP, 3 mars, 1940, p. E2 ;

“CLAYTON IS DEFEATED Edwards Heads Federation of Citizens’ Associations,” WP, 3 novembre 1912, p. 4; “Drive for D.C. Vote Mapped by Citizens,” WP, 19 décembre 1940.

124 dans le positionnement des associations locales sur des questions comme celle du droit de vote. Par conséquent, si l’obtention d’une représentation nationale est très largement soutenue, c’est moins le cas de l’autodétermination. Au cours des années d’après-guerre, sa position est donc variable. Elle est généralement partie prenante des actions en faveur du droit de vote, mais il arrive également que la FCA se prononce contre certains projets de loi destinés à accorder le droit de vote aux Washingtoniens.

Le Washington Post est un acteur plus en retrait, mais il joue un rôle non négligeable par son soutien affiché au droit de vote des Washingtoniens dans des éditoriaux répétés et des articles de fond réguliers sur la question. Dès sa création, en 1877, le quotidien s’est affiché par principe comme un soutien à l’autodétermination. Il remarque que « le droit de vote n’est pas réclamé avec une grande vigueur par nombre de bons citoyens, même s’ils sont nombreux à y être favorable263 ».

Parmi les opposants, les plus actifs sont probablement les membres du Board of Trade, qui craignent de voir leur influence s’amenuiser, une mauvaise gestion des affaires municipales s’instaurer, le paiement fédéral diminuer et les impôts augmenter. En l’absence de représentants élus, quelques groupes de citoyens bien organisés s’affirment porte-paroles de la communauté. Le Board of Trade est le principal d’entre eux, cultivant de bonnes relations avec les Commissaires et les membres du Congrès en charge du District. Chaque année le Board organise au mois de janvier un dîner de bienvenue en l’honneur des nouveaux élus au Congrès264. Il est « tantôt

décrit comme un ‘lobby social’, tantôt comme ‘le gouvernement invisible de la ville’, ‘geôlier de la ville’ et une ‘oligarchie bienveillante’265 ».

Les présidents successifs des États-Unis n’adoptent pas non plus une position favorable aux citoyens du District. À partir de 1874, année d’instauration du nouveau système de

263 “elective franchise is not stoutly insisted upon by many good citizens, while on the other hand, many favor

it.” (E. FOLLIARD, op. cit., (note 21))

264 “Our inept “Mayor”, WP, 6 janvier 1949, p. 10.

265 “variously described as a “social lobby”, “the invisible city government”, “captor of the city” and “a

125 gouvernement, tous les présidents sans exception, de Grover Cleveland à Calvin Coolidge, se sont opposés à l’accession des Washingtoniens au droit de vote, selon le principe que le District appartient à la Nation, pas aux Washingtoniens266.

CHAPITRE 2

L’explosion démographique de la capitale et ses effets sur les infrastructures

Au cours de sa brève histoire, la capitale américaine a connu des phases de croissance brutale. La guerre de Sécession, la Première Guerre mondiale et le New Deal, ont chacun à leur manière accentué le développement du District de Columbia. Toutefois, ces événements sont minimes comparés au choc sans précédent que la Seconde Guerre mondiale provoque à Washington.

La croissance démographique inégalée de la capitale au cours des années de guerre amène la ville au bord de l’explosion. Cette croissance, combinée au sous-investissement chronique des décennies antérieures en matière d’infrastructures provoque une pression très forte sur les infrastructures. Les logements sont en nombre largement insuffisant, les routes et ponts sont saturés, les réseaux d’eau, d’égouts et d’énergie également. La colonne vertébrale de la ville peine à supporter cette croissance brusque et intense.

Quels sont les ressorts de la croissance démographique dans les années d’après-guerre ? Quelles sont les conséquences de cette croissance sur la structure démographique de la capitale ? Quelles en sont les conséquences sur la ville, ses infrastructures et ses habitants ?

128 I. « Boomtown » : l’explosion démographique de la capitale pendant la guerre

A. La lente transformation d’une bourgade en ville d’ampleur nationale