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Créer une capitale à partir de rien : le défi des infrastructures au cours du premier siècle washingtonien (1800-1900)

1. Une capitale qui peine à s’équiper (1800-1871)

Washington a été conçue à une échelle grandiose, digne d’une capitale majeure, mais le développement que connaît le District de Columbia au cours de ses premières décennies est difficile. Peu est mis en œuvre pour concrétiser les idées majestueuses de son concepteur, en grande partie du fait du manque de fonds alloués par le Congrès pour équiper la ville183.

La première mise en vente de terrains dans la localité choisie pour devenir la capitale se tient à Georgetown en 1791. Au cours des années qui suivent, les premiers travaux destinés à faire jaillir Washington du néant débutent, selon le plan du major L’Enfant. La première pierre de la Maison-Blanche est posée en 1792, celle du Capitole l’année suivante184. Néanmoins, les progrès

sont lents.

En 1800, lorsque Washington devient officiellement la capitale des États-Unis, il est difficile de qualifier de ville cette plaine marécageuse parcourue de nombreux ruisseaux, entourée de collines et de forêts épaisses. Le District est une terre peu avenante. Il est décrit par les contemporains tantôt comme un « trou boueux », tantôt comme « la capitale des cabanes misérables »185. Le Capitole ne compte alors qu’une aile. Il se dresse à un mile de la demeure

présidentielle. Entre les deux bâtiments, une Pennsylvania Avenue décrite comme « un profond bourbier couvert de buissons d’aulnes à travers lesquels l’avenue envisagée a été découpée186 ».

183 “The creator of Modern Washington,” Baltimore Sun, 14 septembre 1902.

184 H. BISSELLE, “When Uncle Sam Begged for a Loan – Capital’s Progressive Development Traced Through

History of its Financial Institutions,” WP, 16 décembre 1928, p. SM3.

185 Mud hole; the Capital of miserable huts.

186 “a deep morass covered with alder bushes which were cut through the width of the intended avenue” (H.

195 Le Treasury Building, qui occupe alors une partie de son emplacement actuel, est une simple structure de brique à deux étages. Entre la Maison-Blanche et Georgetown, toujours sur Pennsylvania Avenue, se trouvent seulement deux blocs de bâtiments, baptisés respectivement les « six bâtiments » et les « sept bâtiments ». Le premier bloc se situe entre la 21e et la 22e rue, le second entre la 19e et la 20e. Le reste de Washington se réduit à quelques hôtels et tavernes aux abords du capitole et à quelques maisons dispersées dans les environs.

Malgré les caractéristiques très rudimentaires de la « ville », le District dispose dès 1800 d’une commodité : il est desservi par une diligence qui le relie à Baltimore. Le trajet entre Baltimore et Georgetown débute le matin à 11 heures et dure neuf heures. Les passagers qui souhaitent poursuivre leur route jusqu’à Alexandria doivent passer la nuit à Georgetown avant de continuer par le ferry. La liaison quotidienne entre Georgetown et Washington est inaugurée en mai 1800. La diligence tractée par deux chevaux part tous les matins à 8h30 de M Street et Wisconsin pour se rendre jusqu’à Tunnicliff’s Tavern, une auberge très prisée située sur Pennsylvania Avenue, entre la 8e et la 9e rue187. Ces moyens de locomotion interurbains sont

rudimentaires et demandent du temps, mais ils ont le mérite d’exister dès le début du XIXe siècle.

Au cours des 15 années qui suivent, la ville poursuit laborieusement son développement. En 1814, elle est partiellement détruite par les Anglais, qui incendient ses bâtiments publics lors de la guerre dite de 1812. Les infrastructures de Washington connaissent toutefois quelques améliorations. La ville est ainsi l’une des premières à construire des égouts et des conduites souterraines. Ces conduites ne sont pas reliées entre elles, elles ne constituent donc pas un « système » d’écoulement des eaux, mais représentent néanmoins le premier effort d’évacuation des eaux de ruissellement de la capitale. Pennsylvania avenue « dispose désormais d’un trottoir convenable et d’une excellente chaussée188 ». En 1815, le Washington City Canal, qui était prévu

187 H. BISSELLE, 1928, op. cit. (note 186).

196 dans le Plan L’Enfant, voit enfin le jour, après des années et des années de retard. Il relie l’Anacostia River (alors appelée Eastern Branch) au Potomac en passant par la partie basse de la ville, au sud de Pennsylvania Avenue. Ce canal a été conçu pour développer le commerce dans la capitale. Il sera un échec cuisant. Malgré les quelques progrès réalisés, l’habitat reste dispersé et Washington mérite toujours son surnom de « ville des distances magnifiques ». Dans ces années, et jusqu’au début des années 1820, Pennsylvania Avenue est appelée “la ville” par ceux qui vivent dans d’autres parties du District.

Figure 42 - Incendie de la Maison-Blanche par les Anglais le 24 août 1814189

Entre 1815 et 1835, Washington poursuit lentement sa croissance. De nouvelles rues sont créées, quelques trottoirs sont construits, des arbres sont plantés, des lampes à huile sont installées dans les rues. Des commerces sont ouverts dans le centre, ce qui évite aux habitants de se rendre jusqu’à Georgetown pour faire leurs courses190. Dans les années 1820, F Street est déjà

une artère animée, aux abords de la 13e et de la 14e rue, avec quatre tavernes qui se disputent les clients.

189 Peinture de Tom Freeman

197 L’année 1835 marque l’arrivée à Washington de la première voie de chemin de fer des États- Unis, en provenance de Baltimore. Cet événement de taille contribue à désenclaver la capitale et marque la fin d’une époque pour la ville. Les jours des diligences sont désormais comptés en matière de transports interurbains.

Au cours des années 1840 et 1850, des progrès sont réalisés dans de nombreux domaines. La ville se dote d’une force de police en 1851191. Des lampes à gaz sont installées, d’abord sur

Pennsylvania Avenue puis en 1853 sur les rues principales de la ville192, afin de fournir un

éclairage lors des nuits sans lune. Les noms des rues, auparavant inexistants, sont dès lors indiqués sur les lampadaires. Les autorités locales lancent un programme de nivellement et le pavage des rues, tronçon par tronçon, au gré des maigres fonds alloués par le Congrès. Il en est de même pour les égouts. Le Congrès donne au début des années 1850 la permission au conseil municipal de construire des égouts destinés à évacuer les eaux pluviales193. Les travaux débutent,

mais il reste à construire un véritable réseau d’égouts, car si de nouveaux tronçons sont construits, ils ne sont pas reliés entre eux et se déversent dans le Canal ou le Potomac. De plus, ils servent à évacuer les eaux de ruissellement, non les eaux usées, qui sauf exception n’ont pas l’autorisation d’être collectées par les égouts et sont donc rejetées sans cérémonie dans le cours d’eau le plus proche. Or, un système robuste d’approvisionnement en eau est construit pendant les années 1850. Il devient donc urgent de construire un système d’évacuation des eaux usées.

Une première étude menée par Robert Mills en 1830 avait produit des recommandations pour la création d’un tel système d’approvisionnement en eau, mais il n’avait pas vu le jour faute de financement fédéral194. En 1850, le Congrès commande au ministère de la Guerre une étude

destinée à localiser les meilleures sources d’approvisionnement. L’incendie de la bibliothèque du

191 Washington Laws, 11 mars 1851.

192 C. GREEN, Washington, op. cit. (note 152), p. 164, 209.

193 Baltimore Sun, 13 juillet, 10 octobre 1849, 10 octobre 1850, 14 septembre, 12 octobre 1852, 10 février, 20

août 1853, 5 avril 1854, 2 février, 5 août, 28 octobre 1856, 25 mars, 27 mai, 25 juillet, 26 août, 9, 11, 19 septembre, 27 octobre 1857, 17 février 1858,

198 Congrès en décembre rend évidente aux parlementaires la nécessité de disposer d’un accès plus aisé aux ressources en eau face au risque incendie. De nouvelles études sont commandées. En 1853, le Président Franklin Pierce, fraîchement investi dans ses nouvelles fonctions, choisit la plus ambitieuse des trois options proposées par le jeune lieutenant Montgomery Meigs. La composante la plus coûteuse est un aqueduc imposant qui doit apporter l’eau de Great Falls (situé à 10 miles au Nord-ouest de Georgetown) à Washington. Le Congrès alloue le budget nécessaire, et la première phase des travaux débute le 31 octobre 1859, sous la direction de Meigs195. Elle implique notamment la construction d’un barrage sur le Potomac, d’une conduite

de 12 miles de long, de 11 tunnels, six ponts, des stations de pompage et deux réservoirs. Cette phase est achevée par le Corps des ingénieurs de l’armée américaine en 1858. Le 3 janvier 1859, l’eau accumulée dans les réservoirs temporaires est introduite dans les conduites et les Washingtoniens voient pour la première fois l’eau jaillir dans le bassin ouest du Capitole. Il faudra cinq années de travaux supplémentaires pour apporter l’eau dans les domiciles du centre- ville, mais la partie la plus délicate est désormais achevée196.

La conception et la construction du système d’approvisionnement en eau de la capitale illustrent les responsabilités croissantes prises par le Corps des ingénieurs de l’armée américaine dans le développement de la capitale, de ses bâtiments publics et de ses infrastructures. Ce rôle, qui est limité avant les années 1850 augmente ensuite régulièrement, tandis que le Congrès augmente sa participation dans le budget local197.

L’effort de développement des infrastructures de la capitale dans les années 1840 et surtout dans les années 1850 apparaît nettement à l’examen du budget de Washington. Au cours des années 1850, la ville consacre plus de 30 % de ses dépenses annuelles aux travaux publics. En 1853-54 et 1857-58, l’effort porte principalement sur l’amélioration des rues, qui bénéficient

195 P. SCOTT, Capital Engineers: The U.S. Army Corps of Engineers in the Development of Washington, D.C.,

1790-2004, 2005, p. 39-46.

196 Petitions : S31A-G2, 27 décembre 1850, S31A-H5, 30 avril 1851, H33A-D3.2, 10 juin 1854 ; Washington Star,

3, 5 janvier, 28 Mars, 29 juillet 1859. Washington Laws, 2 juin 1859.

199 respectivement de 24,4 % et 19,8 % des dépenses annuelles. En 1859-1860, l’effort porte sans surprise sur le réseau d’approvisionnement en eau, qui représente 19,2 % des dépenses, contre 14,2 % pour les rues. Les fonds consacrés aux égouts restent marginaux198.

À l’orée de la guerre de Sécession, Washington existe depuis 60 ans environ. La ville n’est pas encore parvenue à réaliser les rêves et à répondre aux attentes de ses concepteurs et partisans. Elle offre un visage rude et négligé. En 1860, aucune rue n’est pavée sur une très longue distance. La Maison-Blanche est entourée d’étables. Le sud-est de la ville est coupé du reste du District par le canal et le vieux Tiber Creek. Les égouts sont fragmentés, l’ensemble des ressources en eau viennent de pompes et de sources, le système de distribution n’étant pas encore achevé. Les habitants jettent leurs ordures dans les rues. Les parcs et terrains communaux sont abandonnés aux herbes folles. La ville ne dispose pas encore de tramways199. Le

seul moyen de se rendre à Georgetown reste l’omnibus, qui comme son nom ne l’indique pas est un véhicule à roues tiré par des chevaux.

En termes d’infrastructures et d’équipement de la capitale, la guerre de Sécession apporte des améliorations significatives. Les progrès sont nets en matière de bâtiments publics. Le dôme du Capitole est enfin achevé. Le Treasury Building, le Post Office et le Patent Office sont quasiment terminés. C’est aussi pendant ces années, en 1862, que naît la première ligne de tramway locale, la Washington & Georgetown Street Railway Co., qui relie Washington et Georgetown. Ces premiers tramways washingtoniens sont tirés par des chevaux, comme les diligences, mais ils sont nettement plus efficaces qu’elles. La progression sur rails rend en effet le trajet beaucoup moins chaotique et plus rapide, car la diminution significative des frottements permet aux chevaux de tirer des charges plus lourdes avec moins d’effort. En 1863, les ancêtres des camions-poubelle commencent à collecter les ordures dans les rues de la capitale. Le réseau

198 C. GREEN, Washington, op. cit. (note 152), p. 210.

199 Précisons que les tramways ont évolué au cours du temps. De manière générique, un tramway est un moyen

de transport en commun qui circule sur des rails. Les premiers modèles étaient tractés par des chevaux. C’est plus tard seulement que des modèles tractés par des câbles, puis électriques sont apparus.