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Les effets de la Seconde Guerre mondiale sur la population du District 1 L’explosion démographique (1940-1943)

Au début de la Seconde Guerre mondiale, l’équilibre de la population américaine est profondément affecté par les migrations internes dues au conflit et par l’enrôlement de nombreux Américains dans les forces armées. En conséquence, la population du pays se redistribue rapidement et nettement au profit des États du Sud et surtout de l’Ouest. Entre 1940 et 1943, 25 États voient leur population s’accroître, tandis que 23 la voient diminuer. La Californie connaît la plus forte hausse en valeur absolue, avec un accroissement de plus d’1,5 millions habitants, l’Arizona la plus forte en valeur relative, avec 41 %. La plus forte baisse absolue est enregistrée par l’État de New York, où elle s’élève à 621 000 personnes. La plus forte baisse relative, de 15,5 %, se situe dans le Dakota du Nord. Le District de Columbia est incontestablement parmi les gagnants, avec une hausse de 34 % qui le place juste derrière l’Arizona en termes de croissance relative34.

Le rôle stratégique de la capitale pendant la guerre est renforcé par sa situation géographique, qui en fait un point de passage obligatoire des mouvements de troupes au début du conflit. La capitale est en effet localisée à près de 200 km dans les terres, mais la baie de Chesapeake constitue à l’Est une large brèche qui empêche tout passage par voie terrestre pour relier le Sud au Nord. Par conséquent, les routes Nord-Sud les plus directes passent par Washington. Or les principaux camps d’entraînements militaires se situent au Sud tandis que les principaux ports

149 d’embarquement pour le front sont au Nord. Au cours de la guerre, Washington devient ainsi l’un des principaux points de passage des troupes35.

Le District n’est pas seulement une ville de passage. Il est également la destination finale de bon nombre de participants à l’effort de guerre. En 1941, il est estimé que 55 000 d’entre eux sont arrivés à Washington, parfois avec leur famille36.

Le premier facteur d’intensification de la croissance de la capitale reste l’expansion sans précédent du gouvernement fédéral. Entre mars 1940 et février 1943, le nombre de fonctionnaires fédéraux civils travaillant dans la capitale et sa proche banlieue passe de 129 00037 à plus de

287 000, soit une augmentation de 123 % en 3 ans. Environ 85 % des nouveaux recrutements sont destinés à soutenir l’effort de guerre dans une ville devenue de facto le quartier général des Alliés. Le nombre de militaires affectés dans la capitale augmente lui aussi. En 1943, il est estimé à 76 00038.

Sur la même période, le nombre de Washingtoniens passe de 663 000 à 891 00039. C’est la plus

forte hausse de population de l’histoire de la ville en valeur absolue, une hausse que la ville n’est absolument pas préparée à accueillir et qui renforce les problèmes d’infrastructures déjà aigus. La banlieue connaît les mêmes effets que le District. Les années de guerre marquent une accélération des tendances de croissance établies auparavant. Le comté d’Arlington est le plus marqué. Il est voisin de la capitale et accueille un nombre non négligeable de bâtiments fédéraux à partir de 1940, au premier rang desquels le Pentagone, qui rassemble 32 000 employés en 194540.

35 C. HURD, Washington Cavalcade, p. 270-271.

36 “‘Boom-Time’ Washington,” The Tuscaloosa News, 17 juillet 1941. 37 AWS, p. 18.

38 J.C. Capt, directeur du Bureau of Census, Lettre au Sénateur Overton, Dept. of Commerce 3 janvier 1945,

(Records of the United States Senate, 79th Congress, Committee on Appropriations). 39 SA (1940 à 1945)

150 2. Le temps des incertitudes (1943-1945)

À partir de 1943, la croissance de la capitale semble atteindre ses limites. Après un accroissement toujours plus fort d’année en année, de décennie en décennie, la tendance s’inverse soudainement. Entre 1943 et 1945, la ville perd 15 000 habitants, ce qui constitue une baisse de 1,7 %. Cette baisse est toutefois à considérer avec prudence, car elle est conjoncturelle. Elle est principalement due au départ des jeunes washingtoniens pour le front. Ce renversement peut paraître tardif, étant donné que les États-Unis sont entrés en guerre en décembre 1941, mais il s’explique aisément. En effet bien que la conscription ait été lancée dès septembre 1940, elle n’atteint sa pleine puissance qu’en 1942 et 1943. On constate dans le tableau ci-dessous que le nombre de conscrits passe brusquement de 920 000 à plus de 3 millions entre 1941 et 1942.

De plus, les appelés doivent être entraînés avant d’être envoyés au front. Par conséquent, même si le délai entre la notification de conscription et le départ au front tend à diminuer au cours de la guerre, il est au moins de plusieurs mois, parfois de plus d’un an. Or les conscrits ne sont retirés des statistiques démographiques de leur ville d’origine que lorsqu’ils quittent le pays41. Donc, si la conscription atteint sa pleine puissance en 1942 et 1943, les départs atteignent

quant à eux leur pic six à 12 mois plus tard. Leur effet se fait ainsi pleinement sentir à partir de 194342.

Figure 26 - Nombre de conscrits appelés sous les drapeaux aux États-Unis (1940-1946)43 Année Nombre d’appelés

1940 18 633 1941 923 842 1942 3 033 361 1943 3 323 970 1944 1 591 942 1945 945 862 1946 183 383 41 SA (1944 à 1950)

42 J. S. BROWN, Draftee Division: The 88th Infantry Division in World War II, chap. 1; N. RAIFORD, Shadow: a

Cottontail bomber crew in World War II, p. 39.

151 Cette tendance n’est pas propre à la capitale. Elle se vérifie à l’échelle du pays. Au niveau national, l’accroissement naturel cesse de compenser les départs des soldats à partir d’avril 1943. Au cours des mois qui suivent, tandis que la population américaine totale augmente, la population qui vit effectivement aux États-Unis commence pour sa part à décroître44.

L’intensification des départs pour le front se conjugue de plus à la réduction du nombre de fonctionnaires fédéraux dans la capitale (annexes 2 et 3). Au niveau national, le gouvernement ne réduit ses effectifs qu’à partir de 1946, mais dans le District, l’apogée est atteint en 1943. Entre 1943 et 1945, la ville perd 23 000 emplois de fonctionnaires fédéraux. Ce sont principalement les agences créées entre 1939 et 1941 pour gérer ou soutenir l’effort de guerre qui voient leurs effectifs diminuer à partir de 1943. L’Office for Emergency Management45 (OEM)

passe ainsi de 24 500 employés en 1943 à 17 400 deux ans plus tard. Les ministères de la Guerre et de la Marine voient également leurs effectifs diminuer au cours de cette période. Ils passent respectivement d’un maximum de 57 200 à 51 700 pour le premier entre 1943 et 1945, et d’un maximum de 51 450 à 46 700 entre 1944 et 1945 pour le second.

Au même moment, la croissance très forte de la banlieue se ralentit également. La pénurie de matériaux de construction due à la guerre limite en effet drastiquement la construction de nouveaux logements. Mais contrairement au centre-ville qui perd des habitants, la périphérie continue à croître. Entre 1940 et 1944, le District est passé de 663 000 à 881 000 habitants46,

tandis que la banlieue est passée de 305 000 à 505 000. Par conséquent, la part du District dans la zone métropolitaine a continué à se réduire. Elle est passée de 69 % en 1940 à 63 % en 194447.

En 1945, Washington maintient toutefois un net ascendant sur la banlieue. Un ascendant plus fort qu’il ne l’est dans d’autres villes américaines comparables. Cette année-là, ainsi, 83 %

44 Bureau of the Census, Population Special Reports, Series P-44, n° 14, 26 juin 1944; n° 21, 8 décembre 1944. 45 Bureau de gestion des situations d’urgence

46 SA

47 “Population Shows Rise Of 30 Pct.”, WP, 9 août 1949, p. B1 ; “`48 Population For D.C. Area Hits

152 de la vente au détail de la région sont encore réalisés dans le District. Au même moment, cette proportion est d’environ 65 % à Philadelphie et de 75 % à Milwaukee.

Figure 27 - Proportion des ventes au détail de la région réalisées dans la ville48

D.C. Philadelphie Milwaukee Dayton

1929 88,7 68,5 79,7 71,8

1939 83,5 66,5 78,7 69,2

1945 83 75,5 63

À la fin de la guerre, l’avenir démographique immédiat de la capitale apparaît donc comme incertain. La future évolution du nombre d’habitants, annoncée par les contemporains comme une poursuite de la hausse des années antérieures, peut être mise en doute par les tendances vérifiées à partir de 1943. De plus, le changement de dynamique entre le District et sa banlieue peut se révéler temporaire ou pérenne.

Les incertitudes concernent également la structure de la population locale. Dans ce domaine, un indice du changement à venir apparaît en 1943. Au début de la guerre, population noire et population blanche s’accroissent toutes deux de manière importante. Le conflit provoque en effet dans le District comme dans d’autres métropoles un afflux de migrants noirs venus du Sud à la recherche d’opportunités professionnelles, mais il attire également nombre de travailleurs blancs, notamment des femmes, à la recherche eux aussi d’opportunités professionnelles. Nombre de ces femmes deviennent de fameuses « G Girls », expression familière de l’époque pour les Government Girls. Par conséquent, les proportions de Noirs et de Blancs ne se trouvent guère affectées en 1943. Entre 1943 et 1945, toutefois, la population noire continue à augmenter légèrement tandis que la population blanche connaît une légère baisse49. C’est un signe avant-

coureur d’une tendance de fond à venir.

48 “Washington Trends,” Washington Board of Trade News, May 1947.

49 Ces tendances ne sont pas directement extraites d’estimations de population mais elles sont discernables dans

les chiffres de scolarisation de la capitale. Bien que les nombres respectifs d’élèves noirs et blancs ne soient pas le reflet exact des variations de la population, ils en sont une bonne indication.

153 La baisse de la population washingtonienne, l’ascendant pris par la banlieue sur le centre et le renversement du ratio Noirs/Blancs sont autant de signes précurseurs de futures tendances de long terme. Pour autant, la baisse pérenne de la population de la capitale est encore loin d’être lancée. Le phénomène de périurbanisation n’a pas atteint sa pleine puissance et la population blanche restera majoritaire pendant plus de 10 ans. Il faudra attendre l’après-guerre pour voir ces phénomènes se réaliser.

Une certitude demeure en 1945 : l’heure est au règlement des problèmes d’infrastructures. Déjà importants dans les années 1930, ils sont devenus majeurs avec l’explosion démographique du début de la guerre. La circulation automobile est désormais infernale, les trolleys sont bondés, les infrastructures permettant l’approvisionnement en eau, en électricité et l’évacuation des eaux usées ne sont plus adaptées à une population devenue trop nombreuse. La ville ne cesse de construire des immeubles de bureaux temporaires qui poussent comme des champignons jusque sur le Mall, comme l’indique la photo ci-dessous, mais restent insuffisants. Les logements temporaires bâtis à la hâte pendant le conflit ne suffisent pas à éponger la forte croissance de la population, ce qui transforme la situation précaire de l’avant-guerre en pénurie.

Figure 28 - Le Mall en 194350

50 Cette photo, prise par Charles Baptie en 1953, montre le Mall, avec le Lincoln Memorial au premier plan et le

Capitole en arrière-plan. On peut voir les nombreux bâtiments temporaires situés entre le Lincoln Memorial et le Washington Monument, à gauche et à droite de la Reflecting Pool.

154 II. Loger les Washingtoniens : la pénurie à l’œuvre

Dans la capitale américaine, la qualité des logements est une question récurrente. Depuis le milieu du XIXe siècle, la ville est en effet connue pour ses alley dwellings : ces maisons d’impasse, formes d’habitat précaire et souvent insalubre, pour certaines à deux pas du Capitole, qui abritent de manière très sommaire les plus pauvres du District. L’échec des autorités à les faire disparaître a maintenu ce problème sur le devant de la scène décennie après décennie.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la conjonction entre une brusque croissance démographique et un rythme insuffisant de construction de logements conduit à une crise sérieuse à Washington. Le problème de qualité du logement demeure, il s’aggrave même, et il est désormais combiné à un problème aigu de quantité. À partir de 1940, c’est en effet un cercle vicieux qui s’instaure : la pénurie de logements conduit à une surpopulation dans les logements existants, qui se dégradent peu à peu.

Dans cette partie, nous étudierons tout d’abord l’impact de la guerre sur la situation du logement dans la capitale. Ensuite, nous regarderons plus précisément le sort des personnes les plus touchées par les difficultés de logement : les pauvres et les Noirs, ainsi que les mesures prises pour leur venir en aide. Enfin, nous nous concentrerons sur le développement des taudis.

A. Une situation tendue qui s’aggrave pendant la guerre