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Chapitre 5 – Le processus menant à la décision de devenir parent : entre projet

5.1. Devenir parent par l’entremise d’un projet d’enfant

5.1.1. L’émergence du projet d’enfant et son caractère implicite

Dans les parcours d’entrée dans la parentalité planifiée, les données colligées suggèrent que le projet d’enfant émerge de façon implicite au sein du couple, par l’entremise d’un premier échange entre conjoints visant à confirmer leur désir réciproque d’avoir un enfant un jour ou

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l’autre, sans égard à l’union amoureuse. Cette façon d’initier la planification de la venue d’un enfant traduit, croyons-nous, un souci d’articuler l’union amoureuse naissante aux aspirations familiales, souci qu’il ne convient pas cependant d’exprimer explicitement au conjoint dans les premiers temps de la relation de couple.

La confirmation d’un désir d’enfant partagé au sein du couple

Tous les répondants à l’enquête, nous l’avons mentionné au chapitre précédent, ont intériorisé, à un moment ou l’autre de leur existence, un désir d’enfant individuel, c’est-à- dire le souhait de devenir parent un jour ou l’autre. Dans les parcours d’entrée dans la parentalité planifiée, il ressort l’exigence tout à fait fondamentale d’un désir d’enfant partagé au sein du couple. D’aucune façon on ne consentirait à avoir un enfant en dépit d’un désir ambigu ou absent de l’un ou l’autre des conjoints, pas plus qu’on ne souhaite avoir à convaincre un(e) partenaire réticent(e) à l’idée d’avoir un enfant. Tous sont sensibles à l’idée que le désir d’enfant soit éprouvé mutuellement dans le couple :

Je ne pouvais pas dire : « ben mon chum en veut pas, j’en aurai pas ».

[…] …Si

toi tu ne veux pas d’enfants, je ne veux pas avoir à te convaincre, je veux que ce soit un intérêt commun (Jessica).

C’est trop sérieux. Et c’est trop important pour le faire à la légère, pour le faire pour quelqu’un d’autre. Il ne faut pas que tu le fasses pour ta conjointe, parce qu’elle a tellement envie, elle en veut tellement un. Il faut que tu en veuilles un aussi (Sylvain).

Ces résultats s’apparentent à ceux d’autres enquêtes qui insistent sur l’idée selon laquelle l’entrée dans la parentalité repose aujourd’hui en grande partie sur un choix de couple librement consenti et raisonné par chacun des conjoints (Le Voyer, 1998; Loilier-Régnier, 2007). La venue d’un enfant est avant tout fonction de la volonté et de la liberté des individus plutôt que du conformisme à une institution ou à des normes collectives, d’où la valorisation accrue au sein du couple d’un désir d’enfant partagé des conjoints.

L’exigence de simultanéité du désir d’enfant marque l’émergence d’un projet d’enfant implicite au sein du couple. Dans les premiers temps de l’histoire amoureuse, généralement avant qu’il n’y ait cohabitation, survient une première discussion entre conjoints qui vise à confirmer réciproquement le désir d’enfant de l’autre. Ce qui caractérise avant tout cet

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échange initial est qu’il ne porte que sur l’intention de chacun des conjoints d’avoir un enfant un jour ou l’autre, sans égard à la relation amoureuse en cours. En aucun cas il n’est fait allusion à un quelconque projet d’enfant commun avec le conjoint. Ce qui importe est d’obtenir une confirmation de l’existence d’aspirations familiales du partenaire.

Typique de la plupart de ces parcours d’entrée dans la parentalité, cette manière d’aborder pour la première fois avec le conjoint le sujet de la venue éventuelle d’un d’enfant suggère, d’une part, une volonté d’articuler plus ou moins étroitement la constitution du couple et sa pérennité aux aspirations familiales exprimées par chacun des conjoints. Sans faire nécessairement du désir d’enfant partagé une condition à l’existence immédiate du couple, la plupart sont certes soucieux de s’assurer que la relation naissante soit « valable » au regard de la réalisation éventuelle d’un projet d’enfant. Or, en début d’histoire amoureuse, il n’est pas de mise de parler avec son partenaire des futurs enfants qu’on aura ensemble. Avant d’en venir à projeter la venue de « nos enfants », il convient d’avoir mis à l’épreuve un certain temps la relation avec le conjoint. Quelques participants expriment d’ailleurs le souci de ne pas interpeller leur partenaire, dans les premiers temps d’existence du couple, quant à l’éventualité d’avoir des enfants ensemble :

Tu ne peux pas commencer à arriver et dire : « heille, on va tu avoir des enfants ? ». Ça peut être perçu un peu…un peu comme agressif. Dans le sens que justement tu viens de connaître la personne, tu ne fais pas : « heille on se met tu à avoir des enfants ? ». […] Tu ne veux pas bousculer les choses. Et des fois c’est cave parce que tu as le goût de bousculer, parce que c’est de même que tu te sens, sauf que…par une espèce de décret social tu te dis ne faut pas que tu te mettes à brusquer les choses (Marc-André).

Je pense que j’en ai fait plus dans ma tête au départ avant de lui en parler, pour être sûr de ne pas l’effrayer, pour pas après trois semaines ou un mois lui dire. « On va avoir des enfants, on va se marier, ». Parce que je ne voulais pas l’effrayer avec ça (Jessica).

C’est sûr que si je lui avais parlé d’enfants la première fois je l’aurais vu il aurait peut-être viré de bord là [rire]. Mais…ça s’est bien passé. Je ne pense pas lui avoir fait peur (Audrey).

Comme on désire articuler les visées familiales individuelles à la relation de couple dès les premiers temps de l’histoire amoureuse, mais qu’il n’est pas de mise à ce moment d’exprimer au conjoint un projet d’enfant commun, la confirmation d’un désir d’enfant partagé permet

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de projeter implicitement l’union amoureuse dans la parentalité, c’est-à-dire de « valider », sans l’exprimer, sa pertinence au regard de la concrétisation d’un projet parental, advenant le maintien et la consolidation de l’union :

Tu disais tout à l’heure que la première fois que vous avez commencé à en parler, c’était vraiment au tout début…?

Ben…on a comme validé l’idée qu’un et l’autre on en voulait quand on a commencé à sortir ensemble. Parce que pour moi c’était quelque chose qui n’était pas négociable vraiment. […] Un comme l’autre, surtout pour moi, je pense que ça aurait été vraiment plus cul de sac de…je m’embarque dans une histoire, mais je ne vois pas de bout parce que ça ne pourrait pas… […] S’il n’en avait pas voulu, c’est sûr que s’aurait été un « deal breaker » (Jessica).

C’est sûr que c’est dans la première année, possiblement même dans les premiers 6 mois. […] Tu sais, tu questionnes l’autre à savoir si elle a l’idée d’avoir des enfants, et combien elle veut avoir d’enfants. […] Si la personne dit : « heille non, moi je ne veux jamais avoir d’enfant et je déteste ça, ça m’énerve », ben c’est ben beau, je l’aurais aimé, mais…je me serais tout de suite, dans ma tête […] « bon cette personne-là n’est pas bonne pour moi ». Donc tu veux au début juste t’assurer que la personne veut avoir des enfants, pour que la relation soit valable (Marc-André).

Ah c’est sûr qu’au tout début on en a parlé : « Toi, est-ce que tu veux des enfants plus tard ? » Parce que pour moi c’était important […] de ne pas vouloir s’engager trop…s’engager comme il faut avec quelqu’un qui ne veut pas d’enfant. Moi ça ne m’intéressait pas. Et elle, ça ne l’intéressait pas non plus (Luc).

L’analyse des récits laisse à penser que l’âge à la formation du couple peut avoir une certaine incidence quant au moment où survient cette confirmation d’un désir d’enfant simultané des conjoints dans l’histoire amoureuse. Chez ceux et celles dont l’union menant ultérieurement à la parentalité se forme à un très jeune âge, soit avant l’entrée dans la vingtaine, ce premier échange ne semble pas se produire tout à fait en début de relation. Ces répondants mentionnent plutôt avoir tenu cette discussion au fil du temps, dans les années qui ont suivi la formation du couple :

Je ne me souviens plus vraiment des vraies dates, de dire exactement à partir de quelle année dans notre relation ça a commencé à se discuter. Mais d’après moi peut-être assez tôt. Elle m’a peut-être posé la question à savoir : « est-ce que c’est dans tes plans un jour d’en avoir ? ». […] Je pense même peut-être dans les premières années, de si j’en voulais (Sébastien).

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Ben là en sortant mettons de la première journée de notre relation, c’est sûr qu’on n’en a pas parlé tout de suite d’enfant là. Mais ça s’est parlé, mettons, au fils des temps là. […] Des fois c’était comme des petites questions comme ça, pour savoir : « ha tu sais, tu aimerais tu ça avoir des enfants plus tard » Il disait : « Ha oui » (Audrey).

Comme ces unions ont débuté à la sortie de l’adolescence, les questionnements relatifs aux aspirations familiales du compagnon de vie sont possiblement peu présents dans les premiers épisodes de l’histoire amoureuse, à un âge où les relations sentimentales sont souvent vécues au présent par les partenaires, sans qu’il y ait « existence de projets communs impliquant explicitement ou implicitement une projection de l’union dans la durée » (Lemieux et Bernier, 1998 : 44). Tôt ou tard, survient cette première discussion visant à connaître le désir d’enfant du conjoint, généralement avant la cohabitation des conjoints.

Il en va tout autrement chez certains dont l’union ayant mené à la parentalité s’est formée plus tardivement, soit vers la fin de la vingtaine ou en début de trentaine. Pour deux répondantes, la pression ressentie de l’avancement en âge semble induire un sentiment d’urgence vis-à-vis des projets familiaux, qui incite à articuler étroitement l’entrée en couple à la venue d’un enfant. D’où l’empressement en tout début d’histoire amoureuse, voire avant la formation du couple, d’obtenir confirmation non seulement d’un désir d’enfant partagé, mais également d’une certaine simultanéité des calendriers entrevus d’entrée dans la parentalité, afin de s’assurer du bien-fondé de l’union au regard de la réalisation d’un projet d’enfant dans un horizon temporel relativement court. Dans ces récits, l’existence même de la relation apparaît quasi conditionnelle à la « validation », d’entrée de jeu, de la concordance des aspirations familiales exprimées par chacun des conjoints :

Je voulais qu’il soit au courant, qu’il ait connaissance que j’avais cette crainte-là de…Que je voulais une famille et que je trouvais que j’étais déjà rendu vieille. Il l’a su dès le début.

Ok. Il l’a su dès le début que c’était une priorité, finalement ?

Ouais, que c’était une priorité pour moi. Et que c’était une déception […] à ce moment-là dans ma vie de ne pas déjà avoir une famille, de ne même pas avoir de plan concret de famille. Tout de suite au départ dans le couple ça été…la question s’est posée : « En veux-tu ? Et dans quelle échelle [de temps] c’est possible ? ». […] Avant ou dans les premières semaines de relation, j’ai dû mettre de l’avant (Karine).

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On sortait pas ensemble, et on dirait que le fait qu’on sortait pas ensemble, on n’avait comme…[…] On n’avait pas d’attentes là. C’est pas comme quand tu es avec quelqu’un, mais que là tu oses pas trop en parler, tu te demandes qu’est-ce qu’il va répondre à ça. Tu sais, tu veux pas qu’il dise : « Eille tu es ben vite en affaire ». Donc on avait comme pas cette barrière-là. […] Je lui disais : « moi je veux une famille, je veux des enfants, la famille c’est important ». Et lui aussi il m’expliquait un petit peu qu’est-ce qu’il voulait, donc. […] Je me disais : « S’il part à la course parce que je lui dis ce que j’ai à lui dire, tant pis. Ce sera juste du temps de pas perdu » (Lydia).

S’il semble difficile d’affirmer qu’il y a dans ces parcours la formulation d’un réel projet d’enfant commun aux conjoints dès l’entrée en couple, ces propos suggèrent néanmoins qu’on aborde de façon très concrète les visées familiales respectives des partenaires et leur réalisation prochaine dans le cadre de l’union amoureuse naissante. En raison de la pression ressentie de l’avancement en âge, la projection de l’union dans la parentalité par la confirmation d’un désir d’enfant partagé s’effectue très tôt dans l’histoire amoureuse, et ce, de façon moins implicite qu’elle ne l’est chez les autres répondants.