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Chapitre 5 – Le processus menant à la décision de devenir parent : entre projet

5.2. Devenir parent à la suite d’une grossesse non planifiée

5.2.2. La décision de mener à terme la grossesse : prérogative des femmes

Nous avons relevé à la section précédente que la réciprocité entre conjoints est largement constitutive du développement du projet d’enfant, notamment au regard du désir d’enfant et des calendriers d’entrée dans la parentalité. Il en va autrement des parcours caractérisés par un épisode de grossesse non planifiée. Les données recueillies suggèrent que la décision de mettre au monde l’enfant se rapporte d’abord aux femmes. Quelles que soient les circonstances ayant présidé à l’épisode de grossesse non planifiée, cette décision se veut ultimement la prérogative des femmes, qui seules portent l’enfant, et qui auront soit à vivre l’expérience de l’avortement, soit à poursuivre la grossesse et à donner naissance.

Il en découle que, dans ces parcours, la venue d’un enfant n’implique pas nécessairement un souhait partagé des partenaires de conduire à terme la grossesse. Le primat de la volonté des femmes en conduit certaines à faire fi du point de vue de l’homme, que ce soit sans s’enquérir

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de son avis ou en allant à l’encontre de celui-ci, s’il évoque la possibilité d’interrompre la grossesse. Tel est le cas de deux des trois participantes qui, célibataires lorsqu’elles tombent enceinte, choisissent d’entamer seules leurs réflexions au regard de la décision de donner naissance ou d’interrompre la grossesse, sans égard à l’opinion du partenaire. Plus précisément, Caroline désire prendre sa décision avant d’en informer le père, lequel habite une autre région, consciente de devoir assumer seule les responsabilités parentales en choisissant de mener à terme la grossesse. De son côté, Josée avise son partenaire qu’elle est enceinte, lui mentionnant par la même occasion qu’elle prendra éventuellement une décision, indépendamment de la position de celui-ci :

J’ai fait le choix de prendre ma décision moi seule. De si je veux être mère ou pas, avant de la partager avec le papa…ou ma famille. C’était vraiment…j’ai voulu prendre la décision pour moi, parce que finalement c’est moi qui assume le rôle de maman, de parent, la responsabilité économique, c’est moi qui fait tout actuellement. Donc, je voulais être moi bien avec ma décision (Caroline). Il m’a dit « tu me niaises, je ne m’enlignais pas là-dessus ». Je lui dis « je comprends. Fais tes réflexions. Je le sais que c’est gros ce que je viens de t’annoncer. Réfléchis de ton côté. Mais moi sache que je réfléchis de mon bord et peu importe la décision que tu vas prendre, je m’en criss à la limite, tu comprends ». De façon moins vulgaire là, mais c’était ça (Josée).

Dans le même ordre d’idée, les propos de Maxime indiquent clairement que ce dernier eut préféré que la grossesse soit interrompue, ce à quoi s’est largement opposée sa conjointe, qui a décidé de mener celle-ci à terme :

Et quand vous en avez parlé, lorsqu’elle t’a annoncé la grossesse, avez-vous pensé à peut-être ne pas le garder ? Est-ce que ça été une possibilité ?

Oui…Mais pas pour elle. Pour moi, moi je…Dans le fond c’est elle qui avait le gros bout du bâton. On ne se le cachera pas, de toute façon, si jamais moi je veux qu’elle se fasse avorter et qu’elle ne veut pas, il n’y a pas moyen…il n’y a pas de pression à faire là. C’est elle qui décide de le garder, oui ou non. […] Moi j’ai comme fait un peu de pression dans le genre : « on pourrait attendre, on pourrait se reprendre ». Mais, de ses dires à elle, ce n’était pas une question. Donc il était question qu’elle garde le bébé, finalement (Maxime).

Autrement, la décision de mettre au monde l’enfant peut également faire l’objet d’un consensus entre les partenaires, dans la mesure où la volonté de l’homme s’accorde à celle de la femme. Rachel, qui n’était pas en couple lorsqu’elle apprend être enceinte, souligne

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ainsi qu’elle souhaitait prendre une décision concertée avec son partenaire, que tous deux soient d’accord pour mener à terme la grossesse. Ce dernier lui avait alors signifié être disposé à appuyer la décision de sa partenaire, quelle qu’elle soit :

C’était comme un consensus aussi de nous deux. Autant moi là […] j’aurais eu beaucoup de misère à me faire avorter. Mais je ne voulais pas non plus que ce soit juste ma décision, parce que c’est la décision aussi du père. Parce que, bon, un bébé ça se fait à deux.

Et lui, quand tu lui en avais parlé, dans ce qu’il te disait, est-ce que…Lui, est-ce qu’il t’avait dit : « est-ce que tu as pensé à te faire avorter ? », ou de trucs comme ça ?

Non, non. Là-dedans, c’était…et même je me souviens ce qu’il m’a dit : « peu importe la décision, je vais être là ». […] Donc ça revenait à ma décision (Rachel).

Désirant prendre une décision partagée avec son partenaire, Rachel précise néanmoins à plusieurs reprises qu’elle aurait difficilement pu se faire avorter, un élément important de son récit - nous y reviendrons. Sur la base des données colligées, il y a ainsi fort à parier que celle-ci aurait mené à terme la grossesse quel que soit l’avis de son partenaire à cet égard. Autrement dit, s’il y a consensus entre Rachel et son partenaire, c’est parce que la volonté de ce dernier s’accorde à celle de la participante.

De même, chez Charles et François, la décision de donner naissance à l’enfant semble faire l’objet d’un consensus au sein de leur couple respectif. Ainsi, Charles mentionne que la possibilité de l’avortement n’a pas été envisagée, lui et sa conjointe s’accordant pour mener à terme la grossesse. De son côté, François indique avoir réagi favorablement à la venue d’un enfant, lorsque sa conjointe lui a annoncé être enceinte :

Ce n’était pas dans son idée de faire un avortement d’un enfant de moi. Ça ne cadrait pas avec…son sentiment. […] Il n’y avait pas de discussions à savoir : « On le gardes-tu ? On le garde tu pas ? ». […] C’est arrivé dans un nid d’acceptation (Charles).

Quand ma copine actuelle est tombée enceinte, […] j’étais content et…je l’assumais à 100 %. […] Je pense que les deux on était rendu là (François).

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Il est à noter que, lors de ces deux entretiens, les participants ont été peu loquace en ce qui concerne les échanges tenus avec leur conjointe relativement à la possibilité d’interrompre la grossesse. Certes, l’option de l’avortement peut ne pas avoir été entrevue par ces couples. Il est néanmoins possible que l’un ou l’autre des conjoints aient envisagé cette éventualité, et que les répondants aient pu oublier d’en faire mention ou ne pas être disposés à l’évoquer lors de l’entretien, compte tenu du caractère très sensible des réflexions et des échanges entourant la possibilité d’un avortement. Ainsi, bien que Charles mentionne que l’option de l’avortement était exclue par sa conjointe, celle-ci, comme rapporté plus tôt, lui avait clairement indiqué, en début de relation, ne pas désirer d’enfant. En outre, le participant souligne à quelques reprises le choc vécu par sa conjointe en apprenant être enceinte, elle qui avait donné naissance à un enfant il y a plusieurs années dans le cadre d’une précédente relation :

Ben pour elle ça été très simple. Au début ça été vraiment rushant d’apprendre ça, parce que là elle s’est vu reculer en arrière. […] Et en plus, son déjà vu, ce n’est pas nécessairement quelque chose qu’elle voulait (Charles).

De son côté, François mentionne que le moment auquel est survenue la grossesse n’était pas le plus approprié pour faire un enfant, précisant que sa conjointe était alors aux études et que le couple ne cohabitait toujours pas ensemble. Ces conditions d’entrée dans la parentalité, ajoute-t-il, avaient rendu sa conjointe quelque peu anxieuse :

Ma copine à l’époque, elle était à l’école. […] Et moi j’étais à Trois-Rivières. Elle, elle était à Lévis. La situation n’était pas idéale. […] Donc on se disait... On savait que ce n'était peut-être pas le meilleur des timming. Mais… je pense que c’est surtout [ma copine]… Au début, ça la rendait un peu anxieuse (François).

Quels que soient les motifs de la conjointe sous-jacents à la décision de conduire à terme la grossesse, on ne peut exclure que la possibilité d’un avortement ait été évoquée chez ces couples - bien qu’il soit impossible d’en avoir la certitude. En dépit de ce biais potentiel, ces deux récits suggèrent néanmoins, nous l’avons évoqué, un consensus au sein du couple au regard du choix de mettre au monde l’enfant.

Dans la mesure où la décision de mener à terme la grossesse reflète d’abord la volonté des femmes, chez ces dernières, le processus menant à l’engagement de soi à se reconnaître

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auprès d’autrui dans le statut de mère se joue d’abord autour de cette décision. Dans le cas où la possibilité de l’avortement est exclue, une seconde décision, implicite ou formelle, s’impose aux femmes : assumer leur statut de mère, en s’acquittant des responsabilités associées à ce statut, ou placer l’enfant en adoption. Peu fréquent, le scénario de la mise en adoption de l’enfant à naître n’a été évoqué dans aucun récit. Ainsi, la décision des femmes ici concernées de « garder l’enfant » traduit leur choix de donner naissance et d’assumer leur statut de mère. L’expression « garder l’enfant » est employée pour la suite des choses afin de référer à cette double décision des femmes, constitutives de leur engagement à se reconnaître auprès d’autrui dans le statut de parent.

Du côté des hommes, un tel engagement se joue un peu différemment, dans la mesure où, nous l’avons vu, leur volonté de conduire à terme la grossesse ne s’actualise que lorsqu’elle est en accord avec celle exprimée par la partenaire. Ainsi, le processus menant à l’engagement des hommes à se reconnaître auprès d’autrui dans le statut de père, intimement lié à la décision des femmes de donner naissance à l’enfant, semble se jouer plus strictement autour de la décision d’assumer leur statut de père, ainsi que les rôles et responsabilités associés à ce statut. En pratique, ce processus décisionnel peut certes se confondre avec celui de « garder l’enfant », notamment lorsque les deux partenaires sont favorables à accueillir un enfant, la volonté de l’homme en ce sens traduisant sa décision d’assumer son statut de père – tel est le cas de Charles et François. Autrement, le processus menant à la décision d’accepter le statut de père se révèle plus explicitement, notamment lorsque la décision de mener à terme la grossesse est prise de façon unilatérale par la partenaire et que, par conséquent, l’homme est contraint d’accepter la naissance de l’enfant dont il est le géniteur - tel est le cas le Maxime.