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Chapitre 2 – Les enjeux relatifs au processus menant à la décision de devenir

2.2. Le désir d’enfant

Les nombreux changements sociaux, en particulier ceux ayant eu cours dans l’après-guerre, ont mené à une profonde transformation du rapport à l’enfant : la décision de devenir parent relève désormais en grande partie de la volonté des individus. Plusieurs auteurs considèrent que le désir d’enfant est une dimension importante des visées procréatives contemporaines, voire « un élément central dans la décision d’avoir ou non un enfant et de le mettre au monde quand on est prêt à le faire » (Dandurand, 2001 : 88). Pour Marcel Gauchet, les sociétés occidentales ont cessé de se structurer autour de la contrainte institutionnalisée à reproduire la collectivité qu’incarnait la famille par le biais de l’assujettissement des femmes. L’émancipation de ces dernières et la dissociation entre sexualité et reproduction ont contribué à ce que s’impose l’idéal de l’enfant désiré, par opposition à l’enfant « du désir sexuel avec ses conséquences inattendues, hasardeuses, non désirées » (2007 : 14).

Selon l’approche psychanalytique, le désir d’enfant serait présent dès l’enfance chez tous les hommes et les femmes, qu’il y ait ou non réalisation de ce désir au cours de la vie reproductive (Donati, 2000). En outre, la thèse freudienne du désir d’enfant chez les femmes stipule que l’enfant permet de combler la frustration découlant d’un manque, c’est-à-dire de l’absence du pénis. L’enfant assumerait ainsi une fonction compensatoire. Le désir d’enfant masculin relèverait quant à lui davantage de l’importance que les hommes accordent à la filiation et à la continuité intergénérationnelle. Par ailleurs, la dynamique œdipienne chez les petits garçons conduirait ceux-ci à refouler davantage l’expression de leur désir d’enfant que chez les petites filles. Quoi qu’il en soit de la justesse et des implications des théories psychanalytiques, celles-ci nous apparaissent à tout le moins incomplètes. Comme le soutient Pascale Donati, bien que « les motivations conscientes du désir et du refus d’enfant [soient] infiltrée de significations inconscientes qui relèvent d’un cheminement singulier dont les fondements sont pris dans la psycho-sexualité du sujet […], il semble bien qu’on ne puisse jamais dire « le tout du désir et du non désir » de par l’existence même de l’inconscient » (2000 :34-35).

Dans le cadre de cette enquête, nous définissons plutôt le désir d’enfant selon une perspective sociologique. Suivant Renée Dandurand (2002), le désir d’enfant est appréhendé comme une composante socialement construite, « c’est-à-dire inculquée par la socialisation dans la

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famille et par les expériences vécues entre l’enfance et l’âge adulte. En somme, le désir d’enfant est influencé par l’éducation que l’individu a reçue durant son enfance, par les valeurs de sa famille, mais aussi par les expériences conjugales, professionnelles ou autre qu’il a vécues par la suite » (Dandurand, 2002 : 18).

Défini comme résultant d’un processus social, le désir d’enfant renvoie au souhait exprimé par un individu d’avoir un ou des enfants dans sa vie. Le nombre d’enfants souhaité correspond aux aspirations de fécondité en supposant que les conditions de réalisation d’un tel désir seraient réunies. Il s’agit d’une intention abstraite, indéterminée temporellement. En outre, le désir d’enfant réfère au sens accordé à la parentalité et à la place que tiennent les enfants dans le projet de vie (Dandurand et al, 1994).

Le désir d’enfant éprouvé par un individu est influencé par la socialisation primaire. La famille d’origine peut modeler des aspirations et des attentes, définir les contours des projets d’avenir et suggérer des manières d’être aux hommes et aux femmes. Qu’il s’agisse de l’éducation et des valeurs reçues, des modèles conjugal et parental hérités, la transmission familiale fournit un système de référence pouvant influencer les choix futurs, que ce soit par identification ou par opposition. Le désir d’enfant est ainsi modelé par le vécu dans la famille d’origine, qui oriente en quelque sorte le rapport à la parentalité par des projections de soi en tant que mère ou père (Donati, 2000).

Dandurand et al (1994) soulignent l’influence du climat familial d’origine sur l’intensité du désir d’enfant. Un climat convivial et harmonieux, ainsi qu’un réseau développé de sociabilité avec des parentèles seraient favorables à l’émergence d’un fort désir d’enfant. À l’inverse, les individus issus d’une famille dont les relations sont de qualité moindre – rupture conjugale, discorde parentale ou conjugale – exprimeraient un désir d’enfant faible ou absent. Dans une enquête similaire, Bernard Marier note l’influence du milieu familial d’origine sur le désir d’enfant : « Plusieurs jeunes racontent ainsi leurs souvenirs d’enfance, font état du climat familial et de l’éducation qu’ils ont reçue avant d’affirmer qu’ils veulent recréer un tel contexte » (2007 : 37). Donati (2000) rapporte quant à lui que le tiers des femmes et le quart des hommes qui affirment avoir vécu une enfance marquée par un climat familial « mauvais » ne souhaitent pas avoir d’enfant, comparativement à 6 % et 3 % chez ceux qui considèrent l’atmosphère de leur famille d’origine « bonne ».

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Outre l’intensité du désir d’enfant, les enquêtes relatent le caractère précoce ou tardif de l’émergence du désir d’enfant. La précarité socioprofessionnelle extrême aurait pour effet de décourager les hommes issus de milieux populaires de vouloir un enfant. À l’inverse, les répondants masculins exprimant un désir d’enfant précoce appartiendraient à des milieux sociaux variés, la précocité du désir d’enfant s’expliquant davantage par le climat positif de la famille d’origine rapporté par ces hommes. Les femmes de la jeune vingtaine ayant abandonné hâtivement les études et occupant un emploi peu qualifié manifesteraient quant à elles un désir d’enfant hâtif (Dandurand et al, 1997). Le Voyer (1999) note l’influence du modèle familial d’origine sur la précocité ou la tardiveté de l’expression d’un désir d’enfant. Un répondant affirme ainsi : « La famille du côté de mon père, j’ai jamais vu une entente comme ça. Et c’est vrai que pour moi, c’est un peu comme une image idéale, tous ensemble réunis, il y a toujours une véritable entente, sans chicaneries » (cité par Le Voyer, 1999 : 26). À l’inverse, ceux et celles ayant vécu des événements perturbants durant l’enfance ou ayant reçu une éducation axée radicalement sur l’indépendance et l’autonomie au détriment de valeurs familiales manifestent un désir d’enfant tardif, voire absent. Une répondante de 35ans sans enfant mentionne ainsi au sujet de sa mère : « Je pense qu’elle a très mal vécu sa condition de femme et qu’elle m’a élevée pour que je sois très indépendante, et elle a bien réussi. Avec aucun des hommes que j’ai connus, je n’ai pu m’imaginer mariée avec des enfants » (cité par Le Voyer, 1999 : 41).

Par ailleurs, l’enquête de Dandurand et al a révélé que les dispositions personnelles vis-à-vis des implications de la parentalité ne sont pas sans lien avec le désir d’enfant. Les dispositions personnelles sont en quelques sortes un « produit de l’histoire individuelle mais en tant que résultat des socialisations antérieures ainsi que des expériences vécues pendant l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte. Ces dispositions sont également alimentées par le discours des médias et des experts […] concernant les besoins des enfants et les compétences requises de leurs parents » (1994 : 95). Certains répondants masculins à cette enquête ont fait mention des dispositions personnelles nécessaires à l’exercice de la paternité contemporaine, soit l’implication efficace et équitable avec la conjointe dans l’éducation des enfants. Pour les hommes insécures et craintifs quant à leur capacité à s’acquitter de ces nouvelles responsabilités paternelles, le désir d’enfant est généralement faible ou ambigu. À l’inverse, les hommes qui expriment une intention de se conformer à ces exigences de la « nouvelle

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paternité » manifestent un désir d’enfant particulièrement intense. Bernard Marier (2007) note quant à lui que certains des participants dont le désir d’enfant est absent considèrent ne pas détenir le profil nécessaire pour être parent. Quelques femmes affirment notamment ne pas posséder l’instinct maternel afin de justifier leur refus d’avoir un enfant.

Or, le désir d’enfant n’est pas immuable. Celui-ci peut fluctuer dans le parcours de vie en fonction des aléas de l’existence. Dans un contexte social où l’entrée dans la parentalité relève désormais d’une décision personnelle ou conjugale, l’entrelacement des choix de vie opérés, des contraintes subies et des expériences vécues peut entrainer un réajustement du désir d’enfant. Par exemple, la rencontre d’un nouveau partenaire ou l’entrée dans la parentalité d’un membre de l’entourage peuvent favoriser l’émergence d’un désir d’enfant initialement absent. À l’inverse, l’instabilité conjugale et l’incertitude professionnelle, par exemple, sont propices à une réduction du nombre d’enfants souhaité (Dandurand, 1997). Par ailleurs, le désir d’enfant se manifesterait différemment chez les hommes et les femmes. Ces dernières intérioriseraient tôt dans leur parcours de vie le souhait d’avoir des enfants, tandis que l’émergence du désir d’enfant chez les hommes se produirait plus tardivement sous l’effet de la pression de l’entourage ou de la conjointe (Le Voyer, 1999; Dandurand; 2002). Selon Léon Bernier, ce rapport au désir d’enfant différencié selon le sexe expliquerait « qu’à l’intérieur d’un couple, c’est plus souvent la femme qui aborde en premier la question du projet d’enfant » (1997 : 25).

Ainsi, l’ensemble des agents de socialisation et des expériences vécues influencent le désir d’enfant éprouvé par un individu tout au long de sa vie reproductive. Un tel désir constitue l’une des modalités importantes d’entrée dans la parentalité. Par exemple, l’absence de désir d’enfant de l’un ou l’autre des partenaires conjugaux peut constituer un frein irréversible à la venue d’un enfant dans le cadre de cette union. Inversement, nous pouvons supposer que plus le désir d’enfant est fort et précoce, plus il aura tendance à s’actualiser hâtivement dans le parcours de vie.

Ceci dit, bien que le désir d’enfant soit un état ou une expérience largement répandue chez les jeunes adultes de la société québécoise, nous croyons en revanche qu’un tel désir ne constitue pas une condition nécessaire à l’entrée dans la parentalité. Il serait faux en effet de

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postuler que la venue d’un enfant doive nécessairement avoir été désirée au préalable. Par exemple, une grossesse non désirée à la suite d’un échec de contraception peut mener à une naissance.