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Chapitre 2 – Les enjeux relatifs au processus menant à la décision de devenir

2.1. Les conditions du devenir parent

Plusieurs enquêtes réalisées au cours des trente dernières années suggèrent un écart négatif entre le nombre d’enfants souhaités et le nombre d’enfants effectifs (Beaujot, 2000; Lapierre- Adamcyk, 2001; Conseil de la famille et de l’enfance, 2002; Dandurand, 2002)14. Aux dires de Gauthier et Charbonneau, « le désir d’enfant est donc très présent, mais sa réalisation est de toute évidence plus problématique » (2002 : 54)15. Un ensemble de facteurs matériels, relationnels et normatifs, qui réfèrent tant à des choix opérés qu’à des contraintes subies, sont

14 Ces études indiquent que les aspirations des jeunes adultes en matière de procréation se situent en moyenne à un peu plus

de deux enfants, alors que l’indice synthétique de fécondité au cours des 20 dernières années a atteint au plus de 1,74 enfant par femme (ISQ, 2020).

15 Lapierre-Adamcyk et Juby (2000) notent que les aspirations de fécondité sont plus élevées au début de l’âge adulte et

qu’elles diminuent tout au long du parcours de vie. Cela s’expliquerait par le fait que les jeunes adultes n’ont pas encore été confrontés aux divers aléas de la vie, qui les mènent bien souvent à réviser à la baisse leurs intentions de fécondité (Conseil de la famille et de l’enfance, 2002).

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susceptibles d’infléchir le processus menant à la décision de devenir parent. La présente section traite de ces conditions sociales à considérer dans la présente étude.

L’allongement de la jeunesse

Pour comprendre le processus menant à la décision de devenir parent, nous nous appuyons notamment sur la thèse de l’allongement de la jeunesse, proposée par Olivier Galland au début des années 1980 (Gauthier, 2007). S’inscrivant dans l’approche des cycles de vie, « utilisée pour marquer les différentes périodes de la vie, de l’enfance à la mort en passant par la maturité et la vieillesse » (Gauthier et Charbonneau, 2002 : 12), la thèse de l’allongement de la jeunesse dans les sociétés occidentales contemporaines prend en compte plusieurs facteurs sociaux qu’il importe de considérer dans l’étude du processus menant à la décision d’avoir un enfant.

Selon Gauthier, la jeunesse réfère à « cette étape entre la période de relative dépendance qui suit l’enfance et la plus ou moins grande autonomie qui caractérise le début de l’âge adulte. Les travaux contemporains présentent habituellement la jeunesse comme la période de la vie où s’inscrivent les divers passages à l’autonomie et aux responsabilités » (1999 : 11-12). Bien qu’elle ait été pensée et vécue de différentes façons suivant les époques, la jeunesse comme âge de la vie a jusqu’à récemment toujours fait l’objet d’un contrôle normatif par la société au moyen de rituels ou d’institutions balisant le passage à l’âge adulte. Après la Seconde Guerre mondiale, s’il est indéniable que plusieurs rites traditionnels d’entrée dans la vie adulte étaient tombés en désuétude depuis plusieurs années déjà, la jeunesse est demeurée encadrée par certaines institutions fortes, notamment le mariage qui officialisait toujours l’émancipation vers la vie adulte. En outre, les différents seuils d’entrée dans le monde adulte étaient particulièrement marqués à cette époque par leur synchronisme de franchissement, qui favorisait une homogénéité des âges de la vie. Les individus passaient dans un temps relativement bref de l’enfance et de l’adolescence – statut étudiant et dépendance familiale – à l’âge adulte – autonomie financière, résidentielle et affective. L’entrée dans la parentalité s’inscrivait dans cette logique de succession synchronique des étapes d’accès au statut d’adulte : la fin des études, l’accès au marché de l’emploi, le départ de la famille d’origine, la formation du couple et la venue d’un premier enfant. Dans ce modèle « traditionnel », la

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jeunesse se confondait avec l’adolescence. Il s’agissait d’une période transitoire de préparation à l’exercice des rôles adultes (Galland, 1996; Galland, 2011).

À partir des années 1960-1970, les transformations structurelles des sociétés occidentales conduisent peu à peu à un processus d’allongement de la jeunesse, c’est-à-dire à un « report à un âge plus tardif de l’entrée stable sur le marché du travail, de l’insertion résidentielle autonome et de la formation d’un couple stable » (Gauthier et Charbonneau, 2002 : 28). Il se produit également un brouillage et une désynchronisation de ces différents seuils d’entrée dans la vie adulte, menant à l’apparition d’espaces intermédiaires dans la vie professionnelle – la transition entre l’école et le marché du travail – et dans la vie familiale – la transition entre la famille d’origine et la famille de procréation (Galland, 1996; Gauthier, 2007). Pour bon nombre d’individus, la prolongation de la jeunesse participe aujourd’hui au report de l’entrée dans la parentalité. Au cours des quatre dernières décennies, l’âge moyen des femmes à la première maternité n’a cessé de croître, passant de 25 à 29 ans entre 1975 et 2017. Cette dernière année, 42 % des naissances de rang 1 ont été le fait de femmes âgées de 30 ans ou plus (ISQ, 2020). Il faut toutefois se garder d’associer le phénomène de l’allongement de la jeunesse à l’émergence d’une norme nouvelle du report de l’entrée dans la vie adulte, notamment en ce qui concerne la venue d’un premier enfant. Bon nombre d’individus accèdent encore aujourd’hui relativement tôt à la parentalité. En 2017, 20% des femmes ayant donné naissance à un premier enfant cette année-là était âgée de moins de 25 ans (ISQ, 2020). Le recours à la thèse de l’allongement de la jeunesse vise avant tout à mettre en évidence les dimensions du processus de désynchronisation des seuils d’entrée dans la vie adulte, lequel favorise une diversité empirique d’arrangements des conditions du devenir parent.

La formation du couple

Le processus menant à la décision de devenir parent s’articule à plusieurs dimensions du phénomène de l’allongement de la jeunesse. Tout d’abord, la dynamique contemporaine de formation du couple constitue un facteur important. Dans les sociétés contemporaines, le

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caractère institutionnel du mariage s’est considérablement affaibli16. Pour ceux qui font le choix d’y adhérer, ce dernier tend désormais à confirmer l’existence du lien conjugal préalablement construit par les partenaires. Indépendamment du type d’union valorisé, qu’il soit légal, religieux ou consensuel, « les jeunes dans leur majorité entrent désormais progressivement en couple, à petit pas » (Kaufmann, 2003 : 51). Ainsi, l’opposition entre le mariage et l’union libre ne renvoie pas à deux formes distinctes de conjugalité. Selon Bernier (1996), les couples qui se marient n’envisagent pas ce type d’union dans un esprit traditionnaliste et ceux qui optent pour l’union libre ne renoncent pas pour autant aux engagements à long terme17. Ces deux formes d’union constituent deux variantes de la conjugalité contemporaine qui se définit fondamentalement par son caractère évolutif et diversifié. Dans un contexte de désinstitutionalisation de l’union matrimoniale, la relation conjugale se construit désormais au quotidien.

À cet égard, plusieurs auteurs ont relaté sous diverses appellations l’émergence dans les sociétés occidentales contemporaines d’une phase préalable à la constitution du couple : le lien amoureux sans engagement. Pour Catherine Villeneuve-Gokalp (1990), la formation du couple se caractérise aujourd’hui par l’apparition de l’union stable sans engagement. L’auteure définit cette nouvelle étape de la conjugalité selon les caractéristiques suivantes : une union d’au moins trois ans, sans mariage, sans enfant. Pour sa part, Olivier Galland, en parlant du mode de socialisation par expérimentation propre à la période de la jeunesse, insiste sur la relation contemporaine du compagnonnage amoureux qu’il définit comme une étape « d’expérimentation des définitions de soi […] et des façons d’être ensemble » (cité par Bernier, 1996 : 50). Abondant dans le même sens, Denise Lemieux et Léon Bernier (1998) soutiennent que la construction du couple passe aujourd’hui par l’étape initiale de la vie à deux, laquelle n’implique pas nécessairement la cohabitation amoureuse. Selon eux, la vie à deux revêt plusieurs formes, dont la vie quotidienne séparée chez les parents, la vie en appartement avec des colocataires avec ou sans cohabitation avec le partenaire, puis la cohabitation à deux. La révolution sexuelle et contraceptive depuis les années 1960 ayant conduit à dissocier la sexualité du lien marital, cette phase initiale se caractérise

16 Pour plus de détails concernant le déclin du système matrimonial traditionnel au Québec depuis les années 1960, voir

chapitre 1, section 4 du présent document.

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essentiellement par une liaison amoureuse et sexuelle et, parfois, par un projet de cohabitation (Bernier, 1996). Comme le soutient Jean-Claude-Kaufmann, cette nouvelle étape de « quasi- conjugalité » fait ressortir le paradoxe « suivant lequel la précocité sexuelle précipite la formation du lien tout en ralentissant la formation du couple » (1993 : 83). Essentiellement vécu au temps présent, le compagnonnage amoureux constitue une phase préliminaire d’exploration permettant aux partenaires amoureux de prendre la mesure de leur capacité à fonder, ensemble, un univers commun (Bernier, 1996).

La constitution du couple, par rapport à la vie à deux, se manifeste par « l’existence de projets communs impliquant explicitement ou implicitement une projection de l’union dans la durée. Cela équivaut à dire qu’il y a couple quand les partenaires se donnent des signes de leur engagement mutuel » (Lemieux et Bernier, 1998 : 44). Une enquête menée par Denise Lemieux et Léon Bernier portant sur la formation du couple montre que, si pour certains, l’engagement s’exprime essentiellement à travers des gestes concrets du quotidien, bon nombre de jeunes couples manifestent un besoin de ritualiser leur union par des signes d’engagement mutuel. Certains d’entre eux ont recours à divers rituels intimes et réservés aux seuls conjoints, tandis que d’autres valorisent des rituels visant à publiciser le lien conjugal – les fiançailles et le mariage, par exemple. Pour ceux et celles qui rejettent ces formes de ritualisation symbolique, le projet d’enfant peut représenter le signe de l’engagement conjugal (Lemieux et Bernier, 1998; Lemieux, 2003b).

Comme le souligne Léon Bernier (1996), les qualités valorisées d’un conjoint avec qui on souhaite s’engager dans la durée peuvent diverger des qualités d’un compagnon avec lequel une union amoureuse est essentiellement entretenue au temps présent. Pour certains hommes ou femmes investis dans de longs parcours scolaires, les relations amoureuses, nous l’avons dit, peuvent être vécues quotidiennement « sur le mode d’une fonction restauratrice et compensatoire de la dépense physique et psychique consentie pour s’assurer une place dans l’espace social » (Bernier, 1996 : 55). Ainsi, le ou la partenaire à ce moment peut ne pas posséder le bagage social et psychologique souhaité pour remplir les rôles futurs de conjoint(e) et de parent. Le départage des candidats à cet effet, dit Bernier, survient souvent à la fin du parcours scolaire lors de l’entrée dans la vie professionnelle, les projets conjugaux et familiaux devenant davantage préoccupants à ce moment des parcours de vie. Plusieurs

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expériences conjugales sont ainsi souvent vécues avant de songer aux engagements à long terme avec un partenaire amoureux.

Le processus de construction du couple dépend essentiellement de la capacité subjective et réflexive des partenaires à se doter d’une histoire commune en créant une relation sociale d’intimité qui puisse satisfaire les désirs et les aspirations personnelles de chacun (Lemieux, 2003a; Kaufmann, 2003). Pour François de Singly, l’une des conditions de possibilité essentielle de la mise en couple actuelle a trait à l’épanouissement personnel des individus. La prédominance du lien affectif sur l’a priori institutionnel fait en sorte que les identités individuelles se mêlent à l’identité conjugale, qu’il faut « être deux sans se confondre » (cité par Dandurand et Hurtubise, 2008). Ainsi, la construction d’un univers commun, d’un espace d’intimité par l’accumulation de décisions et de gestes symboliques doit permettre à chacun de construire son identité personnelle, si bien que la formation du couple exige le respect des attentes mutuelles des partenaires. Pour reprendre l’expression de Lemieux et Bernier, « avant on se mariait pour la vie, pour le meilleur et pour le pire, aujourd’hui on tend à former un couple pour le meilleur » (1998 : 42).

Plusieurs enquêtes relèvent l’importance accordée, par les hommes et les femmes, à la formation du couple dans le processus menant à la décision d’avoir un enfant. Bien que plusieurs d’entre eux soient conscients qu’une rupture conjugale puisse survenir un jour ou l’autre (Dandurand, 2002), la plupart, affirment Bernier et Lemieux (1998), envisage l’entrée dans la parentalité à l’intérieur du cadre d’une relation conjugale stable orientée dans la durée. Des enquêtes menées auprès de jeunes adultes sans enfant font état de l’importance accordée à la solidité de la relation conjugale comme condition d’entrée dans la parentalité (Marier, 2007; Dandurand et al, 1994). Se rapportant aux nombreuses ruptures d’union ou aux difficultés que doivent affronter les familles recomposées, plusieurs répondants affirment vouloir être certain qu’il s’agisse de la bonne personne, et que les projets d’avenir avec le conjoint seront durables. Les jeunes femmes attendent notamment de leur conjoint et père de leur enfant qu’il puisse s’intégrer sur le marché du travail, qu’il respecte leurs aspirations personnelles, qu’il soit désireux de formuler des projets communs, notamment celui d’avoir un enfant, et qu’il soit capable d’assumer une part des responsabilités parentales, dont la présence affective régulière auprès des enfants. Les hommes se font quant à eux plus discrets

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vis-à-vis de leurs attentes à l’égard de leur conjointe et du rôle de mère qu’elle aura à tenir, mentionnant bien souvent qu’une mère est nécessairement une bonne mère. Dans une enquête visant à connaitre les valeurs des jeunes Québécois et Québécoises de 14-19 ans, Chantal Royer (2009) souligne par ailleurs le souci de plusieurs répondants d’entretenir une relation de couple de qualité avec la personne qui sera le père ou la mère de leurs enfants. Cela se traduit, d’une part, par le souhait d’avoir la certitude d’éprouver des sentiments amoureux pour la personne avec qui on désire s’engager dans différents projets, dont celui d’avoir un enfant. D’autre part, on exige de la relation conjugale le respect mutuel des partenaires et la bonne communication dans le couple.

En France, Arnaud Régnier-Loilier, s’appuyant sur des témoignages recueillis auprès de nouveaux parents, affirme quant à lui que la stabilité conjugale est considérée comme l’un des préalables les plus importants à l’entrée dans la parentalité. En effet, pour la plupart des participants interrogés lors de cette enquête, « ce qui prime avant tout, c’est d’être bien ensemble. […] Quelle que soit la forme de l’union, la stabilité affective, qui pour certains seulement est synonyme de mariage, constitue la première condition préalable à la conception d’un enfant » (2007 : 89-90). Dans son enquête sur le désir d’enfant, réalisée auprès d’hommes et de femmes avec ou sans enfant, Le Voyer (1999) aborde dans le même sens, affirmant que la formation d’un couple stable comme condition d’entrée en parentalité est un élément récurrent des récits de vie recueillis. Les participants sans enfant font régulièrement mention d’histoires amoureuses précaires ayant freiné la venue d’un premier enfant. Il importe ainsi d’entretenir une relation conjugale que l’on juge durable, de trouver la « bonne personne », celle qui sera le futur père ou la future mère de son enfant, avec qui « on a l’intention de vivre longtemps, pour assurer un couple parental équilibrant à l’enfant » (Le Voyer, 1999 : 34). Plusieurs répondants en situation de parentalité, au moment de l’enquête, tiennent des propos similaires, insistant sur l’importance d’avoir eu une période de vie commune relativement longue avec l’autre personne afin de s’assurer de la solidité du couple, de sorte que l’enfant à venir n’ait pas à subir d’éventuels problèmes conjugaux. En outre, plusieurs femmes sans enfant dans la trentaine avancée, non sans désir d’enfant, considèrent que l’instabilité de leur vie affective, qui se traduit par des liaisons amoureuses éphémères et des difficultés à trouver le bon partenaire, explique en grande partie qu’elles ne soient pas devenues mère à ce jour. Ce dernier résultat s’apparente à ceux obtenus par Pascale Donati

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dans son étude sur l’absence d’enfant. Bon nombre de personnes interrogées éprouvaient le désir de devenir parent, mais n’ont pu trouver l’âme sœur avec qui la venue d’un enfant aurait été envisageable. Les exigences élevées auxquelles la relation conjugale contemporaine est soumise, et par conséquent la fragilité qui en découle, font en sorte que « nombreuses sont les trajectoires sentimentales qui auraient pu conduire à la décision d’enfant si une détérioration de la relation puis une rupture n’étaient intervenues, conduisant à différer ce projet et le soumettant ainsi à l’aléatoire d’un nouveau couple à venir » (2003 : 49).

Il est à noter toutefois que la formation d’un couple stable ne constitue pas une condition nécessaire à la décision de devenir parent. Si les enquêtes insistent certes sur l’importance, pour bon nombre d’individus, d’être en situation de stabilité affective avant de songer à avoir un enfant, certains entrent dans la parentalité alors même qu’ils entretiennent une liaison amoureuse que l’on pourrait qualifier de précaire. L’étude de Le Voyer (1998) sur le désir d’enfant rend compte de plusieurs cas où la venue de l’enfant s’est produite dans de telles conditions conjugales. Ces parcours se caractérisent bien souvent par une expérience de grossesse accidentelle alors que la relation de couple est relativement instable. À la suite de discussions entre les partenaires, l’option de l’avortement est exclue, et la décision de garder l’enfant est prise. Par ailleurs, rien n’exclut la possibilité d’une naissance planifiée sans qu’il n’y ait eu au préalable construction d’un couple stable. Par exemple, une femme qui désire ardemment devenir mère peut décider d’avoir un enfant d’un parfait inconnu, en recourant à des méthodes de procréation médicalement assistée. Ainsi, bien que la formation du couple soit assurément un facteur important à prendre en considération dans le processus menant à la décision de devenir parent, elle ne constitue d’aucune manière une condition nécessaire à la réalisation de cet événement singulier.

L’allongement des parcours scolaires

La prolongation et la diversification des parcours scolaires constitue un autre facteur important pour appréhender le processus menant à la décision de devenir parent. Avec le développement accru de l’économie post-industrielle au XXe siècle, laquelle repose sur la

mobilisation et l’application de savoirs théoriques aux divers domaines de la vie sociale, la qualification professionnelle et technique est devenue indispensable à l’avancement des sociétés occidentales contemporaines (Bell, 1976). Au Québec, l’accélération des

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transformations de l’État lors de la Révolution tranquille a largement participé à ce processus de technocratisation typique des sociétés post-industrielles (Simard, 1979). La réforme scolaire des années 1960 a en effet permis d’arrimer l’école québécoise à la nouvelle donne économique et idéologique des sociétés développées (Gagné, 2002).

Ainsi, pour bon nombre d’individus, il importe maintenant d’acquérir une formation spécialisée par l’entremise des institutions scolaires (Drucker, 1996). Cette fonction nouvelle de l’éducation, la production de l’employabilité du travailleur, favorise l’allongement des parcours scolaires (Dandurand et al, 1997). En 1981, 29% de la population québécoise de 25 ans ou plus possédaient un diplôme d’études postsecondaires (ISQ, 2003). Trente-cinqans plus tard, en 2016, 62% des hommes et des femmes du même groupe d’âge détenaient un diplôme d’études postsecondaires. Ce pourcentage s’élevait à 75% chez les 25 à 34 ans, parmi lesquelles 35 % avaient acquis un diplôme d’études universitaires (Statistique Canada, 2019).

Selon Olivier Galland (2011), la prolongation des parcours scolaires a pour effet de repousser le franchissement des autres seuils d’accès à l’âge adulte, notamment la formation d’une nouvelle unité familiale. Germain Bingoly-Liworo et Évelyne Lapierre-Adamcyk (2006) ont analysé l’impact de l’allongement des parcours scolaires au Canada sur l’âge à la première naissance. Les résultats indiquent que l’âge à la fin de la formation scolaire initiale a pour effet d’élever l’âge à l’entrée dans la parentalité, quel que soit le sexe. Par exemple, l’âge médian à la maternité des femmes de la génération 1960-1965 âgées de moins de 18ans à la fin de leur formation initiale est 23,9ans, tandis que celles âgées de 22 ans ou plus à la fin de leurs études deviennent mères à un âge médian de 28,8 ans. Il apparaît en outre que la venue d’un enfant, indépendamment de la durée du parcours scolaire, se produit généralement après