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II. CADRE THÉORIQUE

2. Problématisation de l’objet d’enseignement « écriture »

2.2. L’écriture à l’école : un paradoxe apparent

2.2 L’écriture à l’école 2.2 L’écriture à l’école

2.2 L’écriture à l’école : un paradoxe apparent: un paradoxe apparent: un paradoxe apparent : un paradoxe apparent

Tout travail d’écriture induit une nécessaire automatisation du geste qui produira la trace. Cependant, cette exercisation indispensable à la construction progressive de l’acte graphomoteur devrait être comprise par les élèves et s’inscrire dans leur conception de l’écrit et de la langue : ils devraient pouvoir saisir que ces exercices visent d’autres capacités et qu’on écrit pour s’exprimer, pour apprendre et pour communiquer. Ils devraient percevoir que la trace qu’ils exercent est signifiante. L’écriture, nous l’avons vu, recouvre plusieurs réalités. Il s’agit là d’une problématique d’importance, reprise par Le Roux (2005), anciennement instituteur et aujourd’hui psychomotricien :

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[Certains auteurs pensent que l’enfant] ne doit donc produire de l’écrit que si celui-ci est signifiant. C’est un point de vue qui a été adopté par quelques chercheurs, depuis les années quatre-vingts : Ferreiro, Vigotsky, Charmeux. [...] Doit-on admettre, comme certains auteurs, qu’il est tout à fait possible « d’apprendre à écrire de façon performante à de jeunes élèves de Moyenne Section en gommant au maximum les « pré-requis » habituels, sans proposer les traditionnels exercices d’entraînement graphiques » (Zerbato-Poudou, citée par Le Roux, 2005, p. 27). Ou bien, au contraire, doit-on admettre, comme d’autres, que l’accès au sens résulte de l’automatisation du geste ? (p.

27).

A cette question, Le Roux répond qu’à force de vouloir amener du sens aux apprentissages, « le terme sens [étant] ici compris comme sensibilité émotionnelle » (p. 27), on finit par confondre « sens » (sens des apprentissages) et « intérêt » (sens des activités). L’auteur distingue ici les moyens (les entraînements graphiques) des fins (produire un écrit signifiant). Il défend donc l’idée que les exercices graphiques sont nécessaires, représentent un réel intérêt dans l’acquisition de la maîtrise de l’acte graphomoteur induit par l’écriture ; puis, une fois le geste plus sûr, l’enfant pourra produire des écrits signifiants, prendre des notes, communiquer une information, ce qui alors revêtira à ses yeux un sens à son apprentissage. Il pose d’ailleurs plus loin la question : « Est-il vraiment possible d’apprendre à écrire sans passer par cette mécanisation ? » (Le Roux, 2005, p. 28). Le Roux cite Soëtard (2001) pour expliquer sa position : « Faute de cela, faute d’une attention au moyen, les fins supérieures risquent d’être compromises » (Le Roux, 2005, p. 28). Il avance que l’élève, si l’enseignant le lui explique, est capable de comprendre que ces exercices techniques lui permettront

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d’améliorer son geste graphique, et de voir ainsi leur utilité et sa propre progression dans la maîtrise du geste. Nous nous situons ici dans des considérations importantes qui concernent l’agencement et la progression des apprentissages : l’apprentissage de l’écriture exige un entraînement préalable ou non du geste scripteur, pour rendre possible la production écrite.

Intéressons-nous à présent à d’autres discours, d’abord psychologiques.

Nous nous réfèrerons ici à Ferreiro (2000), qui insiste sur les conceptions et les représentations que les jeunes élèves ont de l’écrit. Pour la chercheure, ancienne assistante de recherche de Piaget, lecture et écriture ne forment qu’une seule et même réalité complexe pour l’enfant en début de scolarité : la langue écrite comme objet de connaissance socialement constitué (p. 15).

Elle procède alors à une distinction entre deux définitions de l’acte d’écriture :

Les difficultés que les enfants rencontrent et surmontent au cours de leurs efforts pour s’approprier ce système socialement constitué restent incompréhensibles si nous considérons l’écriture alphabétique exclusivement comme un codage des unités sonores en unités graphiques (p. 59).

En effet, l’auteure considère l’objet « écriture » non comme système de codage mais comme « système de représentation » (p. 59). Or, tout système de représentation implique des éléments réels et leurs représentations. Ainsi, l’obstacle pour le jeune élève sera la « différenciation entre les éléments, les propriétés et les relations qu’ils ont appréhendés dans l’objet qui deviendra objet de la représentation ainsi qu’un processus de sélection [...] » (p. 60). Le système alphabétique représente les différences entre les signifiants (p. 62).

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L’enfant, qui ignore les règles qui régissent notre système d’écriture, se demandera, face à un écrit, ce que sont les traces figurant sur une page, quelle est la fonction des signes représentés : symbolisent-ils chacun une partie concrète du tout signifié (par exemple la lettre « a » symboliserait l’aile dans le mot « avion ») ? S’agit-il d’un dessin ? Ou chacun des signes représente-t-il un mot (une lettre = un mot), une syllabe, ou une lettre en lien avec un phonème ? Sujet à devoir faire ces choix, « la question « Qu’est-ce que l’écriture représente ? » est une question légitime » (Ferreiro, 2000, p.

61) et cruciale. Pour Ferreiro, l’apprentissage de la langue écrite est donc conceptuel : « Il consiste à construire un nouvel objet de connaissance et, pour ce faire, à reconstruire les opérations qui ont permis d’engendrer l’objet socialement constitué » (p. 61). La chercheure explique alors que, comme l’avaient écrit Piaget, Inhelder et Szeminska (1948), « pour comprendre d’autres instruments sociaux conventionnels (par exemple une règle métrique), il ne suffit pas, pour l’enfant, d’être renseigné sur son « mode d’emploi » (p. 61). Selon Ferreiro, l’apprentissage de l’écriture ne peut donc se résumer à la mémorisation mécanique des correspondances entre code oral et code écrit et encore moins au simple entraînement graphomoteur :

« Ecrire, c’est construire une représentation selon une série de règles socialement codifiées » (p. 61). Ce serait ce travail de reconstruction de notre système écrit qui devrait donc être au placé au centre des considérations pour envisager un bon apprentissage de l’écriture. Il serait donc nécessaire, avant d’envisager tout enseignement de cet objet, de tenir compte des conceptions de l’apprenant en lien avec la langue écrite. L’apprentissage de la trace ne constitue pas, comme on peut le voir, un objet d’apprentissage pour Ferreiro. Pour elle, c’est la conceptualisation de l’écrit qui est centrale.

De plus, la perspective développementale qui est la sienne n’indique pas comment il s’agirait de s’y prendre pour enseigner.

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Voyons à présent le point de vue de Gavazzi Eloy (2006), ancienne enseignante et conseillère pédagogique. Son ouvrage est en partie rédigé par Talbot, maître de conférences, directeur du Centre de Recherches en Education, Formation et Insertion de Toulouse (CREFI-T) et membre de la composante « Groupe des pratiques enseignantes » étudiant ces dernières afin d’en comprendre le fonctionnement. Celui-ci pense qu’ « écrire c’est [...]

tracer des signes conventionnels sur un plan en respectant leurs formes, leurs proportions, leur ordre, leur organisation afin de créer un message porteur de sens » (2006, p. 6). Le chercheur ne sépare pas le geste graphique de la production de sens : selon lui, dans l’apprentissage de l’écriture, « ces deux aspects sont indissociables » (p. 6). C’est pourquoi écrire mobilise simultanément des compétences d’ordre psycholinguistique, moteur, psychomoteur et perceptivo-moteur. Talbot explique qu’à l’école maternelle l’enfant apprend à distinguer l’écrit du dessin et à faire le lien, petit à petit, entre oral et écrit. Il cite à ce sujet les stades de l’apprentissage de l’écriture décrits dans les travaux de Ferreiro (1988). Dans cette même logique, Gavazzi Eloy (2006) développe dans son ouvrage un chapitre intitulé

« L’écriture, à la fois geste et langage, a une double appartenance » (p. 30).

Ce passage intéresse tout particulièrement la problématique de ce mémoire puisqu’il met en lien trois aspects de l’écriture développés jusqu’ici : l’acte graphomoteur (le geste), la fonction sociale, culturelle et communicative (le sens) et les connaissances linguistiques. Cependant, l’auteure n’entre pas en matière sur le système linguistique que l’élève doit comprendre :

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Elle [l’écriture] est, d’une part, le résultat d’un geste et appartient, de ce fait, au domaine du corps en concernant les systèmes moteur, perceptif, kinesthésique. Elle naît, d’autre part, dans l’intention d’exprimer une pensée par des signes codés : elle est donc langage permettant de communiquer (p. 30).

Le processus de production d’un écrit provient d’une « intention » de s’exprimer. Mais comme nous l’avons vu ci-dessus en citant Ferreiro (2000), l’enfant devra, pour arriver à ce résultat, avoir au préalable réussi à se représenter correctement le système de l’écrit. Dans la citation ci-dessus, le terme « langage » renvoie à l’activité langagière et donc à des formes langagières de communication que sont le texte ou le genre textuel.

L’une des conséquences de cette considération sera de « placer les élèves dans des situations de vraie communication » (Gavazzi Eloy, 2006, p. 40). En effet, l’auteur signale que souvent, au début de l’apprentissage de l’écriture, l’élève ne perçoit pas la fonction communicative de l’écrit ; placé la plupart du temps dans des activités de copie ou de dictée, « il ne transmet ni information, ni impression ou réflexion personnelle » (p. 40). A la suite de ce chapitre, l’auteure en développe un second intitulé « L’écriture est plus que l’addition d’un geste et d’un langage, c’est un acte » (p. 41), un acte langagier, un tout qui se transmet à d’autres à l’aide de formes discursives.

Elle écrit :

En se combinant dans l’écriture, le geste et le langage déterminent ses 4 composantes indissociables : le geste, la trace, l’espace et le sens ou signification que le scripteur donne à son écrit. Ils doivent coexister dans toute activité considérée comme de l’écriture (p. 40).

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En acceptant cette définition de l’acte d’écriture, on ne pourra appeler les entraînements graphiques ou la copie de l’écriture puisque ces activités ne revêtent aucune fonction de communication et ne désignent aucune forme textuelle. Une autre conséquence de cette remarque est le nécessaire moment de préparation à instaurer avec les élèves qui « ne [devront pas se précipiter] dans l’acte d’écrire » car « l’écriture provient d’un acte volontaire et intentionnel, programmé par le cerveau » (Gavazzi Eloy, p. 43). Il est ici fait référence à l’intentionnalité sous-jacente à tout langage écrit, à la volonté de communiquer une pensée. Ainsi, pour Gavazzi Eloy et Talbot, l’écriture est à considérer à la fois comme geste produisant une trace et comme intention servant à produire et communiquer langagièrement. Chez ces auteurs, il est clairement question d’une construction de signification communiquée à d’autres. Soulignons encore une fois que ces auteurs n’entrent pas en matière sur le système de signes et les conceptualisations que les élèves doivent construire à ce propos. Certainement que la fonction de ces signes et leur système seront mieux saisis s’ils ne sont pas traités comme de simples traces et qu’ils s’inscrivent dans une activité communicative.

Comment traiter de manière cohérente les différentes composantes de l’objet

« écriture » ? Selon quelle progression concevoir cet apprentissage complexe ? Comment allier entraînement de la technique, découverte du système écrit et capacités de communiquer à l’écrit ? Zerbato-Poudou, maître de conférence en sciences de l’éducation et Amigues, professeur des universités en sciences de l’éducation (2000/2009) traitent cette problématique à travers celle, plus large, du rapport au savoir qu’ils décrivent en ces termes :

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En situation d’apprentissage, l’élève élabore des représentations, attribue des significations à son activité, aux tâches scolaires, comme à l’objet de savoir auquel il est confronté. Le sens ainsi construit est fonction de son histoire personnelle comme de l’idée qu’il se fait de l’apprentissage : apprendre c’est quoi, pour quoi faire ? (p. 149).

Le problème provient, selon les auteurs, d’un traitement dichotomique entre la « trace » et le « sens » (p. 150). Le « sens » est à comprendre ici comme « le rapport privé que l’élève entretient avec l’objet de savoir ». L’apprentissage de l’écriture ne concerne souvent que l’entraînement du geste en vue de produire une trace conforme au modèle : l’enfant ne perçoit plus que son aspect formel et technique « or, élaborer un rapport aux objets de savoir, ce n’est pas seulement apprendre les techniques pour faire [...], c’est surtout donner du sens à sa propre activité comme à l’objet de savoir lui-même » (p.

150).

L’écriture, nous l’avons vu, est en finalité un moyen d’expression et de communication sur la base d’écrits et un système linguistique. Elle fait l’objet de représentations de la part des élèves. Elle implique certes un acte graphomoteur mais celui-ci n’est qu’un outil or il est souvent présenté, dans les programmes et les méthodologies, comme une fin en soi. Cela peut s’expliquer :

Cette centration sur la trace semble légitime : pour être lu, compris, il est nécessaire que l’écrit soit « lisible ». Néanmoins, cet investissement laisse parfois sous-entendre que la maîtrise grapho-motrice serait une compétence qui favoriserait une réussite ultérieure dans le domaine de la langue écrite. (p. 152)

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Selon cette conception, « le mouvement en lui-même aurait la vertu d’établir des rapports entre la sphère motrice et la sphère symbolique, de favoriser in fine l’acquisition d’un objet social : l’écrit » (p. 159) Remarquons que nous retrouvons ici ce postulat de la psychomotricité du geste : du mouvement on passe au psychisme et au système cognitif. Or Ferreiro (1988, citée par Amigues & Zerbato-Poudou, 2000/2009, p. 153) explique que l’appropriation du système écrit se passe au niveau cognitif et non au niveau perceptif. Nous observons là des conséquences et des influences de la psychomotricité, celle-ci ayant débouché sur une didactique corporelle. Cette idée d’une succession entre l’outil et la finalité est, nous l’avons vu, présente dans la méthodologie romande actuelle (cf. 1.3.3).

Dans les prescriptions, l’écriture, au XXe siècle a parfois été assimilée à un dessin à reproduire. Les exercices graphiques considérés comme

« préparatoires à l’écriture » (Amigues & Zerbato-Poudou, 2000/2009, p.

167) ont corroboré cette idée de par leur construction : ils se présentaient souvent sous la forme de dessins à compléter. A noter que le terme

« graphisme » est employé tant dans la discipline artistique en tant que synonyme du dessin, qu’en rapport avec l’écriture (p. 169-170). Cela pourrait expliquer cet amalgame. Pour plus de clarté, comme le propose Saada-Robert, Auvergne, Balslev, Claret-Girard, Marzurczak & Veuthey (2003), il s’agit de distinguer ce qui relève du sémiopictural du sémiographique.

Poser la problématique de ce mémoire en termes de rapport au savoir permet également de comprendre les imbrications des différents composants de l’objet. Barré-de-Miniac (2000) soulève la question du « rapport à » en élaborant une intéressante distinction entre concept et notion. Un concept étant « réservé à la désignation d’un objet aux contours étroitement circonscrits » (p. 17) ; selon cette définition, le rapport à l’écriture serait plutôt

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une notion. En effet, « les premiers travaux sur le rapport à l’écriture et ceux qui suivent et se multiplient conduisent au contraire à en montrer la pluridimensionnalité » (p. 17). Il s’agit ensuite de s’interroger sur l’articulation entre ces différentes dimensions et « entre le rapport à l’écriture et les savoirs et savoirs-faire ». Barré-de-Miniac (2000, p. 14-15) explique que selon Dabène (1987) « la compétence scripturale comporte trois composantes : des savoirs ; des savoirs-faire ; des motivations-représentations ». Ces dernières seraient fondamentales dans la constitution, chez l’élève, de ces compétences d’écriture. Ainsi, nous le comprenons, capacités graphomotrices et construction de l’objet « écriture » sont liés. Comment alors concevoir leur enseignement et leur apprentissage ? Nous nous demandons en particulier : quel rapport au savoir les enfants préparant l’écriture « hors-contexte » pourront-ils construire ? Amigues et Zerbato-Poudou (2000/2009, p. 151) démontrent que malgré un entraînement graphique quotidien, certains enfants restent incapables de tracer correctement les lettres de leur prénom, ce qui tendrait à prouver que les interprétations des élèves à propos de l’objet influencent bel et bien leur réalisation graphique. Sachant que la relation aux savoirs se construit principalement à l’école, l’enseignant a un grand rôle à jouer ; par son intervention, il produira chez l’élève le développement de certaines interprétations. Comment amener les enfants à se représenter correctement l’objet social qu’est l’écrit tout en développant les compétences motrices nécessaires à l’acte d’écriture et ce sans créer de confusion ? L’entraînement de la trace est indispensable mais il n’est pas constitutif de la construction du rapport à l’objet.

Les programmes et les méthodologies ont choisi de traiter séparément ces deux aspects ce qui produit des ambigüités et des paradoxes puisqu’en réalité ils ne peuvent être dissociés. En ce sens, l’enseignement/apprentissage de l’écriture est constitutif de celui de la langue écrite, mais l’apprentissage

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suppose la mise en place de situations d’enseignement, c’est-à-dire une décomposition de l’objet pour pouvoir focaliser l’attention des élèves sur une dimension ou une autre et favoriser l’appropriation de connaissances et de savoir-faire. Cette décomposition de l’objet suppose également une recomposition de ce qui a été exercé et appris pour que l’apprentissage puisse prendre sens et modifier progressivement les conceptions des élèves.

Nous posons, à partir de cette problématique, plusieurs questions de recherche.