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L’économie des coûts de transaction spatialisée

Dans le document Forme Urbaine et Mobilité Quotidienne (Page 137-140)

L’économie des coûts de transaction spatialisée se propose de décliner les conséquences au niveau spatial d’une analyse en termes de coûts de transaction, posant que « pour expliquer la taille des villes et la structure du système urbain d’un pays il est nécessaire d’examiner (…) les procédures organisationnelles adoptées par les firmes pour gérer leurs ressources internes et les différents types de relations qui relient les firmes entre elles » (Capellin, 1998, p. 262).

L’économie des coûts de transaction est assise sur l’hypothèse de rationalité limitée qui suppose la recherche des informations pertinentes nécessaires à l’échange. Toute transaction, tout échange est un contrat entre deux parties. Or, tout contrat implique un échange d’informations :

Ex ante, sur la planification, la négociation et la définition des contrats initiaux ;

Ex post, sur leur exécution, ceux-ci étant par nature incomplets (Williamson, 1985). En amont, chaque partie devra supporter des coûts de recherche pour trouver le partenaire le plus à même de satisfaire ses exigences.

L’accès à l’information n’étant ni gratuit ni immédiat, chaque transaction s’accompagne d’un certain nombre de coûts, monétaires (achat de l’information) ou non monétaires (temps passé à

chercher l’information). Ce sont les coûts de transaction116.

Dans le cadre d’analyse ainsi défini, chaque agent cherche, toutes choses égales par ailleurs (notamment son niveau de production ou d’utilité), à minimiser le montant de ses coûts de transaction. Ceci implique pour la firme le choix d’une structure institutionnelle (governance structure) c’est-à-dire d’une organisation interne, d’une gamme de produits, d’une forme de relations contractuelles avec les autres firmes, etc. mais aussi, au niveau de l’organisation spatiale, le choix d’une concentration géographique ou au contraire d’une dispersion des établissements (Capellin, 1988).

Une transaction se caractérise par sa fréquence, l’incertitude quant à son résultat, et son degré de spécificité. Ces trois attributs sont sensibles à la distance, car :

• Des transactions fréquentes (pourvu qu’elles portent sur des biens matériels) requièrent

une certaine proximité pour minimiser les coûts de transport ;

• L’incertitude et la possibilité de comportements opportunistes sont réduites par la

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P. Veltz (1996) les définit comme les « coûts d’usage du fonctionnement du marché » : recherche d’informations, négociation, établissement de contrats, assurance contre l’incertitude.

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proximité entre l’acheteur et le vendeur. La réduction de l’incertitude inhérente à toute transaction explique le besoin de rapprochement entre donneur d’ordre et sous-traitant relevé

par J.-F. Thisse et T. Ypersele (1999, p. 22)117, et plus généralement la fonction « d’assurance

contre le risque » que P. Veltz attribue aux métropoles (Veltz, 1996) ;

• La spécificité d’une transaction unit chaque partie par des liens de confiance réciproque,

confiance qui a plus de chances de se concrétiser si les deux parties sont proches géographiquement et/ou culturellement.

On aboutit ainsi à l’idée très générale que l’agglomération n’obéit pas seulement à des impératifs de production (la minimisation des coûts de production), mais aussi à des impératifs organisationnels. Les agents qui ont à faire face à des coûts de transaction élevés chercheront donc à se regrouper de manière à profiter des avantages de la proximité. De manière générale, plus une transaction est fréquente, incertaine ou complexe, et spécifique, plus une organisation centralisée est efficace. La concentration urbaine est dans ce cas « l’arrangement institutionnel » optimal (Cappellin, 1988, p. 267).

L’intégration des évolutions structurelles récentes du système productif permet à l’ECTS d’offrir un cadre original à l’explication de l’émergence de centres périphériques substituts du CBD. Les principes d’organisation et de coopération interf-firmes, en se modifiant à la suite des mutations du système productif, ont permis la création ex nihilo d’espaces qui recréent les conditions traditionnellement attribuées au centre-ville. A. J. Scott (1988) théorise l’émergence de ces NIS dissociés du CBD traditionnel.

A l’origine de cette évolution est le passage d’un régime d’accumulation fordiste à un régime d’accumulation flexible (Piore & Sabel, 1984). A. J. Scott mobilise les outils de l’Ecole de la Régulation pour souligner l’émergence de nouvelles formes de production, beaucoup plus flexibles que par le passé, et qui se caractérisent par une capacité à modifier très rapidement les processus et les produits. L’inévitable contrepartie de cette flexibilité dans l’organisation de la production est la flexibilité du marché du travail. Les rapports de travail tendent à glisser du modèle de l’emploi salarié à durée indéterminée à une régulation conjoncturelle fine des effectifs grâce au développement du temps partiel ou à l’externalisation des risques vers d’autres firmes via le développement de la sous-traitance. A. J. Scott s’appuie explicitement sur les apports de O. E. Williamson pour montrer que l’exigence de flexibilité, notamment lorsqu’elle passe par la désintégration verticale, s’accompagne d’une augmentation des coûts de transaction entre firmes : le développement de la sous-traitance s’accompagne d’un enchérissement des coûts de surveillance (monitoring

costs) pour le donneur d’ordre (Veltz, 1996 ; Thisse & Ypersele,1999). Dès lors, les firmes ont tendance à s’agglomérer car la concentration spatiale est un moyen de réduire ces coûts (Cappellin, 1988 ; Scott, 1988).

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Peut-être est-il utile de souligner l’externalisation croissante des activités en œuvre depuis le début des années 1980, provoquée par le besoin de se recentrer sur certaines « activités-cœur », résumé par le slogan du « Small is

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138 Ces évolutions ne sont pas forcément favorables à une concentration accrue, c’est-à- dire aux métropoles. La question se pose de savoir où cette concentration survient, car il n’est pas certain que les centres traditionnels aient conservé leur attractivité. A l’instar des edge

cities, la constitution de NIS en périphérie des villes permettrait d’expliquer l’émergence de

centres périphériques concurrents du CBD.

Peut-être même, au contraire, la centralité traditionnelle devient-elle un repoussoir pour les nouvelles activités : si les grosses agglomérations ont été la traduction spatiale « naturelle » du régime fordiste (consacrant la « nécessaire gémellité » entre urbanisation et industrialisation – Lacour, 1999, p. 80 ; voir aussi Teboul et alii, 2000), les centres anciens constitueraient des « hostile milieux » pour les firmes post-fordistes (Scott,1988, p. 178). Le niveau de syndicalisation des travailleurs constitue un obstacle à la flexibilité de la main- d’œuvre, et les centres urbains traditionnels deviennent des repoussoirs pour les firmes post- fordistes, qui recherchent des localisations « non contaminées par une précédente expérience historique de production industrielle à large échelle et par des relations de travail fordistes » (Scott,1988, p. 178).

Les NIS sont donc le résultat d’une double évolution : d’un côté, la tendance à la concentration dans le but de diminuer les coûts de transaction. De l’autre, la tendance à éviter le milieu hostile du centre traditionnel. Cette double évolution conduit à l’élaboration de milieux favorables à l’accumulation flexible, qui soit constituent des enclaves dans les agglomérations existantes, soit émergent ex nihilo (Scott, 1988)118. Cette deuxième catégorie comprend les « milieux innovateurs » que sont la Silicon Valley, la Troisième Italie, le corridor M4 entre Londres et Reading en Angleterre, l’Arc Jurassien ou la Cité Scientifique du sud de l’Ile-de-France.

Ces espaces « ultrapériphériques » constituent des agglomérations de firmes qui profitent des avantages de la ville (possibilité de face-à-face fréquents, proximité aux infrastructures, etc.) sans en subir les inconvénients (congestion, pollution, prix foncier élevés…)119. Ainsi émergent des concentrations périphériques de firmes caractérisées par la réplication, en mieux, des avantages de l’agglomération du CBD.

La théorie des « nouveaux espaces industriels » marie les apports de l’ECTS et le passage à un régime « d’accumulation flexible » pour expliquer l’émergence d’espaces ultrapériphériques qui recréent les avantages de l’agglomération du traditionnel CBD sans être dépendants des irréversibilités nées de son développement historique.

L’émergence de centres périphériques concurrents du CBD a été analysée à partir de deux théories complémentaires fondant l’hypothèse de substituabilité sur l’existence d’économies d’agglomération localisées pour l’une, et sur l’inadaptation des centres anciens à

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Pour une critique du concept de NIS de A. J. Scott, voir N. Henry (1992).

119 C’est le phénomène dit du court-circuit : « le milieu innovateur (M.I.) réalise un court-circuit entre les

caractéristiques générales qu’il partage avec la ville (agglomération, accessibilité, interaction) et leur résultante spécifique, l’innovation, réduisant la complexité du processus complet du développement urbain et son degré élevé de circonvolution (…) » (Camagni, 1999, p. 594).

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l’évolution des principes organisationnels des firmes pour l’autre. Elles permettent d’endogénéiser la formation des centres périphériques. Mais une question majeure reste celle de la différenciation économique de ces centres. L’hypothèse de complémentarité entre le CBD et les centres périphériques constitue une approche concurrente de celle de substituabilité.

C - L’hypothèse de complémentarité : expliquer la spécialisation relative

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