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A Les inconvénients de la compacité

Dans le document Forme Urbaine et Mobilité Quotidienne (Page 72-76)

Nous verrons dans cette partie que la Ville Compacte s’oppose aux préférences des agents : elle n’est pas une forme urbaine désirée. Nous montrerons ensuite les effets pervers des fortes densités sur le bien-être lorsque celles-ci sont perçues comme de l’entassement. Enfin, nous évoquerons les contradictions du modèle de Ville Compacte.

79 Cette approche des critiques de la compacité reprend, en la complétant sur certains aspects, celle de

M. Breheny (1997) pour qui la compacification pose des problèmes « d’acceptabilité » (du fait de l’existence des inconvénients de la densité) et de « faisabilité » (liés à la mise en place de politiques de compacification).

I° Partie Chapitre II

72 1 - Compacité et préférences des individus

La compacification s’oppose aux préférences des consommateurs et entend leur imposer une idéologie environnementaliste qu’ils ne partagent pas forcément. L’exposé des facteurs de la déconcentration des ménages (cf. chapitre I) a montré que le choix de la suburbanisation est un choix volontaire, résultant d’une structure de prix favorable à cette évolution, d’une augmentation rapide du revenu, et d’une préférence (supposée ou réelle) pour le mode de vie périurbain ; que la possibilité pour les ménages d’accéder à la propriété d’une maison individuelle dans les territoires périphériques a été un déterminant majeur de l’étalement.

Il y a une impossibilité logique à conformer les densités élevées à l’idéal de la maison individuelle. La compacification reviendrait donc à imposer des choix non désirés aux consommateurs, ce qui est rejeté par certains auteurs comme étant un diktat insupportable : « L’idée de planificateurs chamboulant nos vies à la poursuite d’un objectif tenace est aussi horrible qu’un alien » (Gordon & Richardson, 1997a, p. 342). Aucune politique ne saurait s’opposer longtemps aux préférences spontanées des consommateurs et se révèlerait un jour ou l’autre inefficace et perverse (Breheny, 1997).

Il est difficile d’aller contre un tel argument. On peut rejeter le postulat de base, la préférence supposée pour la maison individuelle, mais l’argumentation n’est pas toujours convaincante (Schlay, 1986). On peut également nier « l’inévitabilité historique » du lien entre augmentation du revenu et augmentation plus que proportionnelle de la demande pour l’espace : P. Newman et alii (1995) opposent Los Angeles et Zürich en tant qu’idéaux-types de la ville américaine et de la ville européenne. Ils montrent que dans la ville européenne, une augmentation du revenu n’est pas automatiquement associée à une baisse des densités ni à une

fuite du centre80. Selon eux, tout dépend de différences culturelles dans la forme urbaine, qui

tient à une acceptabilité différente des fortes densités.

2 - La compacification : densifier ou entasser ?

La désirabilité de la compacité relève de l’attitude de l’homme face aux fortes densités. Les travaux de psychologues et de sociologues, à l’origine d’une « psychologie de l’entassement » (du titre du livre de P. Insel et H.-C. Lindgren en 1978), permettent d’éclairer

rapidement l’enjeu de l’acceptabilité de la compacité81. Les fortes densités auraient des

conséquences néfastes, autant sur les relations sociales que sur la santé physique. La notion de densité perçue vient relativiser ces assertions.

C’est dans la pensée hygiéniste, qui naît au début du XIXè siècle, qu’apparaît pour la

première fois l’idée selon laquelle l’entassement des hommes dans les villes est responsable

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Cet argument revient à nier l’étalement des villes européennes. De manière moins tranchée, nous avons supposé que les processus d’étalement américain et européen diffèrent davantage par leur degré que par leur nature (cf. Chapitre I).

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de l’insalubrité dont découlent épidémies et mortalité (Clément & Guth, 1995). En 1822, le médecin C. Lachaise écrit : « (…) il semble en général que la mortalité soit en raison directe de l’étroitesse des rues, de l’élévation des maisons et de l’encombrement des ménages » (Topographie médicale de Paris, cité in Fijalkow, 1995). Les grandes modifications urbanistiques de la fin du XIX° siècle et du début du XX° siècle, dont les exemples emblématiques sont Paris et Barcelone, avaient d’ailleurs une motivation hygiéniste.

De fait, des études épidémiologiques ont montré que la promiscuité due à l’entassement est responsable, bien qu’indirectement, de la transmission de pathologies virales, infections respiratoires ou gastro-intestinales. De plus, le manque d’espace dû au surpeuplement induit un manque d’intimité. Or l’intimité permet de réguler nos interactions sociales, en fournissant une possibilité d’isolement et d’apaisement. Son absence produit des tensions familiales qui peuvent aller jusqu’à la dépression (Le Bras, 1995 ; Moch et alii, 1995).

Le surpeuplement a comme conséquence de dégrader les relations sociales. La célèbre expérience des rats de Calhoun en 1962 avait interprété le surcroît d’agressivité de rats confrontés à l’entassement par la territorialité, notion qui avait été étendue à l’homme. E. Goffman (1973) définit ainsi les « territoires du moi » par les droits qu’une personne exerce (ou croit exercer) sur un champ d’objets dont elle surveille et défend les limites. Ils constitueraient un ensemble de cercles concentriques de taille croissante autour de l’individu dont la violation exige réparation (excuses, gestes de recul, etc.). Or l’entassement et la promiscuité physique rendent plus probable l’intersection des « territoires du moi ».

Ce supplément d’aggressivité se traduit par un accroissement des comportements déviants : délinquance et criminalité (Insel & Lindgren, 1978). Plus généralement, le surpeuplement est à l’origine d’un stress diffus qui conduit à attribuer une image négative aux autres. Il en résulte de l’agressivité et une stratégie d’évitement des contacts de la part de l’individu. Celui-ci met alors en place un ensemble de mécanismes sélectifs et de barrières psychologiques (répondeur, interphone, regard absent dans les transports en commun…) qui produisent le paradoxe apparent de la « foule solitaire » de D. Riesman.

Les effets des fortes densités sur la santé physique et psychique ne sont pas forcément liés à un niveau élevé de densité bâtie. Du point de vue de ses effets sur le comportement humain, c’est avant tout la densité perçue qui importe, en raison du caractère subjectif de la relation de l’homme avec son environnement. Une étude montre ainsi que des ménages, interrogé sur leurs nouvelles conditions de vie mentionnent une détérioriation de la qualité de vie et des relations à l’autre, alors que les quartiers d’origine et de destination sont de même densité et ne diffèrent que par le type d’habitat, l’un étant constitué principalement de maisons individuelles et l’autre de logements collectifs (Knight, 1996).

De manière plus générale, la densité perçue, telle qu’elle est théorisée par A. Moch et

alii (1995), dépend de caractéristiques personnelles (facteurs de personnalité, rythmes et

modes de vie, spécificités culturelles) et de caractéristiques de situation (qualité des rapports sociaux, contraintes de l’environnement et accès visuel).

I° Partie Chapitre II

74 La densité réelle n’est donc qu’une influence parmi d’autres dans la détermination de la densité perçue. La densité réelle est une condition nécessaire, mais non suffisante, pour provoquer un sentiment de forte densité (Fouchier, 1997a). Ainsi les politiques de compacification ne sont pas forcément remises en cause par les effets néfastes de la densité sur les comportements, à partir du moment où il est possible d’augmenter la densité bâtie sans

accroître la densité perçue82.

Un troisième élément de la critique de la Ville Compacte fait référence aux contradictions nées de sa formulation.

3 - Les contradictions de la Ville Compacte Des densités élevées font naître plusieurs paradoxes :

• L’impossibilité de concilier la demande sociale pour une présence accrue de

« nature » en ville et les fortes densités (Spector & Theys, 1999) ;

• Vouloir densifier la ville peut nécessiter la suppression des espaces libres,

dont la rareté même incite les individus à quitter les fortes densités (Fouchier, 1997b).

Une dernière contradiction porte sur la distinction entre pollutions émises et pollutions subies. Si les zones les plus denses émettent en proportion moins de nuisances par individu, en revanche le calcul de « densités de nuisances » montre une relation positive avec la densité résidentielle. Pour reprendre l’expression de V. Fouchier (1997a, p. 221), « la ville dense est moins polluante, mais plus polluée que sa périphérie peu dense ». Les données pour Lyon montrent une tendance identique à « l’inéquité face à la pollution » due à la localisation (Nicolas et alii, 2002) : les individus des zones centrales sont à la fois ceux qui polluent le moins (moitié moins en moyenne qu’un habitant de la deuxième couronne) et ceux qui subissent le plus les pollutions - avec une densité de polluants centrale jusqu’à 15 fois supérieure à la densité de polluants en deuxième couronne (cf. Figure II-3). Cet état de fait est paradoxal, car la densité permet de réduire l’usage des ressources non-renouvelables par personne, mais la concentration de nuisances à laquelle elle est associée repousse les individus vers les zones de faible densité (Capello & Camagni, 2000 ; Camagni et alii, 1998).

82 On trouve d’ailleurs dans le guide Vers des collectivités viables du groupement québécois Vivre en ville, qui

entend défendre « des idées novatrices en termes d’environnement et d’urbanisme », neuf conseils pour atténuer la densité perçue par les habitants, qui vont de « ne pas être entouré de bâtiments uniformes » à « ne pas entendre les voisins à travers les murs » en passant par « être à l’abri des regards indiscrets », etc. (Vivre en ville.

Regroupement Québécois pour le développement urbain, rural et villageois viable, http://www.vivreenville.org/, site visité le 28/02/2004).

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Figure II-3. Taux d’émission global et par résident à Lyon

Source : Nicolas et alii, 2001

L’exposé des inconvénients de la compacité montre le côté ambivalent des fortes densités. Si celles-ci sont à l’origine de la formation d’économies de compacité, elles pourraient également provoquer des déséconomies de compacité. Cette approche en termes de coûts/avantages conduit à chercher un juste équilibre entre les deux, qui est le point de densité optimale. On ne cherchera pas alors à justifier la compacification, mais à chercher quel est le niveau de densité de la ville « judicieusement compacte » (Camagni & Gibelli, 1997 ; Camagni et alii, 2002).

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