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ETALEMENT ET MOBILITE LE MODELE DE LA VILLE COMPACTE

Dans le document Forme Urbaine et Mobilité Quotidienne (Page 51-55)

I° Partie Chapitre II

Introduction

L’analyse du mouvement de déconcentration des ménages, menée dans le chapitre

précédent, a permis de mettre en évidence le rôle de la démocratisation de l’automobile53 dans

le processus d’étalement, à travers la diminution des durées de déplacement.

Cette analyse peut être complétée en considérant que la diffusion de l’automobile et l’étalement résidentiel sont deux phénomènes en interaction, liés entre eux par une causalité circulaire (e.g. Muth, 1971).

D’un côté l’automobile, en tant que technologie de transport économisant sur les coûts et les temps de déplacement, a permis l’urbanisation de nouveaux territoires, accroissant ainsi

l’étalement54. Avec une nuance toutefois : l’automobile a permis, et non initié le processus de

déconcentration des ménages, phénomène complexe soumis à conditions et résultant de la conjonction de plusieurs facteurs (Bass Warner Jr., 1972, p. 114 ; cf. chapitre I). La diffusion de l’automobile est donc une condition nécessaire, mais non suffisante à l’étalement.

De l’autre côté, l’allongement des distances et la dispersion des activités consubstantiels à l’étalement ont rendu l’automobile indispensable pour de nombreux déplacements, comme

l’illustre le concept de « dépendance automobile »55. La dépendance automobile est

consécutive à l’entrée dans le système automobile, composé notamment d’un ensemble de

routes et d’équipements dédiés56 facilitant l’usage de l’automobile (Dupuy, 1999, 2002). Or

l’étalement et ses faibles densités peut être assimilé à la traduction dans l’espace urbain de l’expansion du système automobile. La dépendance automobile est « une situation dans laquelle une ville se développe sur l’hypothèse selon laquelle l’usage de l’automobile prédominera, de sorte que priorité lui est donnée en ce qui concerne les infrastructures et la forme du développement urbain » (Newman & Kenworthy, 1998, p. 60). Dans les zones les moins denses de la ville, la configuration du bâti est telle que l’automobile y est devenue « une nécessité, et non plus un choix » (Newman & Kenworthy, 1998, p. 28).

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Nous préférons, comme P. Merlin (2001), utiliser le terme de « démocratisation » ou de « diffusion » de l’automobile plutôt que de « généralisation » ou de « banalisation », comme il nous a été parfois donné d’entendre. En effet, de profondes inégalités subsistent dans l’accès à l’automobile. On pourra parler également, comme G. Dupuy (2002), d’automobilisation, terme plus général que celui de motorisation, qui renvoie à l’état de développement du système automobile, et donc à l’usage de l’automobile.

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Cette idée est déjà ancienne : en 1919, Paul Meuriot remarquait « [qu’] un des caractères du développement de la grande ville moderne est le dépeuplement de ses parties centrales et le peuplement progressif de sa périphérie (…). C’est le progrès des moyens de transport qui provoque et accentue cette révolution dans le peuplement urbain » (Meuriot, 1919, cité in Paquot & Roncayolo, 1992).

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Là encore, l’idée n’est pas récente. J. K. Galbraith, lorsqu’il analyse au début des années 1960 cette « ère de l’opulence » où la production est dépendante de l’extension (parfois artificielle) des besoins de la population, mentionne l’automobile : « Il y a bien plus de chances, au point où nous en sommes, que nous ayons du mal à nous débarrasser de la conviction que les voitures nous sont indispensables et font partie de notre vie, leur nécessité étant renforcée encore par un type de vie où il nous est difficile de nous en passer. » (Galbraith, 1961, p. 161, souligné par nous).

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52 L’automobile est devenu sans conteste le mode dominant des déplacements quotidiens. Le bilan de 25 ans d’enquêtes de mobilité dans les grandes agglomérations françaises effectué

par le CERTU (Guidez, 2001) montre que la « part de marché » de l’automobile57 s’accroît

continûment, passant d’environ 65% à la fin des années 1970 à quelque 85% à la fin des années 1990 (à l’exception de Paris, qui passe de 55% à 65%). Parallèlement, la part des modes alternatifs à l’automobile baissait continuellement.

Si l’étalement urbain et l’usage de l’automobile sont en interaction, alors il doit être possible de mener une action conjointe sur les deux phénomènes. Les politiques de contrôle de la forme urbaine visant à restreindre le processus d’étalement ont pour justification

majeure la maîtrise de la croissance du trafic automobile. Le P.D.U58 de Bordeaux, par

exemple, estime qu’il faut « agir sur l’évolution de la morphologie urbaine [pour] limiter le

trafic automobile et sa croissance prévisible » (C.U.B., 2001, p. 31). L’évolution

démographique de l’agglomération bordelaise est « inégalement répartie : croissance

démographique relativement forte dans les secteurs périphériques et périurbains tandis que le centre de l’agglomération stagnait ou perdait même de la population. (…) Ce développement urbain s’est essentiellement basé sur l’utilisation prépondérante de l’automobile, à la fois cause et conséquence de cette évolution » (Ibid., p. 12). L’interaction réciproque entre l’étalement urbain et l’usage de l’automobile semble donc pouvoir se renverser, et une politique de maîtrise de l’étalement pourrait se traduire par une moindre utilisation de l’automobile. Cette idée très générale est à l’origine du modèle de Ville Compacte.

La Ville Compacte a été formulée en réaction à l’étalement. Le terme « compact » se

dit « d’un objet dont les parties sont étroitement reliées ensemble »59. Appliquée à la ville, la

compacité sous-entend une urbanisation continue, à l’opposé d’une diffusion urbaine dans les espaces périphériques (du type rurbanisation) qui, on l’a vu, découle des logiques de déconcentration des ménages permises par les performances de l’automobile et produisant de l’étalement (cf. Chapitre I). La Ville Compacte peut donc se définir comme l’opposé de la ville étalée. Pour P. Gordon et H. Richardson (1997a), la compacité est « l’antonyme » de l’étalement. M. Breheny (1995, p. 82) définit la compacité comme « un raccourci (shorthand) pour une variété d’approches de la planification des villes qui insiste sur les mérites de la rétention urbaine (urban containment) », c’est-à-dire le contrôle de l’étalement. La Ville Compacte peut donc être caractérisée par des densités élevées, à la fois résultat de la maîtrise de l’étalement et condition pour une réduction de la place de l’automobile en ville.

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Proportion des déplacement mécanisés effectués en automobile. A différencier de la « part modale » de l’automobile, ou proportion des déplacements effectués en automobile.

58 Plan de Déplacements Urbains, document de planification urbaine recensant sur les cinq années à venir toutes

les actions intéressant les modes de déplacement à mettre en œuvre sur un territoire donné. La LAURE (loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie) du 30/12/1996 impose à toutes les agglomérations françaises de plus de 100 000 habitants de se doter d’un P.D.U. Le P.D.U de Bordeaux a été élaboré par la C.U.B. (Communauté Urbaine de Bordeaux).

I° Partie Chapitre II

Le modèle de Ville Compacte représente une manière originale de prendre en compte les coûts sociaux de la mobilité en agissant directement sur la forme urbaine. Le raisonnement est le suivant : une forme urbaine étalée est la résultante des arbitrages des agents, et plus particulièrement de la seule prise en compte dans leurs calculs de la composante privée des coûts de la mobilité. L’intégration des coûts sociaux dans ces calculs accroîtrait le coût du déplacement, notamment automobile, et produirait une ville plus compacte. Comme cette intégration n’est que fictive, une manière de la réaliser est l’action directe sur les densités à travers les politiques de compacification.

La Ville Compacte, en mettant l’accent sur les avantages de la densité en termes de mobilité, s’inscrit dans une controverse plus générale sur les mérites comparés des fortes et des faibles densités. Cette controverse est à la fois ancienne et récurrente (Fouchier, 1997a) : ancienne, parce qu’elle reprend des arguments dont la plupart sont bien connus des spécialistes de la ville ; récurrente, car elle resurgit à l’occasion des enjeux de l’époque, tel qu’aujourd’hui le développement urbain durable (Guérois, 2003). La question est alors de savoir si la Ville Compacte est une « forme urbaine durable (a sustainable urban form) » (Jenks, Burton & Williams, 1996).

C’est cette controverse que nous avons voulu retracer ici. Nous présentons les arguments de part et d’autre de manière objective, en essayant de les vider de leur contenu passionnel. En effet, le débat s’est caractérisé par des échanges d’arguments, mais aussi de mots. P. Gordon et H. W. Richardson (1989, p. 344) vont ainsi accuser P. Newman et J. Kenworthy, qui proposent la mise en place de politiques de compacification, de « recommander une pékinisation des villes américaines pour renforcer leurs méthodes de planification maoïstes ». J. A. Gomez-Ibanez (1991, p. 376) émet quant à lui ce jugement définitif : « la grande contribution du livre [de P. Newman et J. Kenworthy (1989a)] est la base de données, et non l’analyse des causes de la dépendance automobile ». De l’autre côté, R. Ewing (1997, p. 107) accuse P. Gordon et H. W. Richardson de « s’être constitué un fonds de commerce (a cottage industry) en contestant la croyance bien établie des planificateurs en un développement compact », et P. Newman et alii (1995, p. 53) leur conseillent de « sortir davantage de chez eux ».

La controverse se structure autour de l’hypothèse de l’existence « d’économies de compacité » permettant, par l’adoption de politiques de compacification, de réduire les coûts de l’étalement, notamment en termes de mobilité. Les opposants à la Ville Compacte retournent l’argument en faisant valoir que la compacité, elle aussi, est à l’origine de coûts.

La présentation des arguments du débat sur la Ville Compacte se fera sous la forme suivante : dans une première section, nous présentons les avantages comparatifs de la Ville Compacte sur la ville étalée, en insistant plus particulièrement sur les avantages liés à la mobilité. La deuxième section est consacrée à l’étude des critiques du modèle de Ville Compacte, qui sont de deux sortes : la mise en évidence des inconvénients des fortes densités et le doute quant à la faisabilité des mesures de compacification.

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SECTION I - LES AVANTAGES COMPARATIFS DE LA VILLE

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