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B Le lien densité-consommation d’énergie à l’échelle inter-urbaine La consommation d’énergie individuelle est une résultante directe des comportements

Dans le document Forme Urbaine et Mobilité Quotidienne (Page 56-62)

de mobilité. On peut la mesurer directement, ou encore l’approcher avec une certaine fidélité par la distance parcourue en automobile par personne (Van Diepen & Voogd, 2001). Cette dernière variable est le produit de deux variables issues des enquêtes sur les transports : les distances moyennes parcourues par déplacement (ou par personne) et le partage modal. C’est pourquoi la problématique de l’influence de la densité sur la consommation d’énergie individuelle pour les transports peut se ramener à l’examen de l’interaction entre la densité et les comportements de mobilité.

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Efficiency, c’est-à-dire la consommation unitaire moyenne, qui varie selon la distribution du parc automobile.

62 Cette figure est la réactualisation de la courbe originelle de P. Newman et J. Kenworthy (1989a,b) à partir de

données pour l’année 1990. Le nombre d’observations a été porté de 32 à 46 villes (Newman & Kenworthy, 1998).

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56 Au niveau inter-urbain, plusieurs études corroborent la corrélation inverse entre densité urbaine et consommation d’énergie pour les transports.

P. Naess (1996) relève un lien positif entre l’espace urbain par personne63 et l’énergie

consommée annuellement par habitant pour 22 villes nordiques, ainsi que pour 67 villes suédoises.

L’analyse par classes de densité permet de lisser la distribution exponentielle des densités, à l’origine de biais dans les résultats issus de techniques linéaires. Aux Etats-Unis, l’exploitation des données du NPTS 1990 (Nationwide Personal Transportation Survey) révèle une corrélation négative significative entre la densité résidentielle et les distances parcourues en automobile et en transports en commun (Levinson & Kumar, 1997).

La technique de l’analyse par classes de densité est également utilisée par une étude britannique (qui exploite les données du National Travel Survey de 1985, citée in Breheny, 1995) qui montre une relation inverse entre densité résidentielle et distances parcourues par personne pour l’ensemble des villes anglaises. La ventilation des distances parcourues par mode et par personne procure un tableau contrasté : si le lien inverse avec la densité est conservé pour les déplacements automobiles, il devient positif pour les modes alternatifs : transports collectifs et marche à pied (cf. Tableau II-1).

Tableau II-1. Distances parcourues par personne par semaine et par mode, et densité de population

Classes de densité (hab./ha) Tous modes Automobile Bus Rail Marche

<1 206,3 159,3 5,2 8,9 4,0 [1 ; 5[ 190,5 146,7 7,7 9,1 4,9 [5 ; 15[ 176,2 131,7 8,6 12,3 5,3 [15 ; 30[ 152,6 105,4 9,6 10,2 6,6 [30 ; 50[ 143,2 100,4 9,9 10,8 6,4 >50 129,2 79,9 11,9 15,2 6,7 Total 159,6 113,8 9,3 11,3 5,9

Note : les déplacements de moins de 1,6 km sont exclus Source : ECOTEC, 1993, reproduit in Breheny, 1995

Dans les villes où la densité est relativement plus élevée, les comportements sont davantage tournés vers une mobilité durable. Les données du NPTS 1995 permettent à C. L. Ross et A. E. Dunning (1997) d’associer les fortes densités à de plus faibles distances de déplacement, de moindres distances parcourues annuellement par personne et un usage accru des modes alternatifs à l’automobile (transports collectifs, marche et deux-roues). L’interaction entre densité et mobilité est valable aussi bien à l’origine qu’à la destination du

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C’est-à-dire l’inverse de la densité, considérée comme un indicateur pertinent de l’intensité de l’occupation du sol par l’homme (Bailly et alii, 1992, p. 440).

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trajet, puisque les mêmes données servent à D. G. Chatman (2003) à montrer que la densité autour du lieu de travail influence négativement les distances parcourues par véhicule.

La critique sur l’incommensurabilité des comportements de mobilité à l’échelle internationale est prise en compte dans un article récent de I. Cameron et alii (2003). Pour justifier la pertinence de comparaisons internationales, ils combinent l’analyse systémique et l’analyse dimensionnelle.

• Leur hypothèse de départ est l’assimilation d’une ville à un système. On est

alors autorisé à les comparer, car elles partagent cette propriété systémique qui fait selon eux l’essence même de l’urbain : « malgré le passage du temps et les différences géographiques et culturelles, toutes les villes ont un certain comportement systématique (systematic behavior) qui est l’essence d’une aire

urbaine » (p. 268)64.

L’analyse dimensionnelle (dimensional analysis) est utilisée pour la

compréhension d’un système dont on connaît les paramètres de contrôle sans avoir de modèle sous-jacent. L’utilisation de ratios sans dimension (dimensionless

ratios), indépendants des unités de mesure, permet de préciser la forme

fonctionnelle reliant entre eux les paramètres du modèle, sous l’hypothèse que la mobilité urbaine est déterminée par le comportement systématique des villes. Ils obtiennent, à partir de données sur 46 villes dans le monde (l’actualisation de la base de P. Newman et J. Kenworthy en 1989), une relation non linéaire décroissante entre la densité et le nombre de véhicules-kilomètres par personne. Cette étude permet donc de confirmer, de manière plus robuste, la courbe de Newman et Kenworthy. Le taux de motorisation, selon eux une mesure des différentiels de richesse, a pour effet d’accroître la pente de la courbe. Le fait que cette forme structurelle explique plus de 85% de la variance pour les années 1960, 1970, 1980 et 1990 avec seulement de faibles changements dans les paramètres renforce l’hypothèse de départ : « malgré le passage du temps et les différences culturelles, géographiques et sociales, il y a une caractéristique systématique inhérente des aires urbaines qui influence la mobilité automobile » (pp. 275-276). Cette « caractéristique systématique » fait référence à la densité.

Le fait qu’un phénomène soit reproductible à plusieurs échelles spatiales lui confère une grande robustesse. Le lien inverse entre densité urbaine et consommation d’énergie pour les transports est également valable au niveau intra-urbain.

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Cet appel à la notion de système pour effacer les différences de contexte urbaine est critiquable : « de nombreuses explications [basées sur la théorie des systèmes] pourront être fondées par référence à un espace et à un moment donné, sans pour autant être valables pour d’autres espaces et à d’autres époques » (Lajugie et alii, 1985, p. 751)

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C - Le lien densité-consommation d’énergie à l’échelle intra-urbaine

La confirmation du lien entre densité et consommation d’énergie à l’échelle intra- urbaine peut se faire directement grâce aux densités ou indirectement, à partir de la distance au centre-ville, avec laquelle la densité est fortement corrélée (loi de Clark).

1 - L’interaction densité et mobilité à l’échelle intra-urbaine à partir d’un découpage fonction de la distance au centre

P. Newman et J. Kenworthy (1989b) divisent la région métropolitaine de New York en quatre cercles concentriques de taille croissante et observent des écarts de 1 à 5 pour la consommation individuelle d’énergie entre les zones extrêmes de densité.

En France, certaines applications des travaux menés par l’INRETS et l’ADEME au milieu des années 1990 ont également permis de confirmer le lien entre densité et consommation d’énergie pour les transports. L’objet était la formulation d’une méthodologie de calcul des coûts environnementaux dus aux transports, le B.E.E.D (Budget Energie Environnement Déplacements). Celui-ci se compose de la somme de la consommation énergétique et des émissions de polluants dus aux déplacements quotidiens, calculée pour un individu ou un ménage pendant une journée de semaine ordinaire (Gallez & Hivert, 1998). Les études menées sur plusieurs grandes villes françaises concluent toutes à un accroissement significatif du B.E.E.D individuel avec la distance au centre. A titre d’exemple, dans l’agglomération bordelaise, le B.E.E.D peut varier du simple au double entre les zones centrales et les zones les plus éloignées du centre (Hivert, 1998).

Grâce à une méthode très précise de calcul des émissions des véhicules particuliers65,

J.-P. Nicolas et alii (2001) montrent que les émissions individuelles de polluants sont moitié moindres au centre que dans la deuxième couronne de l’agglomération de Lyon.

Les comportements de mobilité sont déterminés par la distance au centre de l’origine comme de la destination : une étude des comportements de mobilité des employés de six compagnies à Oslo montre que la consommation d’énergie per capita est positivement associée à la distance du lieu de travail au centre-ville, et ce quel que soit le lieu de résidence (Naess & Sandberg, 1996).

Si l’effet de la densité sur la mobilité à l’échelle intra-urbaine semble empiriquement vérifié à travers un découpage en couronnes selon la distance au centre, il est néanmoins indispensable de tester directement la validité de cet effet.

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Plus précise que la méthode du B.E.E.D, puisqu’elle prend par exemple en compte le surcroît de pollution lié aux démarrages à froid, au temps moyen d’attente aux feux, etc.

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2 - L’interaction entre densité et mobilité à l’échelle intra-urbaine à partir d’un découpage fin et d’attributs de densité

D. M. Levinson et A. Kumar (1997) constatent une relation inverse entre densité et distances parcourues en automobile au niveau intra-urbain pour Chicago, Indianapolis et New York.

Pour l’ensemble des communes d’Ile-de-France, V. Fouchier (1997a) relie explicitement la consommation d’énergie due aux transports à différents critères de densité. Il utilise l’analyse par classes de densité. Ses résultats montrent :

• L’existence d’un lien inverse entre la densité et la consommation d’énergie

liée aux transports, mesurée par le B.E.T (Budget Energie Transport, ancienne version du B.E.E.D - cf. Graphique II-1) ;

• Des résultats tout à fait comparables selon le critère de densité adopté : densité

humaine ou simplement résidentielle, densité brute ou densité nette.

Graphique II-1. Budget énergie-transports selon la densité humaine nette en Ile-de-France (données 1990) 4 0 0 6 0 0 8 0 0 1 0 0 0 1 2 0 0 1 4 0 0 1 6 0 0 1 8 0 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 1 0 1 1 1 2 1 3 1 4 1 5 1 6 1 7 1 8 1 9 2 0 2 1 2 2 2 3 2 4 2 5 2 6 2 7 2 8 2 9 3 0 T r a n c h e d e d e n s i t é c r o i s s a n t e B udget Ener gi e Tr anspor ts ( e n g. e. p ./in d ./jo u r) Source : Fouchier, 1997

On cherche à justifier cette tendance de la densité à économiser les dépenses d’énergie pour les transports par l’étude de l’interaction entre densité et comportements de mobilité à l’échelle intra-urbaine. Ce champ de recherches se développe considérablement dans les années 1990 : R. Ewing et R. Cervero (2001) recensent pas moins de cinquante études empiriques traitant de ce sujet. Il n’est pas question de les citer toutes, d’autant qu’elles concernent le plus souvent des agglomérations américaines et qu’elles utilisent parfois les mêms données. De plus, leurs résultats sont largement convergents et confirment pour la plupart l’influence de la densité. Celle-ci est :

• Négative sur les distances parcourues par personne ou par déplacement

(Cervero & Kockelman, 1997, pour 50 ménages de la San Francisco Bay Area (données 1990) ; Frank et alii, 2000, pour 1 680 ménages de Seattle) ;

• Négative sur la part modale de l’automobile et positive sur la part modale des

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60 ménages de Seattle ; Rajamani et alii, 2003, pour 369 ménages de Portland, (Oregon), mais seule la part modale des TC est significative ; Cervero &

Kockelman, 1997, mais uniquement pour les trajets non professionnels66).

On peut préciser l’impact de la densité sur l’offre de transports en commun, qui passe par une influence :

Sur la desserte. Grâce aux données du NPTS 1995, C. L. Ross et A. E. Dunning

(1997) mettent en évidence une corrélation positive entre la densité résidentielle d’une part, et la disponibilité du service de transports en commun et la distance du domicile à l’arrêt le plus proche d’autre part ;

• Sur leur usage. E. Burton (2000) relate la corrélation positive entre la densité et

l’usage des transports en commun par les employés à bas revenu pour 25 villes moyennes anglaises. P.-H. Emangard (1994) montre à partir de l’analyse des villes françaises de plus de 100 000 habitants que la densité est positivement reliée au coefficient de remplissage des véhicules, au nombre de voyages par habitant desservi par an, au nombre de voyageurs par véhicule-kilomètre et à la densité du réseau ;

• Sur la rentabilité. J. Kenworthy et F. Laube (1999) constatent que plus les

densités sont fortes, plus le taux de couverture des dépenses de fonctionnement des

transport en commun67 est élevé (cf. Graphique II-2).

Graphique II-2. Densité urbaine et efficacité des transports en commun

Source : Kenworthy & Laube, 1999

L’influence négative de la densité sur la consommation d’énergie pour les transports est empiriquement avéré, aussi bien au niveau inter-urbain qu’intra-urbain. Ce lien prend sa source dans l’interaction entre la densité et les comportements de mobilité, et plus particulièrement les distances parcourues et le choix modal. Les mécanismes qui président à de telles interactions doivent être précisés.

66 C’est-à-dire les déplacements autres que domicile-travail. 67

Dérivé des coûts d’exploitation et des bénéfices d’exploitation, ce taux n’inclut pas les dépenses en capital ni le service de la dette (données 1990).

0 2 0 4 0 6 0 8 0 1 0 0 1 2 0 1 4 0 1 6 0 1 8 0 A m é r i c a i n e s A u s t r a l i e n n e s E u r o p é e n n e s A s i a t i q u e s D e n s i t é u r b a i n e m o y e n n e ( h a b i t a n t s / h a ) T r a v a i l l e u r s u t i l i s a n t l e s T C ( % ) T a u x d e c o u v e r t u r e d e s d é p e n s e s ( % )

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II - Les justifications théoriques d’une interaction entre densité urbaine

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