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Titre I : La liberté de constituer une ancre

Paragraphe 1 La légalité des murs d’images

169. Les moteurs de recherche effectuent de nombreuses copies d’œuvres afin de constituer les ancres. Ils ont recours à des spiders qui cherchent notamment des images sur la toile. Les copies effectuées sont ensuite réduites sous la taille de vignettes et présentées sur des murs d’images299 comme dans l’exemple suivant :

170. Les algorithmes sont par conséquent à l’origine d’une amélioration sans précédent de l’accès aux informations et à la culture. Ils permettent néanmoins le référencement d’un grand nombre de copies illicites. Le droit à la culture se trouve donc en même temps violé dans sa dimension auctoriale et renforcée dans son accessibilité pour le public. Cette situation d’illégalité à grande échelle risque de mettre en péril la survie des moteurs de recherche.

171. La reproduction par les moteurs de recherche n’est pas exclue du monopole de l’auteur dans les deux systèmes juridiques et les droits communs ont vocation à s’appliquer. En effet, lors des discussions sur le projet de réforme français portant création d’une nouvelle exception au monopole de l’auteur pour les commissaires priseurs utilisant des images des œuvres mises en vente300, les moteurs de recherches se sont faits entendre afin de bénéficier

      

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Kelly v. Arriba Soft Corp., 280 F.3d 934, 2002 U.S. App. LEXIS 1786, 61 U.S.P.Q.2D (BNA) 1564, Copy. L. Rep. (CCH) P28,393, 2002 Cal. Daily Op. Service 1151, 2002 Daily Journal DAR 1531 (9th Cir. Cal. 2002).

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Le projet a introduit l’article L. 122-5, 3° du Code de la propriété intellectuelle relatif à l’exception en matière de reproduction d’œuvres d’art dans les catalogues de vente judiciaire. Voir HADOPI, « Chantier exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins - synthèse des contributions reçues », p. 10, accessible à : http://www.hadopi.fr/sites/default/files/page/pdf/Synthese_des_contributions.pdf (dernier accès: 26/12/2015).

eux aussi d’une exception pour les vignettes. Le législateur n’a cependant pas retenu cette proposition d’exception. Ce débat n’a pas eu lieu aux Etats-Unis mais, conformément au principe de neutralité technologique301, le copyright s’applique aux reproductions effectuées par les moteurs de recherche. L’utilisation d’une image afin de constituer une vignette implique par conséquent l’application du droit d’auteur302 et du copyright303 et nécessite donc l’obtention d’une autorisation préalable du titulaire des droits.

172. La jurisprudence américaine a été la première à être saisie de cette question avec l’arrêt Kelly v. Arriba304. En l’espèce, des images protégées par le copyright avaient été reproduites par un moteur de recherche pour son mur d’image. La reproduction étant l’une des prérogatives conférées par le Copyright Act aux titulaires de droits la création de murs d’images devrait être interdite.

173. Les juges ont cependant appliqué l’exception de fair use alors que les juges français étaient tenus d’appliquer les principes traditionnels du droit d’auteur français et ne pouvaient écarter le monopole que dans le cas des exceptions de l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle mais aucune ne semblait pertinente. Aux Etats-Unis les juges ont en revanche retenu dans l’arrêt Kelly que la reproduction s’avère transformative car elle assure une fonction différente de celle initialement pensée pour les œuvres en permettant le référencement. L’expression œuvre transformative ne recouvre pas exactement le sens que la doctrine française lui a conféré car il n’est en effet pas nécessaire de créer une œuvre nouvelle. Il est simplement nécessaire que l’œuvre transformative modifie l’objectif et l’utilisation de l’œuvre, sans se contenter de la remplacer305. Le caractère transformative de la reproduction pèse en faveur du fair use. En outre, la réduction effectuée était de faible

      

301

Voir n°54.

302

La seule exception réside dans la reproduction dans un catalogue de vente aux enchères organisée par un officier public ou ministériel. Article L. 122-5 3° du Code de la propriété intellectuelle.

303

Kelly v. Arriba Soft Corp., 280 F.3d 934, 2002 U.S. App. LEXIS 1786, 61 U.S.P.Q.2D (BNA) 1564, Copy. L. Rep. (CCH) P28,393, 2002 Cal. Daily Op. Service 1151, 2002 Daily Journal DAR 1531 (9th Cir. Cal. 2002).

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Kelly v. Arriba Soft Corp., 280 F.3d 934, 2002 U.S. App. LEXIS 1786, 61 U.S.P.Q.2D (BNA) 1564, Copy. L. Rep. (CCH) P28,393, 2002 Cal. Daily Op. Service 1151, 2002 Daily Journal DAR 1531 (9th Cir. Cal. 2002).

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C’est à dire qu’elle modifie l’objectif et l’utilisation de l’œuvre et qu’elle ne se contente pas de la remplacer. Voir Campbell v. Acuff-Rose Music, Inc., 510 U.S. 569, 579 (1994) ; P.N. LEVAL, « Toward a Fair Use Standard », mars 1990, 103 Harv. L. Rev. 1105, 1105.

résolution. Il a ainsi été considéré qu’elle fait obstacle à une utilisation des vignettes par les internautes et ne permettrait pas de compromettre le marché de l’auteur. Il existe donc un équilibre entre le droit des auteurs de ne pas être spoliés de leurs œuvres et des créateurs automatiques de liens d’innover. Pourtant, le safe harbor de fair use vise traditionnellement à établir un équilibre entre les intérêts des différents auteurs pour leur permettre de créer des œuvres nouvelles306, et non pas un équilibre entre les intérêts des auteurs et d’autres agents économiques. Le Second Circuit307 a adopté une solution plus rigoureuse en retenant que le fair use ne permet pas de copier une œuvre protégée pour la mettre dans un autre contexte, mais sans que cela ne modifie a priori la solution de l’arrêt Kelly. Il faut en effet voir un message nouveau dans l’œuvre308, ce qui n’est pas le cas lorsqu’une œuvre est utilisée pour constituer une vignette. Cette souplesse est inconnue du droit français car il ne revient traditionnellement pas aux juges d’étblir un équilibre entre les différents intérêts en présence.

174. L’arrêt Perfect 10309 a néanmoins soulevé la question de la validité de cet argument lorsque la résolution est suffisante pour une reproduction sur un téléphone portable. L’arrêt n’a cependant pas retenu que cet argument était déterminant. La nature des œuvres, qui en tant que photographies sont au cœur de la protection du Copyright Act, ne constitue pas un élément pesant de façon déterminante en faveur du titulaire des droits. La reproduction intégrale des œuvres étant nécessaire en l’espèce, il a été retenu que cela était indifférent pour le test de fair use. Il s’en suit qu’une reproduction qui ne s’avérerait pas nécessaire risquerait de ne pas bénéficier de l’exception de fair use. Enfin, la reproduction des œuvres ne cause pas de préjudice économique au titulaire des droits car elle a pour conséquence d’attirer des internautes vers son site.

175. Ne disposant pas d’un système souple d’exceptions, la Cour d’appel de Paris310 a retenu que la société Google avait commis une violation du droit d’auteur via son application Google image. En effet, la société s’est abstenue de mettre un terme à la reproduction des

      

306

Cariou v. Prince, 714 F.3d 694 (2d Cir. 2013) .

307

TCA TV Corp. v. McCollum, No. 16-134-cv, 2016 U.S. App. LEXIS 18333 (2d Cir. Oct. 11, 2016).

308

TCA TV Corp. v. McCollum, No. 16-134-cv, 2016 U.S. App. LEXIS 18333 (2d Cir. Oct. 11, 2016).

309

Perfect 10, Inc. v. Amazon.com, Inc., 508 F.3d 1146, 2007 U.S. App. LEXIS 27843 (9th Cir. Cal. 2007).

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œuvres protégées. Dura lex, sed lex… La Cour de cassation a fait preuve d’une plus grande précision dans l’arrêt Auféminin du 12 juillet 2012311.

176. Les juges ont tout d’abord rejeté l’argument de la société Google qui consistait à arguer que le régime de caching avait vocation à s’appliquer à leur système. La Cour de cassation lui a opposé que la réduction des images sous forme de vignettes faisait obstacle à ce régime qui nécessite une absence totale de modification des contenus. Son argumentaire relatif à son statut d’hébergeur s’est avéré plus pertinent. En effet, la société Google stocke - c’est à dire reproduit - les œuvres en dehors des exceptions au droit d’auteur et notamment du droit de citation312. Dès lors que la société reproduit des œuvres protégées sans intervention directe elle bénéficiera du régime de responsabilité limité. Ainsi, seul le régime des hébergeurs au sens de la directive e-commerce313 est applicable aux murs d’images. La Cour de cassation a donc retenu qu’à la suite de la réception d’une lettre de mise en demeure les propriétaires de murs d’images doivent retirer les œuvres qu’ils ont reproduites. Il ne s’agit cependant pas d’un régime d’opt in car les œuvres n’auraient pas dû être reproduites dès le début. Un équilibre a ainsi été établi entres les droits des auteurs et l’incitation à créer un nouveau service de recherche.

177. La solution française diverge donc de celle prise en Allemagne où les juges n’ont pas eu recours aux dispositions de la directive e-commerce dans une situation similaire. En effet, la Cour fédérale de Justice allemande314 a relevé que le service de moteur de recherche, qui utilise des images sous forme de vignettes, bénéficie d’une autorisation implicite du titulaire du droit d’auteur. La licence implicite sera opposable dès lors que l’auteur a mis ses œuvres à disposition sur internet sans mesures techniques empêchant l’indexation automatique ni l’affichage par des moteurs de recherches. L’arrêt introduit ainsi une logique d’opt out315 en

      

311

Cass. civ. 1e, 12 juillet 2012, n°11-15165, 11-15188.

312

Cass. civ. 1e, 7 nov. 2006, n°05-17165 : « la reproduction intégrale d’une œuvre de l’esprit, quel que soit son format, ne peut s’analyser comme une courte citation » ; L. CASTEX, « De l’exploitation des images dans le cadre d’un service de recherche sur l’internet », RLDI, 2011, 71.

313

Directive 2000/31/CE.

314

Cour Fédérale de Justice d’Allemagne, 29 avril 2010, aff. I ZR 69/08, p. 11-12, accessible à www.bundesgerichtshof.de

315

L. CASTEX, « De l’exploitation des images dans le cadre d’un service de recherche sur

contradiction avec l’article 5.2 de la convention de Berne316 et avec le droit français317. Les juges allemands ont ainsi considéré que la demanderesse présentait une demande abusive car elle n’avait pas placé de balise dans le code source de ses images afin d’interdire le référencement et qu’elle profitait ainsi de l’amélioration du référencement. La solution allemande est cependant contraire à l’aritcle 8.3 de la convention de Berne qui dispose que le droit d’auteur est protégé sans formalité. Or, avec ce raisonnement, les auteurs ne jouieront de leurs droits que s’ils suivent une procédure de protection de leurs œuvres. La solution française doit donc être privilégier en Europe à moins que les États membres n’introduisent une exception pour les ancres.

178. Il n’est cependant pas forcément nécessaire d’aboutir à une modification législative. Il est en effet tout à fait concevable que les propriétaires de moteurs de recherche créent des formulaires d’adhésions leur permettant de référencer et de reproduire les œuvres que les auteurs auront mentionnés. Cet argument avait été soulevé par la Société des auteurs des arts visuels et de l’image dans un litige les opposant à la société Google318. Ce régime d’opt in permettrait aux auteurs d’obtenir une rémunération pour le référencement et le stockage de leurs œuvres. Les gouvernements pourraient réunir les moteurs de recherche et faire pression sur eux comme a pu le faire le gouvernement français avec la société Google afin de créer un fonds pour la presse. Il est cependant peu probable que le gouvernement américain aille en ce sens et pour l’heure les chancelleries européennes sont restées relativement timorrées, à l’exception notable de l’Espagne et de la France319.

179. Les droits français et américain divergent donc sur l’appréhension du fonctionnement des murs d’images. Ils convergent néanmoins pour interdire la possibilité d’agrandir les images référencées.

      

316

Article 5.2 de la convention de Berne.

317

F. MACREZ, « L’exploitation numérique des livres indisponibles : que reste-t-il du droit

d’auteur ? », D., 2012, p. 749.

318

CA Paris, pôle 5, 1re ch., 26 janv. 2011, SAIF c/ Stés Google France et Google Inc., n° 08/13423, www.juriscom.net ; RLDI 2011/68, n° 2244, obs. Costes L.

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