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Titre I : La liberté de constituer une ancre

Paragraphe 2 Les ancres matérielles

76. Les ancres matérielles sont des ancres placées non pas sur le réseau internet mais dans le monde réel. Elles établissent une connexion directe entre le monde qui nous entoure et l’internet et troublent la frontière entre ces deux espaces.

77. Les ancres matérielles peuvent notamment être constituées par un QR code (I). Les objets matériels peuvent également servir d’ancres. Le procédé de scan d’une chose avec une présentation d’une page constitue un mécanisme d’hyperlien bien que l’ancre soit matérielle (II).

78. En 1994 la société japonaise Denso-Wave a inventé le QR code116 pour assurer le suivi des pièces détachées au sein de son entreprise. Depuis, avec le développement des smartphones et des Google glasses, les QR codes ont envahi notre quotidien. En scannant le code, les utilisateurs de ces appareils sont envoyés vers la page internet choisi par le créateur du QR Code. Les QR codes fonctionnent donc comme des ancres d’hyperliens.

79. Il s’agit donc de savoir si un QR code peut être protégé par le droit d’auteur et le

copyright. Les droits français117 et américain118 convergent sur le principe de la protection des œuvres originales. Les deux droits ne concèdent de protection qu’à des personnes humaines et non pas à des animaux ni à des machines119. Or, étant constituée d’un code barre élaboré de façon purement technique par une machine120 - et n’étant donc pas originale - le QR code n’est pas protégé. Il est donc loisible à des tiers de le reproduire et par conséquent de créer librement des ancres.

80. Ce nouveau procédé peut permettre d’assurer la légalité de la reproduction des ancres car les éléments techniques sans originalité ne sont pas protégés. Il y a donc lieu de considérer que le développement du web 3.0, qui sera celui des objets connectés121, ne sera pas entravé par le droit d’auteur ni le copyright tant que les internautes auront recours à des QR codes ou d’autres systèmes créés par des algorithmes. La solution risque d’être moins souple lorsque des choses du monde matériel seront scannées.

      

116

Exemple de QR code : .

117

Crim. 7 octobre 1998, RIDA 1999, n°180, p. 327 ; CJCE, 16 juillet 2009, aff. C-5/08, Infopaq ; M. VIVANT, J.M. BRUGUIÈRE, « Droit d’auteur et droits voisins », Dalloz, 3e édition, 2016, 257 ; A. LUCAS, P. SIRINELLI, « L’originalité en droit d’auteur », JCP 1993. I. 3681, n°1.

118

Feist Publications, Inc., v. Rural Telephone Service Co., 499 U.S. 340 (1991).

119

France : M. VIVANT, J.M. BRUGUIÈRE, « Droit d’auteur et droits voisins », Dalloz, 3e édition, 2016, 110.

Etats-Unis : J. SIDERITS, « The Case For Copyrighting Monkey Selfies », 84 U. Cin. L. Rev. 327, été 2016.

120

Voir par exemple le site http://generator.code-qr.net/#url permettant de transformer une adresse URL en code QR (dernier accès : 26/04/2014).

121

Lamy droit des médias et de la communication, juin 2013, 464.6. Tous les auteurs n’adoptent cependant pas la même définition du web 3.0. Ce web sera sans doute polymorphe et inclura sans doute les objets connectés qui se développent rapidement.

II) Les ancres du monde matériel

81. Outre les QR codes, qui ne posent pas de problème du point de vue du droit d’auteur122, les internautes peuvent utiliser directement des œuvres protégées comme ancre. À cette fin, les internautes auront recours à la reconnaissance visuelle via leurs smartphones ou de leurs Google glass qui fonctionnent selon deux méthodes différentes. Les choses peuvent être scannées (A) ou photographiées (B).

A) Les ancres par scan

82. La première méthode consiste à relier la chose scannée aux œuvres présentes dans une base de données. Le terminal utilisé effectue donc une copie de la chose scannée qu’il relie à une base de données. La reproduction effectuée est transitoire. Elle est par conséquent autorisée en droit européen123 et américain124. Ainsi, les utilisateurs de ce système n’engageront pas leur responsabilité pour la visualisation de reproductions.

83. Il n’est cependant pas évident que la convergence perdure. En effet, l’imprécision de la notion de recel de contrefaçon en droit français pourrait permettre à un juge de retenir que l’internaute bénéficie d’un recel de l’œuvre lorsqu’il regarde une copie illicite en streaming. La notion de recel au sens de l’article L. 321-1 alinéa 2 n’est pas clair et la question de savoir si le bénéfice doit être matériel ou s’il peut être moral125 n’est pas tranchée. S’il peut ne s’avérer que moral, comme la contemplation de l’œuvre, le délit de recel sera constitué vis à vis de l’internaute qui regarde une œuvre en streaming. S’il est probable que le juge se tienne à une définition restrictive conformément au principe d’interprétation stricte du droit pénal126, il pourrait également effectuer une lecture protectrice des auteur et engager la responsabilité des internautes visualisant des œuvres dès lors qu’il est évident que le site consulté où l’œuvre

      

122

Voir supra points 78.

123

Article 5.1 de la directive 2001/29/CE.

124

17 U.S.C. §512(b).

125

A. LEPAGE, H. MATSOPOULOU, « Droit pénal spécial », 2015, PUF, 886.

126

L. THOMAS, « L’application du principe d’interprétation stricte de la loi pénale par la chambre

scanné est une contrefaçon. Cela permettrait de maintenir l’état de rareté artificiel des œuvres tout en luttant contre la demande des internautes qui nourrit le marché de la contrefaçon.

84. La situation est en revanche plus claire aux Etats-Unis où l’arrêt Aereo127 a retenu que les copies transitoires dans la mémoire tampon ne constituent pas des reproductions au sens de la section 101 du Copyright Act et échappent par conséquent au monopole de l’auteur. Les personnes visualisant une œuvre en streaming ne violent donc pas le monopole de l’auteur. La reproduction d’œuvres dans la mémoire tampon est par conséquent licite pour les utilisateurs. Le droit américain ne permet donc pas d’engager la responsabilité des internautes prenant simplement connaissance d’informations concernant un objet et pourrait donc converger vers le droit français. Les deux solutions, si d’aventure elles devaient s’avérer convergentes, renforceraient l’accès du public aux informations et plus globalement à la culture.

85. Le créateur de la base de données engagera en revanche sa responsabilité pour la reproduction des œuvres car il ne pourra pas se réfugier derrières les exceptions de reproduction transitoire. Il pourra en outre engager sa responsabilité pour la représentation de l’œuvre au public en France comme aux États-Unis. En effet, le créateur de la base de donné communique l’œuvre au public car il la transmet au public au sens de l’arrêt Svensson128 de la CJUE et de l’arrêt américain Perfect 10129 du Neuvième Circuit. La communication d’une œuvre par un canal technologique non exploité par l’auteur lui même constitue traditionnellement une communication au public130. Il sera en revanche plus difficile de retenir que le public scannant l’œuvre est nouveau étant donné que le fait de scanner l’œuvre constitue une utilisation nouvelle de l’œuvre par un public y ayant déjà accès. Il sera par conséquent nécessaire d’obtenir une autorisation de représentation pour les créateurs des bases de données.

86. Les deux droits vont donc converger sur le principe de l’interdiction de la reproduction de contrefaçons par les producteurs de bases de données. Il ne sera cependant pas plus       

127

WNET Thirteen v. Aereo, Inc., 712 F.3d 676, 2013 U.S. App. LEXIS 6578, 106 U.S.P.Q.2D (BNA) 1341, Copy. L. Rep. (CCH) P30,406, 77 A.L.R. Fed. 2d 543, 41 Media L. Rep. 1733, 57 Comm. Reg. (P & F) 1708, 2013 WL 1285591 (2d Cir. N.Y. 2013).

128

CJUE, 13 février 2014, C-466/12, Svensson c. Retriever Sverige AB.

129

Perfect 10, Inc. v. Amazon.com, Inc., 508 F.3d 1146, 2007 U.S. App. LEXIS 27843 (9th Cir. Cal. 2007).

130

France : Cass. civ. 1e, 6 avril 1994, n°92-11186.

sécurisant de recourir à la technique des ancres par photographies pour les producteurs de bases de données.

B) Les ancres par photographies

87. En revanche, certains appareils effectuent des photographies des choses qu’ils scannent. Les photographies sont reliées à une base de données afin de reconnaître la chose photographiée.

88. Ces photographies ne violent pas le monopole de l’auteur dans la mesure où elles pourront souvent bénéficier de l’exception de copie privée131 en France et de l’exception de

fair use aux États-Unis. L’exception de fair use est d’application souple mais pas toujours

prévisible132. Le test se divise en quatre étapes requérant du juge qu’il analyse (1) l’objectif et la nature de l’utilisation et notamment s’il s’agit d’un usage commercial gratuit lié à un but éducatif, (2) la nature de l’œuvre protégée, (3) la quantité et le caractère substantiel de la partie utilisée en fonction de l’œuvre complète, (4) l’effet de l’utilisation sur le marché potentiel ou la valeur de l’œuvre protégée elle-même.

89. En cas de scan d’une œuvre, la reproduction de l’œuvre sera transformative - c’est à dire qu’elle modifiera l’utilité de l’œuvre133 - dès lors qu’elle aura un usage nouveau et qu’elle n’aura pas de conséquence sur le marché de son propriétaire. Le premier critère sera ainsi rempli. Le critère de la nature de l’œuvre pourra peser légèrement contre l’opposabilité du test de fair use tout comme la question de la quantité de l’œuvre reproduite si elle est copiée intégralement. Enfin, l’impacte sur le marché sera souvent minime et penchera pour l’application de l’exception de fair use. Les deux critères principaux étant les premier et

      

131

Article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle.

132

Second Supplementary Report of the Register of Copyrights on the General Revision of the U.S.

Copyright Law: 1975 Revision Bill ch. VII, 25–26 ; K.D. CREWS, « The Law of Fair Use and the Illusion of Fair-Use Guidelines », Ohio State Law Journal, 2001, vol. 62, 2.

133

Perfect 10, Inc. v. Amazon.com, Inc., 508 F.3d 1146, 2007 U.S. App. LEXIS 27843 (9th Cir. Cal. 2007).

quatrième134, le safe harbor de fair use sera constitué et permettra aux utilisateurs de ne pas engager leur responsabilité pour contrefaçon.

90. Le test de fair use a en effet connu un changement de paradigme sous l’influence de la jurisprudence de la côte Ouest. En effet, le Neuvième Circuit - qui est compétent notamment pour l’État de la Californie - a retenu dans l’arrêt Perfect 10135 que le test de fair use autorise la reproduction d’une œuvre dès lors que cela permet à un prestataire de service de développer ses activités. L’arrêt a procédé à un passage en force en retenant que la différence d’objectif de l’utilisation de l’œuvre constitue une transformation de celle-ci. La jurisprudence du

Second Circuit136 - compétente notamment pour l’État de New York - n’est en revanche jamais allée dans ce sens. Il s’agit d’une modification profonde de la philosophie du test de

fair use qui était initialement destiné à promouvoir le progrès des arts ainsi que la création de

nouvelles expressions bénéficiant au public137. L’équilibre devait initialement être trouvé entre les intérêts du public et des auteurs138. Le fair use sert désormais au développement d’activités économiques. L’application du copyright américain se trouve ainsi écartée dès lors qu’elle bloque le développement économique. Cette prise en compte des intérêts économiques est impossible en droit français à cause des dispositions strictes de l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle, mais également de l’incapacité des juges français à comprendre les enjeux économiques, ce qui est plus aisé pour les juges américains étant donné que nombre d’entre eux a fait des études en économie. L’approche américaine se justifie eu égard aux intérêts économiques de la côte Ouest des Etats-Unis où l’industrie numérique est très présente et prospère. Le développement des ancres analogiques, c’est à dire du web 3.0, ne sera donc pas limité par le droit d’auteur ni le copyright.

      

134

Pour le premier facteur : Campbell v. Acuff-Rose Music, Inc., 510 U.S. 569, 114 S. Ct. 1164, 127 L. Ed. 2d 500, 1994 U.S. LEXIS 2052, 29 U.S.P.Q.2D (BNA) 1961, 62 U.S.L.W. 4169, Copy. L. Rep. (CCH) P27,222, 94 Cal. Daily Op. Service 1662, 94 Daily Journal DAR 2958, 22 Media L. Rep. 1353, 7 Fla. L. Weekly Fed. S 800 (U.S. 1994) ; Pour le quatrième facteur : Harper & Row, Publrs. v.

Nation Enters., 471 U.S. 539, 105 S. Ct. 2218, 85 L. Ed. 2d 588, 1985 U.S. LEXIS 17, 225 U.S.P.Q.

(BNA) 1073, 53 U.S.L.W. 4562, 11 Media L. Rep. 1969 (U.S. 1985).

135

Perfect 10, Inc. v. Amazon.com, Inc., 508 F.3d 1146, 2007 U.S. App. LEXIS 27843 (9th Cir. Cal. 2007).

136

Infinity Broadcast Corp. v. Kirkwood, 150 F.3d 104, 108 (2d Cir. 1998).

137

M.D. MURRAY, « What is Transformative ? An Explanatory Synthesis of the Use Law », 11 Chi.- Kent J. Intell. Prop. 260, printemps 2012, 263.

138

S. AYAZI, « Search Engines Score Another Perfect 10 : The Continued Mususe of Copyrighted

91. Les utilisateurs pourront en outre bénéficier de l’exception de copie transitoire des droits européen139 et américain140. En effet, les copies se trouvent supprimées lors du prochain scan par une autre copie. En outre, les copies constituent une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique en assurant la communication des contenus à l’utilisateur à partir de la page d’un tiers sans modification de l’œuvre. Enfin, elles n’ont pas de signification économique indépendante.

92. Les producteurs de bases de données vers lesquelles seront envoyés les scan des photographies devraient être soumis au même régime que lorsque les utilisateurs scannent les œuvres141. Les deux types de technologies fonctionnent d’une façon similaire pour les producteurs de bases de données.

93. Il n’est cependant pas évident que cela empêche les internautes de scanner des contrefaçons car le scan reconnaîtra des formes qui seront souvent très similaires voire identiques entre l’œuvre originale et une contrefaçon. L’accès à la contrefaçon sera ainsi maintenu, ce qui réduira l’effectivité du monopole des auteurs. Les auteurs auront donc la lourde charge de lutter contre les contrefaçons sur les bases de données tout en sachant que cela sera parfois sans conséquence. Il apparaît dès lors opportun d’introduire une redevance pour copie privée sur les systèmes de type Google glasses qui permettrait de participer au financement de la création et de compenser les pertes économiques des auteurs.

94. Outre ces limites pratiques pour les auteurs, les droits français, européen et américain ont introduit des limites internes aux monopoles des auteurs qui auront vocation à s’appliquer à toutes les ancres.

Section 2 : La circonscription du champ d’application du droit d’auteur et du copyright aux ancres

      

139

Article 5.1 de la directive 2001/29/CE.

140

17 U.S.C. §512(b).

141

95. Le droit d’auteur et le copyright permettent aux auteurs de vivre de leurs créations et les incite à continuer à créer. Cependant, si le monopole des auteurs était sans limite, il limiterait le fond culturel commun et poserait un obstacle à la créativité. Un monopole sans limite aurait donc pour conséquence de ne pas assurer une circulation optimale des idées et des œuvres, limitant ainsi l’accès à la culture et in fine la création par une limitation trop forte de l’accès aux œuvres. L’introduction d’exception au monopole des auteurs s’est donc imposée afin d’assurer un droit optimal à la culture.

96. Ainsi, les législateurs français et américain ont circonscrit le champ d’application du droit d’auteur et du copyright (Sous-Section 1). En outre, face aux nécessités imposées par les évolutions technologiques récentes, les deux systèmes ont évolué afin de prendre en considération les nouvelles problématiques introduites par les murs d’images (Sous-Section 2).

Sous-Section 1 : La circonscription traditionnelle du droit d’auteur et du copyright

97. Les champs d’application du droit d’auteur et du copyright sont tout d’abord circonscrits par des limites externes (Paragraphe 1). En outre, afin d’assurer l’accès aux œuvres protégées les deux systèmes ont introduit des limites internes (Paragraphe 2).