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Le Kerala et le Tamil Nadu : deux exemples des politiques de classification

Politiques publiques et processus d’urbanisation par le bas

Chapitre 2. Enjeux autour de la définition des petites villes

1.2.2 Le Kerala et le Tamil Nadu : deux exemples des politiques de classification

Le Kerala et le Tamil Nadu sont deux intéressants exemples de l‘écart qu‘il peut exister entre la définition de la ville telle qu‘elle est donnée officiellement par le recensement et sa mise en application. Ces deux États sont parmi ceux qui ont poussé le plus loin le processus de décentralisation depuis les années 1990. Néanmoins les chemins qu‘ils empruntent sont complètement différents et cela se traduit notamment par des politiques de classifications de leurs collectivités locales opposées, principalement entre 1991 et 2011.

1.2.2.1 Spécificités de l‘urbanisation au Kerala et au Tamil Nadu

Le Tamil Nadu est plus urbanisé que le Kerala depuis le début siècle, mais leur évolution reste à peu près parallèle entre 1901 et 1991 (Graphique 2). Entre 1991 et 2001, cependant, l‘écart entre les deux États se creuse fortement, le taux d‘urbanisation au Tamil Nadu fait un bond de 10% tandis qu‘au Kerala celui-ci accuse une légère diminution. Or, cette décennie est celle de la mise en place du 74e amendement et de la décentralisation administrative. La politique de classification à ce moment est donc fortement liée à ce changement de gestion des

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collectivités locales. Pour comprendre ces différences d‘évolution de leurs politiques de classification, il faut revenir quelque peu sur les particularités de l‘implantation urbaine de ces deux États et sur leur processus d‘urbanisation ces dernières décennies.

Graphique 2 Évolution du taux d’urbanisation du Kerala et du Tamil Nadu entre 1901 et 2011

[Source : Divers Recensements]

Le Kerala a la particularité d‘être un État avec une très forte densité de population de 860 habitants par km2 contre 373 pour l‘Inde et 550 pour le Tamil Nadu. De plus la population est concentrée sur les plaines côtières qui se composent d‘un véritable continuum d‘habitations. Les fortes densités côtières ne sont pas les seules responsables de ce continuum qui doit également son origine au type de peuplement dispersé qui fait la particularité du Kerala. Cette dispersion de l‘habitat kéralais aurait un lien avec la forte disponibilité en eau dans les zones côtières de l‘État où se situent de nombreuses nappes d‘eau peu profondes (Sreekumar, 1990). Grâce à cette disponibilité en eau, la mise en valeur agricole a été facilitée et les petites exploitations ont pu prospérer. Aussi, la maison kéralaise typique est aujourd‘hui

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encore située au centre d‘un jardin de plantation mélangeant différentes couches de culture. Ceci est à opposer avec le Tamil Nadu qui est caractérisé par un peuplement groupé et où la plus grande difficulté à accéder à l‘eau a nécessité de grands travaux hydriques. La réalisation de ces travaux passe par la mise en action d‘une force collective et donc l‘émergence de centres de pouvoir fort pouvant gérer cette main d‘œuvre.

Il y a donc une très grande difficulté au Kerala pour différencier les espaces urbains des espaces ruraux ce qui logiquement pose un problème tout particulier pour définir les petites villes. Cette particularité du processus d‘urbanisation au Kerala a été tout d‘abord relevée par Mc Gee (1991) qui utilise le terme "desakota" provenant de l‘indonésien "desa" (rurale) "kota" (urbain) pour définir ces régions caractéristiques de l‘Asie des moussons où se mélangent les activités rurales et urbaines. Cette idée d‘un continuum urbain-rural reste cependant spécifique aux périphéries des grandes métropoles dans la pensée de Mc Gee et il accorde peu d‘importance à l‘économie politique qui joue pourtant un rôle prépondérant dans le cas au Kerala (Casinader, 1992). Néanmoins, par son positionnement, il ouvre la voie pour une remise en cause de la dichotomie urbain-rural qui sera largement questionnée par la suite (Champion et Hugo, 2004).

Plusieurs autres facteurs permettent d‘expliquer la forte dispersion urbaine du Kerala. Tout d‘abord, l‘empreinte coloniale dans cet État a été très forte tout au long du XIXe

siècle. Un système de plantation s‘est développé qui a orienté la plupart des axes de transport en direction est-ouest entre les ports et les plantations situées dans les Ghats, négligeant de relier les ports entre eux. Si la population est concentrée sur la côte, les villes y sont donc historiquement mal reliées entre elles ce qui n‘a pas favorisé de processus de concentration dans l‘une ou l‘autre de ces villes. De plus pendant longtemps c‘est Chennai au Tamil Nadu qui a servi de capitale administrative au Kerala qui en était dépourvu (Sreekumar, 1990).

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Le gouvernement du Kerala, bien conscient de la spécificité de son implantation urbaine, précise que l‘urbanisation est un processus distinct de ce qui correspond aux villes définies de façon officielle. En effet, au Kerala 93% des villages ont plus de 5 000 habitants en 2011 alors qu‘ils sont seulement 11% au Tamil Nadu, où le statut de Town Panchayat a été accordé à la très grande majorité de ces villages1. Si le Kerala devait appliquer les mêmes critères de définition qu‘au Tamil Nadu il serait pratiquement entièrement urbain (Bordagi, 2009). Dans tous les cas, il existe jusqu‘en 2011 une forte résistance de l‘État du Kerala à suivre les indications officielles du recensement pour la définition des villes censitaires et ceci a également des raisons politiques. L‘influence communiste est historiquement très forte au Kerala et cette idéologie a tendance à valoriser les aires rurales plutôt qu‘urbaines. De plus au niveau local le maire d‘un village apparaît avoir une plus grande indépendance dans ses décisions qu‘un maire de petites villes. En effet dans les petites villes un executive officer2

est appointé par le gouvernement pour aider le maire dans la mise en place des programmes gouvernementaux. Sa signature est nécessaire pour la majorité des décisions ce qui peut être ressenti par les maires de villages comme une contrainte dans l‘exercice de leurs fonctions. Enfin, le processus de décentralisation au Kerala a été particulièrement avancé. Depuis 2002 environ, 30% du budget de l‘État est directement versé aux institutions locales qui peuvent ainsi prendre en charge de façon efficace les nombreuses fonctions qui leur sont allouées dans les 73e et 74e amendements. Aussi la différenciation urbain-rural se fait moins ressentir en termes de provision de services et d‘infrastructures ce qui limite l‘intérêt de l‘accès au statut de ville pour les collectivités locales.

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Le Kerala compte 1 017 villages en 2011 contre 15 049 pour le Tamil Nadu. Rapporté à la superficie cela fait

des villages d‘une moyenne de 9 km2 contre 38 km2

pour le Kerala. La différence de forme urbaine entre les deux États se traduit par une différence considérable de découpage administratif.

2

65 1.2.2.2 La prolifération des villes au Kerala en 2011

La récente augmentation du nombre de villes censitaires est particulièrement marquée au Kerala dont le taux d‘urbanisation double pratiquement pour atteindre 47,7% en 2011. Ceci est compréhensible étant donné la sous-représentation urbaine qui caractérise l‘État et qui a déjà été mis en évidence avec le recours de la base e-Geopolis (Bordagi, 2009). Cependant la question est de savoir en quoi ce changement relève d‘un processus d‘urbanisation fort lors de la dernière décennie. En effet, déjà en 2001, 552 villages remplissaient les trois critères de définition des villes censitaires. Il s‘agirait donc davantage d‘un rattrapage par rapport à une sous-évaluation lors des précédents recensements. Ce sont ainsi plus de 350 nouvelles villes qui ont été promues en 2011 ce qui explique pour une grande part le doublement du taux d‘urbanisation de l‘État durant la décennie précédente. Cependant malgré ces nombreuses nouvelles villes le rattrapage n‘est pas complet et il reste près de 200 villages en 2011 remplissant les trois critères du recensement d‘accès à la ville.

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