• Aucun résultat trouvé

L’aménagement urbain et les petites villes dans les politiques publiques 1 Le développement urbain priorité secondaire à l‘indépendance

Politiques publiques et processus d’urbanisation par le bas

Chapitre 1. Émergence des autorités locales et des plans d’aménagement urbain

1.1.2 L’aménagement urbain et les petites villes dans les politiques publiques 1 Le développement urbain priorité secondaire à l‘indépendance

La question urbaine en Inde s‘est posée de façon relativement tardive et le terme de développement urbain n‘apparaît que dans le troisième plan quinquennal en 1961. Auparavant, les questions d‘aménagement urbain étaient incluses dans les politiques du logement sans distinction spécifique visant les villes, il s‘agissait de recommandations visant des normes de logement, mais ne fournissant aucune subvention spécifique aux villes. Ces plans quinquennaux sont des programmes économiques nationaux centralisés inspirés de ceux mis en place en Union soviétique par Staline en 1928. Sous l‘influence de Nehru à son indépendance, l‘Inde met en place ces plans.

Dans le premier et le second plan quinquennal (1951-1961), la priorité est donnée au développement agricole, aux transports et à la diffusion de l‘accès aux services de base pour la population (eau, électricité...), ainsi qu‘à la construction de bâtiments administratifs qui doivent servir de relais locaux pour le pouvoir central qui doit se réorganiser après la partition du pays. Le développement des villes à l‘époque n‘apparaît pas comme un problème à prendre

42

en compte de manière spécifique. Une exception notable est Delhi qui en tant que capitale du pays est l‘une des premières villes à disposer d‘un master plan avec la mise en place de l‘Autorité de Développement de Delhi en 1955, qui doit servir de modèle pour la planification des villes des autres États.

C‘est durant le troisième plan quinquennal (1961-1966) que le gouvernement formule pour la première fois une politique d‘aménagement urbain. Cette politique n‘est pas favorable au développement des plus grandes agglomérations qui font déjà face à des problèmes de saturation. Au contraire, elle vise à un développement équilibré du territoire et incite pour cela les nouvelles industries à s‘installer loin des plus grandes villes congestionnées. La réalisation des plans directeurs pour les villes est annoncée comme une priorité et celles-ci sont incitées à acquérir de nouvelles terres pour gérer leur développement. Autour de Delhi ce processus avait déjà commencé depuis les années 1950. Cela doit permettre de contrôler les prix du foncier dans les grandes agglomérations et gérer leur étalement dans le temps. L‘État doit également faire face à plusieurs groupes aux intérêts divergents.

Comme le fait remarquer A. Shaw (1996), la bourgeoisie agraire se fait de plus en plus entendre dans les années soixante et plaide pour une décentralisation urbaine qui lui permettrait de s‘approcher davantage du pouvoir politique. Mais à l‘opposé, les classes moyennes des plus grandes agglomérations sont également dans l‘attente de l‘amélioration de leurs conditions de vie. Ces agglomérations étant les plus dynamiques du pays, le gouvernement est incité à leur porter une oreille attentive. Cette période s‘avère par ailleurs assez agitée pour le pays qui connaît une guerre contre la Chine en 1962 et une autre avec le Pakistan en 1965-1966, aussi les objectifs édictés dans ce plan sont pour la plupart revus à la baisse et le gouvernement se concentre sur la stabilisation des prix face à l‘inflation provoquée par la guerre.

1.1.2.2 Début de la conception de développement urbain à partir des années 1970

Le quatrième plan quinquennal (1969-1974) voit l‘établissement de la Corporation pour le logement et le développement urbain dont le but est de fournir des fonds pour les différentes institutions en charge du développement urbain. Les fonds continuent de se concentrer sur le

43

développement des grandes métropoles, notamment dans plusieurs nouvelles capitales d‘État qui attirent particulièrement l‘attention comme Chandigarh ou Bhubaneswar. L‘amélioration de la législation urbaine est toujours visée notamment concernant les périphéries des villes qui ont eu tendance à s‘étendre au-delà des frontières administratives urbaines. Il est donc conseillé aux plus grandes agglomérations d‘agrandir leurs limites afin de maîtriser leur étalement et de pouvoir prendre en charge de façon adaptée la planification de leurs zones limitrophes. Dans le même temps, cela doit permettre à l‘agglomération d‘optimiser la perception des taxes en prenant en compte les constructions faites sur sa périphérie.

Durant les cinquième et sixième plans quinquennaux, l‘idée de développer les petites agglomérations afin de diminuer la pression sur les plus grands centres urbains est avancée sans pour autant être légitimée par un effort financier. Il faut attendre pour cela le sixième plan quinquennal durant lequel est lancé le premier important projet de développement visant les petites agglomérations, l’Integrated Development of Small and Medium Towns (IDSMT). Le septième plan quinquennal (1985-1990) montre un début de changement dans les politiques de développement urbain. Il met l‘accent sur l‘importance de la participation des communautés visées par les plans de développement qui sont les mieux à même de définir leurs besoins. Pour permettre à ces communautés de s‘exprimer, le plan tend à renforcer les finances des collectivités locales afin de leur permettre de gagner en indépendance et de pouvoir gérer elles-mêmes leur planification. Il s‘agit ici des prémices de la décentralisation politique urbaine, mais pour l‘instant celle-ci ne reçoit pas de support constitutionnel et sa mise en application reste à la discrétion des États. Étant donné la faiblesse des finances des collectivités locales, la participation du secteur privé au développement des services et des infrastructures est mise en avant.

1.1.2.3 Concentration accrue des politiques urbaines sur les plus grandes agglomérations et décentralisation

Durant le huitième plan, le vote du 73e et du 74e amendement constitutionnels renforce le statut des collectivités locales et leur octroie un certain nombre de prérogatives en termes de planifications comme discuté dans le chapitre précédent. Le gouvernement prend acte

44

également de la persistance d‘importantes inégalités que compte le pays, et ce à plusieurs échelles : écarts de richesses entre le décile le plus riche et le plus pauvre de la population, écart en termes d‘infrastructures entre les aires rurales et urbaines et enfin écart de développement entre régions. Néanmoins les efforts pour réduire ces inégalités ont été considérables : par exemple, en 1988-1989 l‘eau courante est disponible pour 72% des ménages urbains et 15,5% des ménages ruraux alors qu‘en 1973-74 ces chiffres étaient respectivement de 67% et seulement 4,7% (NSS 28th et 44th round). Cette politique de répartition des investissements vise à diminuer ces inégalités et aider les personnes les plus démunies en ville en incitant à la création d‘emplois.

Les villes sont bien reconnues comme les moteurs de la croissance du pays, mais des inquiétudes sont émises quant à une trop forte concentration de la population et des activités économiques dans les plus grands centres urbains. Une croissance urbaine mieux répartie sur le territoire apparaît comme une solution à privilégier pour éviter les « déséconomies » d‘échelle dans les métropoles qui ont déjà du mal à accueillir les populations rurales migrantes. Il est estimé à l‘époque qu‘entre 20% et 25% de la population urbaine vit dans des

slums1 (Planning Commission) ce qui met en avant la nécessité de réguler les flux de migrations rural-urbain. De plus, le développement des petites villes est perçu comme pouvant être bénéficiaire pour les zones rurales de par leur proximité de ces aires et le rôle de centre de services qu‘elles peuvent y jouer. Le plan IDSMT mis en place en 1979 voit son mécanisme évoluer afin d‘en améliorer l‘implémentation dans les plus petites villes. Le changement tient aux fonds de ce programme de développement, dont jusqu‘alors entre 40% et 70% étaient supposés provenir d‘institutions financières. Or, il s‘est avéré très difficile pour les petites collectivités d‘accéder à ces financements. Aussi leur part est réduite entre 20% et

1

45

40% et des subventions de la part du gouvernement central et des États sont mises en place pour les remplacer. De même, ce plan qui peut viser des villes ayant jusqu‘à 500 000 habitants réserve une part minimum d‘investissement dans les villes de moins de 50 000 habitants. À cette époque, les motivations d‘un développement des petites villes ne tiennent pas tant à une reconnaissance de leurs capacités à pouvoir être des moteurs de la croissance économique du pays qu‘à une stratégie de développement territorial équilibré évitant une concentration des activités dans les métropoles.

Or ce sont bien ces dernières qui sont au centre de l‘attention du gouvernement comme le prouve le Megacities schème mis en place en 1993. Celui-ci concentre dans les cinq plus grandes métropoles, hormis Delhi qui dispose d‘un programme spécifique, les investissements de développement urbain. Ainsi les investissements accumulés par le gouvernement central de l‘IDSMT depuis 1979 s‘élèvent à 79 millions d‘euros1

répartis entre 1 172 villes alors que les cinq villes concernées par le Megacities schème ont déjà reçu 107 millions d‘euros d‘investissement. Cela montre bien que déjà dans les années 1990, en parallèle à la décentralisation administrative qui s‘affirme, les investissements se concentrent vers les plus grandes agglomérations et ceci malgré un discours mettant l‘accent sur les inégalités entre grandes et petites villes.

Le 9e plan quinquennal (1998-2002) poursuit les politiques mises en place précédemment en mettant en valeur l‘implication des collectivités locales dans leur propre processus de développement puisqu‘elles disposent désormais théoriquement de représentants élus. Cette mise en avant de la participation de la société civile à la planification, qui va dans la continuité de la mise en place des 73e et 74e amendements, passe également par le développement d‘organisations associatives comme les Self Help Group, les associations de

1

46

travailleurs et de petits producteurs. Le développement de la participation au-delà des objectifs de développement des initiatives locales et de l‘importance d‘engendrer des processus de décision par le bas apparaît également comme un moyen de désengagement de l‘État du niveau local par rapport aux précédents plans de développement, tendance qui se confirmera dans les plans quinquennaux suivants. La préoccupation pour la pauvreté urbaine qui avait été relevée au cours du 8e plan reste au cœur des plans de développement urbain avec des projets de construction de logement en ville.

Par la suite, le 10e plan quinquennal (2002-2007) revient sur le rôle des agences paraétatiques dans la planification des collectivités urbaines. Supposées soutenir les gouvernements locaux élus dans leurs décisions, celles-ci se sont imposées comme les gestionnaires de la planification ne laissant que peu de responsabilités aux collectivités urbaines. Ces agences n‘étant pas composées de membres élus, mais de personnes nommées, leur rôle remet en cause le processus de décentralisation entamé durant la dernière décennie.

L‘importance de ces politiques nationales reste cependant à relativiser comme le précise Annapurna Shaw « pour une évaluation réaliste des politiques urbaines dans ce pays depuis l‘indépendance, il doit être gardé à l‘esprit que la plupart de ce qui a été écrit est resté non réalisé (...) les petites villes et les aires non métropolitaines qui a toutes fins pratiques se sont développées de leur propre chef et à leur propre manière ». De plus les compétences entre États et le gouvernement central sont divisées en deux listes distinctes l’Union List et la State

List, or les questions de politiques urbaines relèvent majoritairement de la compétence des

États, aussi sans amendement, le gouvernement central ne peut pas changer la législation concernant l‘urbanisation et les États ne sont pas obligés de suivre les programmes nationaux. Néanmoins, très peu d‘États ont réalisé leurs propres politiques urbaines et la plupart de leurs plans sont inspirés des politiques nationales.

Durant les derniers plans quinquennaux, la principale évolution a été la mise en place d‘un grand plan de développement urbain, la partie suivante se propose donc de donner les détails de ce plan qui donne une nouvelle dimension aux politiques urbaines indiennes.

47

1.1.3 Le JNNURM : un changement de vision de l’urbain ?

Outline

Documents relatifs