• Aucun résultat trouvé

I.2. Métafictions historiographiques et littérature commerciale

I.2.7. Judas « Superstar » et « l’idiot superstar »

Attardons-nous quelques instants sur l’étiquette « superstar », applicable à plusieurs figures évangéliques. L’opéra Jesus Christ Superstar est un exemple de démystification du christianisme. Lors d’une représentation déroulée a Rome, le metteur en scène choisit de projeter, au moment même où Jésus est fouetté, des images renvoyant à des époques atroces de l’humanité, des enfants mourant de faim, des Juifs tués etc. La représentation est dominée par une ambiance musicale rock. Les acteurs sont séducteurs dans leur expression corporelle et dans leur danse. Marie-Madeleine flatte Jésus comme si elle était amoureuse de lui. L’atmosphère de la guerre froide, de la révolution sexuelle et des crises politiques de l’Amérique des années 1970 est marquée par des éléments de décor qui offrent une image extravagante des prêtres du Sanhédrin : ils sont vêtus en lieders rock et homosexuels. La pièce finit par la scène de la crucifixion et la grande question qui reste encore possible interroge la raison de la venue de Jésus il y a deux millénaires : pourquoi est-il venu à ce moment-là et non pas à notre époque, époque où tout le monde aurait pu le connaître, le voir, l’écouter et même voter pour lui !

Même s’il est souvent parodique, l’élément-clé du texte relève de véritables incertitudes chrétiennes :

Only want to know Jesus Christ Jesus Christ Who are you?

What have you sacrificed? […] If you'd come today

You could have reached the whole nation Israel in 4 BC had no mass communication.277

277

« Je veux juste savoir / Jésus-Christ / Jésus-Christ / Qui es-tu ? / Qu’as-tu sacrifié ? / [...] / Si tu étais venu aujourd’hui / Tu aurais pu t’adresser à toute le monde / La communication de masse n’existait pas en Israël l’an 4 avant Jésus » [n. tr.].

A côté de la réhabilitation de Judas visible dans le texte cité, Lady Gaga, qui ne cesse de se servir des figures et des sujets religieux, souvent blasphématoires, qui lui assurent le succès, met elle aussi dans une autre lumière Judas : elle se languit de Judas, elle se déclare amoureuse de lui : « I’m in love with Judas » (« Je suis tombée amoureuse de Judas »). Elle est donc amoureuse d’une figure négative, d’un principe satanique, dont elle se réclame elle-même, par opposition à l’image christique :

I wanna love you,

But something’s pulling me away from you Jesus is my virtue,

And Judas is the demon I cling to I cling to.278

L’attraction du mal semble plus intense que celle du bien. La dualité bien / mal se dégage des propos de l’artiste. Elle s’accroche à Judas, le démon, même si Jésus reste pour elle le modèle de la vertu. Dans un vidéoclip, sur les notes de sa musique, Lady Gaga se méfie publiquement de la tradition ecclésiastique. Elle avait déjà attiré l’attention et suscité des rumeurs à cause de la photographie réalisée par Castro, qui la représente dans une hypostase similichristique, dans une christomorphose. Maquillée en bleu, aux cheveux blonds platine, elle porte une couronne d’épines (voir en Annexe, Illustration 2). L’expression de son visage relève du plaisir voire d’une extase sensuelle.

Si l’aspect « superstar » porte sur le champ du spectacle, l’idiotie relève du même cadre. L’idiot dostoïevskien scrute les états d’une crise épileptique279 ; ce spectacle est l’objet de la jouissance contemporaine. La littérature, la photographie, le cinéma, la médicine s’intéressent vivement à la catégorie de l’idiot. La littérature continue la longue tradition remontant à Don Quichotte. La photographie se régale devant le corps spastique et contemple ses mouvements au ralenti. Pareillement, le cinéma280, surtout le cinéma muet,

278

« Je veux t’aimer, / Mais quelque chose m’éloigne de toi / Jésus est ma vertu, / Et Judas, le démon auquel je m’accroche / Je m’accroche » [n. tr.].

279

« Il songea entre autres, que dans ses états épileptiques, il y avait un moment, précédant de très peu la crise (lorsque celle-ci lui venait à l’état de veille), où soudain, au milieu de la tristesse, des ténèbres de l’âme, de l’étouffement, son cerveau semblait s’embrasser par instants, et où toutes ses forces vitales se tendaient à la fois dans un élan extraordinaire. La sensation de vie, la conscience de soi-même paraissaient découplées dans ces moments fulgurants. Le cerveau, le cœur s’illuminaient d’une extraordinaire clarté […] » (Fédor Dostoievski, L’Idiot, op. cit., p. 332).

280

Lire l’article de Dominique Païni sur Jean-Luc Godard : « Jean-Luc Godard et l’idiot mélancolique » in

Les Figures de l’idiot, sous la direction de Véronique Mauron et Claire de Ribaupierre, Paris, Éditions Léo

Scheer, 2004. L’auteur analyse le grand cinéaste par rapport au thème de l’idiotie. Classés d’idiots, ses films représentent le « corps plastique » (p. 239), mais aussi l’aspect « clown tragique » de l’idiotie.

surprend un corps en mouvement qui « devient image »281, « présence incarnée de l’émotif, de l’affectif dans un au-delà du sémiotique »282. Les études de psychiatrie s’en servent dans leurs recherches sur la complexité du psychisme humain, sur les dégénérescences psychiques, sur l’ontogenèse. Les écrits apocryphes décrivent Judas comme un être primitif dont le suicide ressemble aux crises d’un épileptique.

Les récits contemporains montrent un intérêt particulier pour le suicide de Judas. Celui-ci est partiellement représenté en train de commettre ce geste. Par exemple, le discours de Judas de Claudel fait du personnage un suicidé qui ne regrette pas son acte. Le dramaturge décrit les mouvements de conscience de Judas au moment même où il est pendu. Il insiste ainsi sur la culpabilité d’un Judas coupable d’orgueil et d’autosuffisance :

Maintenant retenu par un fil presque imperceptible, je peux dire qu’enfin je m’appartiens à moi-même. Je ne dépends plus que de mon propre poids, sans en perdre une once. […] J’ai acquis de tous côtés autonomie et indépendance. […] je suis libre, tout m’est ouvert, j’ai intégré cette position hautement philosophique qui est le suspens, je suis parfaitement en équilibre. […] Que la jeunesse vienne donc à moi, qu’elle élève avec confiance son regard vers la maîtresse branche ou ma dépouille éviscérée se conforme rigoureusement à toutes les lois scientifiques.283

L’ironie de Claudel est à ce stade mordante. Au comble de son suicide, Judas en parle avec la joie et la certitude d’avoir commis un acte honorable et légitime. Claudel ironise le discours d’un Judas se réclamant du cartésianisme : « que […] ma dépouille éviscérée se conforme rigoureusement à toutes les lois scientifiques ». L’emploi des constructions de type « position hautement philosophique », « la maîtresse branche » participe au même effet de raillerie.

Tout autre apparaît le suicide de Judas chez Jean Ferniot. L’auteur consacre une partie de son roman à décrire l’état du personnage avant de commettre le suicide. Il récupère ainsi Judas à travers son processus de conscience. La préparation du suicide est très complexe. Judas passe par des états variés : angoisse, dégoût, peur, désir, mysticisme. Son suicide est le miroir de la mort de Jeshua. La crucifixion de celui-ci lui crée au début de la répugnance : « ce cadavre attaché au bois que maudit l’Écriture, cette dépouille clouée comme un de ces animaux réputés de mauvais augure, que les Grecs écartèlent sur

281

Véronique Mauron, « Le corps idiot : voir le mouvement » in Les figures de l’idiot, op. cit., p. 38. 282

Ibid., p. 43. 283

la porte de leurs bergeries. Il a vu ainsi un renard crucifie attendre »284. Le suicide de Judas aura lieu sur un lieu symbolique : Haceldama, « le champ du sang ». Cela anticipe déjà la souffrance qui l’attend. Le monde semble s’être arrêté. Le silence absolu a la valeur d’une entrée dans la mort : « Dans le silence compact, pas un grésillement d’insecte, pas un froissement de serpent. On n’entend même pas un cris de potiers couvrant le bruit des tours »285. Puis, Judas passe à un état mystique apaisant, tout en désirant sa mort286. La façon dont Judas prépare son suicide est rigoureuse. Elle est racontée en détail :

Judas approche du tronc avec une sorte de détachement, de désinvolture, il caresse l’écorce, puis il embrasse le fût et le hisse souplement. Le voici dans la fourche de la maîtresse branche. Sans hâte, comme s’il accomplissait un travail appliqué d’artisan, il déroule la longue ceinture de voyage qu’il porte autour de la taille et dans laquelle il rangeait la bourse de la communauté nazaréenne. Il s’assied à califourchon, ses cuisses maigres serrant le chevalet, autour duquel il attache le large ruban qui glisse entre les feuilles grisâtres. De nouveau il s’immobilise. Il fixe la terre, au-dessous de lui. […]

Il regarde maintenant le ciel, qui charrie de monstrueux nuages noirs et pourpres.287

Le suicide est décrit au présent, temps entre l’avenir et le passe. De même, Judas comme suicidé est présenté en suspens, entre la terre et le ciel. Tous ses gestes sont calculés et chargés de symbolisme. La ceinture qui lui sert pour le suicide est celle de la bourse. Symboliquement, il tue ainsi le péché dont il a été accusé. Un peu plus loin, le texte le dit plus explicitement : « Il a choisi le lieu le plus inhospitalier du monde, la terre achetée par la trahison »288. La « goulée d’air brûlant » est la seule marque de la souffrance physique créée par le suicide. Le narrateur nous présente la suite par la description d’un Judas en train de s’offrir au néant, dans une durée infinie, suspendue : « Il tend les bras et se jette dans le vide, tête la première »289.

Dans le cas du suicide de Judas, la narration est généralement engloutie par l’archétype. Le suicide attendu permet aux écrivains de se concentrer notamment sur le

284

Jean Ferniot, Saint Judas, op. cit., pp. 275-276. 285 Ibid., p. 281. 286 Ibid. 287 Ibid. 288 Ibid., p. 282. 289 Ibid.

comment et le pourquoi du suicide. Pour la plupart de cas, il s’agit de textes remémoratifs.

Eric-Emmanuel Schmitt surprend cette dimension expectative tragique. L’attente du suicide de Judas est doublée par l’attente de la condamnation à la mort que Jésus vit dans une angoisse profonde. Mais aussi par l’éternelle quête de Pilate, vers la vérité, le sujet du deuxième volet. Cette vérité lui restera inaccessible. Toute autre est l’attente vécue pas le Judas d’Armel Job. Ce court récit n’est qu’une palpitation vers le don de la mort. La répétition de la proclamation de l’amour de Judas pour Jésus est un spasme mystique qui s’accomplit pleinement avec le suicide. Jean Ferniot se situe dans la proximité de Job : son Judas a la révélation d’avoir été l’élu du Christ. Il se donne la mort avec délectation. Par sa lenteur, le suicide devient un rituel. Comme s’il instaurait un culte : le culte de Saint Judas, le titre même du roman. Chez Pagnol, le suicide est un départ. Judas est surpris à la fin du récit en train de partir. La caméra s’arrête là, dans une image bloquée, dans une action arrêtée au moment du déroulement. Le tragique est représenté par l’atrophie de l’action. Différente en tonalité, la pièce de Claudel emprunte à la thématique de l’idiotie la vision monolithique qui le conduit vers un suicide sans alternative. Automatisé, Judas va vers la mort comme vers la plus grande certitude.

Épileptique, automatique, mutique, statufié, l’idiot est devenu dans la contemporanéité une figure star290. Ce côté est analysable sur trois plans : un qui fait défiler sur la scène l’idiot automate, bouffon, caricatural, produit d’une société technologique. Cette société semble avoir affecté notamment la catégorie de l’ouvrier. Le second plan est en relation avec les recherches menées sur la société de consommation. Anne Carol parle de l’idiot comme figure de consommation, « du trop vite »291, qui est consommé pour disparaître. Mais aussi peut-il être question de la figure du consommateur boulimique. L’insistance dans les textes de Schmitt et de Pagnol sur l’idée de l’urgence est une illustration de ce symptôme. Tout d’un coup, la prophétie demande être consommée en urgence.

Arrivés au point de discuter les transformations que les mutations sociales et technologiques entraînent sur l’individu, nous ne pouvons ne pas nous interroger sur le clone, comme figure de l’absent à lui-même, figure d’une créature produite, sans père. Le roman de Cauwelaert est l’exemple par excellence d’une fiction proposant des jeux de doubles et des clones dans la sphère du religieux. Eduardo Manet souligne lui aussi

290

Voir Valérie Deshoulières, Métamorphoses de l’idiot, Paris, Klincksieck, 2005, p. 15. 291

explicitement cet aspect : « le sourire de Jésus et celui de Judas sont identiques, comme l’image superposée du même homme »292.

La troisième valence relève du champ de la guerre. L’idiot est le témoin ayant appris à se taire. Le massif mémorial de l’enfer concentrationnaire consigne cette mutation subie par l’individu. Le meilleur sujet à ne pas pouvoir assumer l’incapacité de comprendre est l’idiot. Dans le discours du cinéma, l’idiot devient le « cinéaste-reporteur »293, à la fois le filmé et le filmeur : « Il était agi, il ne se voyait pas agir, il ne se sentait pas vu agissant »294. Immunisé et tétanisé, l’idiot choisit d’agir comme un être immobile qui regarde sans être regardé ou sans se sentant regardé, comme « un homme qui dort », comme un Bartleby295 qui « préfère ne pas ». C’est particulièrement ce qui arrive dans la pièce de Pagnol. Une forme de paralysie et de folie est présente chez Judas qui fait mécaniquement ce qu’il doit faire, c’est-à-dire accomplir l’Ancien Testament.

Ainsi, l’idiot renouvelle-t-il les débats épistémologiques actuels avec une novelle optique sur la connaissance, la représentation / le représentable / l’irreprésentable, l’arbitraire ou l’accident. Dans le plan religieux, il vit l’extase. Dans la société, il le hors-norme, l’antisocial, le vagabond. Sur le plan psychologique, il est la négation de l’altérité, mais de l’égotisme aussi : « il oublie même de se nourrir »296.

Ces considérations nous poussent à lier cette mutation à l’achétype et à son double conceptuel : anarchétype. Ce que Corin Braga classe d’anarchétype297 nous intéresse à plus d’un titre. Il s’agit tout d’abord de voir ce concept, comme le fait son théoricien, par rapport à l’archétype, terme duquel il dérive. On a montré jusque-là en quelle mesure Judas est une figure mythique. Pendant la deuxième partie, on étudiera les variations archétypales sur lesquelles se calque la construction de Judas dans les transpostions contemporaines afin de voir à quel point on se détache du scénario initial. On en garde quelques schémas, mais on assiste à une recontextualisation qui fait que le paradigme change complètement. Le

292

Eduardo Manet, Ma vie de Jésus, op. cit., p. 194. 293

Alain Fleischer, « Le filmeur idiot », in Les Figures de l’idiot, op. cit., p. 231. 294

Ibid., p. 231. 295

Enrique Vila-Matas, Bartleby et la companie, Paris, C. Bourgois, 2003. 296

Véronique Mauron, « Le corps idiot : voir le mouvement » in Les Figures de l’idiot, op. cit., p. 19 297

Corin Braga, De la arhetip la anarhetip (De l’archétype à l’anarchétype), Polirom, Ia i, 2006. Chapitre X : « Despre anarhetipuri » [« Sur les anarchétypes »]. L’anarchétype ne se veut pas la négation ou la destruction de l’archétype, mais « une déconstruction et une dislocation des modèles archétypales. L’anarchétype ne naît pas suite à une nouvelle „mort de Dieu”, par l’abolition ou la disparition des archétypes, mais au contraire par la multiplication et la conjugaison de ceux-là, ce qui provoque leur annihilation et leur équilibration réciproque. Typologiquement parlant, les anarchétypes se manifestent particulièrement dans les grandes périodes de syncrétisme culturel, comme l’Antiquité alexandrine ou la Renaissance. Mais du point de vue historique, ils peuvent atteindre leur développement maximal à l’époque actuelle, époque du syncrétisme planétaire » (Ibid., p. 269, n. tr.).

Judas contemporain ne garde presque rien du Judas biblique. Il est investi de parole, de savoir, de lucidité, d’amour, d’un fin profil psychologique. Les écrivains contemporains n’ordonnent pas l’incertitude du matériel mythique. Voire ils la rendent encore plus confuse. Le Judas de Schmitt et de Claudel oscille entre saint, génie et diable. Pagnol et Ferniot construisent la figure d’un Judas automate qui se donne la mort de façon ritualisé, robotique.

En deuxième lieu, on met cette logique anarchétypale en relation avec notre thèse principale : Judas en tant que double du Christ. On assiste à une mutation identitaire qui aboutit à une confusion identitaire. Le mélange quasi anarchique de références bibliques fait que Judas et Jésus se confondent.

La logique des œuvres anarchétypiques n’est plus une logique constructive, au sens d’une logique cosmoïdale, mais une logique des associations mnemotiques, synesthésiques, oniriques ou de toute autre nature, y compris mythique. Dans ce dernier cas, il faut dire que ces œuvres ne se construisent sur un seul mythe, mais sur des fragments de mythes, sur des mythèmes qui peuvent garder, chacun individuellement, un certain sens, mais ils ne se combinent plus dans un scénario englobant le tout. C’est clair qu’un tel art, une telle littérature, une telle dramaturgie produisent du mécontentement et de la perplexité.298

Les transpositions bibliques contemporaines connaissent de nombreuses décontextualisations et recontextualisations qui conduisent à d’énormes textes-puzzle, où pullulent anachronismes et discordances bibliques. Les influences gnostiques ou apocryphes mélangent encore plus les choses. L’enquête de Judas est aujourd’hui une enquête déstructurante. Les images stéréotypes sont investies d’une autre fonction. Il peut y a voir plusieurs baisers et pas du tout de trahison.

Jean-Luc Nancy parle d’une « menace (sur)religieuse »299 . Il propose une déconstruction du christianisme, une « déclosion », une « métaphysique de la déclose »300. Dans Adoration301, l’auteur brosse un tableau prégnant et acide sur la perversion du spirituel : « Oserait-on affirmer sans rire que l’adoration est la nécessité du monde d’aujourd’hui ? »302. L’adoration est le premier et le dernier geste d’entrée et de sortie d’un

298

Ibid., p. 253. 299

Jean-Luc Nancy, La Déclosion (Déconstruction du christianisme, 1), Paris, Galilée, 2005. 300

Ibid., p. 15. 301

Jean-Luc Nancy, L’Adoration (Déconstruction du christianisme, 2), Paris, Galilée, 2010. 302

monde privé de référentialité ultime. S’adressant à elle-même303, l’adoration est aussi « louange […] sans fin, louange à la mesure de ce qu’elle loue – et à sa mesure parce qu’elle en provient »304. Un système religieux minutieusement construit risque de perdre sa validité et son sens dans un monde qui se déconstruit lui-même. On revient à se questionner sur le poids d’un sacrifice dont le but est en discordance avec sa propre substance désintégrée.

La déconstruction envisagée par Nancy propose le monothéisme comme forme d’autodestruction du christianisme305 :

Je l’énonce ainsi : le monothéisme est en vérité l’athéisme. En effet, la différence avec les « polythéismes » ne tient pas au nombre des dieux. En fait, la pluralité des dieux correspond à leur présence effective (dans la nature, dans une image, dans un esprit possédé), et leur présence effective correspond à des rapports de puissance, de menace ou d’assistance que la religion organise par l’ensemble de ses mythes et de ses rites. L’unicité de dieu, au contraire, signifie le retrait de ce dieu hors de la présence et donc aussi hors de la puissance ainsi entendue.306

Les écrivains traduiront ces questionnements dans des fictions imbriquant une plurfalité de possibilités : une histoire sans christianisme, un christianisme sans traître, des Jésus et des Judas qui doutent et qui aiment.

Troisièmement, on a vu au cours du premier chapitre toutes les nouvelles formes de religions qui ont pu influer sur les productions littéraires contemporaines. Reprenant le terme de C. Braga, ces nouvelles pratiques religieuses se reflètent dans une littérature