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II. 1.2. « Cyber-littérature religieuse »

I.5. Le Coran et L’Évangile de Barnabé, un autre réseau substitutif

On notera que le sacrifice est déjà présent dans le Coran et dans L’Évangile de

Barnabé. Leurs démarches proposent une solution apte à soustraire Jésus le prophète à une

mort ignominieuse et non méritée. Il revêt une signification semblable si on le regarde du point de vue du mécanisme sacrificiel lors d’un rituel antique. Il s’y opère une triple substitution entre le sacrifiant – le sacrifié – le pécheur.

Examinons d’abord le peu d’informations contenues dans le Coran :

Ainsi lorsqu’ils disent avoir tué le Messie, fils de Marie, Apôtre de Dieu, alors qu’il n’en est rien532. Ils ne l’ont ni tué ni crucifié; mais ils ont seulement cru avoir affaire à lui alors que c’était « son sosie ». Quant à ceux qui ratiocinent à ce sujet, ils sont eux-mêmes dans le doute. Ils n’en savent pas plus que ceux qui se livrent à des conjectures incertaines. Ils ne l’ont certainement pas tué, car c’est Dieu qui l’a élevé vers Lui, Dieu le Puissant, le Sage (Sourate IV, 157-158).533

Sans disserter autour de la valeur théologique et historique du passage coranique, il faut retenir ce verset pour notre thèse qui voit en Judas le double du Christ se sacrifiant avec celui-là (sinon à sa place). Une remarque minimale serait pourtant indispensable : pour comprendre le tableau dressé par l’Islam sur Jésus et Judas, il faut tenir compte du climat conflictuel dans lequel il se manifeste. Il y a trois camps sur le champ de bataille : les Juifs,

531

Georges Minois, Histoire du suicide. La société occidentale face à la mort volontaire, op. cit., pp. 87-88. 532

D’autres traductions traduction proposent le terme de « faux-semblant ». Cf. Le Saint Coran, traduction intégrale et notes de Muhammad Hamidullah, avec la collaboration de Michel Léturmy, préface de Louis Massignon, Paris, Le Club français du livre, 1959; Le Coran essai d’interprétation du Coran inimitables texte arabe et traduction, Paris, Éditions du Jaguar, 1985 ; Le Saint Coran et la traduction française du sens

de ses versets, texte arabe et traduction, Al-Munawwarah », Presses du Complexe du Roi Fahd, sous l’égide

du ministère du Hajj et des Awqâf du Royaume d’Arabie Saudite. 533

les Chrétiens et les musulmans. Les disputes entre les chrétiens et les Juifs n’étaient pas insignifiantes. Des versets du Coran ressortent les controverses judéo-chrétiennes. C’est à travers cet antisémitisme et cet antichristianisme que les Musulmans affirment l’inaccomplissement de la crucifixion de Jésus : ni les chrétiens, ni les Juifs ne l’ont pas mérité534. En plus, vu que la doctrine des Musulmans contrevenait au dogme du péché originel et à toute forme de rabaissement de la divinité, l’idée de la mort de Dieu, même si elle est suivie par une résurrection, leur semblait inacceptable. Bien plus tard Le

Commentaire coranique du Manâr (Le Tafsîr al Manâr, 1898), rédigé par Rashîd Ridâ,

Muhammad Abduh535 montre comment la doctrine s’est gardée intacte dans les esprits. Se fiant totalement à L’Évangile de Barnabé, R. Ridâ allégue la thèse de la substitution de Judas à Jésus, tout en voulant attribuer à Judas le sort et la mort d’un prophète : cette substitution lui aurait permis d’aller mourir seul, comme Moïse. L’apologétique Muhammad al-Tâhir Ibn (Ben) Âshûr (IXe siècle) avait déjà soutenu la même hypothèse. Le thème du double, relégué au second plan, mais pourtant capital, évoque l’image des sosies, que la tradition aime à attribuer à Judas. Le terme suppose tout d’abord une ressemblance (physique ou psychique). De nouveau donc est suggéré le rôle de Judas en tant que double de Jésus. On peut en conclure que cette théorie, plus ou moins plausible, est très ancienne. La fiction d’Eduardo Manet, Ma vie de Jésus, reprend le thème du sosie pour l’attribuer à Joseph, même si c’est de façon moins spectaculaire que dans le texte coranique. Le texte met en doute la validité et l’authenticité de la résurrection christique vu que c’est Joseph qui apparaît aux disciples. Après s’être déguisé pour accomplir la promesse de Jésus et être apparu aux apôtres, « Joseph est englouti par le désert. On ne l’a plus jamais revu »536.

Selon les versets médinois, il est bien évident que la création de Jésus passe instantanément par une parole-action : « Pour Dieu, Jésus est à l’image d’Adam : Il l’a conçu de terre et lui dit : Sois !, et il fut » (Sourate III, 59). Il en sera ainsi de sa fin aussi : « C’est alors que Dieu dit : Ô Jésus, Je te rappellerai à Moi et t’élèverai ; Je te purifierai des incrédules. Je placerai jusqu’au jour de la résurrection ceux qui t’ont suivi au-dessus de ceux qui se sont opposés » (Sourate III, 55). Rien de plus semblable aux hérésies qui ont secoué les premiers siècles du christianisme.

534

Voir Maurice Borrmans, Jésus et les Musulmans d’aujourd’hui, Paris, Desclée, coll. « Jésus et Jésus-Christ », dirigée par Joseph Doré, Institut catholique de Paris, no 69, 1996, p. 31.

535

Ibid., pp. 80-84. 536

Les gnostiques avaient déjà avancé la thèse de la mort sur la croix du Christ, mais seulement de celui visible. Ils distinguaient deux catégories dans la personne de Jésus-Christ : le Jésus-Christ s’inscrivait dans la catégorie des êtres « pneumatiques » – être invisible et immatériel –, Jésus dans celles des « psychiques » – être visible, physique537. Attribué aux gnostiques, le docétisme avait déjà proposé la doctrine de l’illusion de la crucifixion du Christ en raison de l’interprétation littérale du prologue johannique (la parole faite chair)538. La collaboration évidente entre les personnages est un signe patent d’intrusion gnostique, tout comme dans le texte de Schmitt. Là encore, l’agent principal est Yehoûdâh. Il parle explicitement du Royaume et d’une réalité immatérielle. Yéchoua veut libérer tous les gens, et pas seulement lui, de l’enveloppe humaine et de l’état d’esclavage. Se substituant l’un à l’autre, Yéchoua et Yehoûdâh partagent un destin commun : « je dus mettre en branle mon plan. […] [Yehoûdâh] avait saisi l’horreur de ma proposition : me vendre. Je soutins son attention pour lui faire comprendre que je ne pouvais demander qu’à lui, le disciple préféré, ce sacrifice qui précédait le mien »539.

Au sujet des substitutions, le texte de Schmitt intéresse aussi par l’importance qu’il donne à la disparition du corps du Christ, moteur de la deuxième partie du roman. Cette question est l’événement déclencheur du long trajet interrogatif de Pilate. À travers son enquête, sous forme épistolaire dans des lettres à Titus, Pilate se dessine comme prototype du chrétien. En réponse à la disparition du corps de Jeshoua, le Judas de Schmitt propose l’hypothèse d’un enlèvement :

- Je sais qui a pris le corps de Yéchoua. […] - C’était prévu. Il y avait un plan. […] - Tout s’est déroulé dans l’ordre. - Intéressant. Et qui a volé le cadavre ? - L’ange Gabriel.540

Cette hypothèse restera du domaine de l’invraisemblable.

Saint Judas de Jean Ferniot fait écho au commentaire d’Al-Sahhâr (1913-1974). Ce

commentateur du Coran fait un portrait psychologique de Judas qui trahit par indignation

537

Michel Fédou, La Voie du Christ. Genèses de la christologie dans le contexte religieux de l’Antiquité du

IIe siècle au début du IVe, op. cit., p. 173. 538

Il ne tardera pas de se faire condamner par les hérésiologues ainsi que par le deuxième Concile de Calcédoine.

539

Eric-Emmanuel Schmitt, L’Évangile selon Pilate, op. cit., p. 79. 540

et déception de ne pas avoir trouvé en Jésus un messie triomphant, mais un messie faible. La scène imbrique matériel légendaire, empathie, imagination au point de faire de Judas une victime et de Jésus un prophète très humain, se repentant d’avoir sacrifié Judas. Après qu’il a disparu devant les soldats, laissant Judas en proie à leur émeute, Jésus s’attriste et leur envoie l’Esprit Saint en compensation. Il y a aussi Pagnol : son Judas esquisse l’idée d’un traître comme victime de Dieu. Au contraire, le Judas de Jean Ferniot aurait été prévenu des règles du jeu, de sorte que c’est justement cette acceptation qui donne de la valeur au sacrifice : « Sans toi, ajoute-t-il d’une voix altérée, je puis être le Messie régnant, mais non le Messie souffrant. Tu es, dans ce cas plus que dans le premier, nécessaire à l’accomplissement des Écritures. Mais Dieu n’est pas maître de toi. Tu es libre »541. La séquence finale du roman raconte l’accomplissement de la prophétie envisagée au début. La scène est pleine de pathos et représente Judas dépourvu de foi devant un cadavre. Le doute est mis en relation avec un léger souffle diabolique. Elle rappelle le célèbre tableau de Holbein (voir en Annexe, Illustration 13) dont l’impact négatif a poussé Dostoïevski à une profonde réflexion sur la désacralisation occidentale du mystère christique542, perçu uniquement dans sa dimension humaine :

Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Cette plainte déchirante, était-ce celle du Messie sanglant, souffrant, s’accrochant au psaume de David [...]

Était-ce le gémissement de l’homme devant l’échec ? Un doute se glisse en Judas, un doute qu’il repousse de toutes ses forces.

Judas regarde intensément la scène répugnante : ce cadavre attaché au bois que maudit l’Écriture, cette dépouille clouée comme un de ces animaux réputés de mauvais augure, que les Grecs écartèlent sur la porte de leurs bergeries. Il a vu ainsi un renard crucifié attendre deux jours la mort, glapissant et geignant. La langue pendait sous le museau pointu. La bête semblait rire.543

Les sentiments d’abandon et de doute se rajoutent à la découverte d’avoir servi et de se retrouver devant un messie souffrant, sanglant. Le spectacle de la crucifixion est pour Judas répugnant. La scène lui rappelle la crucifixion d’un animal qui, au comble de toutes les tortures, devient une incarnation presque diabolique pour Judas, terrifié par le caractère

541

Jean Ferniot, Saint Judas, op. cit., p. 75. 542

« J’ai vu ce tableau à l’étranger et je ne peux pas l’oublier […] Ce tableau ! s’écria le prince, sous le coup d’une pensée subite, ce tableau ! Mais ce tableau pourrait faire perdre la foi à d’aucuns ! » (Fédor Dostoïevski, L’Idiot, op. cit., p. 321).

543

macabre du moment. Le côté humain de Judas mais aussi de Jésus sont particulièrement présents dans ce fragment.

L’Évangile de Barnabé544 relate sans équivoque la crucifixion de Judas à la place de Jésus. Le texte est plus ample que le Coran et construit sa démonstration comme une sorte de punition infligée au traître qui devient victime de sa propre trahison : « Mais Dieu qui avait décrété ce qui devait arriver garda Judas pour la croix afin qu’il reçoive cette horrible mort qu’il avait vendue à d’autres »545.

Rien de plus spectaculaire que cette compilation musulmane, qui représente les événements néotestamentaires dans la lumière de la doctrine islamique : Judas le traître est crucifié à la place de Jésus le prophète. La substitution est annoncée lorsque l’évangéliste décrit un Judas avide de gagner du pouvoir et probablement de prendre aussi la place de Jésus : « Il [Judas] espérait que Jésus deviendrait roi d’Israël et qu’ainsi lui-même deviendrait un homme puissant »546. La peur des Juifs devant un tel scénario permet à l’Évangéliste d’articuler le thème du simulacre et de la falsification. Antipaulinien, il est également antisémite et antichrétien, même s’il se réclame d’une tradition apostolique. Puisque Judas « ne peut souffrir nos traditions »547, il en sera puni par sa substitution à Jésus lors de la crucifixion. Le thème des ressemblances, substitutions, dissimulations, illusions, est fécond dans l’écrit. Judas subit donc une mutation identitaire. Il est pris pour Jésus, il est proclamé comme tel :

Judas fit irruption le premier dans la pièce d’où Jésus avait été enlevé et où dormaient les onze. Alors, l’admirable Dieu agit admirablement : Judas devint si semblable à Jésus par son langage et dans son visage que nous crûmes que c’était Jésus. Judas, lui, nous ayant réveillés, cherchait où était le Maître. Mais, stupéfaits, nous répondîmes : « C’est toi, Seigneur, notre Maître ! Nous as-tu oubliés ? ».548

Même au niveau linguistique, le manuscrit montre des confusions lexicales. Plus d’une fois, le texte mélange et substitue « foi » à « loi », Azraïl à Uriel, Azrafiel à Raphaël549.

Conforme à la prophétologie musulmane et à sa doctrine de la révélation, le livre se veut d’inspiration divine, « miroir de Dieu »550. Tout comme Jésus enlevé au ciel par

544

Évangile de Barnabé, Recherche sur la composition et l’origine par Guigi Cirillo, texte et traduction par Luigi Cirillo et Michel Frémaux, Préface d’Henry Corbin, Paris, Éditions Beauchesne, 1977.

545

Évangile de Barnabé, op. cit., chapitre CCXVII (a), p. 543. 546

Ibid., chapitre CXLII (a), 348, p. 455. 547

Ibid. 548

Ibid., chapitre CCXVII, p. 539. 549

l’ange de Dieu pour ne pas être crucifié, le livre descend du ciel, tel que le Créateur l’aurait donné, sans que l’homme le falsifie. Les deux copies de L’Évangile de Barnabé datent du XVIe respectivement XVIIIe siècle et proposent un récit très hétérogène au niveau linguistique, stylistique et du credo religieux. L’Évangile est exemple d’imbrication des traditions juive, chrétienne et musulmane. Il est attribué à Barnabé que seule la tradition judéo-chrétienne considérait comme « l’un des douze ». Clément d’Alexandrie classait Barnabé comme « l’un des soixante-dix disciples551.

La crucifixion de Judas à la place de Jésus entraîne une question centrale : y aurait-il eu une crucifixion si Judas n’avait pas trahi Jésus ? La crucifixion serait-elle la punition de Judas ? Si on laisse de côté l’hypothèse d’une punition, il est évident qu’il s’agit d’un sacrifice. Même si la victime n’est pas consentante, elle est immolée à la place de quelqu’un d’autre. En l’occurrence, Judas rendrait ce service à Jésus. Le scénario de la crucifixion ainsi que le procès qui le précède respectent fidèlement les descriptions des évangiles canoniques. Judas est conduit devant Pilate, Hérode, il passe par le fouet et par la crucifixion, comme s’il était Jésus. Il semble que même les apôtres croient que le crucifié est Jésus. Toutes les données évangéliques – gestes, paroles – sont interprétés dans ce sens : « Judas ne faisait vraiment rien que de crier : „Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné, car le malfaiteur a fui et moi je suis tué à tort ?” »552. Cette interprétation a permis aux Musulmans de reconnaître Jésus comme prophète et de défaire l’histoire de sa résurrection, incompatible avec leur théologie.

La scène de l’émeute rappelle celle dont Judas est victime dans la pièce de Pagnol :

PIERRE. – Tu voulais jouer le grand rôle, tu t’es cru l’élu de l’Éternel ! » […] JEAN. – Tu as peur de sa résurrection ! Car tu sais ce qu’il va te dire !

PIERRE. – Et nous le savons nous aussi !

NATHANAËL. – Il t’a condamné devant nous.[…] Et il a dit qu’il faudrait te remplacer…

JEAN. – Tu oseras te présenter devant la face de Jésus ?553

Les reproches sont abondants et coupent la parole de Judas. Les accusateurs s’adressent à lui en employant un « tu » agressif. Une seule fois ils prononcent le « nous », mais en tant 550 Ibid., p. 143. 551 Ibid., p. 248. 552

Ibid., chapitre CCXIX (a), p. 545. 553

qu’écho d’une voix collective réprobatrice. Le champ lexical de prédilection relève de la condamnation. Le procès que les apôtres intentent à Judas le prive de la possibilité de la justification et du pardon.

Dans un accès de folie qui le conduira à sa mort, Judas déclame la fin du règne de l’autre et le commencement du règne de Dieu : « J’ai plus peur de vous que de lui ! » […] Que la volonté de Dieu soit faite. Adieu »554. Son suicide est le geste ultime pour affirmer son innocence. Avec une dose d’orgueil et de naïveté dans ce spectacle où défilent les (faux) messies, Judas se demande à l’instar d’un Lucifer : « Alors, je serais un autre Messie ? »555. Le rituel que le Centurion inaugure sur le prétendu tombeau du Christ est seulement la ritualisation d’un sacrifice qui ne touche pas que Judas, mais tous les êtres, sempiternellement condamnés à mourir avec, en, pour Jésus sur la croix : « Et vous aussi, mes frères, vous mourrez sur la croix. Mais vous mourrez dans la Lumière et dans la Gloire. Moi, je n’ai pas eu la meilleure part »556.

Le diable est aussi présent dans L’Évangile de Barnabé aussi. Il ajoute un anneau a la chaîne des substitutions : « tandis qu’il parlait, la malice entra et mit la main sur lui car il était en tout semblable à Jésus »557. Le réseau des substitutions est enchevêtré : le diable ne veut pas entrer en Judas, mais en Jésus. Judas devient encore une fois victime. Même quand Judas affirme-t-il son identité : « Je suis Judas Iscariote »558, personne ne l’écoute. Il n’a plus de parole, il n’a plus de nom. Ou bien, son nom est Jésus-Christ.

Dans la suite de la démonstration sur le mécanisme substitutif, l’argumentation s’appuie sur les considérations de Frazer au sujet de la mise à mort de l’homme-dieu, accomplie afin de protéger et sauver l’âme de l’homme-dieu et d’éviter ainsi les répercussions cosmiques que l’absence de sacrifice entraînerait. Le roi-dieu ne doit pas mourir de mort naturelle ni de maladie parce que son âme doit rester intègre :

À notre sens la raison qui pousse à mettre à mort l’homme-dieu, est faite uniquement de la crainte, par suite d’une déchéance physique due à la maladie ou à la vie, que son esprit sacré ne vienne à supporter une décrépitude parallèle, capable de mettre en péril la nature entière, et du même coup l’existence de ses adorateurs,

554 Ibid., p. 824. 555 Ibid., p. 822. 556

Marcel Pagnol, Judas, op. cit., p. 824. 557

Évangile de Barnabé, op. cit., chapitre CCXVI (a), p. 539 558

pour qui toutes les énergies cosmiques se trouvent mystérieusement liées à celles de leur humaine divinité.559

En réalité, lorsque le christianisme parle du sacrifice christique, accompli au nom et à la place des hommes, il ne peut pas ignorer l’histoire des sacrifices dans la tradition biblique, sacrifices destinés à faire racheter une faute collective par une victime singulière. L’histoire du sacrifice des premiers-nés de la Loi mosaïque est devenue leur Pâque par le biais du massacre des premiers-nés Égyptiens. Elle n’est pas sans écho avec la réparation d’une alliance. La tradition des simulacres de sacrifices humains est autre forme de substitution.

Dans la dialectique où se place le personnage de Judas, surtout dans les textes contemporains, l’idée d’une substitution entre les protagonistes est stimulante. Qu’il s’agisse d’une substitution potentielle du sacrifice de Jésus en Judas, comme le consigne le Coran, ou bien d’un sacrifice en vue de racheter une multitude, l’eidôlon est remis en question. Sacrifiant et sacrifié se substituent, l’un prend la place de l’autre, poussé par « l’idée que la faute peut être rachetée par des objets de substitution, extérieurs au coupable, des offrandes et, mieux, des sacrifices d’animaux et d’hommes qui jouent le rôle de symbole expiatoire »560. Mais dans quelle mesure ce sacrifice est-il consenti et assumé et quel rôle l’idiotie y joue-t-elle ?

559

James George Frazer, Le Dieu qui meurt, op. cit., p. VII. 560

CHAPITRE II

JUDAS, DU SACRIFICE VOLONTAIRE AU SACRIFICE

INVOLONTAIRE