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vous êtes plus jeune que lui

Dans le document Adopter quand on a une descendance biologique (Page 189-194)

TROISIEME PARTIE : ANALYSE DES RESULTATS

P: vous êtes plus jeune que lui

Père : oui non il a que quarante-cinq j’ai quarante- non il a (Rires)

Tout comme Maxime, cet enfant vient perturber l’ordre de la fratrie en prenant une place qui ne lui était pas dévolue. Rappelons qu’un enfant plus jeune que Sophie était initialement attendu. La différenciation entre frère et sœur, nous rappelle Kaës, se pose dans toutes les fratries, mais en particulier lorsque l’écart d’âge entre enfants est faible (deux mois). Quelle que soit la place qu’il y occupe, chacun des enfants va avoir un défi à relever : celui de se constituer en tant qu’individu au sein de ce groupe d’appartenance, individu original et différent des autres membres de sa fratrie. Or dans cette fratrie l’individu importe peu, il y a deux groupes : celui des enfants reconnus par un père et les autres. La diversité des origines introduite par cet enfant venu d’un pays étranger, ne signifie donc pas pour autant une différenciation de ses membres.

A cette indifférenciation de la fratrie d’origine, s’ajoutent des confusions générationnelles « Dernièrement chez la grand-mère, enfin la grand-mère, ma mère »(lignes 106-107)

Ainsi qu’une non différenciation de la descendance.

pas différencier si on différencie c’est bien ni pour Maxime ni pour les deux autres » (lignes 185-187).

Tout se passe comme si l’homéostasie familiale et son unité ne pouvaient être maintenues qu’à la condition que ses membres restent indifférenciés. Dans ce cas, l’indifférenciation est à considérer comme un processus défensif. Seul Maxime est identifié par son prénom, par opposition « aux deux autres », aux deux enfants biologiques qui forment une espèce de sous-groupe dans la famille.

Nous assistons d’autre part à des difficultés de séparation, qui s‘apparentent à une angoisse de séparation pathologique chez Daniel, qui viendrait s’opposer au progrès de la différenciation et qui expliquerait cette restriction apportée aux échanges avec l’extérieur.

« C’était beaucoup plus complexe, il fallait aller dans le pays tout ça et ça non, il n’en était pas question, on peut pas créer de contraintes supplémentaires aux enfants, à nos enfants… par rapport au fait de les laisser tout seuls deux ou trois semaines… qu’on place un enfant pour aller en chercher un autre… c’est un contre sens… »

(lignes 28-36).

Non seulement l’extérieur est vécu comme une menace pour le groupe, mais « laisser les enfants », les confier à la famille, s’apparenterait à un abandon (ligne 39) :

« Quand on les place trois semaines ailleurs ils sont plus écartés que protégés » Rappelons que le père de Daniel a abandonné son épouse à sa naissance, qu’il a donc été abandonné par son père dès sa naissance. D’autre part, au vu de son récit, nous pouvons supposer une disponibilité physique et psychique toute relative de cette mère « très professionnelle, travaillant sept jours sur sept avec dix enfants », à l’égard de ses enfants. Nous pouvons ainsi postuler que tout éloignement physique réactiverait des éprouvés douloureux d’abandon chez Daniel, qu’il tente de refouler, et/ou qu’il projette sur sa « progéniture » (lignes 44-45).

P : Vous n’avez jamais laissé les deux premiers

Père : Ah non il n’en est pas question jamais

Levy-Shiff (1982) qui a étudié les conséquences de l'absence du père sur l'équilibre émotionnel et l'adaptation sociale des jeunes enfants, constate que les enfants sans père sont plus dépendants sur le plan émotionnel, plus anxieux lors des séparations et plus perturbés

dans leur développement. Ses difficultés de séparation émergent dans la narration de l’accouchement de son épouse,

(lignes 143-144) :

« J’ai eu du mal à le lâcher (Louis), même la sage-femme a demandé de penser un peu à ma femme parce que forcément un peu égoïste ben oui on le lâche pas … »

Et témoignent d’une appropriation immédiate de l’enfant dès la naissance (ligne 128)

« On voit son gosse, c’est son gosse… on se l’approprie dans l’esprit… »

Comme si les rôles parentaux étaient inversés, on assiste d’un coté à une dyade père–enfant et de l’autre à une mère exclue de la relation. Nous pouvons supposer à travers ce fragment de discours de l’utilisation d’une épouse pour donner vie à un enfant.

« En outre, contrairement à un accouchement à terme, où la mère préserve une certaine maîtrise physique et psychique, elle est soumise par la prématurité de son enfant à une instrumentalisation de son corps (césarienne, réanimation, etc.) qui la relègue dans une position totalement passive. Les conditions extrêmes ne permettent souvent pas à ces mères d’élaborer l’événement traumatique assez rapidement pour se dégager de la sidération et trouver une place fonctionnelle vis-à-vis de leur enfant. Du côté paternel, le premier moment de sidération est vécu comme un sentiment d’impuissance. Cependant, contrairement aux mères, les pères nous semblent dans des dispositions psychiques et physiques plus aisément mobilisables : ils peuvent activer leurs défenses habituelles, ils maintiennent une prise sur la réalité de leur enfant. Par leur regard extérieur, équivalent d’un processus psychique, leur observation et leur possibilité d’action (soins à leur enfant), ils assument immédiatement un rôle auprès de l’enfant. Si l’entrée dans l’événement traumatique est vécue conjointement par le couple comme un moment hors du temps, la sortie de la sidération est considérablement différente pour chacun d’entre eux. Leur emprise visuelle et leur mouvement, correspondant à des modes de défense plutôt masculins, permettent aux pères une prise sur la réalité qui peut aller jusqu’à l’appropriation de la naissance. Cette position active agirait comme une position de tiers pouvant s’impliquer aussi bien auprès de l’enfant, auprès de la mère, qu’entre la mère et

l’enfant » (Herzog et al., 2003, p. 103). Or dans la situation qui nous intéresse, Daniel ne joue pas ce rôle de tiers entre l’enfant et la

mère, il s’empare de l’enfant. Ici le « nous » est un « je »

« C’est le nôtre et on nous invite à aller voir la mère, oui ce côté fusionnel forcément très tactile et ça ça change pas c’est toujours un plaisir de prendre les petits bouts de chou contre soi de s’endormir avec… » (lignes 146-148).

La ténacité de Maxime à vouloir sortir de ce cadre enfermant met à mal la tentative acharnée de Daniel de maintenir l’unicité familiale et risque de mettre en danger le mythe familial. Nous assistons ainsi à une cristallisation du mythe, témoin d’une difficulté des membres à s’adapter aux changements survenus au sein du système. Daniel évoque les stratégies défensives pour supporter les attaques du cadre familial par Maxime :

« Je prends énormément de recul, beaucoup de barrières heu peu d’affects pour ne pas, heu je prends de la distance j’essaie de voir en objectivant …» (lignes 220-222).

Cependant ces mécanismes semblent fragiles comme le laisse sous-entendre l’allégation suivante

« Enfin y a pas d’objectivité dans la subjectivité mais avec tous les éléments dont je dispose, j’essaie…» (lignes 222-223) :

Cet extrait nous apporte des éléments de compréhension sur sa difficulté ou plutôt sa résistance à parler en son nom propre et donc à s’engager dans une narration trop subjective de sa démarche d’adoption. Celle-ci pourrait en effet libérer des affects, des éprouvés qu’il n’est pas certain de pouvoir contenir et qui risquerait de le déstabiliser douloureusement. Daniel se défend de toute manifestation d’affects :

« C’est pas une question d’affection… »

Au vu de ce que nous avons pu observer, nous pouvons faire l’hypothèse chez Daniel, d’un besoin impérieux de maitriser son langage, ses pulsions, ses affects en fait tout ce qui pourrait « sortir » de lui de manière incontrôlable, à tel point qu’existe à ce moment une interrogation sur le risque d’effondrement de ce père. Ces défenses se fissurent en fin d’entretien où il s’autorise à évoquer sa souffrance lié au refus d’affiliation de Maxime

« C’est plus que déstabilisé, quand ça peut faire trop mal. »

Nous percevons à quel point le refus d’appartenance de cet enfant peut affecter son narcissisme déjà fragilisé par une histoire familiale éprouvante. La demande d’amour qu’il

envoie à ce fils à travers le message suivant : « je veux qu’il appelle, qu’il y ait une notion de besoin » (ligne 185), traduit l’échec du lien affectif. En effet il n’a plus qu’un recours, celui d’envoyer à son fils une injonction exigeant un comportement déterminé qui, de par sa nature même ne saurait être que spontané, pour maintenir une illusion de lien avec ce dernier. Ce concept de « besoin » est déjà apparu dans discours antérieur, dans sa forme négative à propos de son père biologique

« Pas de besoin de recherche » (de l’identité de son père)(ligne 90).

Tout se passe comme si Daniel voulait incarner le père fantasmé pendant l’enfance, un idéal du père, avec la nécessité de faire mieux que son père. Il sera le bon père qu’il voulait avoir. Il

est en train de rêver qu’il aurait lui aussi, voulu être adopté.

Ainsi, l’adoption de Maxime correspondrait à une tentative de réparation de son histoire familiale « Je pense avoir compris sa problématique » (ligne 218), où il serait en position d’identification à l’enfant abandonné, puis adopté, puis en position de parent adoptif et idéal.

Or le comportement de Maxime fait échouer ses rêveries, et vient fragiliser davantage ses assises narcissiques.

Dans le document Adopter quand on a une descendance biologique (Page 189-194)