• Aucun résultat trouvé

Jean Goujon, acteur du renouveau

Jean Goujon reste un mystère aussi fascinant qu’irritant. Si nombre d’histo-riens s’accordent à lui reconnaître un rôle éminent, c’est le plus souvent pour faire de lui un suiveur, ou tout au plus un collaborateur, aux côtés d’acteurs bénéficiant de bien plus de crédit en tant que novateurs, comme Jean Mar-tin ou Pierre Lescot. Entre littérature et architecture, Goujon fut pourtant un initiateur de la pensée formelle dans les années 1540; tant ses œuvres que ses actes l’imposent comme l’un des hommes-clefs de la Renaissance française.

Dans ses années de formation, vers 1525-1530, la sculpture était orga-niquement liée à l’architecture dans le domaine de l’ornement comme de la statuaire. De nombreux retables et parements de chapelles, plus ou moins sophistiqués, mais aussi des portails et des pourtours de chœur, combinant décors et statues, témoignent encore à travers la France de la confrontation entre la persistance d’une manière gothique «à la moderne», qui était plus largement celle de l’Europe du nord, riche jusqu’à la surcharge de figures et de détails, et la propagation de motifs «à l’antique»4. Ceux-ci voyaient alors triompher des oves, acanthes, coquilles, bucranes, candélabres, médaillons, grotesques et autres chapiteaux fabuleux enrichis à partir de modèles italiens et des variations ligériennes des débuts du XVIe siècle. Adoptés durant le premier quart du siècle, ces motifs d’un goût nouveau étaient passés de la citation érudite à l’interprétation inventive et leur foisonnement s’inscrivait encore dans la continuité de l’exubérance des décors flamboyants.

Mais durant les années 1530, alors que l’ornement s’épanouissait d’une manière quasi fusionnelle avec l’architecture, cette dernière connut une nette évolution dans sa mise en normes, évolution qui toucha également la sculp-ture. Les Medidas del romano, ouvrage rédigé par l’espagnol Diego de Sagredo en 15265, furent assez appréciées pour être traduites et plusieurs fois éditées à Paris à partir de 1536 sous le titre Raison D’architecture an-tique, extraicte de Victruve et aultres anciens architecteurs6. Ce texte, qui

4 P.-Y. le Pogham, «Le paysage artistique vers 1500: les mots et les choses», dans France 1500, Paris, 2010, pp. 31-37.

5 D. de Sagredo, Medidas del romano, Tolède, 1526. Y. Pauwels, «La fortune du Sa-gredo français en France et en Flandres aux XVIe et XVIIe siècles», dans Medidas del Romano, Diego de Sagredo, Toledo. 1526, éd. F. Marías et F. Pereda, Tolède, 2000, vol. 2, pp. 107-116; Y. Pauwels, «L’architecture de la ‹Belle Chapelle› à Solesmes: une origine espagnole?», Gazette des Beaux-Arts, 134, sept. 1999, pp. 85-92.

6 Trois éditions parisiennes, chez Simon de Colines, virent successivement le jour en 1536, 1539 et 1542. Ces éditions diffèrent de la version originelle par de nouvelles illustrations et un développement inédit sur les ordres.

MARION BOUDON-MACHUELet PASCAL JULIEN

189

dissertait sur les rapports entre mesures du corps et éléments structurels, abordait l’architecture dans sa fonction de support et de faire-valoir de l’image, et accordait une place de choix à «Moult diversité d’ornements, qui se mettent plus pour enrichir que pour nécessité»7. Il n’est pas étonnant qu’il ait été prisé, notamment par Jean Goujon, pour insuffler une correction de mesure et un premier esprit savant à des compositions où la statuaire et l’ornement tenaient une place importante. A ces prémisses d’une vérité d’après l’antique s’ajouta la publication, en 1537, du Quarto Libro de Sebas-tiano Serlio qui développait des règles générales fondées sur la prééminence des ordres d’après une exégèse des textes de Vitruve8. Cet ouvrage connut un large retentissement et intéressa notamment de nombreux sculpteurs.

Goujon fut le premier à rendre hommage à Serlio pour avoir introduit et explicité les doctrines de Vitruve en France9. Non moins que les archi-tectes, les sculpteurs étaient alors en quête d’une correction des formes et d’une mise en adéquation de leurs aspirations avec la théorie vitruvienne, comprise comme révélatrice des indispensables «mesures d’antique» créées pour «le contentement de l’œil»10. Toutefois, à l’instar de Philibert De l’Orme et de Jean Bullant, c’est manifestement vers 1535, et pas seulement par le biais de ses lectures, que Jean Goujon eut l’occasion de découvrir les inci-dences d’une telle perfection. Ce voyage en Italie est confirmé par plusieurs faits concordants, notamment la compréhension intime de l’antiquité et de certains grands maîtres de la Haute Renaissance que trahissent les œuvres du sculpteur11. Le premier ensemble d’importance qui lui soit attribué, le tombeau de Louis de Brézé dans la cathédrale de Rouen, réalisé vers 1538-1542, est fortement marqué par les écrits de Sagredo, mais aussi de Serlio,

7 D. de Sagredo, Raison D’architecture antique, extraicte de Victruve et autres anciens architecteurs nouvellement traduit Despaignol en Francoys: a l’utilite de ceux qui se delectent en edifices, Paris, Simon de Colines, s. d. [1536], f° 21.

8 S. Frommel, Sebastiano Serlio, architecte de la Renaissance, Paris, 2002 (1998), p. 63.

9 J. Goujon, «Sur Vitruve. Jan Goujon studieux d’architecture aux lecteurs, salut», dans Architecture ou Art de bien bastir, de Marc Vitruve Pollion… mis de Latin en Fran-coys, par Ian Martin…, Paris, 1547, f° Diii: «Et encore pour ce jourd’huy avons nous en ce Royaume de France un messire Sebastian Serlio, lequel a assez diligemment écrit et figuré beaucoup de choses selon les règles de Vitruve, et a été le commencement de mettre telles doctrines en lumière au Royaume».

10 Y. Pauwels, «Serlio et le vitruvianisme français de la Renaissance: Goujon, Bullant, De l’Orme», dans Sebastiano Serlio à Lyon. Architecture et imprimerie, éd. S. Deswarte-Rosa, Lyon, 2004, pp. 410-417.

11 N. Dacos, «Jean Goujon: trois dessins et le voyage en Italie», dans Germain Pilon et les sculpteurs français de la Renaissance, éd. G. Bresc-Bautier, Paris, 1993, pp. 297-316.

Autour de Jean Goujon

190

comme nombre d’œuvres de cette époque en France, et rend compte égale-ment, fait plus rare, de la connaissance effective de grands édifices romains, tel que le Panthéon et le temple d’Antonin et Faustine12. Dans ce tombeau mural monumental, Goujon participa à un phénomène venu d’Italie et dont il fut l’un des artisans du développement en France: la volonté de régulariser la structure tout en élevant et en magnifiant la sculpture. L’évolution se mani feste à un double titre: non seulement le sujet prend le pas sur l’orne-mental, mais gagnant les parties hautes de la composition, il devient plus visible et acquiert une indépendance nouvelle. En l’occurrence, la réussite est mitigée, en dépit d’un abord fastueux, repris du portail du Castelnuovo de Naples13, et d’une réflexion sur la structure d’ensemble et les figures nourrie des monuments funéraires muraux d’Italie du Quattrocento, comme le tombeau napolitain du cardinal Rainaldo Brancacci de Sant’Angelo a Nilo, par Donatello et Michelozzo. Certes les figures prennent de l’importance dans un second niveau triomphal, mais celles du premier niveau perdent une partie de leur lisibilité derrière les doubles colonnes; en outre, le dé-ploiement d’une ornementation détaillée se fait sans rapport d’échelle avec la statuaire, générant des décalages visuels. Théorie et pratique ne sont pas en parfait accord et la construction empirique entre structure et sculpture ne peut remplacer la maîtrise des données complexes d’un mariage heureux entre l’architecture ordonnée et la sculpture proportionnée.

La recherche d’un tel accord est toutefois visiblement affirmée par les éléments les plus spectaculaires de la composition, la figure équestre, sou-vent citée, mais aussi l’emploi de grandes figures canéphores, placées en cariatides. Nul autre élément ne peut autant symboliser la quête de concor-dances entre les deux arts. De belle prestance, les caryatides demeurent ce-pendant d’une certaine raideur. Drapées à l’antique, prenant même le pas de vestales romaines, elles semblent une conjugaison de modèles de Raphaël pour les Stanze du Vatican et de leur interprétation gravée par Marcantonio Raimondi. Mais elles doivent aussi être mises en relation avec l’art de Rosso, pour leur nature comme pour leur dessin, en particulier avec sa composition d’un tabernacle connu par un dessin de Cherubino Alberti. A Fontainebleau en effet venait d’être illustré le recours à ce type singulier de support, sous différentes déclinaisons dans les stucs de la Galerie François

12 Y. Pauwels, «Jean Goujon, de Sagredo à Serlio: la culture architecturale d’un ymag-inier-architecteur», Bulletin Monumental, 156-2, 1998, pp. 137-148.

13 Fl. Bardati, «Napoli in Francia? L’arco di Alfonso e i portali monumentali del primo Rinascimento francese», I Tatti Studies. Essays in the Renaissance, 11, 2007, pp. 115-145.

MARION BOUDON-MACHUELet PASCAL JULIEN

191

Ier (1534-1540): ce modèle prestigieux fut rapidement et solennellement adapté dans le tombeau de Notre-Dame de Rouen.

En ce palais royal également avait mûri et allait s’amplifier, sous la di-rection de Rosso et de Primatice, ce qui faisait encore défaut à Jean Goujon comme à la sculpture française: une vérité des corps, dans l’harmonie des proportions et dans l’élégance voire la sensualité des formes14. Les stucs de la galerie sont les premiers véritables nus de la statuaire française de la Re-naissance. Ils proposent une morphologie étudiée, débarrassée des stéréo-types du sacré et des lourds tissus qui masquaient l’inconvenance d’anato-mies masculines puissantes et de troublantes opulences féminines, tout autant bien souvent, que l’incapacité à les réaliser. Rosso, qui en fut le pro-moteur, conçut pour la galerie des figures empreintes d’une force gracieuse et Primatice, de retour d’Italie en 1541, en reprit immédiatement l’idée, sans doute tant en raison de sa pertinence pour le décor à inventer que pour la nouveauté du motif, en créant pour la chambre de la duchesse d’Etampes (1541-1544) des effigies plus voluptueuses encore, auxquelles il conféra le canon raffiné des figures féminines de la peinture émilienne15.

Au même moment, à Fontainebleau encore, se produisit un second évé-nement majeur pour comprendre l’évolution de la sculpture et de l’art fran-çais en général: en 1542, les moulages opérés à Rome servirent à réaliser les tirages en fonte de statues considérées alors comme les plus célèbres de l’antiquité16. Par la volonté du souverain, un idéal rêvé prenait corps à la cour. La plastique et les canons antiques acquéraient un caractère régalien et devenaient une référence directe. La Vénus et l’Apollon du Belvédère pro-posaient le modèle de la nudité classique d’un modelé suave, dans une élé-gance volontairement accentuée par Primatice, l’Ariane endormie offrait l’exemple du jeu sensuel du drapé mouillé voilant le corps tout en le dénu-dant, et l’Hercule Commode s’affirmait comme un exemple de puissance masculine et de rigueur anatomique.

14 M. Boudon-Machuel, «La figure sculptée dans la galerie François Ier», dans Le roi et l’artiste: François Ier et Rosso Fiorentino, catalogue de l’exposition Le roi et l’artiste, François Ier et Rosso Fiorentino, Château de Fontainebleau, 23 mars-24 juin 2013, Paris, 2013, pp. 107-110.

15 D. Trébosc, «Le décor de Primatice pour la chambre de la duchesse d’Etampes: une œuvre réflexive?», Seizième Siècle, 3, 2007, pp. 37-60.

16 G. Bresc, «Francesco Primaticcio, dit Le Primatice, Vénus du Belvédère», dans Bronz-es français de la Renaissance au siècle dBronz-es LumièrBronz-es, catalogue d’exposition, Paris, 2008, pp. 64-69; C. Occhipinti, Primaticcio e l’arte di gettare le statue di bronzo, Rome, 2010.

Autour de Jean Goujon

192

La leçon fut appliquée par Goujon non dans la ronde-bosse, mais dans les reliefs, notamment ceux des Evangélistes du jubé de Saint-Germain-l’Auxer-rois où le sculpteur français déploya son attrait pour la grâce. Là, rendant hommage aux ignudi de Michel-Ange, moins dans le canon que dans la torsion des figures, il modela avec une tendre délicatesse les visages et les corps drapés de voiles finement plissés. Sa collaboration avec Pierre Lescot, pour ce mur de clôture, marque une nouvelle étape, celle de la recherche d’un bel accord entre sculpture et structure dans un souci d’harmonie et de lisibilité. Le nombre réduit et la monumentalité des reliefs favorisent leur lecture alors que leur puissance expressive est accentuée à l’aide d’un cerne incisé autour des silhouettes (fig. 1).

Fig. 1. Jean Goujon, Saint Matthieu, pierre, 79cm×56cm, 1544, autrefois sur le jubé de Saint-Germain-l’Auxerrois, Paris, musée du Louvre. © P. Julien.

MARION BOUDON-MACHUELet PASCAL JULIEN

193

Cette notion de lisibilité, déjà évoquée dans la traduction française de Sagredo, était alors l’une des préoccupations majeures de Jean Goujon. Dès 1544, il la développa en participant avec Jean Martin à l’élaboration de l’édition française de L’architecture ou l’art de bien bastir17. La publication, en 1544 à Venise, des savantes annotations de Philandrier sur Vitruve té-moigne de l’effervescence intellectuelle des milieux humanistes français dans les années 1540, très impliqués dans la montée en puissance de la pensée artistique18. Mais écrire en latin n’est déjà plus de mise et dans le royaume l’avenir était au français, pour dire mais aussi pour découvrir, ce qu’illustrèrent alors les traductions de plusieurs sources essentielles menées à bien par Jean Martin comme La signification des notes hiéroplyphiques des Ægyptiens en 1543, L’Arcadie en 1544, Le Premier livre d’architecture et le Second livre de perspective de Serlio en 1545 et son Quinto libro d’architettura en 1547, de même que l’ Hypnérotomachie, ou discours du songe de Polyphile, en 1546, enrichi de gravures de Jean Goujon. Ce der-nier participait peu ou prou depuis plusieurs années à cette étonnante entre-prise éditoriale, que ce soit pour des illustrations ou pour la mise au point d’un lexique spécifiquement adapté au vocabulaire ornemental, architectu-ral et technique.

Même si Jean Martin présenta Goujon en 1547 comme architecte du roi, dans la préface de cet ouvrage, c’est bien à un maître de la sculpture que l’on doit, dans son «Salut au lecteur», le premier texte français écrit sur l’architecture19. Ce fait a toujours été négligé, il est pourtant significatif d’une constante dans la Renaissance française où le renouveau apparut et s’imposa dans bien des cas d’abord dans la sculpture. Au début du XVIe siècle, l’orne-ment traduisit les mutations du goût bien avant la structure et dans les années 1540, la notion de corps/étalon privilégiée par Jean Goujon accompagna la mise en ordre de l’architecture en s’attachant aux notions essentielles de proportion et de mesure. Se déclarant humblement «studieux d’archi tec - ture» dans cet ouvrage, Goujon dépasse toutefois le simple rôle d’illustra teur en conseillant Jean Martin et en commentant dans le détail plusieurs des gravures qu’il a expressément réalisées. Faisant preuve d’une science aussi concrète que réfléchie, il insiste sur l’importance de la géométrie et de la pers-pective, «ou scénographie», considérées comme les clefs de toute harmonie.

17 T. Uétani et H. Zerner, «Jean Martin et Jean Goujon en 1545. Le manuscrit de présen-tation du Premier livre d’Architecture de Marc Vitruve Pollion», Revue de l’Art, 149, 2005-3, pp. 27-32.

18 Y. Pauwels, L’architecture au temps de la Pléïade, Paris, 2002.

19 J. Martin, Architecture ou Art de bien bastir, de Marc Vitruve Pollion… mis de Latin en Francoys, par Ian Martin…, Paris, 1547: «Au Roy»: «Maistre Jehan Gouion, n’aguères architecte de Monseigneur le Connestable, et maintenant l’un des vostres».

Autour de Jean Goujon

194

Fig. 2. Jean Goujon, gravures de l’Architecture ou Art de bien bastir, de Marc Vitruve Pollion, 1547, fol. 2 verso, fol. 28 et 28 verso, et fol. 42. © P. Julien.

MARION BOUDON-MACHUELet PASCAL JULIEN

195

Dans ce cadre normatif de l’architecture, il exprima implicitement une théo-rie de l’art statuaire, désormais soumis à la raison, en proposant de solennels atlantes et cariatides, en dessinant l’anatomie parfaite et les proportions du corps, et en insistant sur le rapport visuel du spectateur à l’objet sculpté (fig. 2)20. Ce faisant, il ne manquait pas d’affirmer sa manière dans la conti-nuité de ses prédécesseurs, ce qu’il souligna en insérant, dans son dessin des proportions du corps humain, le visage de l’Uomo ad quadratum proposé par Cesare Cesariano dans l’édition italienne de Vitruve de 1521. Le corps de son propre dessin est totalement différent de celui publié par Cesariano, repris dans un souci de perfection mais aussi de diversité d’emploi, avec une double proposition faite par moitiés, l’une le corps droit et l’autre déhanché (fig. 2). Mais l’emploi de la même tête que celle de l’édition vénitienne in - dique que Goujon se place dans une démarche semblable à celle des poètes et auteurs de la future Pléiade: s’appuyer sur des formules éprouvées tirées de l’antique pour inventer une voie nouvelle. La maîtrise graphique, tech- nique et intellectuelle de la sculpture était en cours, stimulée par la quête de langages artistiques21.

De communes aspirations en ce domaine réunirent très certainement alors Jean Goujon et Pierre Lescot qui furent, ensemble, des fondateurs.

Que serait «Goujon sans Lescot»? En dépit de la portée de l’œuvre et de la pensée du sculpteur, en dépit de son action au cœur des événements et des chantiers les plus conséquents de son temps, il a paru naturel à plusieurs historiens de l’art de poser et de reprendre cette question, comme si minimi-ser le rôle de l’un pouvait augmenter la gloire de l’autre, comme si un archi-tecte était pure pensée éthérée et un sculpteur simple cogneur de pierres.

Mais que serait, alors, Lescot sans Goujon? La question est plus importante qu’il n’y paraît, car elle renvoie à un cloisonnement trop strict de l’histoire de l’art. La Fontaine des Innocents, réalisée en 1549 pour l’entrée d’Henri II à Paris, fait la démonstration de l’alliance puissante de la ligne architec-turale et de la forme sculparchitec-turale. Quelles que soient les questions de pater-nité de dessin, de création en propre, l’art des années 1540 ne peut se penser autrement que dans la complémentarité et l’enrichissement. Quelle que soit la qualité de la structure inventée par l’architecte, elle ne prend corps har-monieusement que par la vivacité et la sensualité de l’omniprésente figure sculptée, caressée de voiles légers, qui jouent de l’espace à l’intérieur du cadre jusqu’à le rendre soudain pénétrable22. Ce qui est demeuré fluidités

20 J. Martin, Architecture ou Art de bien bastir…, 1547, f° 2v et 3v, f° 28 et 28v, et f° 42.

21 P. Julien, «Des imagiers aux sculpteurs, XVIe siècle», dans L’art français, de la Re-naissance aux Lumières, éd. M.C. Heck, Paris, 2011, pp. 132-179.

22 Marion Boudon-Machuel, «Nier la matérialité pour exprimer l’immatériel: une pro-position de la sculpture française du XVIe siècle», actes du colloque Matérialité et Autour de Jean Goujon

196

séduisantes en cette fontaine se fit ferme assurance à l’arc de triomphe éphé-mère du pont aux changes, où se dressaient de puissants atlantes et au sommet duquel se détachait un imposant Hercule gaulois.

Toutefois, et là réside la force de ces œuvres, il n’y a plus de confusion entre sculpture et architecture, alors même que leur fusion est élaborée.

Chacun de ces arts accède à son propre langage et si leur mariage est heu-reux, c’est dans le dialogue fructueux de leurs identités. Il faut y voir l’un des acquis principaux de ces années de confrontations et de réflexions:

confrontations aux inventions du Quattrocento et aux séductions du ma-niérisme italien, à l’exemplarité du modèle antique et aux leçons de la culture livresque; réflexions sur le canon raisonné, les sophistications de la composition, l’exigence de grâce et de noblesse, le rapport équilibré à la structure, la perception visuelle ou l’insertion spatiale de l’œuvre. Le Louvre, dans ses dehors comme ses dedans, en est la plus belle démonstration. Sur

confrontations aux inventions du Quattrocento et aux séductions du ma-niérisme italien, à l’exemplarité du modèle antique et aux leçons de la culture livresque; réflexions sur le canon raisonné, les sophistications de la composition, l’exigence de grâce et de noblesse, le rapport équilibré à la structure, la perception visuelle ou l’insertion spatiale de l’œuvre. Le Louvre, dans ses dehors comme ses dedans, en est la plus belle démonstration. Sur