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Jean Cousin le Père et l’architecture des tapisseries de la Vie de saint Mammès

Puisque la datation et l’attribution d’un grand nombre de dessins de Jean Cousin le Père est incertaine, le fameux cycle de tapisseries destiné à la Vie de saint Mammès, signé par l’artiste en juillet 1543, constitue une base so-lide10. Claude de Longwy, cardinal de Givry et évêque de Langres, avait commandé cette série ambitieuse, en consentant au maître une liberté créa-tive11. Le contrat était fondé sur «un petit progect en pappier», conçu sans doute préalablement12. En 1544, un autre contrat obligeait les lissiers à

9 H. Zerner, L’art de la Renaissance en France. L’invention du classicisme, Paris, 1996, p. 243. Notre article ne tient pas compte du volume Jean Cousin père et fils. Une fa-mille de peintres au XVIe siècle, sous la dir. de C. Scailliérez, Paris 2013 qui a été publié après la fin de notre rédaction.

10 D. Cordellier, «Cousin et le dessin», communication lors de la journée d’études Jean Cousin, Paris, INHA, novembre 2011, à paraître.

11 Publié par M. Roy, Les tapisseries Saint-Mammès de Langres: Compositions authen-tiques de Jehan Cousin père, Sens, 1914; M. Roy, Artistes et monuments de la Re-naissance en France: recherches nouvelles et documents inédits, Paris, 1929, pp. 44-51; L.E. Marcel, Le cardinal Givry, évêque de Langres, thèse de doctorat, Université de Paris, Dijon, 1926, vol. 2, pp. 323-352 et 486-488; J. Boudoin Ross, «Jean Cousin the Elder and the creation of the Tapestries of Saint Mammès», The Art Bulletin, 60, no 1, 1978, pp. 28-34; H. Zerner, L’art de la Renaissance…, 1996, pp. 254-255;

P.-F. Bertrand, «Jean Cousin le père et la tapisserie», Cahiers Haut-Marnais, 210-211, 1997, pp. 44-65; T.P. Campbell, Tapestry in the Renaissance, catalogue d’exposition, New York, 2002, pp. 477-480; P. Stein, «A new drawing by Jean Cousin the Elder for the Saint Mamas Tapestries», Metropolitan Museum Journal, 37, 2002, pp. 63-76;

V. Auclair, «L’iconographie humaniste d’un héros chrétien. Jean Cousin et la teinture de Saint-Mammès (1543)», Art Sacré, 2009, pp. 109-118.

12 H. Zerner, L’art de la Renaissance…, 1996, p. 255.

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rendre les dessins en bon état au cardinal, qui voulait sans doute les conserver ou peut-être même les exposer en tant qu’objets artistiques d’une valeur autonome. En mai 1545, les huit tapisseries prirent place dans le chœur de la cathédrale, où ils suscitèrent sans aucun doute une grande admiration.

Seulement deux y sont restées après les dispersions de la Révolution, alors que l’une d’entre elles est entrée dans les collections du Louvre. Deux autres scènes sont documentées grâce à des cartons, mais aucune trace ne s’est conservée des deux dernières et de l’effigie du cardinal par laquelle s’achevait le cycle. Saint Mammès, protecteur de la cathédrale, a été martyrisé en 275 sous l’empereur Aurélien à Césarée de Cappadoce, en Asie Mineure. Chaque scène regroupe des épisodes variés, de sorte que les mêmes personnages y apparaissent plusieurs fois. Les actions se déroulent dans des espaces com-posés à l’instar de scénographies théâtrales marquées par des architectures à l’antique, non mentionnées dans la légende sur laquelle s’est appuyée l’ar-tiste13. Ce cycle extraordinaire, l’un des rares témoignages cohérents d’une tapisserie de cette période, a fait l’objet d’études récentes, mais les architec-tures imaginées sont loin d’avoir été analysées de manière exhaustive14.

En conférant un caractère spécifique à chaque scène, les monuments et ruines représentent des métaphores du monde païen auquel Mammès est continuellement confronté, qu’il convertit ou détruit. Ammia suppliant Faustus de lui confier la garde de saint Mammès, le premier épisode, se joue dans la villa natale du saint15 (fig. 1). Elle est organisée par plusieurs niveaux de sol, rachetés par des gradins. Au premier plan à gauche, la veuve Ammia tenant l’enfant dans ses bras est agenouillée devant l’oppresseur, entouré de guerriers. Derrière le dos de la bienfaitrice, deux hommes trans-portent le cadavre du père de Mammès, martyr chrétien mort sous la tor-ture, en-dehors de la prison, dont le rez-de-chaussée est ouvert en arcade. A côté du groupe autour du despote, des colonnes géminées en position dia-gonale et réduites à des fragments de fûts coupent de manière assez abrupte la continuité spatiale du plan médian. Par leur échelle monumentale, exal-tées par de hauts piédestaux, elles tranchent avec les autres architectures.

13 Il eut sans doute à disposition un Breviarium Lingonense de 1536, conservé à la Biblio thèque Sainte Geneviève (P. Stein, «A new drawing by Jean Cousin…», 2002, pp. 65-66 et 71-75).

14 Voir notamment H. Zerner, L’art de la Renaissance…, 1996, pp. 225-237, 254-255;

J. Boudoin Ross, «Jean Cousin the Elder…», 1978, pp. 28-34; P. Stein, «A new draw-ing by Jean Cousin…», 2002, pp. 63-76; V. Auclair, «L’iconographie humaniste…», 2009, pp. 109-118.

15 Le dessin a été acquis par le Metropolitan Museum de New York en 2000 et est conservé au Rogers Fund (P. Stein, «A new drawing by Jean Cousin…», 2002, p. 63;

H. Zerner, L’art de la Renaissance…, 1996, p. 254).

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A gauche s’avance un portique accessible par deux gradins, sans doute ap-partenant à un édifice public vu le nombre de personnes qui s’y pressent:

quatre colonnes garnies de chapiteaux doriques décoratifs supportent un entablement au-dessus duquel se distingue un plafond à caissons. Au milieu est placé un énorme réceptacle ou bassin, orné de larges cannelures. Le por-tique et les colonnes géminées se prolongent au-delà des bords du dessin, en provoquant une impression de déséquilibre qui exalte la dramaturgie.

Plus étonnant est l’arc de triomphe à droite, un bloc compact animé d’une silhouette contrastante: les angles sont disposés en retrait et sou-lignent les avancées ouvertes par des arcades, ennoblies de demi-colonnes doriques. Des médaillons garnissent les écoinçons, alors que l’entable - ment, tracé avec précision, est doté d’une haute frise. Peut-être Cousin avait-il connu la scène avec l’Allégorie de la Vieavait-illesse de la Galerie François Ier, où Rosso Fiorentino avait conçu une construction similaire16 (fig. 2).

Fig. 1. Jean Cousin le Père, Ammia suppliant Faustus de lui confier la garde de saint Mammès. New York, Metropolitan Museum of Art.

16 La scène est gravée par Léonard Thiry (S. Frommel, «Rosso Fiorentino e Francesco Primaticcio…», 2011, p. 154).

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Fig. 2. Léonard Thiry (selon Rosso Fiorentino), Allégorie de la Vieillesse.

Fontainebleau, Galerie François Ier.

Chacune de ces architectures, tout en trahissant une excellente connais-sance du vocabulaire classique, forme un élément singulier sans qu’un dia-logue soit établi entre elles.

Mammès sauvé de la noyade reçoit l’Evangile a été identifié en 1978 comme dessin préparatoire d’une des scènes, probablement de la troisième, qui montre l’un des procès précédant le martyre17 (fig. 3). Le pauvre saint est suspendu à un pont, un poids en forme de disque circulaire autour du cou, et entouré de soldats chargés de le noyer. Grâce à l’intervention d’un ange il est sauvé et, à genoux au premier plan, il lui exprime sa gratitude. L’action se déroule dans un paysage creusé de cours d’eau enjambés par des ponts.

17 Le dessin est conservé à la Bibliothèque Nationale, Réserve du Département des estampes et de la photographie, 1861 (dessins français, XVe-XVIe siècle, B6a boîte 1 (J. Boudoin Ross, «Jean Cousin the Elder…», 1978, pp. 28-34. Voir aussi Le seizième siècle européen. Peintures et dessins dans les collections publiques françaises, catalo-gue d’exposition, Paris, 1965; P. Stein, «A new drawing by Jean Cousin…», 2002, p. 67; V. Auclair, «L’iconographie humaniste…», 2009, p. 114. La deuxième scène, manquante, aurait pu représenter le baptême ou l’éducation de Mammès.

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Fig. 3. Jean Cousin le Père, Mammès sauvé de la noyade reçoit l’Evangile. Paris, Biblio-thèque nationale de France, Département des estampes et de la photographie, Rés.

Du côté gauche s’échelonnent des constructions, alors que le plan médian est dominé, au centre, par une rotonde. Le perron qui dessert l’édifice au premier plan s’inspire de la scène comique du Second Livre de Sebastiano Serlio – Cousin ne renonce même pas au détail du soupirail – que l’artiste français aurait pu connaître avant la publication du traité en 154518. Deux colonnes doriques soutenant une poutre servent d’appui sur lequel se penche un curieux, alors que de l’édifice même ne sont visibles qu’une colonne ionique et une partie de son entablement. Dans la proximité immédiate, plus en retrait, est placé un autre arco quadrifrons, mais contrairement à celui de Ammia suppliant Faustus, le relief échelonné des angles est substitué ici par de puissantes colonnes doriques sur piédestaux. Quant à l’entablement, la frise est encore plus développée en hauteur, alors que les modénatures sont abrégées. Le talent subtil de variation et d’interprétation dont Jean Cousin le

18 Il semble qu’au moins une partie des dessins datent des périodes antérieures (S. From-mel, «Sebastiano Serlio prospettico: Stages in his artistic itinary during the 1520s», dans Perspective, Projections & Design, éd. M. Carpo et F. Lemerle, Londres-New York, 2008, pp. 89-94).

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Père fait preuve s’exprime aussi sur la rotonde qui surgit derrière le pont où le drame se noue: dotée de colonnes et couronnée d’une coupole à gradins, elle renvoie au temple de Tivoli, représenté dans le Troisième Livre de Serlio19 Mais en utilisant des colonnes géminées, l’artiste métamorphose la cadence des supports et exalte le contraste avec le mouvement horizontal des gradins.

Le fragment d’une énorme colonne isolée du côté gauche du pont, allégorie de la menace à laquelle est livrée le protagoniste, affirme la valeur narrative des architectures. En arrière-plan, à droite et à gauche, sont parsemés d’autres ruines et obélisques. De façon identique à la scène précédente, le rendu est le fruit de remarquables compétences dans le domaine de l’art de bâtir, mais les liens entre les monuments et les fragments restent plutôt aléatoires.

Mammès prêche aux animaux sauvages, sans doute la quatrième scène du cycle, se trouve encore dans la cathédrale (fig. 4)20. Au premier plan on voit le saint entouré de bêtes qui écoutent, avec attention et une mine sé-rieuse, sa lecture de l’évangile. Du côté droit s’enchaînent, selon la démarche privilégiée de l’artiste, deux édifices d’une allure classicisante. D’abord un bâtiment sacré dominé par un espace couronné d’un dôme au milieu, depuis lequel s’avancent quatre portiques consistant en de robustes colonnes do-riques sur lesquelles reposent un entablement et des frontons triangulaires (fig. 4a-b). Cette disposition s’inscrit dans les recherches autour de l’orga-nisme centré qui, depuis Leon Battista Alberti jusqu’à Andrea Palladio, ne cessèrent de s’amplifier, en affectant à la fois l’architecture sacrée et pri-vée21. L’invention cousinienne, qui ne manque pas d’originalité, est-elle ins-pirée par des dessins italiens ou même serliens? La rotonde à l’arrière-plan confirme l’appétit de nouvelles configurations: érigée sur une plateforme à gradins, elle ressemble encore plus au temple de Tivoli par son portique doté de colonnes simples; sur le dôme se dresse une énorme statue (fig. 4).

A gauche, sur la colline, saint Mammès fabrique du fromage dans une hutte primitive, faite de poteaux couverts d’un toit en chaume, aux antipodes de l’architecture des monuments classiques situés en face22. Peut-être Cousin a-t-il eu vent des considérations vitruviennes sur l’évolution des typologies architecturales qui ont laissé des traces dans de nombreuses représentations de la Renaissance23.

19 S. Serlio, Troisième Livre, 1540, f° XXVII.

20 P. Stein, «A new drawing by Jean Cousin…», 2002, p. 66.

21 Voir S. Frommel, «Sogni architettonici: I Sangallo, le ville e i palazzo a pianta cen-trale», Quaderni dell’Istituto di Storia dell’Architettura, nuova serie, 40, 2002, pp. 17-38.

22 Selon le texte dont Cousin disposait, cette construction consistait en palmes (voir note 13).

23 L’auteur du présent article prépare une recherche sur ce thème.

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Fig. 4a. Restitution du bâtiment sacré figurant sur Mammès prêche aux animaux sauvages (cathédrale de Langres), plan, coupe (simulation G. De Leo).

Fig. 4. Jean Cousin le Père, Mammès prêche aux animaux sauvages. Langres, cathédrale.

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Conservée au Louvre, la cinquième scène, Saint Mammès se rend au tribu-nal du gouverneur de Cappadoce, est présidée par une porte de ville sous la forme d’un arc de triomphe, qui prend comme modèle l’arc d’Ancône du Quatrième Livre de Serlio, une variation du monument antique (fig. 5, 5a)24. La maestria avec laquelle Cousin réussit à reproduire l’organisation des saillies et des retraits, des ressauts et des lignes continues, en s’appropriant cet organisme jusqu’au menu détail, est frappant25. Pour assimiler le modèle à une plus grande préférence pour l’élancement vertical, hérité de la tradi-tion gothique, il convertit le volume en une forme plus ramassée et exalte l’élan ascendant des éléments singuliers: les piédestaux sont plus élevés, l’arcade plus élancée, le fronton d’un profil pointu. Par des colonnes ados-sées, il rehausse les contrastes et «corrige» les cha pi teaux fantaisistes en employant la forme composite. La profusion ornementale est au service d’évocations: des bas-reliefs, des statues dans les niches et des petites boules placées au-dessus des ressauts de l’attique. A travers l’arcade, on entrevoit saint Mammès qui subit des tortures, en confor mité avec une approche al-liant figure et architecture dans des jeux réciproques. Le magnifique ordre corinthien du fragment architectural à droite, le porche du palais du gou-verneur, renvoie également au traité de Serlio26. A l’arrière-plan à droite apparaît une autre rotonde, dressée sur un podium avec gradins et dotée d’un énorme tambour sur lequel se greffe la coupole, une espèce de cham-pignon, qui pourrait s’expliquer par des maladresses des tisserands27. A l’arrière-plan à gauche, la maison de Mammès est de nouveau présentée comme une construction primitive faite de poteaux et de poutres, comme antinomie des architectures classiques. Même les cartouches de l’encadre-ment, marqués d’emboîtements compliqués et variés, semblent inspirés du frontispice du Primo Libro de Serlio, sans oublier cependant les références bellifontaines de la Galerie François Ier.

24 S. Serlio, Quarto Libro, 1537, f° LIX (J. Boudoin Ross, «Jean Cousin the Elder…», 1978, pp. 28-34).

25 Par exemple le jeu équilibré entre horizontalité et verticalité produit des ressauts qui s’achèvent par la ligne horizontale de la corniche.

26 S. Serlio, Quatrième Livre, 1537, f° XLIXr. Cet ordre rappelle aussi l’arrière-plan à droite du Trionfo di Scipione des tapisseries de Giulio Romano (Paris, Musée du Louvre).

27 On peut d’ailleurs observer des couronnements similaires dans les tentures de l’Histoire de Diane où émergent sur les arrière-plans des rotondes de différentes configurations, dues sans doute aussi au génie de Jean Cousin le Père, par exemple Diane de mande à Jupiter le don de chasteté (Rouen, Musée départemental des Antiquités) ou La noyade de Britomartis (New York); H. Zerner, L’art de la Renaissance…, 1996, p. 257.

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Fig. 5. Jean Cousin le Père, Saint Mammès se rend au tribunal du gouverneur de Cappadoce. Paris, Musée du Louvre.

Fig. 5a. Sebastiano Serlio, l’arc d’Ancône

(Quarto Libro).

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La sixième scène montre saint Mammès dans une fournaise qui occupe le centre de la composition au premier plan et de laquelle montent des flammes épaisses (fig. 6). Ici Cousin s’est inspiré du carton de Raphaël avec la Prédication de saint Paul pour les tapisseries de la chapelle Sixtine28. Entouré d’un portique doté de puissantes colonnes doriques, la rotonde érigée à gauche tranche sur les autres par la sobriété de son langage. On distingue nettement le cylindre intérieur, fait de blocs de pierre de taille et percé d’arcades; la coupole d’un profil surbaissé repose sur un entablement d’un dessin simple. A l’instar du modèle raphaëlien, devant la tholos se dresse une colonne triomphale sur piédestal évoquant la colonne de Trajan.

A droite, à l’arrière-plan, une église à plan centré, couronnée d’un dôme, offre des similitudes avec le temple de la scène avec Mammès prêche aux animaux sauvages (fig. 4). Cousin varie ici de manière ingénieuse le projet idéalisé de Sebastiano Serlio d’un tempio sacro du Quatrième Livre, un bloc placé sur un socle rustique, et le convertit dans une croix grecque, plus adaptée aux typologies religieuses (fig. 6-7)29. Son don combi-na toire fait ici merveille et gomme la touche païenne du prototype (fig. 8a, b)! L’organisation rythmique de la façade du traité se transforme en une ca-dence régulière de trois travées, accentuée au milieu par le portail couronné d’un fronton30. La partie centrale est surmontée d’un attique s’achevant par un fronton, en conformité avec le modèle, tandis que la coupole repose sur un tambour élevé que Cousin a garni de pilastres et d’ouvertures centrées.

Toutefois cette conversion entraîne des conséquences au niveau de l’organi-sation car le fronton, lié à la coupole dans le projet serlien, se prolonge maintenant jusqu’au niveau des façades31. Il élimine les obélisques avec les-quels Serlio avait accentué les angles du socle, sans doute aussi à cause de leur allure profane. Encore plus que dans le cas de l’arc d’Ancône, il réussit à «re-penser» et «ré-inventer» un projet idéalisé, présidé par un organisme architectural assez complexe.

28 Les cartons sont conservés au Victoria and Albert Museum à Londres.

29 S. Serlio, Quatrième Livre, 1537, f° LVIIv/LVIIr. Sur la tapisserie, le socle de l’église est couvert par un fragment de l’enceinte de la ville ouverte en arcade.

30 Les niches qui accentuent les petites baies des travées rythmiques du prototype sont converties en fenêtres sommées de fronton.

31 Notre restitution du projet de Serlio s’écarte de celle proposée par A. Bruschi («Le chiese del Serlio», dans Sebastiano Serlio, éd. C. Thoenes, Milan, 1989, pp. 170-172, le dessin est placé par erreur sur la page 83), où le fronton dissimule une toiture à deux versants qui s’étend d’une extrémité du corps de bâtiment à l’autre, selon l’axe principal.

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Fig. 6. Jean Cousin le Père, Saint Mammès dans une fournaise.

Langres, cathédrale.

Fig. 7. Sebastiano Serlio, tempio sacro (Quatrième Livre).

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La pénultième scène dut représenter un autre martyre de saint Mammès dont la perte est d’autant plus regrettable que l’action se déroulait dans un amphithéâtre et Cousin n’a certainement pas renoncé à la figurer dans un somptueux monument antique d’une force évocatrice32. Nous allons appré-cier plus tard, dans le dessin Jeux d’enfants dans un paysage de ruines (Paris, Musée du Louvre), le souci et la précision qu’il consacre à de telles représentations (fig. 15)33. Peut-être la ruine antique de ce dessin répercute-t-elle même l’expérience avec la scène en question des tapisseries de la cathé-drale de Langres.

Quoi qu’il en soit, le cycle de saint Mammès révèle en toute netteté la faculté de Jean Cousin le Père à intégrer les principes formels des modèles transalpins et à les élaborer ensuite selon sa propre vision et les exigences iconographiques du programme. La richesse des références serliennes et la virtuosité avec laquelle il les interprète font croire qu’un contact direct avec le Bolonais avait eu lieu à Fontainebleau. Comme dans le cas de Jacques Androuet du Cerceau, il aurait pu l’avoir guidé selon une démarche à cheval entre copie et élaboration, entre appropriation et variation34.

Fig. 8a. Restitution de temple de Saint Mammès dans une fournaise (cathédrale de Langres) b. Restitution du tempio sacro de Sebastiano Serlio (Quatrième Livre).

32 P. Stein, «A new drawing by Jean Cousin…», 2002, p. 69.

33 Le cycle devait se terminer avec l’effigie du cardinal agenouillé pendant une prière, devant une vision de l’apocalypse (P. Stein, «A new drawing by Jean Cousin…», 2002, p. 69; H. Zerner, L’art de la Renaissance…, 1996, p. 238).

34 S. Frommel, «Jacques Androuet du Cerceau et Sebastiano Serlio: une rencontre déci-sive», dans Jacques Androuet du Cerceau, «un des plus grands architectes qui se so-ient jamais vu en France», éd. J. Guillaume (en collaboration avec P. Fuhring), Paris, 2010, pp. 126-129.

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