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Chapitre I : les dimensions sémantiques du paradigme de ‘’nous’’ et ‘’vous’’

3- Isotopie du mal de la patrie :

Depuis son accession à l’indépendance, l’Algérie vit dans le cadre d’un système politique dominé par une pensée unique1 imposée par les tenants du pouvoir qui se sont succédé au fils du temps.

Dans certaines chansons de son œuvre artistique, Lounis Ait Menquellet s’est exprimé largement sur la situation dans laquelle vit notre pays et l’état critique dans lequel se trouve l’Algérie. Une situation caractérisée par l’injustice, la dictature, la répression, la corruption, le favoritisme, le clientélisme, la dilapidation des deniers publics, l’impunité, la mise à l’écart du peuple dans la gestion des affaires publiques…etc.…

Au cours de sa carrière artistique et précisément, dès la fin des années soixante-dix jusqu’au jour d’aujourd’hui, le poète n’a cessé de dénoncer la politique de gestion des affaires publiques de notre pays entreprise par le pouvoir depuis l’indépendance de l’Algérie ainsi que toutes les injustices perpétrées à l’égard du peuple algérien en général et kabyle en particulier.

Poème : awi run (qu’on pleure), (page 323)

La chanson intitulée ‘’awi run’’, édité en 1993, présente dignement cette thématique avec des vers pleins de sens, d’images, de symboles et de significations.

Ad d-nawi lḥerz ad kem-isetren Nous allons vous protéger Γef wid i kem-iggaren s tiṭ De ceux qui sont jaloux

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- Après l’indépendance de l’Algérie, les tenants du pouvoir ont imposé aux algériens un seul parti politique (FLN), une seule langue (l’arabe) et un régime socialiste. Après les événements de 1989, l’Etat algérien a autorisé la création des partis politiques, mais cela n’a rien changé sur les droits humains et sur les libertés en général. Lounis n’a jamais cessé de dénoncer ces injustices dans ses chansons.

Ad d-nawi ṭebba ad kem-zren Nous font venir des médecins vous voir I waken ad d-gmed cwiṭ pour que vous trouviez votre bonne santé Widak i d-yettaṭṭafen Ceux qui essayent vous garder vivante Di rruḥ-nni d d-yeqqimen Ne peuvent plus le faire maintenant Yettensar gar ifassen Car vous savez bien

Lahlak i kem- yeγzan tezrid-t Que votre maladie est très grave

Lahlak-im siwa nekkni Nous sommes la cause de votre maladie A tin ur d-aγ-nettγaḍ Nous n’avons aucune pitié en vous Tettmettated nettwali Nous vous observons en train de mourir Amzun mačči nneγ nebbiyaḍ Comme si vous n’êtes pas la notre

Aḥric di dwa yettnadi Certains cherchent des médicaments Aḥric di lekfen yettxiḍi D’autres vous préparent la tombe Aḥric amenzu yeγli Ceux qui vous aiment ne peuvent plus Yeǧǧa akal-im d asemmaḍ Tu es resté toute seule.

Dans cet extrait, le poète souligne que l’origine du mal de notre pays est bel et bien ses enfants qui sont au pouvoir et qui n’ont aucune pitié pour leur patrie. Ces mêmes gouvernants se rendent compte de sa situation critique, mais ils perdurent dans leur indifférence comme si cette patrie n’est pas la leur. Une grande partie de ses enfants qui veulent que l’Algérie se soulève et trouve sa bonne santé travaillent et cherchent des solutions adéquates à tous ses problèmes. Une autre partie, qui représente une minorité, se contente uniquement de ses intérêts personnels et n’accorde aucune importance au

Chapitre I Les dimensions sémantiques du paradigme de ’’nous’’ et ‘’ vous’’ dans les poèmes politiques de Lounis Ait Menguellet

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développement du pays et à l’amélioration des conditions de vie des citoyens. Ceux qui constituent la première partie des algériens n’ont aucune force devant ceux qui représentent la deuxième frange de la société algérienne et n’arrivent pas à faire quelques choses pour sauver notre pays de cette léthargie multidimensionnelle qui rend la situation du pays plus grave et plus critique.

Dans la deuxième strophe de ce poème, le poète parle au nom du groupe en utilisant la première personne du pluriel ‘’nous’’ en disant : «nekkni », « ur d-aγ-nettγaḍ », «nettwali » et « mačči nneγ » pour désigner les gens qui détiennent le pouvoir en Algérie et qui ne cessent, avec leur politique désastreuse, de mener notre pays droit dans le mur. De l’autre côté, Le poète s’adresse, en utilisant la deuxime personne du pluriel ‘’vous’’, à la patrie à laquelle nous appartenons et pour laquelle une grande partie de la population a un attachement affectif. Par la suite, Le poète interpelle une autre frange des algériens qui détient le pouvoir et qui n’accorde aucun intérêt à cette patrie comme si il ne s’agit pas de leur pays. Ceci s’aperçoit clairement dans: ad kem-isetren, i kem-iggaren, ad kem-zren, ad d-gmed, i kem- yeγzan, Tettmettated.

Dans une autre strophe de ce poème, Lounis disait :

Tcubad γer ṭṭejra Vous vous ressemblez à un arbre Lǧǧerḥ mkul mi d-yusa Après chaque blessure

Tiqcert ad d-εiwed tajdiḍt Vous changerez de peau Lemmer ad d-fsi ma nennuda Si nous cherchons bien

Acḥal n lǧerḥ i tεebba Nous saurons le nombre de vos blessures D ayen ur tqebled a tiṭ Que nos yeux ne croient jamais

Tinn-a akken ur nḥellu ara Le coup qu’on reçoit soit très fort D azar ay akal teǧǧid-t La terre abandonnera la racine

Avec cette image métaphorique, le poète compare notre pays à un arbre qui a subit beaucoup de blessures et qui renouvèle sa peau plusieurs fois. Il s’adresse à la patrie en utilisant le pronom ‘’vous’’ et en disant : ‘’ tcubad’’. Le poète s’inquiète, comme la majorité des algériens, du sort de l’Algérie qui s’annonce sombre, surtout si un jour nous arrivons à perdre notre identité. Le poète s’exprime en son nom et au nom de ses concitoyens en disant : nennuda, nugad.

Le poète, en usant de la métonymie, utilise des mots non dans leur sens étymologique, mais pour exprimer un autre signifié comme le montrent les exemples suivants :

Tiqcert ad d-εiwed tajdiḍt

Tiqcert dans son sens étymologique veut dire la peau. Le poète l’utilise pour signifier la situation du pays.

D azar ay akal teǧǧit

Azar signifie la racine dans son sens étymologique. Dans ce poème, il signifie l’identité et l’origine berbère.