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Chapitre I : les dimensions sémantiques du paradigme de ‘’nous’’ et ‘’vous’’

3- Isotopie du mariage forcé

Le mariage forcé était essentiellement la norme dans la communauté kabyle. Si les filles représentent la majorité des victimes, les garçons n’échappent pas à cette règle. Ils étaient aussi victimes de ce mode traditionnel d’union conjugal. Aux années 50, l’âge moyen du mariage pour la fille était de 14 ans. Autrefois, c’était les parents qui choisissaient à leur fils sa future épouse. Aucun droit n’était accordé aux filles de participer au choix de leur futurs époux. Les fils et les filles devaient accepter et obéir au choix de leurs parents.

Au passé, avant de s’assurer des qualités personnelles de la future épouse ou du futur époux, les parents doivent s’assurer d’abord qu’il (elle) vient du même milieu que le leur.

Poème : yebḍa wul-iw (le choix difficile), (page 241)

Dans le poème ‘’yebḍa wul-iw’’, Lounis Ait menguellet a réalisé un dialogue qui met en scène un face à face entre un « nous » qui renvoie aux parents et un« moi » qui revoie à leur fils au sujet du choix de sa future épouse. Un ‘’moi’’ qui désigne à travers le poète tous les jeunes de son époque.

Le choix des parents est porté sur une fille de leur milieu et entourage avec laquelle ils ont des liens de parenté au moment où le choix de leur fils est porté sur une autre fille avec laquelle il partage l’amour et les sentiments.

Chapitre II les dimensions sémantiques du paradigme de ’’nous’’ et ‘’ vous’’ dans la poésie sociale de Lounis Ait Menguellet

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Lwaldin : Les parents :

Nebγa yelli-s n xalti-k Notre choix porte sur la fille de ta tante Ad ak-tcebbeḥ ddunit-ik Elle rendra ta vie meilleure

Awal-is d awal-nneγ Elle exécutera tous nos ordres

Ma tugiḍ lwaldin-ik Si tu déclines notre choix Ruḥ ad d-tǧabed lebγi-k Allez chercher ton destin Ur k-nesεi d mmi-tneγ Tu n’es plus notre fils

Ruḥ ad tbedled isem-ik Vas-y changer ton nom Yid-k lhaǧa ur aγ-tecrik Rien ne nous lie

Later-ik si tjaddit yeffeγ Tu n’es plus notre descendant

Dans la strophe précédente, le poète essaye de donner une image sur la nature du mariage en Kabylie à une certaine ère où les parents cherchent toujours à imposer à leurs fils des épouses parmi les membres de leur famille et de leurs proches. En cas de refus, ils les menacent de couper la relation qui les lie et de ne plus les reconnaitre comme étant leurs descendants.

Le « nous » exprimé dans les énoncés : Nebγa (nous voulons), awal-nneγ (nos dires), ur k-nesεi (vous n’êtes pas le notre), renvoie aux parents du jeune qui veut prendre en main son destin et choisir tout seul sa future épouse.

Le « vous » exprimé dans les vers de la strophe précédente renvoie au jeune dont les parents veulent lui imposer sa future épouse comme le montre les lexèmes suivants : Ad ak-tcebbeḥ (elle vous honore), Ma tugiḍ (si vous refusez), Ruḥ ad tbedled isem-ik (allez changer votre nom) et id-k (avec vous).

Face à cette situation, le poète qui s’exprime au nom des jeunes kabyles de son époque essaye de convaincre ses parents à accepter son choix qui est porté

sur la fille qu’il aime. La réponse aux doléances des parents est venue dans la strophe suivante :

Aqcic : Le jeune :

Ya lwaldin fhemt-iyi Ecoutez-moi mes parents

Ma yella tḥemmelm-iyi Si vraiment vous m’aimez Lazem ad tettmennim lehna Il faut me souhaiter la paix

Ma uγeγ yelli-s n xalti Si j’épouse la fille de ma tante Ur tt-bγiγ ur d iyi –tebγi Nul de nous ne sera satisfait Ur neεdil lεeqliya Nos caractères sont différents

Anfet-aγ ad nnadi Laissez-nous ensemble Nettat d nekkini Elle et moi

Kul yiwen ad yaf i yebγa Chacun de nous trouve ce qu’il veut Dans la strophe précédente, le poète qui se place dans le rôle d’un jeune kabyle, s’adresse à ses parents et leur affirme que leur choix ne lui porte ni bonheur, ni paix car aucun d’eux ne veut partager avec l’autre la vie conjugale. C’est avec la fille qu’il aime qu’il souhaite vivre et réaliser ses projets et ses vœux.

Le poème « yebḍa wul-iw » reflète ce que les jeunes filles et les jeunes hommes ont subi à une certaine époque comme souffrances dans le choix de leur conjoint. Dans la majorité des cas, ce sont les parents qui décident à la place de leurs filles et de leurs fils dans le choix de leur époux et de leur épouse.

Le poète a réalisé ce poème sous forme d’un dialogue qui s’exécute entre les parents et leur fils pour mieux illustrer ce phénomène social qui a engendré plusieurs victimes.

Chapitre II les dimensions sémantiques du paradigme de ’’nous’’ et ‘’ vous’’ dans la poésie sociale de Lounis Ait Menguellet

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Le titre « yebḍa wul-iw » signifie l’attachement du poète à ses parents et à la fille qui aime. Il ne veut perdre ni sa mère, ni son père, ni sa belle aimée avec laquelle il veut partager sa vie.

Par ce poème, Lounis décrit l’une des situations sociales que vivent les jeunes de son époque et qui rend leur vie amère après un mariage forcé qui ne satisfait ni le mari, ni la mariée. Par cette chanson, le poète casse un tabou en s’exprimant par des vers pleins de sens et de significations pour dénoncer un abus que les jeunes de son époque ne puissent jamais soulever devant leurs parents.