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Chapitre I : les dimensions sémantiques du paradigme de ‘’nous’’ et ‘’vous’’

4- Isotopie de la malchance

La vie est souvent dure et pénible. Beaucoup de jeunes souffrent de différents problèmes de la vie et passent la majorité de leur temps à rêver de quitter leur pays espérant retrouver le bonheur dans l’autre rive de la méditerranée1.

Dans certains poèmes, Lounis décrit et présente l’image d’une personne malheureuse qui perd le gout de la vie à cause des problèmes et des soucis. Cette personne représente la majorité des jeunes kabyles qui ont perdu l’espoir du bonheur dans leur pays à cause des conditions de vie difficiles que vivent au quotidien. Dans certaines expressions, le poète exprime le malheur, la malchance et la douleur d’avoir vécu une vie sombre pleine de problèmes et d’amertumes.

Poème : Tibratin (les lettres), (page 283)

Dans son album intitulé « a lmus-iw » édité en 1981, Lounis Ait Menguellet a exprimé la souffrance et les déboires de la vie dans une chanson très significative sous le titre ‘’Tibratin’’.

1 - La seule destianation que les jeunes kabyles espèrent gagner pour échapper à la misère, à la souffrance, au

Pour présenter une image d’une personne très malheureuse qui représente la majorité des jeunes kabyles, le poète traduit son texte poétique sous formes de trois lettres adressées respectivement à sa mère, à sa fiancée et à ses amis.

Dans sa première lettre adressée à sa mère, le poète exprime la mal chance, la souffrance, la douleur et le désespoir. Il regrette d’avoir vécu une vie sombre entourée de soucis, de peines et de malédiction. Une vie qui lui a gâché tous ses rêves.

Le poète a choisi de s’adresser au premier lieu à sa mère car il sait pertinemment qu’elle est la première personne qui ressent et vit toutes ses souffrances et toutes ses peines. Le poète s’exprime dans ce premier extrait du

poème en son nom personnel qui renvoie à tous les jeunes de son époque. La mère à laquelle il s’adresse représente toutes les mères kabyles.

A ce sujet, le poète dit :

Kem zriɣ ad iyi-tfehmeḍ, Je sais que tu vas me comprendre, Tifed-iyi akken d i tesneḍ, Tu connais mieux que moi,

Seg asmi akken i d iyi-d-tirweḍ, Depuis que je suis né,

Siwa lḥif. Je n’ai vu que la souffrance. Lulaɣ-d itri-w d asemmaḍ, Je suis né sous une froide étoile, Mačči d ayen ad d-tcafaɛḍ, Tu ne peux plus me rendre l’espoir, Tezrid mi akken i d iyi-d-tesɛiḍ, Tu le sais depuis ma naissance, Anef-iyi, ah. Laisse- moi, ah.

Ttuṛebbaɣ-d d ameḥqur, J’étais élevé dans le dédain, Seg wassen anyir-iw mechur, Et depuis mon destin est scellé,

Chapitre II les dimensions sémantiques du paradigme de ’’nous’’ et ‘’ vous’’ dans la poésie sociale de Lounis Ait Menguellet

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Ma ruḥeɣ ɣer lebḥeṛ yeqqur, Toutes mes sources sont taries, D akka agi, ah. C’est ainsi ayant grandi.

Mi meqqreɣ ɣileɣ ad tt-beddel, J’ai cru que cela va changer, A yemma imiren i tkemmel, C’est alors que cela a empiré, Ula d asirem fiḥel, Espérer est inutile,

D ayenni, ah. C’est fini.

Le poète a choisi d’exprimer ses déboires et ses souffrances dans sa deuxième lettre à une autre personne qui considère comme sa meilleure confidente car c’est avec elle qu’il compte partager la vie. Le poète ne veut plus que sa fiancée partage avec lui son malheur et sa malédiction. C’est pour cette raison qu’il a décidé de la libérer et de rompre leur liaison.

Ass-agi lliɣ-am lqid, Aujourd’hui, je coupe ta chaine, Rriɣ-am-d ul-im d ajdid, Je fais renaitre ton cœur,

Mennaɣ ad am-d-yefk ubrid, Je ne te souhaite dans ta vie, Siwa lxir. Que du bien.

Mačči d nekk i m-ilaqen, Ce n’est pas moi qu’il te faut, Nekk seg wigad yettewten, Je fais partie des damnes, Amkan-iw d iderwicen, Ma place est parmi les fous, Tixer-iyi, ah. Laisse- moi, ah.

Le poète parle dans l’extrait précédent en son nom personnel pour exprimer ce que la majorité des jeunes de son époque vivent au quotidien. Le ‘’moi’’ dans les vers précédents représente le « nous » collectif. La fiancée à laquelle s’adresse le poète représente toutes les femmes qui partagent les souffrances, les douleurs et le désespoir avec leur fiancé ou mari.

La dernière lettre que Lounis écrit dans sa chanson ‘’tibratin’’ est destinée à ses amis. Le poète évoque dans cette lettre sa peur à l’égard de ces jeunes qui militent pour que les choses changent pour le mieux. Le poète doute que ces personnes abandonnent leur combat dès qu’ils atteignent un certain âge et après avoir amélioré leur situation sociale et familiale. Le poète évoque aussi l’absence d’union et de solidarité au sein de la société kabyle.

Dans les derniers vers de cette chanson, le poète s’exprime à la première personne du pluriel qui renvoie à toute la communauté kabyle. Le vous exprimé dans cette partie du poème désigne les jeunes de son époque qui espèrent à une vie meilleure. Le poète exprime son inquiétude par rapport au combat de ces jeunes qui peut être abandonné juste après satisfaction de leurs intérêts personnels.

A ce sujet le poète dit :

Tebɣam taswiɛt at-t-tbeddel, Vous voulez changer les choses, Tebɣam a d-iban lefḥel, Et qu’émerge le vaillant homme, Tebdam teggullem ad ttkemmel, Vous avez juré de continuer, Mennaɣ ar ttawḍem. Je vous souhaite d’y parvenir.

Teggullem ad yekkes lbaṭtel, Vous avez juré d’éradiquer l’injustice, Yir tikli yid-s aɣ-tenṭel, D’enterrer la mauvaise conduite,

Chapitre II les dimensions sémantiques du paradigme de ’’nous’’ et ‘’ vous’’ dans la poésie sociale de Lounis Ait Menguellet

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Tamurt fellawen tettkel, Le pays compte sur vous, Mennaɣ ar ttawḍem. Je vous souhaite d’y parvenir.

Lameɛna ugadeɣ ad t-tettum, Je crains que vous n’oubliiez, Asma awen-d-isiwel uɣum, A l’appel de la pitance,

Ala yides ara d-telhum, Qu’elle soit votre seul souci,

Ayen nniḍen ad t-teǧǧem. Que vous abandonniez tout le reste.

Dɣa assen mara teṛwum, Car lorsque vous n’aurez plus faim, Ddunit ar awen-tdum, Que vous aurez la vie facile,

Win awen-iheḍren d amcum, Maudit sera celui qui vous parlera, Ugadeɣ ar t-tenɣem. Je crains que vous ne le tuiez.

A travers ces trois lettres, le poète a exprimé dans sa chanson tibratin les échecs, les amertumes, les déceptions et le désespoir que les jeunes vivent dans leur pays tout au long de leur vie. Le poète n’a pas omis de dénoncer l’absence de solidarité et d’union au sein de la société kabyle et l’indifférence qui caractérise les personnes qui s’occupent uniquement de leur situation personnelle.