• Aucun résultat trouvé

Chapitre I : les dimensions sémantiques du paradigme de ‘’nous’’ et ‘’vous’’

2- Isotopie de l’émigration

Les kabyles ont vécu le phénomène de l’émigration depuis bien longtemps1. Les conditions de vie difficiles, la misère et la pauvreté ont obligé des milliers de kabyles à quitter leur pays pour rejoindre la France bien avant la guère d’Algérie. Cette situation a perduré même après l’indépendance pour les mêmes raisons. Après les années quatre-vingt, ce phénomène s’est accentué à cause de la dictature, du mépris, de l’injustice sociale, du problème identitaire et de l’absence des libertés en général.

Poème1 : lγerba (l’émigration), (page 378)

Dans l’un de ses poèmes intitulé ‘’ lγerba’’ qui traite de l’émigration, le poète qui se met à la place des jeunes de son village, exprime les conditions de vie difficiles dans ils vivent et qui les ont obligés à quitter leur pays et gagner l’autre rive de la méditerranée afin de travailler pour améliorer leurs conditions de vie et celles de leur famille et de leur proches. Malheureusement, en arrivant en France, le poète et ses compagnons se sont confrontés à un mode de vie très difficile qui les a obligés à travailler durement, à manger moins, à perdre leur santé et à subir toutes formes de racisme et de discrimination.

Dans la première strophe de ce poème, Lounis dit :

S uqerru yeččur d tirga Suite à une multitude de rêves I neṭṭef abrid wer nessin Que nous avons pris le départ Nefeγ-d taddart mi tt-in-neǧǧa Nous avons quitté le village Wa yenna ccah, wa meskin Devant les ennemis et les amis

1 - Le phénomène de l’émigration est très répandu chez les kabyles avant et après l’indépendance. Il a touché

presque tous les foyers de la kabylie. Les raisons de l’émigration avant l’indépendance étaient la misère, la pauvereté, les maladies, les conditions de vie difficiles … Après l’indépendance, d’autres causes ont poussé les kabyles à s’émigré, entre autres, la dictature, l’oppression, le manque de libertés, le problème identitaire ….

Chapitre II les dimensions sémantiques du paradigme de ’’nous’’ et ‘’ vous’’ dans la poésie sociale de Lounis Ait Menguellet

178

Nessarem ad d-nekkes laẓ d ṭṭlaba Nous espérons surmonter la faim et les crédits A wer d-nas mebγir aεwin Et revenir avec des poches pleines

Ziγen γas ma nufa rrbeḥ yella Même si nous gagnons bien notre vie Ṣṣeḥa-nneγ ar ad tt-awin Nous perdions notre santé

Dans la strophe précédente, le poète qui s’exprime au nom d’un groupe de jeunes kabyles, déclare que dans le but de surmonter la faim et de gagner bien leur vie, les jeunes du village ont quitté leur pays et ont gagné la France. Leur rêve était de travailler et revenir chez les leurs avec beaucoup d’argent. En arrivant à l’étranger, ils découvrent que la possibilité de devenir riche existe, mais cela exige, en contrepartie, la perte de leur santé. Avec l’expression ‘’ S uqerru yeččur d tirga’’, le poète utilise cette figure de style pour exprimer le rêve d’une vie meilleure que tous les jeunes kabyles espèrent réaliser en quittant leur pays et en gagnant l’autre rive de la méditerranée.

Le ‘’nous’’ dans les vers de la strophe précédente renvoie à l’ensemble des jeunes du village dont le poète fait partie, qui ont décidé de quitter leur pays et gagner la France afin de travailler pour subvenir à leurs besoins et aux besoins de leur famille.

Les lexèmes suivants le montrent clairement :

‘’ Neṭṭef ’’ (Nous avons pris), ‘’ nefeγ-d ’’ (nous avons quitté), ‘’ tt-in- neǧǧa’’ (nous l’avons laissé), ‘’ Nessarem ‘’ (nous espérons), ‘’ ad d-nekkes ‘’ (nous surmontons)‘’ d-nas ‘’ (nous reviendrons), ‘’nufa ‘’ (nous avons trouvé), ‘’ Ṣṣeḥa-nneγ ‘’ (notre santé).

Dans la deuxième strophe, le poète souligne que les raisons de leur immigration dans différents pays étrangers se résument dans la misère et les problèmes qu’ils vivent. En arrivant en France, ils découvrent que l’émigration

n’est pas une chose facile. En dehors de leur pays, les valeurs et les coutumes de leurs ancêtres qui les protègent dans tous les temps n’existent plus.

Mkul wa lḥif sanga t-yewwi Chacun d’eux où la souffrance le jette

Wa d laẓ wa d iγeblan l’un à cause de la faim, l’autre à cause des problèmes Rbeḥ mebεid i t-nettwali Le bonheur, nous ne pouvons l’atteindre

Nenwa lγerba d awal kan Nous avons cru que l’émigration est facile

Nettawed iεefs-aγ uberrani L’étranger nous a piétinés

Amzun ur nesεi imawlan Comme si nous sommes sans parents

Anda talaba n lejdud ur telli Nous avons perdu les valeurs de nos ancêtres A yesren tuyat yeεran Qui nous protègent souvent.

Le poète s’exprime dans la strophe précédente en son nom et aux noms des jeunes de son village qui, à cause de la misère et des problèmes de vie, ont quitté leur pays pour s’immigrer en France. Ils dévoilent que la vie à l’étranger n’est pas aussi facile comme ils l’ont imaginée.

Le poète s’exprime à la première personne du pluriel ‘’nous’’ qui renvoie à la personne du poète et celle des jeunes de son village qui ont choisi l’exil pour subvenir à leurs besoins et aux besoins de leur famille comme le montrent les énoncés suivants :

t-nettwali (nous l’avons vu), Nenwa (nous croyons), Nettawed (nous sommes arrivés), iεefs-aγ (il nous a piétinés), ur nesεi (nous n’avons pas).

Chapitre II les dimensions sémantiques du paradigme de ’’nous’’ et ‘’ vous’’ dans la poésie sociale de Lounis Ait Menguellet

180

Dans cette strophe, Lounis utilise des images et des figures qui donnent plus de beauté à son poème. Il use de la métaphore et de la métonymie en disant :

Anda talaba n lejdud ur telli A y setren tuyat yeεran

A la différence de leur sens littéral, dans ces deux vers, le poète évoque les valeurs et la bénédiction des ancêtres dont bénéficient les kabyles dans leur pays d’origine, chose qui n’existe pas là où ils vivent à l’étranger.

Dans les six dernières strophes, le poète s’exprime à la première personne du singulier qui renvoie à sa personne, mais qui représente tous les jeunes kabyles immigrés.

Le poète passe dans son poème de l’expression collective à l’expression individuelle. Cette évolution dans l’énonciation ne porte aucun changement sur les parties concernées dans ce texte poétique car, dans les deux cas, les parties ciblées représentent le poète lui-même ainsi que tous les kabyles immigrés.

Le poète termine son poème en décrivant les derniers jours de ces gens qui terminent leur vie d’immigrés dans des conditions lamentables en attrapant des maladies incurables.

Yeṭṭf-i lehlak d aweεran J’ai une maladie dangereuse Γef waken d-nnan Comme, ils me l’ont déclaré Ur tesεad wi tihelken iḥla C’est une maladie incurable Ẓẓehr-iw i d iyi-dεan Ceci reflète ma malchance Ad aken ḍelbeγ kan La seule chose que je souhaite Ad ǧǧeγ lmut di tazla Est d’arriver vivant

S axxam-iw eǧ-iyi iberdan Chez moi

Γas mi d iyi-zran Après avoir vu mes proches Ma tleḥq-iyi-d mrahba Bienvenue à la mort

Comme nous l’avons indiqué au début de cette partie, le poète s’exprime dans le même poème, dès fois à la première personne du pluriel et d’autres fois à la première personne du singulier. Chose qu’on peut constater dans ce poème où le poète passe de la première personne du pluriel « nous » à la première personne du singulier « je ». Les deux pronoms personnels renvoient à tous les immigrés kabyles qui ont quitté leur pays, pour des raisons que nous avons déjà citées, pour rejoindre la France espérant trouver une vie meilleure. Malheureusement ces derniers finissent leur vie avec des maladies incurables causées par les conditions de vie difficiles et insupportables.