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Chapitre I : les dimensions sémantiques du paradigme de ‘’nous’’ et ‘’vous’’

5- Isotopie de la femme kabyle

Dans la culture kabyle, l’individu n’existe pas en tant que personne autonome, il se définie par rapport à son groupe social (famille, village, tribus… etc.).

D’après Bourdieu1, la société kabyle est définie par les relations de parenté qui sont des « principes de structuration du monde social».

1 - Pierre Bourdieu, est un sociologue français, il est né le 1er août 1930 à Denguin (Pyrénées-

Atlantiques) et mort le 23 janvier 2002 à Paris. Auteur de plusieurs ouvrages et articles dont les structures sociales de l'économie

La femme, dans cette société, est maintenue par contraintes coutumières, dans des conditions de mineure et d’inférieure, à travers les pratiques sociales de parenté. L’arbitraire coutumier qui se caractérise par le primat de la masculinité existe toujours dans la société kabyle. Cet ordre coutumier ne peut être bravé par la femme kabyle, car cela implique son châtiment moral par la collectivité.

La femme kabyle se trouve souvent dans une situation d’obéissance à l’autorité masculine (père, frère, époux ….).

La société kabyle d’aujourd’hui a subi beaucoup de changement. La femme d’autrefois qui était condamnée à n'être qu'une épouse et une mère, commence ses dernières années à pénétrer l'espace qui lui était jusque-là interdit avec la scolarisation et le travail salarié. La revendication des droits de la femme ne cesse de se faire chaque jour par les femmes eux-mêmes, par de nombreuses associations, par les partis politiques ainsi que par les gens de culture comme les écrivains, les cinéastes et les chanteurs.

Poème : tamettut (la femme), (page 391)

Dans l’une de ses superbes chansons, intitulée ‘’tamettut’’ éditée en 2014 dans son album Isefra, Lounis Ait Menguellet essaye d’éveiller les consciences pour que les hommes changent de mentalité et leurs attitudes vis-à-vis de la femme qui n’est que leur fille, leur sœur, leur épouse, leur mère ou grand-mère.

Dans cette chanson, le poète a scindé son texte poétique en quatre parties essentielles. La première partie s’intéresse à la fille, la deuxième se focalise sur la sœur, la troisième porte sur l’épouse et la dernière est consacrée à la mère. Par ce poème le poète rappelle l’homme du respect qui doit à la femme car cette dernière ne doit être que sa fille, sa sœur, sa femme ou sa mère.

Dans ces strophes, le poète s’adresse à l’homme kabyle qui ne peut être que : père, frère, époux ou fils d’une femme kabyle et demande à chacun d’eux de reconnaitre la femme respectivement comme fille, sœur, épouse et mère. Ce message poétique incite au changement de certaines mentalités qui considèrent les femmes comme inférieures et qui sont souvent maintenues par des contraintes coutumières qui se caractérisent par le primat de la masculinité.

Chapitre II les dimensions sémantiques du paradigme de ’’nous’’ et ‘’ vous’’ dans la poésie sociale de Lounis Ait Menguellet

190 Dans la première strophe, le poète dit :

Tlul di tsusmi Elle est née dans le silence Ur telli tmaγra Il n’y avait pas de fête

Akka zik-nni ça se passe comme-ça autrefois

Necfa mi nezra On se souvient de tout ce qu’on a vu

Γas yis ur yefraḥ Son père n’est pas content d’elle Bab-as mi yuyes Il est désespéré

Mara tecmumeḥ Quand elle sourit Iṭij yefraḥ iyi-s Le soleil brille

Nelli-d allen-nneγ Nous ouvrons nos yeux

Σeql-itt d yelli-k Reconnais-elle comme ta fille Σeql-itt d yelli-s Reconnais-elle comme sa fille Tagi d yelli-tneγ Elle est notre fille

Dans cette première strophe de la chanson « tamettut », le poète évoque l’attitude des hommes kabyles, à une certaine époque, envers la fille, le jour de sa naissance, qui consiste à recevoir la nouvelle née dans la tristesse et dans un silence complet.

Il demande à tous les pères ainsi que tous les kabyles d’être conscients et les exhorte à reconnaitre leurs filles qui viennent au monde et changer leur attitude à leur égard.

Le poète, en premier lieu, s’adresse au père en le désignant par « vous » et en disant εeql-itt d yelli-k et en deuxième lieu, il s’exprime au nom de tous les kabyles en disant : Nelli-d allen-nneγ et Tagi d yelli-tneγ.

Dans le quatrième vers dans laquelle le poète dit : necfa mi nezra, le « nous » revoie à la personne du poète lui même. Donc le « nous » remplace le « moi ».

Dans la deuxième strophe, le poète se focalise sur la relation fraternelle qui lie la fille à son frère. Selon le poète, la fille était toujours à côté de son frère. Elle l’aime, l’aide à grandir et le protège de tous les maux.

A ce sujet il dit :

Tettεassa γef gma-s Elle protège son frère Ula deg yiḍes Elle veille sur lui Mi d-yerna fell-as Il est son petit frère Tbed γer γur-s Elle le soutient

Teεya tettrebbi Elle l’aide à grandir Fell-as yeččenif Il ne la respecte plus Feg wakken tḥemlit Elle l’aime bien

Tessaram ad tt-yif Et souhaite qu’il soit meilleur

Nelli-d allen-nneγ Nous ouvrons nos yeux

Σeql-itt d weltma-k Reconnais-elle comme ta sœur Σeql-itt d weltma-s Reconnais-elle comme sa sœur Tagi d weltma –tneγ Elle est notre sœur

Le poète évoque dans la strophe précédente l’attitude que doit avoir le frère à l’égard de sa sœur qui l’aime et qui n’épargne aucun effort pour le grandir et le protéger de tous les dangers et de tous les maux. Selon le poète, la fille souhaite toujours que son frère soit le meilleur.

Comme dans la première strophe, le poète insiste sur le fait que nous devions traiter nos sœurs avec respect, dignité et loyauté.

Chapitre II les dimensions sémantiques du paradigme de ’’nous’’ et ‘’ vous’’ dans la poésie sociale de Lounis Ait Menguellet

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Dans cette strophe, le « vous » désigne le frère et le « nous » renvoie à toutes les personnes de sexe masculin.

Dans la troisième strophe, le poète présente la fille, nouvellement née, comme future épouse. Il souligne que nos femmes ont subi beaucoup de peines et d’humiliation de notre part. Aujourd’hui, qu’elle se soit voilée ou non, elle nous doit du respect et de la considération.

Ma tγum deg ujellab Qu’elle soit voilée ou non Ma tserreḥ i umzur Qu’elle lâche ses cheveux Ma ttasmen leḥbab Si les amis deviennent jaloux Ma yusem wayur Ainsi que lune

Ilaq ad tester Il faut qu’on la respecte Teḥjeb neγ teffeγ à la maison ou ailleurs Acḥal i tesber Elle a beaucoup supporté Tewwi lbatel-nneγ notre humiliation

Nelli-d allen-nneγ Nous ouvrons nos yeux

Σeql-itt d zwaǧ-ik Reconnais-elle comme ton épouse Σeql-itt d zwaǧ-is Reconnais-elle comme son épouse Tagi d zwaǧ –nneγ Elle est notre épouse

Le poète nous demande d’être conscients et nous interpelle à respecter la femme, à lui accorder plus de considération et la reconnaitre comme épouse qu’elle soit voilée ou non.

Le « nous » et le « vous » exprimés dans cette strophe renvoie à tous les kabyles.

Lounis termine sa chanson qui traite le statut de la femme kabyle, en présentant la fille qui vient au monde comme une mère qui s’inquiète souvent à

son enfant et sacrifie toute sa vie pour lui. Le poète nous interpelle à la reconnaitre comme mère et lui apporter beaucoup de respect et de considération.

A ce sujet il dit :

Tergagi tassa-s Elle a peur

Imi ur d-yekcim mmi-s Car son fils n’est pas encore venu Fell-as tefka ayla-s Elle sacrifie tous pour lui

Terna laxert-is Même son au-delà

Nezga nessarwat Nous sommes inconscients Fell-as i nettnaγ On se bat à cause d’elle Ziγen d nettat Finalement c’est elle Iεussen fell –aγ Qui veille sur nous

Nelli-d allen-nneγ Nous ouvrons nos yeux

Σeql-itt d yemma-k Reconnais-elle comme ta mère Σeql-itt d yemma-s Reconnais-elle comme sa mère Tagi d yemma –tneγ Elle est notre mère

Comme dans les extraits précédentes, le « nous » et le « vous » exprimés dans cette dernière strophe désignent les êtres masculins dans la société kabyle qui doivent du respect à leur mère qui représente en général la femme kabyle qui est souvent née dans la tristesse et dans les pleurs.

Par ce poème, Lounis fait passer des messages à toute la communauté masculine, surtout kabyle, en les interpellant à changer leurs comportements, leur attitude et leur regard envers la femme qui n’est finalement que leur fille, leur sœur, leur épouse ou leur mère.

Chapitre II les dimensions sémantiques du paradigme de ’’nous’’ et ‘’ vous’’ dans la poésie sociale de Lounis Ait Menguellet

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Conclusion

Le poète est le porte-parole des joies, des chagrins, des douleurs et des souffrances au sein de la société. Il use du langage pour traduire les sentiments et les émotions des humains dont il fait partie et dénoncer les torts et les injustices.

Lounis Ait Menguellet fait partie de ces grands monuments de la poésie contemporaine et demeure une icône, un visionnaire et un éclaireur qui élève ses sentiments pour pouvoir vivre et ressentir les malheurs et les douleurs de l’humanité entière.

A traves ses chansons d’ordre social, Lounis a pu traduire les contradictions qui caractérisent la vie sociale de ses compatriotes par des textes poétiques d’une manière intelligente, pleine d’images poétiques et de symboles.

Au long de son parcours poétique, Lounis a abordé différents thèmes qui ont trait avec les contradictions de la vie. Il s’est exprimé sur plusieurs sujets, entre autre, l’exil, l’émigration, le mariage forcé, le service national, le statut de la femme, les valeurs humaines, les coutumes et plein d’autres thèmes qui ont trait avec la vie humaine.

Dans ce chapitre, nous avons tenté une analyse sémantique de certains textes poétiques qui porte sur des sujets d’ordre social. Notre choix est porté, en priorité, sur les poèmes dans lesquels le « nous » et le « vous » sont présents dans la majorité des vers. Une étude sémantique de ces deux pronoms personnels nous a permis de déterminer les parties auxquelles ils renvoient.

Chapitre III

Les dimensions sémantiques du paradigme de « nous » et « vous »

dans les créations philosophiques et universelles de Lounis Ait

Chapitre III Les dimensions sémantiques du paradigme de ’’nous’’ et ‘’vous’’ dans les créations philosophiques et universelles de Lounis Ait Menguellet

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Introduction

Comme nous l’avons déjà souligné précédemment, la poésie de Lounis Ait Menguellet a été d’une finesse, d’une profondeur intellectuelle et d’une philosophie profonde. Depuis ses tout premiers pas dans le monde artistique, il n’a cessé de nous émerveiller avec ses textes poétiques de haute facture. Lounis est passé dans son œuvre des thèmes d’amour et de sentiments à des thèmes d’ordre politiques et social et enfin à des thèmes philosophiques dont les textes sont devenus très ambigües, très compliqués et difficiles à comprendre. A cette époque, le poète entame une nouvelle ère de production artistique caractérisée par des textes de dimension philosophique qui traite des domaines de l’abstrait et de la métaphysique.

Parmi les méthodes utilisées par le poète dans sa création poétique, caractérisée par une opacité sémantique extrême, on distingue celle qui se base sur une symbolique logique qui se nourrisse de l’antiquité et de la mémoire populaire de la société kabyle.

Dans ses textes poétiques, Lounis s’intéresse à des sujets universels et existentiels qui ont préoccupé depuis la nuit des temps la majorité des philosophes et intellectuels. Le poète cherche à découvrir les méthodes cachées qui s’occupent de la gestion de la vie, en particulier celles qui s’opposent et se contredirent et qui influent négativement et positivement sur l’univers et sur le monde humain.

Son passage dans sa création poétique à l’universalité n’exonère nullement ses poèmes des repères et indices de la kabylité qui lui servent de soubassement premier.

Dans ce dernier chapitre, nous essayons de traiter et d’analyser, du point de vue sémantique, certains poèmes de Lounis de dimension philosophique et universelle que nous avons choisi dans notre corpus.