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Chapitre I : les dimensions sémantiques du paradigme de ‘’nous’’ et ‘’vous’’

5- Isotopie du combat démocratique

Face à toutes les impasses politiques et économiques accumulées depuis des décennies, des milliers d’algériens en général et kabyles en particulier n’ont cessé de militer pacifiquement afin que l’Algérie trouve sa place au niveau mondiale et instaurer une démocratie forte et solide.

Etaient à leur tête les chanteurs et poètes kabyles qui se sont engagés dans ce processus de combat pour la démocratie, les libertés, les droits de l’homme, l’identité amazighe et contre toutes formes de dictature et d’injustice. Les artistes kabyles étaient le fer de lance de tous les combats citoyens. Ils ont notamment contribué à l’éveil des consciences et à la sauvegarde de la mémoire collective.

Lounis Ait Menguellet était à l’avant-garde dans ce combat qui lui a coûté l’emprisonnement et des harcèlements quotidiens de la part de ceux qui détiennent le pouvoir dans notre pays. En dépit de tout ça, Lounis n’a jamais

cessé de s’exprimer par ses textes poétiques sur tous les sujets qui ont trait avec la démocratie et les libertés individuelles et collectives.

Les luttes démocratiques menées en Kabylie ont connu les avatars des récupérations, pressions et corruptions qui ont conduit à la désunion et à la désintégration des rangs au point qu’un individu ou un petit groupe soit offert en hostie à la cause défendue. D’où le titre de la chanson Amcum, produit en 1979, qui fait partie de l’album ‘’ay agu’’.

Poème : amcum (le malheureux), (page 258)

Dans ce poème, Lounis retrace le destin d’un militant qui s’est sacrifié pour une noble cause engageant le destin collectif de ses compatriotes. Son esprit de militant et sa volonté engagée contre l’injustice, l’arbitraire et l’oppression le laissent mener le combat seul et subir les affres de la prison car ses compagnons, par peur, par lâcheté ou suite à des pressions ou à des promesses alléchantes, l’ont abandonné en cours de route. Le poème ‘’amcum’’ porte un message codé qui évoque le cas d’un homme qui mène avec ses camarades le combat pour la démocratie, mais malheureusement, après son incarcération, il se retrouve seul face à son destin.

Iqubel ayen iwumi ur yezmir Il se bat contre celui qui le dépasse Iγil yetekka yettkel Il croit qu’il aura le soutien

Yenwa tellam zdeffir De ceux qui le suivent

Ma yeḥsel ad awen–d-isiwel Au moment difficile, il demande votre aide Asmi teslam i ṣṣut-is Quand vous entendez son appel

Ay iḥbiben-is Oh ses amis !

Chapitre I Les dimensions sémantiques du paradigme de ’’nous’’ et ‘’ vous’’ dans les poèmes politiques de Lounis Ait Menguellet

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Dans cet extrait, le poète retrace l’histoire d’un militant de la démocratie trahi par ses amis en l’abandonnant dans les moments difficiles en dépit de ses appels au soutien et à la solidarité. Le poète s’adresse aux camarades du militant en leur disant : ‘’ yenwa tellam zdeffir ‘’ (il croit que vous étiez derrière lui), ma yeḥsel ad awen-d-isiwel (au moment difficile, il vous appelle), Asmi teslam i ssut-is (quand vous avez entendu sa voix). Le poète utilise des mots et des expressions qui ne renvoient pas à leur sens étymologique mais à d’autres sens plus larges. Avec ‘’yetteka’’ et ‘’tellam zdeffir’’, le poète ne veut pas dire, respectivement, ‘’s’adosser’’ et ‘’vous êtes derrière’’ mais cela veut dire que le militant a des amis qui le soutiennent et sur lesquelles il compte beaucoup. Dans cette strophe, Lounis essaye de construire une image sur la réalité vécue par certains combattants et militants de la démocratie et des droits de l’homme abandonnés par les siens en cours de route. Le ‘’vous’’ exprimé dans cette strophe renvoie sans doute aux compagnons et camarades du combattant que le poète interpelle et dénonce à travers les vers de ce poème.

Dans la strophe qui suit, Lounis continue à évoquer la trahison dont a été victime ce militant audacieux qui décide de mener son combat jusqu’au bout malgré le retrait de ses amis et de ses compagnons de lutte. Une trahison due à la peur, à la lâcheté ou à d’autres facteurs comme la corruption et les promesses alléchantes.

Iruḥ iqubel times Il part pour éteindre le feu Ad d-isserwel i d-yeqqimen Et sauver ce qui reste

Tεawnem-t-id s yiles Vous l’avez encouragé avec la parole Ad iḥareb γef wayla-nwen Il défendra vos biens

Asmi teslam i ṣṣut-is Et quand vous avez entendu sa voix Ay iḥbiben-is Oh, ses amis!

Comme nous l’avons déjà indiqué auparavant, le poète continue, dans la strophe précédente, à demander aux compagnons et aux camarades du militant et du combattant avec lesquels il partage la même cause et qui malheureusement l’ont abandonné en cours de route, de le soutenir .

Les lexèmes : tεawnem-t-id, wayla-nwen, teslam, indiquent clairement que les personnes à qui s’adresse le poète en les désignant par la deuxième personne du pluriel ‘’vous’’ ne sont que les amis du combattant.

Le mot ’’times ‘’ dans le premier vers de cette strophe n’est pas utilisé dans son sens étymologique qui désigne le feu mais pour indiquer la confrontation et les problèmes. Même chose pour le mot ‘’iles’’ qui désigne dans son sens d’origine ‘’la langue’'. Il est utilisé dans cette strophe pour signifier ‘’la parole’’.

De ses textes poétiques, nous retiendrons que le poète use souvent dans ses poèmes de la métonymie, de la métaphore, de la synecdoque, de la catachrèse et de l’antonymie.

Le poète continue à s’adresser aux amis du militant et dévoile dans chaque vers leur trahison comme l’indique bien la strophe suivante :

Tefkam-t γer zdat iruḥ Vous l’avez mis en avant Yiwen ur yelli γer tama-s Nul n’était à ses côtés

Fell-awen εziz am rruḥ Malgré qu’il est si cher à leur cœur Meεni tewεer lǧerra-s Mais aucun ne peut le suivre

Asmi teslam i ṣṣut-is Quand vous avez entendu sa voix Ay iḥbiben-is Oh ses amis !

Lxuf tesεeb snesla-s La peur vous a éloigné

Dans cette strophe, le poète évoque la peur qui paralyse la majorité des compagnons du combattant qui se retrouve tout seul en face des dictateurs et des

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ennemis de la démocratie. Malgré qu’il occupe une place spéciale dans leur cœur, la peur les a obligés à l’abandonner et à le laisser tout seul face à son destin.

Comme dans les strophes précédentes, le poète s’adresse à ses interlocuteurs en conjuguant les verbes à la 2eme personne du pluriel qui renvoie sans doute aux camarades du militant qui refuse d’abandonner son action. Cela est bien claire dans le premier, le troisième et le quatrième vers de cette strophe avec les lexèmes suivants :

Tefkam-t (vous l’avez donné), fell-awen (pour vous) et teslam (vous avez entendu).

Le poète conclue son poème en affirmant que le militant se rend compte, en retard, qu’il n’était pas intelligent malgré que son militantisme fût derrière l’éveil de beaucoup de monde, mais si un jour ceux qui l’ont trahi entendent sa voix, ils ne trouveront plus le sommeil à cause des remords. Par ces vers, le poète rend hommage au militant sincère qui participe à l’éveil des consciences et condamne énergiquement les traitres.

Mi yendem ifat-it lḥal Quand il s’est réveillé, c’était trop tard Ifhem ur yeḥric ara Il se rend compte qu’il était dupe Γas akken issaki-d acḥal Même si il éveille des consciences D ayen γef i theddrem tura Dont vous en parler souvent

Lemmer ad d-teslem i ṣṣut-is Et quand vous avez entendu son appel Ay iḥbiben-is Oh ses amis !

Ahaqel ur tegganem ara Vous ne trouvez pas de sommeil

Le poète n’arrête pas dans ce poème de pointer de doigt les amis du combattant (compatriotes) qui, par peur ou corruption, l’ont abandonné en cours de route. Cela se voit clairement en disant : theddrem (vous en parler), ad

d-teslem (vous entendez), ay iḥbiben-is (vous ses amis) et ur tegganem ara (vous ne trouvez pas le sommeil). Le ‘’vous’’ est présent dans toutes les strophes de ce poème car, dans ce texte poétique, le poète dénonce la trahison dont étaient victimes les militants et les combattants sincères et honnêtes qui ne cèdent, ni à la peur, ni aux promesses alléchantes, ni à autres formes de chantages. La trahison était du côté de leurs compatriotes.

Le ‘’vous’’ exprimé dans ce poème renvoie à tous ces traitres que le poète blâme tout au long de sa superbe chanson.

De ce poème, la morale que ne pouvions retenir consiste en l’union de tous les kabyles pouvant militer afin d’arracher les droits de toute la communauté kabyle.