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L’importance des programmes publics de construction en cours, destinés à satisfaire les revendications de la population en terme de logements, d’infrastructures et d’équipements, entraine une consommation considérable de l’espace et des mutations spatiales et sociales laissant présager des conséquences environnementales et des ségrégations sociales néfastes à l’échelle territoriale, bien que, paradoxalement, les politiques publiques dont sont issus ces programmes se réclament du développement durable. A l’échelle des projets la prise en compte des réalités socio-environnementales est très marginale, et la production reste très standardisée, étant donné que les organismes chargés du contrôle et du suivi (CTC, Contrôle Technique des Constructions pour le contrôle technique, DUAC pour les plans d’aménagement et OPGI pour la conception dans le cas de l’habitat, par exemple ou la DLEP dans le cas des équipements publics) préfèrent souvent reconduire des modes constructifs et des conceptions ayant fait leurs preuves, et se méfient des innovations qui risquent de compromettre l’avancement des projets. Le seul espace de créativité semble résidé dans l’esthétique et le choix des matériaux de façades, et encore, puisqu’aujourd’hui les cahiers des charges mentionne la préférence (parfois même « l’exigence ») pour les traitements de façades de style arabo-mauresque ou arabo-musulman47, ce qui fait référence à des préoccupations d’ordre esthétique, se limitant à reproduire quelques éléments de l’architecture musulmane (arcades, arcs, coupoles, tuiles...). Ceci semble plus proche de « l’Arabisance », terme utilisé par F. Béguin (1983) dans son livre pour, explique-t-il, caractériser un air de famille, et rassembler sous ce mot de très nombreuses traces d’arabisation des formes architecturales importées d’Europe, que de l’esprit de l’architecture et de l’urbanisme traditionnel, qui, comme l’explique A. Ravereau (1981) exprime le résultat d’une adaptation aux contraintes du milieu. Cela n’est pas forcément le cas en ce qui concerne les éléments purement formels qui ornent aujourd’hui la plupart des réalisations contemporaines en Algérie, du Nord au Sud, alors que l’architecture vernaculaire et les savoir-faire traditionnels sont redécouverts aujourd’hui et inspirent des architectes ou urbanistes de renommée internationale pour leurs conceptions se revendiquant du Développement Urbain Durable (à l’image de Masdar City48 par exemple).

47 Les deux expressions sont souvent employées indifféremment pour désigner un style ou dominent les arcs, les coupoles, les moucharabiehs, les faïences, les mosaiques etc…,

48 Conçu par Foster and Partners et financé par le fond souverain Mubadala Development Company, cette tentative de ville « zéro carbone » est, d’une certaine façon, une nouvelle figure de l’urbanisme dans cette aire culturelle inspirée des premières expériences d’urbanisme dit « durable » qui sont nées au Nord dans des contextes territoriaux, socioculturels et politiques radicalement différents (P.A. Barthel, 2011).

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4-1 Des précurseurs existent pourtant

« Dans le monde, une même démarche a conduit les hommes à bâtir les maisons et les villages les plus divers avec des logiques identiques. » J.-J. Deluz in « Fantasmes et réalités :

Réflexions sur l’architecture » (2008)

En Algérie, l’urbanisme traditionnel est représenté par les médinas49, dont la plus connue est la Casbah d’Alger (fondée en 1516) et les ksour sahariens, en particulier ceux de la vallée du Mzab (celui de Ghardaia a été fondé en 1048). Ces derniers, particulièrement, sont mieux conservés que la plupart des autres noyaux traditionnels qui sont aujourd’hui dans un état de dégradation avancé malgré les lois et les plans50 sensés les protéger. L’intérêt pour cet héritage historique représentatif du patrimoine urbanistique et architectural arabo- musulman51 est antérieur aux travaux relatifs à la durabilité, même si ce concept a réactualisé le discours sur l’architecture et l’urbanisme vernaculaire. De nombreux écrits et/ou travaux se rapportant à l’urbanisme ou à l’architecture bioclimatiques, et à la relation du milieu construit avec son environnement, y faisaient déjà référence. Déjà, en 1930, J. Cotereau52, (cité par S. Almi, 2010), s’exprimait sur l’art arabe et regrettait qu’on l’ait imité en surface au lieu de s’inspirer de sa logique profonde. Avant lui, l’architecte G. Guiauchain53 affirmait qu’il fallait rechercher « la philosophie des arts musulmans » et avait soulevé des critiques contre les circulaires de C. Jonnart54 qui recommandaient « un cachet artistique s’inspirant du style néo- mauresque pour les édifices scolaires (1904), puis pour tous les édifices publics (1916) » (C. Jelidi (2009), N Oulebsir, (2004)). Même Le Corbusier pourtant initiateur de la Chartes d’Athènes, du mouvement moderne et de la « tabula rasa », avait été interpellé par l’esprit de l’architecture de la Casbah et de la pentapole du M’zab, qu’il découvrit à partir de 1931, alors qu’il était âgé de 43 ans. Il disait lui-même en 1943 dans son ouvrage « Entretien avec les étudiants des écoles d’Architecture » (cité par A. Gerber, 1994) : « Bien que les éléments

architecturaux préconisés eussent une attitude foncièrement nouvelle par l'agencement, la dimension et le matériau, leur soumission à la loi solaire donnait à nos propositions une parenté indiscutable avec les architectures arabes. Il sera possible de reconstituer non pas le style arabe…mais le confort arabe, c'est-à-dire la fraîcheur et l'abri, le soleil et la vue à volonté, et les contrastes si prodigieusement architecturaux des volumes vastes et petits»

49 D. Lasbet (2007) s’interroge sur cette appellation globalisante et explique que la complexité des fonctionnements des medinas fait que certains « spécialistes des medinas » rassemblent toutes les medinas sous l’appellation villes islamiques, arabes, musulmanes, sans s’interroger sur les hommes qui ont façonné les espaces et réalisé les ouvrages.

50 Entre autres la loi n° 04-98 du 15 juin 1998 et les Plans Permanents de Sauvegarde et de Mise en valeur PPSMV

51 Si certains aspects sont communs (compacité du tissu, introversion des maisons, sobriété, utilisation de matériaux locaux etc…) , en revanche il est impossible de confondre par exemple l’architecture et les aménagements de La Casbah d’Alger avec ceux des Ksours. De même, les différents Ksours ont chacun leur propres caractéristiques selon la partie du Sahara dans laquelle ils se trouvent.

52 Dés 1930, Jean Cotereau, ingénieur polytechnicien a publié une serie d’articles dans la revue « Chantiers Nord-africains », dans lesquels il recommande une architecture moderne inspirée du vernaculaire

53 Georges Gauchian (1840-1918) est architecte en Algérie comme son père Pierre Auguste et son fils Jacques, il fonde ses réflexion sur l’importance du rapport au local (N.,Oulebsir, 2004), pour lui « s’inspirer n’est pas copier », « le risque d’une juxtaposition de motifs est de voir se multiplier des pastiches ».

Chapitre -4- Du discours à l’action : vers un changement dans les modes de faire ?

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A. Picard (1994) explique comment, dés 1844, les ingénieurs du Génie français se référent aux dispositions de la ville et des maisons mauresques de la casbah d'Alger pour formuler des conseils à suivre en matière d’urbanisme et d’architecture mais elle ajoute cependant que ces conseils pour l'établissement des plans de ville et la nature des constructions à privilégier ne seront pas appliqués en Algérie. Entre 1965 et 1973, A. Ravereau, prônant une architecture « située », s’est intéressé, dans ses ateliers créés à Ghardaia, aux lieux, aux traditions et au climat, marqué par une forte chaleur et une luminosité importante, et s’est inspiré dans ses projets de l’esprit de l’architecture mozabite caractérisée par une volonté de sobriété, l’absence de toute décoration superflue, et une unité fondamentale qui reflète l’égalité sociale de tous les membres de la communauté

Dans les années 1980, les architectes égyptiens H. et A. Elminiawy travaillèrent eux aussi dans le désert algérien, pour la construction de villages ruraux, entrants dans la politique des « 1000 villages socialistes55 », et pour la construction de logements sociaux. Leur démarche était de concevoir une architecture s’inspirant du modèle traditionnel local, s’adaptant aux données climatiques, sociologiques, culturelles et d’utiliser les matériaux locaux (béton de terre stabilisée BTS56 ou pierres taillées), tout en mobilisant les jeunes, formés sur le chantier, pour la construction. Cette démarche rappelle celle de l’architecte H. Fathi, égyptien lui aussi, qui, chargé en 1945, de construire un village près de Louxor, va étudier la société paysanne dont il s’inspirera pour la réalisation de ce village, en inventant une urbanisation que l’on qualifierait certainement aujourd’hui de durable :conception répondant aux spécificités des modes de vie, utilisation de briques fabriquées avec la boue du Nil, matériau millénaire et écologique, formation sur le chantier de paysans maçons qui ont construit eux- mêmes leur village. Pourtant, comme il l’écrit lui-même dans son livre « Construire avec le peuple » (1970), il eut à lutter contre une bureaucratie sceptique et corrompue, et son travail ne fut reconnu que beaucoup plus tard.

Plus récemment, en 1997, le nouveau ksar de Tafilelt (Tafilelt Tadjdite) , un projet d’habitat social, a été initié par un promoteur privé (la Société civile immobilière, issue de la fondation « Amidoul »), au sud de Beni Isguen, dans la wilaya de Ghardaia, en s’inspirant de l’habitat traditionnel mozabite et en utilisant les matériaux locaux (la pierre, la chaux, le sable, le plâtre …) Ce projet s’inscrit dans une optique sociale et écologique57, dont le programme prévu de 870 logements a été réalisé en cinq tranches, et s’est achevé en 2006 (le nombre est arrivé à 1050 logements actuellement). Cet ensemble a reçu en 2012, le 3ème prix du concours national d’architecture, ce qui est une reconnaissance pour une réalisation qui a été édifiée un peu en marge des circuits habituels. Il existe ainsi, à petite échelle, quelques expériences de programmes d’habitat ksouriens intégrés, marquées par une volonté de réaliser de « nouveaux ksour », et de réinterpréter l’héritage urbain et architectural comme c’est le cas pour celui de Tafilelt.

Les projets comme ceux construits par H. et A. Elminiawy ou le nouveau ksar de Tafilelt sont très peu nombreux, et font figures d’exceptions dans un paysage urbain dominés par les pratiques uniformisées et uniformisantes (uniformité dans la démarche de mise en œuvre, au

55 Les « 1000 villages socialistes » s'inscrivent dans l'action de la « Révolution Agraire », lancée en 1971 et qui visait une réorganisation d'ensemble de l'agriculture.

56 Le BTS est un mélange d’argile et de sable, avec une faible proportion de ciment.

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niveau de la gestion urbaine, dans les aménagements, les matériaux utilisés, les cahiers des charges et le choix architectural...), pourtant ils prouvent que même avant la promulgation des lois dites de « deuxième génération », ayant pour cadre le développement durable, le souci de mieux répondre aux réalités socio-environnementales n’était pas totalement absent des actions urbaines. D’ailleurs, outre le prix décerné par l’Etat algérien en 2012, le Ksar de Tafilelt est cité comme exemple dans un rapport de 2010 établit par l’Institut de La Méditerranée sur « Les autorités locales et régionales dans la nouvelle gouvernance méditerranéenne », et un autre rapport de 2009, toujours de l’Institut de La Méditérannée, intitulé « Vers des quartiers durables méditerranéens- Evaluation qualitative des expériences de développement : durable » pour le projet CAT-MED, qui n’hésite pas à le qualifier comme étant digne des éco-quartiers

européens.

Récemment, les préoccupations socio-environnementales sont beaucoup plus mises en avant à travers quelques opérations expérimentales, et des notions telles que « quartiers durables », ou « éco-quartiers », jusque là absentes dans les pratiques urbaines en Algérie (même si elles étaient présentes au niveau théorique dans les universités, en temps qu’exemples ou « modèles »), commencent à être introduites dans les cahiers des charges de certaines commandes publiques.