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9.3.1 Comparaison entre la structure théorique et expérimentale

Nos mesures expérimentales de la dispersion des bandes volumiques pour une surface de Cr(001) montrent un bon accord qualitatif avec les calculs théoriques, à la notable exception des énergies de liaison, largement surévaluées par ces derniers. Un coefficient correctif de 0.58 sur les énergies de liaison a donc été appliqué afin de permettre la comparaison des bandes expérimentales et théoriques. L’écart en énergie entre mesures et calculs théoriques utilisant l’approximation locale de densité (LDA) est en effet un problème récurrent pour les métaux. Nous avons rassemblé dans le tableau 9.1 les données utiles concernant les énergies de liaisons, vitesse de groupe au niveau de Fermi et dimensions de poches électroniques, déterminées grâce à nos mesures.

Les mesures en émission normale confirment l’existence de la bande volumique ∆5, ex- trêmement plate, ce qui l’a fait confondre avec un état de surface par Klebanoff et al. [92], erreur ultérieurement corrigée par Nakajima et al. qui ont montré sa dispersion près du point X [117].

Bandes Direction dans la ZB Dimensions −1) Vitesse de groupe à EF (105m/s) Bord de l’octaèdre d’électrons selon ΓX 0.76 (0.76) 1.7 (1.9)

selon ΓM 0.52 (0.54) 2.65 (2.65) Bandes Représentation Energie de liaison (eV) à 150K Bandes volumiques ∆5 et ∆02 Γ025 0.68 (0.65-0.67)

Gap AF en X, bande inférieure X5 0.30 (0.40)

Gap AF en X, bande supérieure X05 0.06 (0.10)

Table 9.1 – Caractéristiques de la structure de bande volumique mesurée pour le Cr(001) nu (entre parenthèses les valeurs pour le Cr/MgO), dimensions des poches électroniques de la surface de Fermi, vitesses au niveau de Fermi, et énergie de liaison pour des points de haute symétrie.

Grâce aux différentes polarisations disponibles de lumière incidente, nous pouvons attri- buer la symétrie Σ1 à la bande observée aux hautes énergies de liaison selon la direction Σ. Des mesures précédentes par Johansson et al. [115] et Sakisaka et al. [116] ont imputé à la bande de symétrie Σ2 l’intensité observée à des valeurs d’énergie et de vecteur d’onde ana-

logues aux nôtres, allant ainsi à l’encontre des règles de symétrie. Nous pensons néanmoins qu’il s’agit bien de la bande Σ1 (non détectée selon ces auteurs), d’une part parce que les calculs de structure de bandes montrent que selon le choix effectué des paramètres d’échange- corrélation et les corrections appliquées au calcul, cette bande peut en effet se confondre dans sa dispersion à la bande Σ2, près du point Γ (voir les dispersions calculées par Kulikov et

al. [119]). D’autre part, parce que l’on observe son intersection avec le niveau de Fermi, qui

forme un côté de l’ellipse de trous en M. Il est selon nous douteux qu’il s’agisse au contraire de la bande Σ4, car celle-ci est une bande observée pour la phase AF, et que dans ce cas, la poche électronique en M sur la surface de Fermi formerait un cercle (les dimensions selon ΓM et HM étant égales), et non une ellipse comme cela est observé.

Enfin, la dernière contradiction entre nos données expérimentales et les calculs théoriques concerne l’allure de la dispersion en émission normale aux basses énergies de photons. Les mesures à énergies de photons non fixées nécessitent, comme nous l’avons rappelé en section 7.2, la détermination du potentiel interne V0. Nous l’avons fixé à V0=11.4, en identifiant le centre de symétrie de la bande ∆5 au point Γ et l’emplacement de l’ouverture du gap au point X. La dispersion expérimentale montre un très bon accord avec l’allure théorique à partir du point X mais montre une nette déviation juste avant celui-ci. Une évolution analogue a été reportée par Nakajima et al. [117]. A basse énergie d’excitation (30 eV et en dessous ici), le modèle utilisé d’une bande finale d’électrons libres ne convient plus, comme cela a déjà été montré pour le Cr ou le Fe [111, 115]. A haute énergie d’excitation, comme en attestent nos résultats, cette approximation donne de bons résultats, les bandes vides du matériau à très haute énergie pouvant en effet bien se déduire d’un repliement dans la zone de Brillouin d’une bande d’électrons libres (dont le minimum est situé au bas de la bande de valence, c’est-à-dire environ 7.4 eV sous le niveau de Fermi selon nos mesures). A plus basse énergie, les effets du potentiel du matériau deviennent plus importants et les bandes vides dévient de ces bandes théoriques. En particulier, la structure observée (le décrochement) peut être imputable à l’existence de deux bandes possibles d’état final à cette énergie d’excitation, et au passage

de l’une à l’autre. Il serait donc nécessaire au minimum d’utiliser en dessous de 30 eV une autre valeur de potentiel interne, pour calculer les vrais vecteurs d’onde de cette bande, qui correspond plutôt à une section proche de Γ de l’axe ΓX. Pour cela, la connaissance précise de la structure de bande vide vers 30 eV au-dessus du niveau de Fermi serait nécessaire (mais n’est pas disponible dans la littérature).

Outre ces bandes volumiques, une partie de l’intensité présente sur nos cartographies n’a pas été attribuée à des états volumiques. Nous y reviendrons dans notre étude sur la surface de Cr(001) au chapitre 15.

9.3.2 Magnétisme du Cr

En plus des études précédentes, nos travaux apportent des éléments supplémentaires sur le magnétisme dans la structure de bandes du Cr.

Détection dans le Cr nu ou recouvert de MgO

Nous avons examiné dans notre étude deux couches minces de Cr différentes, l’une nue, l’autre recouverte de MgO. La croissance de ces deux couches a été faite et contrôlée selon les méthodes exposées dans le chapitre 8 (une faible distorsion tétragonale, de -3.3·10−4, est ainsi obtenue pour l’échantillon Cr/MgO). En conséquence, et selon les résultats du chapitre 8, ces deux couches doivent comporter une phase AF incommensurable (ODS se propageant selon la normale au film) à la température de 150K, et une phase paramagnétique à 370K.

Figure 9.6 – Spectre d’énergie au point X à T=150K extrait des mesures en polarisation s et émission normale sur l’échantillon de Cr nu

L’échantillon couvert de MgO présente tous les signes d’un ordre AF : repliement de la bande Σ3 (Figure 9.4d), ouverture d’un gap en X selon ∆ et dédoublement des branches de

dispersion selon XR, atténuation des sections “nestées” de la surface de Fermi (Figure 9.4b). L’échantillon de Cr nu, a priori identique pour ce que est de la structure volumique, présente également ces signes à l’exception notable de la branche supplémentaire de la bande Σ3, non

détectée sur nos cartographies. Bien que cette couche de Cr soit également sans aucun doute en phase AF à 150K (présence du gap en X), il est possible que le "nesting" ne soit pas parfait

selon toutes les sections de l’octaèdre, ce qui expliquerait alors l’absence des bandes AF dans ces directions. On rappelle en effet que les conditions de croissance engendrent une distorsion tétragonale de la maille et un vecteur de propagation hors plan. Normalement, un seul vecteur de "nesting" suffit à permettre l’emboîtement de toutes les sections de l’octaèdre d’électrons et de trous, mais il se peut que dans notre cas, la distorsion de la maille empêche le couplage de toutes les sections de l’octaèdre.

Nos mesures ont permis de mettre en évidence et de quantifier le gap en énergie au point X, les articles précédents n’ayant étudié que les gaps accidentels selon les directions Σ [50, 69, 118]. Le gap en X n’étant pas situé au niveau de Fermi, il ne participe pas directement à la stabilisation de l’ordre AF (car il n’y a pas de gain en énergie, les deux bandes électroniques au niveau du gap étant pleines). Cependant, c’est également un marqueur de l’ordre AF, l’écart en énergie des bandes au niveau de gap décroît jusqu’à la température de transition, où le gap disparaît. A 150K, nos mesures dans le Cr nu l’estiment à 0.24 eV (grâce à la courbe de la Figure 9.6), ce gap correspondant à l’écart minimal entre bandes ∆5supérieures et inférieures

(Figure 9.5d) et entre les deux paraboles S1 et S3 dans la direction S (Figure 9.5f).

Persistance de l’ordre AF à haute température

Ce gap est toujours visible à 370K, comme le montre la Figure 9.5c, où nous l’avons alors estimé à environ 0.18 eV. D’autres signes de l’existence d’un ordre AF à cette température sont également détectés (repliement de la bande Σ3 dans l’échantillon couvert de MgO).

Il est peu probable que l’élévation de la température de transition soit imputable à une phase commensurable, dont la température de Néel est souvent beaucoup plus élevée que 311K. En effet, nous n’avons jamais observé de telles phases magnétiques dans les échantillons déposés et recuits selon la méthode utilisée pour tous nos films minces de référence. Certes, le repliement double de la bande Σ3 n’est pas observé (Figure 9.3), mais nous pensons que l’élargissement thermique à 150K rend cette discrimination impossible. En outre, la largeur respective selon Σ de l’octaèdre d’électrons et de trous mesurés par les intersections de la bande Σ3 avec le niveau de Fermi plaide en faveur d’un ordre incommensurable (voir Figure 9.4d). De cet écart de 0.11 Å−1, l’on déduit un vecteur de "nesting" ~Q±= (1 ± δ)<001> avec

δ ≈0.036. Cette valeur est cohérente avec la valeur rapportée pour le vecteur de "nesting" à

cette température (δ=0.033) [50], sachant que le vecteur de "nesting" diffère en général du vecteur de propagation.

La persistance d’un ordre AF incommensurable à haute température démontrée par les mesures d’ARPES n’est qu’à première vue contradictoire avec les mesures macroscopiques (résistivité, diffraction de rayons X et de neutrons) qui identifient dans nos films minces des signes de transition à 311K et en-dessous. La photoémission résolue en angle étudie en effet des échelles de temps et de distance (quelques couches atomiques) bien inférieures à ces techniques macroscopiques. Il est possible que les moments locaux du volume restent corrélés aux faibles échelles de temps et de distance des processus de photoémission. La persistance d’un ordre AF près de la surface semble être un trait général des surfaces de Cr : Schäfer et

al. ont également montré que l’ordre AF persistait jusqu’à 440K pour la surface Cr(110). La

surface Cr(110) ne possédant, contrairement à la surface Cr(001), ni ordre ferromagnétique de surface, ni moment exalté de surface, l’augmentation de TN en surface ne devrait pas être

Chapitre 10

Couche mince de Cr sous champ

magnétique

Les mesures magnétiques exposées dans le chapitre 8 ont montré la forte anisotropie ma- gnétique présente dans nos couches, et son origine structurale par le biais de contraintes épitaxiales. Nos échantillons sont donc monodomaines en ce qui concerne la direction de pro- pagation de l’onde de densité de spin, mais poly-domaines pour la polarisation, en phase transverse : les deux orientations [100] et [010] de ~S dans le plan sont équivalentes. Il n’y a

en effet à première vue pas de différence structurale entre ces deux directions dans le plan et l’on peut donc supposer que les domaines de polarisation des deux orientations sont énergé- tiquement équivalents. Ainsi, de la même manière que pour un matériau ferromagnétique, il doit être possible de favoriser la croissance d’un type de domaine par rapport à l’autre, par l’application d’un champ magnétique. Nous avons d’ailleurs décrit l’effet d’un champ magné- tique sur les domaines antiferromagnétiques dans le Cr volumique durant l’état de l’art, en section 2.2.1. Nous allons étudier dans cette partie la réponse en champ magnétique d’une ODS transverse se propageant hors plan, et essayer de caractériser par ce biais les domaines de polarisation dans nos couches minces de Cr. Notre moyen d’investigation pour cette étude des domaines magnétiques est la diffraction de neutrons.

10.1

Expérience : retournement de domaines de polarisation

du Cr en couche mince sous champ

10.1.1 Configuration de l’expérience

Une couche mince de référence de 200 nm analogue à celles décrites dans le chapitre 8 est montée dans un porte échantillon dédié permettant un coalignement de plusieurs échantillons comme décrit au chapitre 6.1. Le champ est orienté selon l’axe vertical, qui correspond à la direction cristalline [010] du Cr. La bobine supraconductrice utilisée permet d’appliquer sur l’échantillon un champ magnétique atteignant 135 kOe. Pour cette expérience de diffraction de neutrons effectuée sur le diffractomètre D23 de l’ILL, comme il a été fait usage d’un détecteur ponctuel, nous fournirons des coupes linéaires de l’espace réciproque et non des cartographies (voir chapitre 6.1 pour plus de détails).

Le protocole d’expérience consiste en des scans répétés de l’espace réciproque du Cr autour des nœuds 100 et 001 selon la direction [001], pour des champs magnétiques appliqués de 0 à

135 kOe, à l’aller et au retour. La mesure est faite à 150K, température suffisamment éloignée de la température de Néel (pour que le moment volumique soit maximal), et suffisamment au-dessus de la transition de spin-flip élargie (pour que l’ODS soit en phase transverse). Cela correspond également à la gamme de température utilisée pour l’étude de ces phénomènes dans la littérature (voir section 2.2.1). Une seconde série de mesures a été menée après montée en température de 150 K à 200 K, sous un champ magnétique de 135 kOe.

10.1.2 Ordre magnétique à champ nul

Figure 10.1 – Scan obtenu par diffraction de neutrons sur une couche mince de 200 nm de Cr à 150 K. Il a été effectué le long de la direction [00L], près du noeud 100 de l’espace réciproque du Cr, et sommé pour les différentes valeurs de champs appliqué. Y figurent les 2 pics magnétiques et leur ajustement par une gaussienne (en bleu) ainsi que les pics parasites (en vert) provenant de l’harmonique en λ/2 du faisceau de neutrons.

Le balayage représenté en Figure 10.1 est obtenu en sommant tous les scans effectués aux différents champs autour du noeud 100. Cela permet d’identifier les pics magnétiques avec une meilleurs statistique, en tirant parti du fait que la position des pics reste la même à tout champ et qu’il n’y a pas de brusque apparition ou disparition de pics. On identifie bien selon [00L] les 2 pics satellites magnétiques en 10±δ, pour δ=0.0467 (soit Q=0.9533). Cette valeur obtenue pour un film de 200nm est très proche de la valeur mesurée pour le Cr volumique, plus proche que celle de la couche de 85 nm dont l’évolution thermique est représentée en Figure 8.10, ce qui est cohérent avec leur différence d’épaisseur. Deux pics plus faibles sont observés en position centrale du scan : ils proviennent des pics structuraux de MgO(220) et Cr(200) diffractant avec une longueur d’onde incidente de neutrons deux fois plus faible. Dans cette expérience, le filtrage de l’harmonique en λ/2 de la longueur d’onde était en effet insuffisant. Près du noeud 001, un pic magnétique satellite en 001+δ est détecté. Son intensité intégrée correspond à peu près au double de celle des pics 10±δ (nous en verrons la cause plus tard).

En phase transverse, 2 domaines de polarisation dans le plan selon [100] et [010] coexistent, et l’intensité mesurée en 001+δ provient de tous les domaines de polarisation alors que celle mesurée en 10±δ provient uniquement des domaines de polarisation selon [010] (se référer au Tableau 6.2 en page 46). Aucun autre pic magnétique que les trois pré-cités n’a été détecté dans nos scans autour des position 100 et 001 du réseau réciproque. Conformément aux mesures de diffraction de neutron et diffraction synchrotron effectuées sur des couches minces analogues, cet échantillon possède donc une phase d’ODS avec un unique vecteur de propagation selon la direction hors plan [001]. A 150 K et sous champ nul, subsiste une légère dissymétrie des domaines de polarisation (environ 42% de domaines avec ~S selon [010]).

10.1.3 Evolution magnétique sous champ Mesures à 150K

Par application d’un champ magnétique atteignant 135 kOe, on observe une diminution significative de l’intensité des pics magnétiques 10±δ (de 60% à 135 kOe) par rapport à leur intensité à champ nul (voir Figure 10.2a). Le pic magnétique 001+δ conserve, lui, la même intensité à tous champs (encart de la Figure 10.2a). D’après ce qui a été dit précédemment, l’ODS reste donc transverse avec une polarisation dans le plan à tous champs (car la popu- lation des domaines de polarisation dans le plan reste constante). Par contre, la baisse de l’intensité en 10±δ traduit une réorganisation des domaines de polarisation perpendiculaire ou parallèle au champ, les premiers ( ~S k[100]) croissant au détriment des derniers ( ~S k[010]).

Le schéma en Figure 10.2b illustre ce phénomène.

Figure 10.2 – Evolution sous champ des intensités intégrées des pics magnétiques 10±δ et 001+δ (en encart). b) Schéma de la croissance de domaines favorisés par le champ (avec

~

S k ~H) dans notre film mince mono- ~Q.

d’après l’intensité des 2 types de pics magnétiques et représentée en Figure 10.3a. La popula- tion des domaines défavorisés par le champ magnétique est ainsi réduite de 42% à 17% pour un champ de 135 kOe. La réorganisation des domaines magnétiques n’est donc pas complète, et ce même au champ très intense de mesure. De plus, elle est hystérétique pour la montée et la descente en champ, retrouvant néanmoins sa valeur initiale de 42% quand le champ est ramené à 0 : il y a donc une certaine inertie en champ pour le retournement des domaines. Mesures à 200 K

La seconde mesure a été effectuée après montée en température jusqu’à 200 K sous un champ magnétique de 135 kOe selon [010]. La population de domaines défavorisés par le champ se trouve alors légèrement réduite à champ nul par rapport à celle à 150 K : 35% au lieu de 42%. Sous champ, on observe, comme à 150 K, une diminution de la proportion de domaines défavorisés par le champ, celle-ci tombant à 10% sous 135 kOe. De façon manifeste, le retournement est élastique en champ, sans hystérèse marquée, contrairement à l’effet observé à 150 K (Figure 10.3b).

Figure 10.3 – Evolution en champ du pourcentage de domaines dont la polarisation est parallèle au champs magnétique, ajustement par un modèle d’activation thermique, et com- paraison avec l’évolution observée pour le matériau volumique. a) Mesure à T=150 K. b) Mesure à T=200 K après montée en température sous un champ de 135 kOe.