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Etat de l’art expérimental sur la surface Cr(001)

Les images obtenues par mesures de STM polarisé en spin montrent la configuration ferromagnétique des moments du Cr sur un même plan atomique, et l’orientation antiparallèle des moments de terrasses séparées par une marche atomique. Cela fournit donc la preuve par l’image du caractère ferromagnétique de la surface de Cr(001), de l’orientation antiparallèle d’un plan atomique au plan inférieur sous la surface, et de l’antiferromagnétisme topologique présent pour des surfaces comportant des marches atomiques (voir Figure 13.5) [64, 146–148]. Outre le contraste topographique lié aux terrasses (Figure 13.5a) le pic de densité d’état sous le niveau de Fermi (correspondant à l’état de surface, voir paragraphe suivant), montre un contraste d’intensité d’une terrasse à une autre (Figure 13.5b). Ce contraste est dû à la polarisation de cet état de surface lié à la polarisation en surface des moments magnétiques, antiparallèle d’une marche atomique à la suivante. Cela permet de confirmer le calcul de Blügel et al. sur l’antiferromagnétisme topologique de la surface du Cr(001).

Figure 13.5 – a) Image par STM de la topographie de la surface de Cr(001) montrant les terrasses atomiques A, B, et C. b) Spectres tunnel locaux obtenus au-dessus des terrasses A et B, montrant un contraste en intensité de l’état de surface, et l’orientation respective de l’aimantation de la pointe et de la surface (indiquée par des flèches). c) Image par STM polarisé en spin de la même région que a), à la tension de l’état de surface montrant le contraste magnétique lié à l’orientation antiparallèle des moments d’une terrasse à l’autre, d’après Kleiber et al. [64]

Il est plus difficile de quantifier directement la valeur du moment de surface. Des mesures par spectroscopie de capture électronique ont montré un ordre ferromagnétique sur la surface de Cr(001) et déterminé une polarisation de -18% sur une surface contaminée (présentant une reconstruction c(2×2)) [149]. Cependant il est délicat d’essayer de quantifier le moment de surface par des mesures de polarisation électronique au niveau de Fermi. En effet, dans le Cr, alors que la polarisation en spin moyenne doit atteindre environ 25%, elle n’est que de quelques pourcents pour la densité de spin au niveau de Fermi [150].

Une méthode indirecte pour déterminer le moment de surface est de mesurer l’énergie de liaison d’états de surface polarisés minoritaire et majoritaire. La séparation en énergie de ces états polarisés provenant du potentiel d’échange de surface est en effet proportionnelle au moment de surface. Cela a suscité un intérêt précoce pour la détection des états de surface du Cr(001), et nous décrirons en détail les mesures de la structure électronique de surface du Cr dans un prochain chapitre.

Dans nos travaux, nous avons opté pour une mesure directe des moments du Cr à une interface avec du MgO, en exploitant la grande sensibilité aux interfaces magnétiques de la réflectivité de neutrons polarisés [151].

13.2.2 Structure électronique de surface

En photoémission résolue en angle, les états de surface sont usuellement identifiés par leur sensibilité à la contamination de surface : ils s’atténuent puis disparaissent lorsque les atomes à la surface forment des liaisons avec les contaminants déposés à la surface (oxygène ou monoxyde de carbone). Cela n’est cependant pas suffisant car des états volumiques peuvent être également sensibles à l’introduction de contaminants. En effet, aux énergies de photons considérées (une dizaine d’eV), seuls les derniers plans près de la surface sont sondés et le contaminant peut également perturber les plans sous la surface (en s’incorporant en partie dans la couche). Un critère plus discriminant est donc l’absence de dispersion des états de surface dans la direction normale à la surface. En effet, ces états étant extrêmement localisés en position (selon z) au niveau de la surface, par le principe d’indétermination, ils sont donc complètement délocalisés en impulsion (ou vecteur d’onde kz), sur une zone de Brillouin complète. L’énergie de liaison de ces états est donc constante en fonction du vecteur d’onde dans la direction normale à la surface.

Un état de surface ∆1 minoritaire près du niveau de Fermi ?

Différentes études par photoémission et spectroscopie tunnel s’accordent sur la présence d’un état de surface près du niveau de Fermi : dans les premières études de photoémission sur la surface de Cr, Klebanoff et al. ont décelé un pic à 80meV sous le niveau de Fermi qu’ils ont attribué à un état de surface du fait de sa sensibilité à la contamination [92]. Dans une étude plus récente, Nakajima et al. ont confirmé le caractère localisé de cet état par son absence de dispersion selon la normale à la surface [117]. Tous deux attribuent le pic sous le niveau de Fermi à la troncature d’un état vide minoritaire (d’après les calculs) par le niveau de Fermi. Par STM, Stroscio et al. ont également détecté cet état de surface (à 50 meV sous le niveau de Fermi), qu’ils attribuent à un état minoritaire, issu d’une orbitale d peu perturbée [152] (cela correspond au trait rouge sur la Figure 13.6). Ils en font une caractéristique des surfaces (001) de métaux 3d (un état de surface est également détecté pour une surface de Fe(001)). Comme décrit dans le paragraphe précédent (et montré en Figure 13.5b), cet état de surface polarisé est utilisé en STM polarisé en spin pour mettre en évidence l’orientation ferromagnétique des moments sur les terrasses atomiques. Les énergies de liaison en centre de zone mesurées pour cet état de surface différent d’une expérience à l’autre et d’un échantillon à l’autre, le situant parfois au-dessous ou parfois au-dessus du niveau de Fermi [152–154]. Cela pourrait être expliqué par différents niveaux de pureté de la surface, comme nous le verrons au paragraphe suivant.

La symétrie de cet état est encore sujet à controverse : des mesures de photoémission à lumière polarisée [92] et de STM polarisé en spin [154, 155] s’accordent sur une symétrie ∆1

(dans la direction ∆ de la zone de Brillouin) pour cet état de surface de type Schockley, alors qu’une autre étude attribue cet état à une résonance Kondo orbitalaire, de symétrie ∆5 [153].

Figure 13.6 – Etats de surface présents pour une surface de Cr(001), étudiés par spectroscopie tunnel (STS), photoémission (PE), et photoémission inverse (IPE). Trois états de surface, désignés par les traits de couleur, sont mis en évidence [154].

Autres états de surface

En dehors de cet état de surface près du niveau de Fermi, l’étude de Klebanoff et al. a également mis en évidence un état sensible à la contamination de surface, à 0.63 eV sous le niveau de Fermi. Mais Nakajima et al. ont montré que cet état dispersait dans la direction normale à la surface et correspondait donc à une bande volumique (la bande ∆5 que nous

avons présenté dans le chapitre 9). Nous rediscuterons de cette contradiction à la lumière de nos données dans le chapitre 15. Un état sensible à la contamination est également détecté par photoémission en émission normale à 0.5 eV sous le niveau de Fermi, très proche de la bande volumique à 0.65 eV (souligné par un trait vert sur la Figure 13.6) [154].

Détermination du moment de surface à partir de la position des états de surface La détermination des énergies de liaisons des états de surface polarisés peut permettre d’estimer le moment de surface. Klebanoff et al. ont suivi en température les états à 0.08 eV et 0.63 eV sous le niveau de Fermi et en ont déduit une température de Curie pour la surface ferromagnétique de 780 K [156]. Néanmoins, leur interprétation est discutable car d’une part ces états n’ont pas la même symétrie, et ne peuvent donc pas être des états provenant du

dédoublement d’un état de surface paramagnétique et d’autre part, il semble que le deuxième état soit en fait un état volumique. En confrontant l’énergie de liaison déduite pour l’état de surface ∆1 (50 meV) et leurs calculs de structure électronique de surface, Stroscio et al. ont montré qu’il était nécessaire de réduire le moment de surface exalté à une valeur de 1.75 µB (au lieu de 2.5 µB) pour retrouver la même valeur d’énergie de liaison. Cela pourrait provenir

des limitations de l’approximation locale de densité de spin pour le Cr. 13.2.3 Contamination de surface

L’importance de la pureté de la surface pour la détection de moments de surface a été soulignée par Blügel et al. [143] et lui a permis d’expliquer les contradictions entre mesures de SRPES qui ne mesuraient pas de moment de surface sur une surface contaminée à l’oxygène, et mesures d’ARPES de Klebanoff qui mesuraient une séparation en énergie entre deux états prétendument de surface, signe d’une aimantation de surface [92]. La présence de contaminants en surface est en effet susceptible de modifier de manière importante la structure électronique locale (en particulier l’énergie de liaison des états de surface), et la valeur du moment de surface.

Une étude par spectroscopie Auger et STM des impuretés sur la surface de Cr(001) a montré une ségrégation compétitive des contaminants atomiques (C , N, O ou S) avec la température de recuit. Pour une surface propre de Cr, aucune reconstruction de surface n’est observée. Pour une couverture de contaminants inférieure à une demie-monocouche, la surface présente une reconstruction c(2×2) (que l’on décrira au chapitre 14), puis pour des couvertures supérieures une reconstruction p(1×1)[157]. La présence de contaminants induit par ailleurs une déformation de la maille en surface. Alors que pour une surface nue, le réseau est contracté vers l’intérieur à cause des liaisons pendantes en surface, pour les surfaces contaminées, une forte relaxation vers l’extérieur (25% environ) est observée [158].

Figure 13.7 – Spectre tunnel pour une surface propre de Cr(001), pour une surface recons- truite c(2×2)N/Cr(001), et pour une surface p(1×1)N/Cr(001) [157].

Pour une surface de Cr(001) propre, le pic détecté par STM correspondant à l’état de sur- face ∆1 est situé à environ -0.1V, mais se déplace à 0.15V environ pour une surface présentant une reconstruction c(2×2) de l’azote en surface, et disparaît pour une surface reconstruite en

p(1×1) [157]. Des effets analogues ont été reportés pour des surfaces c(2×2) contaminées en carbone, soufre, et azote : le pic de surface passe au-dessus du niveau de Fermi, vers 0.1-0.15eV [148, 159]. Pour de faibles taux de C en surface, et en l’absence de reconstruc- tion de surface, l’état de surface, toujours polarisé, conserve une énergie de liaison proche de celle sur la surface propre (environ −60 meV) [64, 147]. L’effet de l’oxygène en surface paraît plus complexe : Nakajima et al. montrent que l’état de surface ne varie pas sous l’effet de l’adsorption d’une monocouche d’oxygène [160]. Meier et al. rapportent dans leur étude par photoémission polarisée en spin l’existence d’une polarisation en surface, uniquement quand de l’oxygène est incorporé dans le réseau (et non sur une surface recouverte d’oxygène ou sans oxygène du tout). Néanmoins la prise en compte de leurs résultats est rendue délicate par la contamination importante à l’azote de la surface sans oxygène (reconstruction p(1×1)).

Des calculs ab-initio ont été menés pour rendre compte de l’effet des contaminants sur les propriétés structurales et magnétiques de la surface de Cr(001) [161]. La relaxation en surface observée pour les surfaces de Cr nue et couverte de C, N, ou O provient d’un compromis entre le renforcement des liaisons de la surface vers les couches inférieures du fait des liaisons pen- dantes (effet dominant pour le Cr nu), et un effet de magnétovolume favorisant le peuplement d’états non-liants majoritaires du fait du ferromagnétisme de surface. Ces calculs prédisent en outre un moment de surface réduit pour les surfaces p(1×1) contaminées au carbone ou à l’azote, mais au contraire augmenté pour les surfaces contaminées à l’oxygène en raison d’ef- fet d’hybridation des orbitales du Cr et de l’O, qui induit un peuplement préférentiel d’états polarisés majoritaires.