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Conclusions sur la structure électronique de surface et d’interface

Nous pouvons à présent conclure ce chapitre présentant la deuxième partie de notre étude de la structure électronique du Cr. Nous avons apporté une contribution significative à la connaissance des états de surface du Cr par la détermination précise de leur énergie de liaison, la confirmation de leur symétrie électronique selon le direction ∆, et la première mesure de leur dispersion dans le plan. Nous avons notamment mis en avant l’existence d’un état résonnant de symétrie ∆5. Cette description pourra s’avérer utile pour le recalage en énergie des calculs théoriques sur la surface de Cr(001).

Qui plus est, nous avons également réussi à établir que ces états de surface sont toujours présents avec des caractéristiques identiques à une interface Cr/MgO, ce qui n’avait pas été examiné jusqu’à présent. L’étude de l’état ∆1 polarisé est complémentaire à celle que nous entreprenons dans la partie suivante, sur le magnétisme du Cr à l’interface Cr/MgO. Quant à celle de l’état ∆5, elle nous permettra d’apporter une interprétation aux phénomènes de couplage tunnel que nous observons dans des hétérostructures comportant des interfaces Cr/MgO, décrites dans la partie V.

Grâce à notre bonne compréhension de la structure de bande volumique du Cr, nous avons mis à jour l’existence de MIGS dans l’échantillon de Cr/MgO, états évanescents dans le MgO induits par la couche métallique voisine. A notre connaissance, cela n’avait pas encore été vu par des mesures de photoémission. La prise en compte de cet effet est également capital pour l’interprétation du couplage tunnel dans nos hétérostructures épitaxiées.

Chapitre 16

Magnétisme de la surface et de

l’interface

D’après l’étude des états de surface et d’interface menée au chapitre précédent, surface de Cr(001) et interface Cr/MgO(001) possèdent toutes deux des états localisés (polarisés) aux mêmes énergies de liaison. De la forte imbrication entre structure électronique et magnétisme, rappelée dans le chapitre 13, nous déduisons que l’ordre magnétique à l’interface Cr/MgO est analogue à celui de la surface de Cr(001). Ainsi, selon théorie et expériences, les moments du Cr sur le dernier plan sont orientés ferromagnétiquement, et leur valeur est supérieure à celle du moment en volume (d’après les calculs théoriques). Nous allons tenter de déterminer expérimentalement l’amplitude de ces moments d’interface.

Une des rares techniques expérimentales qui permettent de déterminer directement la valeur de moments magnétiques enterrés dans un empilement est la réflectivité de neutrons polarisés. De plus, le volume de la couche de Cr étant antiferromagnétique donc sans aiman- tation résultante, le signal d’asymétrie de spin détecté proviendra uniquement d’interfaces magnétiques. Par cette méthode, nous allons donc pouvoir quantifier le moment des atomes de Cr à l’interface avec le MgO. Afin d’amplifier au mieux le signal magnétique provenant des interfaces Cr/MgO, ce n’est pas une simple couche de Cr que nous avons étudiée, mais un superréseau constitué de cinq répétitions de couches de Cr recouvertes de MgO, qui comporte donc 10 interfaces Cr/MgO. Nous allons dans un premier temps prouver la bonne qualité structurale et magnétique de cet échantillon, essentielle pour l’étude magnétique de ce sys- tème par réflectivité de neutrons.

16.1

Caractérisation du superréseau

16.1.1 Caractéristiques structurales Croissance du superréseau

Les couches de Cr du superréseau [Cr/MgO]5 ont été déposées selon le même mode opé-

ratoire que celui utilisé pour les films minces de Cr de référence (expliqué dans la section 8.1). La couche de Cr d’environ 16 nm est recuite à 650˚C après croissance à froid puis le film de MgO est déposé à froid, son épaisseur (de 10 MC environ) étant contrôlée grâce aux oscillations RHEED sur sa surface. Ce processus est répété 5 fois dans les mêmes conditions, puis l’empilement est recouvert d’une couche protectrice de MgO de 8.8 nm. Les épaisseurs des

couches ont été choisies après simulation du signal d’asymétrie de spin attendu (en réflectivité de neutrons polarisés) pour des moments situés aux interfaces Cr/MgO, et afin d’optimiser la détection de celui-ci. La croissance d’un superréseau métal/oxyde est délicate, bien plus que celle d’un empilement entièrement métallique, ce qui explique que nous n’ayons effectué qu’un nombre assez faible de répétitions. En effet, en plus du risque d’oxydation du Cr à l’interface avec le MgO (oxydation qui n’est cependant pas observée pour nos couches comme démontré dans la section 14.2.1), le mode de croissance 3D du Cr sur le MgO entraîne une faible qualité cristalline et une forte rugosité de la surface du Cr. Un recuit chronophage des couches de Cr, qui peut induire un démouillage des couches fines de l’empilement, est donc nécessaire. Qualité structurale

Figure 16.1 – a) Réflectivité de rayons X sur le superréseau [Cr/MgO]5 et ajustement par

un modèle structural résumé en encart (t est l’épaisseur, r la rugosité). b) Image par TEM basse résolution montrant l’alternance de couches de Cr et de MgO dans le superréseau.

Une mesure de réflectivité de rayons X (ici avec une source synchrotron, sur la ligne SixS) permet de vérifier les épaisseurs effectives des couches, leur bonne reproductibilité dans l’empilement, et d’estimer la rugosité des interfaces. Comme le montre la Figure 16.1a, des pics de sur-structures sont observés ici jusqu’au 22ème ordre ce qui témoigne de la bonne qualité de l’empilement et de sa faible rugosité (donc de l’absence de démouillage à cette échelle). Les paramètres structuraux déduits de l’ajustement de la courbe de réflectivité permettent d’estimer une rugosité (en moyenne quadratique) assez faible, de 3 plans atomiques pour le Cr et d’un peu moins d’un plan atomique pour le MgO. La micrographie TEM à basse résolution de la Figure 16.1b confirme la bonne continuité des couches de Cr et de MgO et leur faible rugosité à grande échelle. A l’échelle atomique, la micrographie 16.2 atteste de la bonne épitaxie de l’empilement et de la continuité de la couche de MgO, comme déjà établi

Figure 16.2 – Micrographie haute résolution du superréseau montrant deux interfaces Cr/MgO.

dans la section 14.2.2.

La mesure des paramètres de maille du Cr dans le superréseau met en évidence une forte déformation de la maille (distorsion tétragonale T=3 · 10−3) et une forte pression équivalente

(Péq= −3.3 GPa) malgré le recuit des couches à 650˚C. Nous avons établi dans la section 11.1.2 la dépendance linéaire de la distorsion tétragonale et de la pression équivalente en fonction de la température de recuit, qui n’est cependant valable que pour des films d’épaisseur de l’ordre de 100 nm, comme nous l’avons déjà souligné. Pour des films beaucoup plus minces, le recuit ne permet pas de relaxer les contraintes aussi bien que dans les films épais. Nos films très minces restent fortement contraints en expansion par le substrat de MgO, et le refroidissement sous contrainte après recuit ne permet de diminuer que très partiellement cette déformation. Nous avons démontré pour les films épais (d’environ 100 nm) qu’à une distorsion tétra- gonale négative causée par un recuit insuffisant était associée une orientation hors plan de la polarisation. Si les moments du Cr à l’interface se raccordent aux moments volumiques et s’orientent donc eux aussi dans la direction normale à l’interface, aucun signal magnétique ne sera détecté en réflectivité de neutrons, technique sensible uniquement aux moments dans le plan du film. En conséquence, il est indispensable de vérifier l’état magnétique de nos couches de Cr.

16.1.2 Caractéristiques magnétiques du volume des couches de Cr

Nous avons étudié par diffraction de neutrons les pics magnétiques présents autour des nœuds 100 et 001 du réseau réciproque du Cr à 80 K, 150 K et 300 K, qui sont une partie des températures utilisées pour les mesures de réflectivité de neutrons. Sur les cartographies autour de la position 001, des pics satellites selon [00L] sont détectés à 80 K et 150 K : le pic 001-δ est fusionné avec le parasite(Figure 16.3 à 80 K). A 150 K, une trace de pic incommensurable en 001 peut également être décelée, et à 300 K, seul ce pic est présent (Figure 16.3 à 300 K). Les cartographies autour de la position 100 ne permettent pas de détecter distinctement de pic magnétique, ce qui suggère une orientation des spins majoritairement

dans le plan, à toutes températures. Nous pouvons donc en déduire que la phase magnétique de ces couches est une phase d’ODS transverse se propageant dans la direction hors plan à basse température qui est remplacée à haute température (300 K) par une phase commensurable. Aux températures de mesure, ces deux phases ont leur moments magnétiques dans le plan du film. Cette coexistence de phases est imputable à un taux de défauts plus élevé dans ces films de Cr très minces (15 nm), le recuit n’ayant pas été suffisant pour relaxer les contraintes épitaxiales internes.

Figure 16.3 – Cartographies autour de la position 001 du réseau réciproque du Cr, à80 K et 300 K, montrant les pics magnétiques 001±δ et 001.

De manière inattendue mais opportune pour notre étude par réflectivité de neutrons, l’ani- sotropie magnétique des couches de ce superréseau est donc en désaccord avec sa distorsion tétragonale qui favoriserait une orientation des moments hors plan, alors que nos mesures magnétiques montrent que les moments sont dans le plan du film. Cela confirme les limites de l’étude d’anisotropie magnétique entreprise dans le chapitre 11 qui ne s’applique que pour les films suffisamment épais. A faible épaisseur de Cr, les surfaces et interfaces jouent un rôle plus important, et peuvent induire une anisotropie magnétique locale, comme évoqué dans le chapitre 3, et comme cela a été montré pour des monocristaux de Cr [80]. Cet effet est assez important puisque dans ces films de 15 nm fortement contraints, l’anisotropie de surface favorise à basse température une phase mono- ~Q, de vecteur de propagation hors plan et de

polarisation dans le plan, contraire à l’état de déformation du volume de la couche.

Ces couches ont leurs moments magnétiques AF orientés dans le plan du film, mais comme pour les films minces de référence, il existe deux directions équivalentes de polarisation dans le plan et donc deux types de domaines de polarisation. Vue la faiblesse des signaux magné- tiques, il est cependant possible que les domaines de polarisation soient de très petite taille.

Cette caractérisation structurale et magnétique des couches de Cr du superréseau nous a confirmé la bonne qualité de cet échantillon et son adéquation à la mesure par réflectivité de neutrons polarisés des moments magnétiques aux interfaces Cr/MgO.

16.2

Etude des moments magnétiques à l’interface Cr/MgO