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Écrire le récit dessiné interactif

1. Écrire l’interface

1.2. Des interfaces

1.2.1. Rôle et nature des interfaces 1.2.1.1. Un rôle non-utilitaire

Tirer l’interdépendance du récit et de l’interface de sa latence demande de penser l’interface : il ne s’agit plus de se satisfaire d’une interface imposée par l’outil. Écrire un récit de bande dessinée numérique, c’est écrire une interface.

Nous avons vu la difficulté qu’il y a alors à identifier une limite entre contenu et interface, dans Romuald et le tortionnaire par exemple : c’est que l’œuvre procède de l’interface. Mieux : quand bien même le module use d’une interface « extérieure » au contenu, celle du navigateur ou d’une application de lecture par exemple, il reste que l’on ne peut réellement tracer une limite entre le contenu et son interface. Si ce n’est pas vraiment le cas pour La justice est bovine, ça l’est pour Cache-Cache. Contenu et interface sont imbriqués l’un dans l’autre et difficilement discernables, et cela aussi bien sur un plan conceptuel que visuel, et donc concret. Ce constat est renforcé par le fait que l’interface est un objet graphique – on parle d’ « interface graphique » –, au même titre que le récit de bande dessinée. La relation qui s’instaure entre le récit dessiné et l’interface en est d’autant plus profonde.

Dans ce cadre, la question que nous posons est : comment, par quels moyens, à l’aide de quels outils intellectuels pouvons-nous appréhender la place et le rôle de l’interface dans la bande dessinée numérique ? Et d’abord, qu’est-ce qu’une interface ? Nous aurons à l’évidence besoin d’outils théoriques inexistants dans le champ de la bande dessinée : voilà que nous faisons un saut théorique.

Si jusqu’alors nous avons encore pu utiliser, en l’adaptant, le cadre théorique traditionnel de la bande dessinée, nous sommes désormais contraint d’aller chercher ailleurs. La littérature est abondante en ce qui concerne la question de l’interface. Elle préoccupe aussi bien les artistes que les acteurs impliqués dans la création de jeux vidéo, de logiciels et applications, quelque sle support matériel auquel ils sont destinés (ordinateurs, téléphones, tablettes, bornes interactives, consoles de jeux vidéo, mais aussi GPS, ordinateur de bord de véhicule, contrôle de machines industrielles, etc.) Un métier est né de cette préoccupation : celui du design d’interface ou d’interactivité. Cette double dénomination n’est pas anodine : l’interface détermine les types d’interactivité que l’utilisateur pourra avoir avec la machine ou le programme.

Sans tenter la gageure de dresser un état de l’art complet de cette littérature, nous présenterons divers points de vue sur la question. Ainsi, nous allons nous intéresser à quelques définitions qui ont pu être données du terme « interface », dans le champ de l’art et hors de ce champ. Ces quelques définitions nous semblent claires et suffisamment pertinentes en ce qui concerne leur application au champ de la bande dessinée numérique pour nous autoriser leur appropriation. Nous en vérifierons succinctement la validité auprès de notre corpus.

Rappelons d’abord des définitions courantes. Au sens général, une interface est un « plan ou surface de discontinuité formant une frontière commune à deux domaines aux propriétés différentes et unis par des rapports d’échanges et d’interaction réciproques. »13 Ce sens général se voit décliné selon les domaines dans lesquels le terme est utilisé : technique, chimie, électronique, société. En informatique, elle désigne, entre autres, un « module matériel ou logiciel permettant la communication d’un système avec l’extérieur. » Nous avons vu que le dispositif de la bande dessinée numérique englobait le spectateur. Nous avons pris l’image de deux hémisphères dont la surface de jonction se trouvait sur le plan de l’écran : ce qui se joue sur ce plan est bien l’interface. Elle dessine bien une « frontière commune à deux domaines [entités, pourrions-nous dire] aux propriétés différentes » : l’univers du récit déployé derrière l’écran et le spectateur posté devant l’écran. En termes informatiques, le spectateur, extérieur à la machine, communique via l’interface avec les programmes qu’elle contient – tout aussi imprécis que soit ce terme – et réciproquement.

Dans leur ouvrage Le webdesign, sociale expérience des interfaces web14, Benoît Drouillat et Nicole Pignier proposent deux acceptions de l’interface. L’une est technique, l’autre notionnelle. La première est la suivante :

«

L’interface, rappelons-le, est un dispositif qui se compose de plusieurs niveaux :

- le dispositif matériel de la machine qui permet d’utiliser cette dernière, de la manipuler ; par exemple l’écran, le clavier et la souris d’un ordinateur ;

- le dispositif de commande d’un logiciel qui s’affiche à l’écran de l’ordinateur ;

- l’interface que constitue la "page-écran", autre métaphore spatiale, qui côtoie celles de la

"navigation", de l’ "architecture". »15

13. Cette définition et la suivante : dictionnaire Larousse en ligne, http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/interface/43685, consulté le 17/03/2014.

14. Benoît DroUiLLat, Nicole pignier, Le webdesign : sociale expérience des interfaces web, op. cit.

15. Ibid., p. 33.

Pignier et Drouillat se consacrent en particulier à la troisième entrée : l’interface constituée de la « page-écran ». C’est à partir de celle-ci qu’ils conçoivent également une acception notionnelle de l’interface. Cette dernière devient un « lieu métaphorique »16. Ce glissement d’une acception technique à une acception notionnelle est le point de départ de leurs travaux : destiné principalement aux professionnels de la création d’interfaces, leur ouvrage se donne pour objectif de répertorier les effets de sens produits par les interfaces. Il s’agit, rétroactivement, d’étudier ces effets que les designers d’interfaces, et dans ce cas précis les webdesigners, mettent en place depuis toujours de manière intuitive. Sans être un guide, l’ouvrage peut être une source d’inspiration pour les professionnels, et peut aussi leur permettre de systématiser certaines pratiques ou l’emploi de certaines métaphores dans la construction du « support médiatique » que constitue la page-écran. Cet espace en superpose trois : un « support formel » structurant la mise en page du contenu, un « support matériel » qui, par métaphore, se réfère le plus souvent à des objets, un « support ergodique » qui définit des parcours et manipulations dans l’information17. Aussi, dans son acception technique, l’interface apparaît comme un outil pratique : il s’agit d’un moyen de dialoguer avec la machine ou le programme pour accéder à et parcourir des contenus. Dans son acception notionnelle, elle apparaît comme un espace signifiant qui, au moyen de la métaphore, délivre des messages ou transmet des émotions. L’analyse de Pignier et Drouillat les mènera à parler d’ « ethos » : soit un ensemble de valeurs, « un faire social, une représentation morale et imaginaire »18 que cherchent à faire partager les annonceurs ou éditeurs à travers les interfaces. De nombreuses études de cas leur permettront de dresser une typologie des différentes modalités par lesquelles les interfaces transmettent cet ethos autant qu’elles sont informées par celui-ci.

Nous voyons bien sûr une limite très claire à ces travaux en ce qui concerne notre objet et sa visée artistique. L’ouvrage tend à cristalliser des pratiques qui apparaissaient encore – en 2008 – comme peu normées. Il se présente presque comme un manuel du designer d’interface, nous le disions plus haut, dans les domaines du marketing ou de l’édition. Aussi, si les cas présentés relèvent fréquemment d’interfaces échappant aux conventions, instaurant un dialogue original entre l’utilisateur et le site, leur visée même est discutable. Loin d’une quelconque appropriation critique des interfaces, ces cas particuliers n’ont d’autre objectif que le « coup marketing » à travers l’exceptionnel et la surprise ludique. Malgré ces précautions, ces travaux posent un jalon important pour nous : ils se fondent sur le présupposé que les interfaces font sens, qu’on peut les lire comme on lit un livre. Ce présupposé se

16. Ibid., p. 36.

17. Ibid., pp. 37-38.

18. Ibid., p. 50.

révèle très vite fécond et permet aux auteurs une analyse riche et stimulante des interfaces et des sites web*. Cela vient donc soutenir notre démarche, qui se fonde sur le même présupposé : les interfaces ont un rôle à jouer dans le récit de bande dessinée numérique – sous-entendu : – au-delà du seul aspect fonctionnel. Il reste à déterminer la nature de ce rôle, qui pourrait être d’ordre narratif, poétique, métaphorique, émotionnel, etc.

1.2.1.2. Particularités des « interfaces artistiques »19

Annick Bureaud tient à ce sujet des propos plus radicaux. Elle estime que le rôle non fonctionnel est cantonné aux interfaces artistiques, dont il ferait justement la singularité20. Aussi, face à un

« domaine utilitaire » dans lequel les questions de l’ergonomie et du bon fonctionnement sont les seules qui présideraient à l’élaboration des interfaces, elle peut rappeler que, dans l’art, les interfaces peuvent connaître d’autres modalités et d’autres raisons d’être. Si nous ne sommes pas d’accord avec la première partie de sa proposition – que l’ouvrage de Pignier et Drouillat dément21 – Bureaud apporte un autre éclairage sur la notion d’interface :

«

Dans l’art, l’interface est une relation à l’œuvre, dont la machine et le dispositif technique ne sont qu’un des éléments. La fonctionnalité univoque n’y est pas un impératif. L’ambiguïté, l’apprentissage d’un "mode d’emploi" obscur peuvent être au cœur même de l’œuvre : la recherche des points actifs dans un hypermédia sur cd-rom ou sur Internet fait souvent partie de la construction du parcours narratif. L’ergonomie est bien souvent secondaire quand elle n’est pas délibérément rejetée dans un but de déstabilisation de l’utilisateur. Pour écouter les messages diffusés par de petits hauts parleurs et prendre les décisions adéquates, pour, en fait, appréhender et interagir avec l’œuvre, Piero Gilardi dans son installation Nord versus Sud, oblige le public à se déchausser et à se coucher sur une plate-forme de 65 cm de haut, mue par un système hydraulique et dont l’inclinaison peut atteindre 13 degrés.

Si, dans les pratiques utilitaires, l’interface est un simple moyen d’accès aux machines et aux informations, elle relève, dans l’art, de l’aspect formel de l’œuvre qu’il convient ici de préciser. »22

Bureaud insiste sur le fait qu’une interface peut, en art, avoir un fonctionnement inadéquat ou inattendu, en tout cas potentiellement non opérationnel. C’est le fait que l’interface se montre ainsi déstabilisante qui permet à Bureaud de la redéfinir. Elle n’est plus, dans ce cas, un dispositif technique, mais bel et bien une « relation à l’œuvre ». Nous ne la suivrons pas sur ce point de vocabulaire : pour

19. Annick BUreaUD, « Pour une typologie des interfaces artistiques », OLATS, 1999, http://www.olats.org/livresetudes/etudes/

typInterfacesArt.php, consulté le 17/03/2014.

20. Ibid.

21. Les auteurs montrent bien que le « domaine utilitaire », et même publicitaire, emploie des interfaces qui font sens, au même titre que les « interfaces artistiques ». En sens inverse, nombre d’œuvres utilisent des interfaces strictement utilitaires (pensons par exemple au Turbomédia, dont l’interface permettant d’avancer ou reculer est purement fonctionnelle).

22. Annick Bureaud, « Pour une typologie des interfaces artistiques », op. cit.

nous, l’interface génère différentes modalités de relation à l’œuvre, elle ne désigne pas la relation elle-même. Les interfaces artistiques semblent en tout cas posséder des caractéristiques spécifiques : non seulement celle de pouvoir déstabiliser l’utilisateur plutôt que le conforter dans une utilisation conventionnelle, mais aussi, en conséquence, celle d’imposer des modes d’emploi singuliers et parfois obscurs. On voit ce genre de procédés dans certaines bandes dessinées numériques de Moon Armstrong, par exemple. J’ai moi-même mis en place des interfaces de ce type dans mes réalisations plastiques, notamment Prise de tête. Il restera à voir quelle incidence cette particularité a sur le récit. Enfin, si les interfaces artistiques apparaissent comme des dispositifs singuliers, voire uniques, propres à une seule œuvre, c’est qu’elles appartiennent bien à l’œuvre et ne sont pas de simples moyens d’accès à celle-ci. À ce sujet, elle ajoute :

«

Lors du colloque Expanding The Human Interface, Lev Manovich demandait si, dans l’art électronique, la relation fonds/forme — c’est-à-dire contenu/interface — n’est pas également unique, rejoignant ainsi l’art traditionnel. Selon lui, la distinction entre un produit de design (que nous appelons "utilitaire") et un produit artistique est que, pour le premier, on peut distinguer entre le contenu (les "data") et l’interface tandis que, pour le second, l’interface devrait être totalement déterminée par le contenu. Nous laisserons la question ouverte. »23

Nous avons déjà établi qu’il existait une interdépendance de fait, technique, entre le contenu et l’interface dans la bande dessinée numérique. Nous avons vu aussi que cette interdépendance pouvait être ignorée par l’artiste, et elle l’est le plus souvent en ce qui concerne la bande dessinée numérique. Aussi, la deuxième partie de la proposition ne se vérifie pas dans le corpus : l’interface n’est pas nécessairement – loin s’en faut – déterminée par le contenu. Toutes les œuvres n’ont pas pour interface une « interface artistique » mais peuvent emprunter des interfaces strictement « utilitaires ».

Le corpus et mes propres créations valident cette hypothèse, que Bureaud traduit plus loin dans une typologie « analytique »24.

Elle y distingue quatre types d’interfaces. Les « interfaces "d’accès" à l’œuvre » sont des interfaces conventionnelles, extérieures à l’œuvre. L’interface « préexiste à l’œuvre et définit un

"moule", un format standard dans lequel vient s’inscrire la création ». Typiquement, c’est de ce type d’interface que relève la bande dessinée dynamisée au moyen du ComicComposer ou encore le Turbomédia25. La justice est bovine se fond bien dans un moule. L’ « intégration esthétique d’interface

23. Ibid.

24. Le terme est de Bureaud elle-même, toujours dans le même texte.

25. Il faut redire que si la grammaire développée par Balak et consorts est née en réaction à d’autres moules, à la fois celui de la bande dessinée numérique homothétique et celui du diaporama, elle est devenue par son adoption massive par les auteurs et par le lectorat un nouveau format standard. On peut choisir de couler son récit dans ce moule, s’il répond à nos besoins narratifs, ou non.

usuelle » s’inspire d’objets réels. Bureaud cite aussi bien le vélo de Jeffrey Shaw26 (interface matérielle) que le bandit manchot d’Agnes Hegedüs27. On retrouve le bandit manchot visuellement (interface graphique) mais également à travers l’interface matérielle, par analogie ou métonymie : le joystick rappelle un peu la manette de la machine à sou. Ce type d’interface est très présente dans le jeu vidéo.

Il suffit de penser au viseur d’une arme, auquel il recourt régulièrement. Le module « Un strip, un clic », que j’ai mis au point pour Pierre Feuille Ciseaux et qui intègre justement un viseur, relève de ce type d’interface. Le troisième type est celui des « interfaces conçues pour l’œuvre ». Spécifiques aux œuvres, les exemples que donne Bureaud révèlent néanmoins que ces interfaces peuvent aussi bien être totalement inédites (le mannequin de dessins de Jeffrey Shaw28) qu’utiliser des interfaces déjà existantes, voire conventionnelles, mais cela de façon inédite (le microphone pour La Plume d’Edmont Couchot et Michel Bret29). Aussi, c’est bien dans cette catégorie que se classent Romuald et le tortionnaire et Prise de tête. Dans ce dernier, j’ai ainsi pu mettre au point30 des interfaces inédites, telles que les masques déplaçables du chapitre « Dieux », que convoquer des interfaces existantes, utilisées parfois conventionnellement, parfois de manière inédite, narrative plutôt qu’utilitaire, tels les ascenseurs ou les fenêtres pop-up. Enfin, dernier type, les « interface[s] comme contenu ou sujet de l’œuvre », dont relève le faux blog de DaveDonut.

Finalement, en contredisant cette typologie, la proposition de Bureaud d’une interface

« déterminée par le contenu » a ici valeur de vœu. C’est également ce vœu que je fais, en tant que praticien, concernant la bande dessinée numérique : je prône une totale interdépendance entre l’interface et le contenu et, en conséquence, le bon choix d’interface ou, mieux, la création d’une interface unique pour chaque œuvre. Ce credo peut être formulé ainsi : « choisir une interface adaptée au projet ; si elle n’existe pas, l’inventer. »

«

Enfin, l’art inclut une "fonction utilisateur", c’est-à-dire donne une place singulière au public au sein de l’œuvre alors que les pratiques utilitaires le laissent toujours à l’extérieur du programme. »31

Cette dernière caractéristique est la plus importante. Comme la précédente, le corpus ne vérifie pas sa prédominance : une faible partie des bandes dessinées numériques, même quand elles relèvent d'une pratique critique ou que leur interface est spécialement écrite, donne une telle place au spectateur.

26. Jeffrey shaW, The LegibLeciTy, insTaLLaTioninTeracTive, 1989-1990.

27. Agnes hegeDüs, The Fruit Machine, installation interactive, 1991.

28. Jeffrey shaW, Agnes hegeDüs et Bernd LinterMann, ConFIGURING the CAVE, environnement immersif interactif, 1997, et ReConFIGURING the CAVE, environnement immersif interactif, 2001.

29. Edmond CoUChot et Michel Bret, La plume, installation interactive, 1988.

30. Avec la collaboration de Maxime Jouneau et Sylvère Armange pour la programmation, que je remercie à nouveau ici pour leur précieuse aide et le temps consacré à mes facéties.

31. Annick BUreaUD, « Pour une typologie des interfaces artistiques », op. cit. C’est l’auteur qui souligne.

Nous préférons dire que les interfaces impliquent le spectateur mais que cette implication connaît plusieurs degrés. Nous mesurerons cette implication qui apparaît comme un élément absolument central.

1.2.2. Composition des interfaces

Si l’on synthétise, l’interface est donc constituée du matériel – souris, clavier, écran, etc. – et du module – terme que, comme convenu plus tôt, nous préférons dans ce cas à « dispositif », dont il n’est qu’un élément – graphique qui permet à l’utilisateur d’interagir avec le programme, et donc avec, sur ou dans le récit. Dans nos actuels développements, nous nous intéressons exclusivement à l’interface visuelle ou graphique et laissons l’interface matérielle de côté. Au-delà de son aspect fonctionnel et utilitaire, l’interface graphique engage un jeu de sens et de métaphores, y compris hors du champ de l’art, et donc, potentiellement, encore plus dans le champ de l’art. En ce sens, elle est tout autant moyen technique que contenu : l’interdépendance technique entre le contenu et l’interface, que nous avions relevée auparavant, est doublée, quand l’artiste s’en empare, d’une interdépendance au niveau de l’œuvre elle-même. Enfin, elle permet d’impliquer le spectateur dans l’œuvre : nous faisons l’hypothèse d’une implication à différents degrés.

La typologie d’Annick Bureaud offre une lecture très intéressante de la nature des interfaces.

Toutefois, elle ne prend pas en compte le fait que l’interface fait preuve de duplicité. C’est le constat que font Pignier et Drouillat. Hormis le niveau de l’interface matérielle, que nous laissons de côté ici, ils voient dans l’interface deux niveaux qui appartiennent autant l’un que l’autre à l’interface graphique. Ces deux niveaux sont celui du « dispositif de commande d’un logiciel » et « l’interface que constitue la "page-écran" »32. Ces deux niveaux apparaissent comme une évidence dans la bande dessinée numérique. Que l’on navigue sur une galerie en ligne, sur un blog-bd*, que l’on lise un Turbomédia, un récit qui utilise telle ou telle technologie (Flash*, Javascript*, etc.), cette lecture se fait au sein d’une autre application. Le plus souvent, il s’agit du navigateur web : c’est le cas pour mes propres réalisations. Parfois, une application dédiée, notamment sur tablette – nous pensons en particulier à l’application permettant de télécharger et lire les numéros de la revue numérique Professeur Cyclope en local*. Il y aurait donc une contradiction interne à l’interface, puisqu’elle serait toujours composée au moins d’une partie relevant, dans la typologie de Bureaud, d’une « interface

"d’accès" », et d’une autre partie pouvant relever de n’importe quel des quatre types. Bref, l’interface d’une bande dessinée numérique est susceptible de relever de deux types en même temps. Cette

32. Benoît DroUiLLat, Nicole pignier, Le webdesign : sociale expérience des interfaces web, op. cit., p. 33.