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L’outil informatique et la contrainte de création

2. La contrainte comme stratégie

2.2. Intérêt de la stratégie de la contrainte

2.2.1. La contrainte comme moyen de renouveler les formes

En faisant de la contrainte mon mode de création de bande dessinée numérique, j’ai pu constater, puis confirmer, que cette méthode permettait bel et bien de redonner une place à la technologie au cœur de la production du sens. Les bandes dessinées réalisées avec cette méthode intègrent bien les propriétés de l’outil numérique et ne se limitent pas à les tenir pour un moyen de diffusion de contenus. L’expérience de l’atelier lors de la résidence Pierre Feuille Ciseaux #3 semble attester d’un même résultat. J’avais remis un bref questionnaire aux participants de manière à obtenir un retour sur cet atelier68. À la question « Qu’avez-vous pensé des modules et exercices mis à votre disposition?

Comment les avez-vous abordés (en suivant leur "mode d’emploi" à la lettre? En détournant leurs contraintes?) », Oriane Lassus répond que

«

Les exercices solo étaient plus intéressants à faire, y avait moyen de réfléchir à des petits scénarios qui pouvaient vraiment être servis par les principes mis en place. Personnellement j’ai juste suivi les consignes, j’aurais bien aimé en faire un peu plus et peut-être qu’à la longue ça aurait permis de creuser vraiment les possibilités. »69

Pédagogiquement, l’exercice semble avoir porté ses fruits. Lassus a pu profiter du pouvoir productif de la contrainte et s’emparer du clic (« Un strip, un clic ») comme du défilement (« Toile infinie ») ; et cela malgré certains problèmes posés par la nature et la conception des exercices et que nous verrons plus loin. Si ma pratique et l’expérience menée lors de la résidence semblent valider la

« stratégie de la contrainte » comme moyen de parvenir à s’emparer de l’outil et en faire un moteur du sens, il reste à voir pourquoi et comment la contrainte permet cette appropriation, en quoi réside ce pouvoir productif. Cette question implique une approche théorique élargie, impliquant de définir la contrainte. Nous le ferons en deux temps, en nous demandant d’abord pourquoi (ou « pour quoi ») les artistes emploient la contrainte, et comment elle opère.

2.2.1.1. Pourquoi les artistes font-ils appel à la contrainte ?

Mes protocoles de création, très expérimentaux, impliquent tous la contrainte, cela à différents niveaux : je commencerai donc par expliquer en quoi consiste la contrainte dans ma pratique, et relater la

68. Ont répondu au questionnaire Oriane Lassus et mes trois collègues « moteurs » : Benoît Preteseille, Ibn Al Rabin et LL de Mars. Qu’ils en soient ici remerciés.

69. Je reproduis les extraits des réponses aux questionnaires sous leur forme brute, sans correction.

façon dont elle y est apparue, en ne se présentant d’ailleurs pas comme contrainte au début. La contrainte à laquelle je me soumets réside dans la restriction du matériau : dessin extrêmement minimaliste, histoire muette. Les personnages sont représentés par quatre pictogrammes conventionnels, issus du Code de la Route, figurant respectivement un homme, une femme, un petit garçon et une petite fille. À ceux-ci s’ajoutent les différents animaux peuplant les panneaux routiers, en particulier la vache. Les dialogues eux-mêmes étaient dans un premier temps composés de pictogrammes issus de panneaux routiers. Au fil du temps, j’ai étendu un peu ce matériau, d’abord dans les dialogues : les panneaux routiers ressortissent d’un système bien trop particulier de conventions pour être suffisamment largement compréhensibles. J’ai donc intégré divers éléments dessinés dans les bulles, en plus des signes de ponctuation déjà utilisés auparavant. Le manque de décor s’est aussi fait sentir, et j’ai de plus en plus souvent dessiné de nouveaux éléments, de nouveaux objets (engrenages, maisons, ciel et nuages, etc.) s’ajoutant à ceux déjà présents dans le « lexique » des panneaux routiers (véhicules, falaise, sapins, etc.) Parfois, le travail sur les personnage s’est enrichi et les pictogrammes sont devenus silhouettes. Toutefois, je persiste dans ce que l’on pourrait appeler un « ascétisme » de la représentation, me limitant toujours à des pictogrammes et des formes géométriques simples, laissant le plus souvent toute sa place au vide dans l’image, et excluant toute illusion de profondeur, cette dernière limitation étant renforcée par l’absence totale d’épaisseur des figures. J’ai donc été, dans un premier temps, limité par les pictogrammes présents dans le Code de la Route, puis, dans un second temps, comme je me suis autorisé à inventer de nouveaux pictogrammes, par le choix de me maintenir dans la sobriété du « style panneau ».

Cette contrainte-là innerve mon travail depuis longtemps, mais a précédé mes premiers essais de bande dessinée numérique, et n’est pas apparue dans ma pratique d’emblée comme une contrainte.

Ce dessin ou « style » servait – sert toujours – à compenser mes faiblesses en dessin : ayant des choses à raconter par le dessin, mais n’étant pas prêt à déléguer le dessin à quelqu’un d’autre malgré mes lacunes70, ce procédé est devenu mon moyen de raconter des histoires. Et c’est ici que le retournement se produit : limité comme il l’était, ce procédé de dessin est devenu une contrainte de création. Les histoires que je raconte aujourd’hui sont non seulement adaptées à ce dessin-là, mais elles ne peuvent être pensées, conceptualisées, qu’à travers ces moyens plastiques. Un exemple : l’attention que je

70. Je n’ai délégué que de rares fois, et, encore aujourd’hui, je ne peux m’y résigner : je ne peux dissocier ce que je raconte du moyen utilisé pour le raconter. Or, le dessin est un moyen très personnel et intime : je tiens à dessiner moi-même.

Paradoxalement, car je ne suis pas à un paradoxe près, tout en refusant de déléguer et en souhaitant dessiner moi-même, je n’aime pas dessiner. Plus exactement, la phase de dessin m’ennuie profondément : au-delà de deux ou trois heures de travail sur une planche, je « n’y suis plus », je « perds le fil » de mon récit, ce que je raconte semble se diluer dans le temps de réalisation. Le pictogramme, les techniques de dessin vectoriel et l’utilisation de squelettes copiés-collés de planche en planche depuis la première, me permettent une rapidité et une facilité d’exécution que le dessin conventionnel ne m’autorise pas.

porte aux moments de silence, d’attente immobile, de suspension du temps en général, est directement tributaire de l’aspect hiératique du pictogramme et de la place du vide – un vide d’autant plus fort qu’il est, en ce qui concerne les créations pour écran, d’un blanc lumineux – dans l’image. Autrement dit, la question du temps est devenu, au fil du temps, un de mes sujets récurrents71 uniquement parce que la forte contrainte concernant le dessin y a fait advenir ces questions. Le minimalisme a été un avantage lorsque j’ai réalisé Prise de tête, ma première bande dessinée interactive dans ce « style » – la précédente, Aldwin et Caboche, était dessiné de manière conventionnelle. Il s’est érigé comme hypothèse plastique répondant à la problématique de mon mémoire de Master. Cette hypothèse était qu’en réduisant la bande dessinée numérique à un minimalisme fort, toute la place serait laissée au déploiement de l’interactivité, comme compensation de cette austérité.

Nous en arrivons donc à ma pratique numérique. Celle-ci aussi se place sous l’égide de la contrainte : la plupart du temps, j’ai l’idée des dispositifs interactifs bien avant de savoir ce que je pourrais raconter. Le dispositif interactif se fait contrainte : le récit va se bâtir à l’intérieur de celui-ci. C’est très exactement ce que j’ai pu proposer aux auteurs de Pierre Feuille Ciseaux #3. C’est aussi très exactement un processus de création qui relève d’un mode d’utilisation « producteur » de l’outil numérique, au même sens que Peeters donne à l’ « utilisation productrice » de la planche : le récit est engendré ou se plie au dispositif interactif, comme il est engendré par la composition de la planche dans le concept de Peeters. La forme est première et détermine le contenu qui s’y inscrira. La contrainte me permet donc de mettre l’outil numérique au centre de mes préoccupations et d’en avoir une approche critique.

En entendant la contrainte dans un sens large, tout protocole strict et arbitraire fixé en amont du processus de création peut être assimilé à une forme de contrainte. Nous pensons là aux protocoles utilisés par certains artistes ou mouvements, par exemple le groupe BMPT. Buren, Mosset, Parmentier et Toroni, en définissant chacun un geste « mécanique » et répétitif, visent une peinture pure. Il faut entendre par là une peinture débarrassée de toute trace de l’artiste et de style, de toute trace d’expressivité et, in fine, de toute histoire – nous employons le terme expressément plutôt que

« contenu », pour suggérer en creux l’antithèse absolue de BMPT : la noble peinture d’histoire.

Paradoxalement, les bandes de Buren ou les empreintes de brosse n°50 de Toroni apparaissent, par leur insistance, leur itération systématique, comme de véritables marques de fabrique, signatures des

71. Hormis une ou deux planches, je ne crois pas avoir consacré de récit exclusivement au temps. Par contre, les thématiques liées au temps que j’ai mentionnées (attente, immobilisme, suspension) reviennent dans beaucoup de mes travaux, le temps d’une séquence ou d’un chapitre.

artistes et établissant, finalement, un style. D’une certaine manière, même si cela n’était pas mon but, le pictogramme me permet d’atteindre à une forme de « vérité » de la bande dessinée, en la réduisant à un système formel, une structure, qui me permet de m’intéresser en priorité à « la bande dessinée (numérique) pour elle-même », à ce en quoi elle réside : le rythme pour la bande dessinée en général, l’interactivité pour la bande dessinée numérique. De même, si le dessin vectoriel pouvait tendre dans un premier temps à « anonymiser » mes productions, on peut éventuellement y voir un style, de par sa permanence. BMPT opère une déconstruction de la peinture, la réduisant à sa matérialité la plus pure.

La pratique critique que je revendique n’est pas celle de BMPT. Pour BMPT, la critique de la peinture est une critique sociale, qui aboutit à sa manifestation la plus simple : un pigment apposé sur une toile, toute intention et tout choix de l’artiste étant écartés par le protocole. Ma critique porte sur l’outil et l’engendrement de la forme, mais n’a pas vocation à réduire cette dernière, ni l’œuvre, à leur plus simple expression : ce moment n’est qu’une étape dans le processus de création, dont l’aboutissement est un récit complet. C’est pourquoi nous avons mentionné plus haut Support/Surface : avant les protocoles propres à chacun des membres du groupe (les tampons de Louis Cane, les empreintes de Claude Viallat, etc.), le premier geste de Support/Surface est la décomposition de la peinture, isolant, et leur donnant par-là même leur autonomie, le support et la surface picturale. Comme pour BMPT, le geste de Support/Surface s’arrête à la mise à nu de la peinture. L’aboutissement est donc différent, mais la procédure que j’emploie est similaire : j’isole telle ou telle fonctionnalité de l’outil, telle ou telle convention d’usage, sur laquelle je vais focaliser mon attention et construire du sens, produire un récit.

Quoi qu’il en soit, il y a chez BMPT, chez Support/Surface et chez moi des justifications commune à l’emploi de la contrainte : elle permet, d’une part, une critique, quelque soit le niveau sur lequel porte cette critique, en remettant à plat certaines conventions ou définitions, et, d’autre part, une approche analytique du médium ou de l’outil en distinguant ses différentes composantes.

La stratégie de la contrainte semble donc être la bonne dans la perspective qui m’anime vis-à-vis de l’outil numérique. Et, dans la même optique, les raisons et objectifs de l’emploi de la contrainte par l’Oulipo nous intéressent également : « […] la première vocation oulipienne est sans doute "la recherche de structures nouvelles, qui pourront être utilisées par les écrivains de la façon qui leur plaira" [...] » dit Claude Berge72. Il s’agit de répondre à la question posée dans le premier manifeste de la Littérature Potentielle par François Le Lionnais :

72. Claude Berge, « Pour une analyse potentielle de la littérature combinatoire », in oULipo, Oulipo: la littérature potentielle (Créations Re-créations Récréations), Paris, Gallimard, 1988, p. 45.

«

Toute œuvre littéraire se construit à partir d’une inspiration (c’est du moins ce que son auteur laisse entendre) qui est tenue à s’accommoder tant bien que mal d’une série de contraintes et de procédures qui rentrent les unes dans les autres comme des poupées russes.

Contraintes du vocabulaire et de la grammaire, contrainte des règles du roman (division en chapitre, etc.) ou de la tragédie classique (règle des trois unités, etc.), contraintes de la versification générale, contraintes des formes fixes (comme dans le cas du rondeau ou du sonnet), etc.

Doit-on s’en tenir aux recettes connues et refuser obstinément d’imaginer de nouvelles formules ? »73

La réponse donnée par l’Oulipo est non. De là découle un programme :

«

L’humanité doit-elle se reposer et se contenter, sur des pensers nouveaux de faire des vers antiques ? Nous ne le croyons pas. Ce que certains écrivains ont introduit dans leur manière, avec talent (voire avec génie) mais les uns occasionnellement (forgeages de mots nouveaux), d’autres avec prédilection (contrerimes), d’autres avec insistance mais dans une seule direction (lettrisme), l’Ouvroir de Littérature Potentielle (OuLiPo) entend le faire systématiquement et scientifiquement, et au besoin en recourant aux bons offices des machines à traiter l’information. »74

Il s’agit pour l’Oulipo d’inventer sans cesse de nouvelles structures littéraires, de nouvelles formes poétiques, et de se doter, en conséquence et pour ce faire de nouveaux procédés d’écriture.

C’est un refus de la stabilité qui émane des propos de Le Lionnais : un refus de n’avoir à faire qu’à des formes canoniques. Ce refus fait tout à fait écho à celui que je manifeste face à la standardisation naissante des formats numériques, et ce d’autant plus que ce refus n’a de sens que si les formes produites en contrepartie se multiplient indéfiniment, sans jamais se figer, quitte à ce que leur nombre comme la rareté de leurs applications effectives les tiennent dans l’ombre de la marginalité.

D’ailleurs, l’Oulipo mène deux chantiers, reflétant deux tendances : l’Analyse et la Synthèse. La Synthèse consiste à élaborer de nouvelles structures, ou « formules » pour employer le terme de Le Lionnais. C’est le chantier pratique et prospectif de l’Oulipo : de même, je suis praticien, et me veux inventeur – dans la modestie. L’Analyse consiste à repérer, dans tout texte du passé, des formules oubliées aux possibilités insoupçonnées. Ces formules sont souvent le fait d’écarts des auteurs par rapport aux canons, et sont marginales : nous verrons dans le second grand chapitre de la partie I que la bande dessinée numérique voit aussi ses figures les plus intéressantes engendrées dans l’obscurité de l’exception et dans les pratiques expérimentales ou amateures. Mais il y a plus : si l’Oulipo a pour ambition d’inventer de nouvelles « formules » ou structures littéraires, c’est aussi pour composer des vers nouveaux sur des « pensers nouveaux ». L’Oulipo est ancré dans la contemporanéité – cela

73. François Le Lionnais, « LA LIPO (Le premier manifeste) », in Oulipo, Oulipo: la littérature potentielle (Créations Re-créations RéRe-créations), op. cit., p. 16.

74. Ibid., p. 17.

doit expliquer en partie sa longévité. Ma propre pratique consiste à concevoir des formes du présent, qui répondent aux espaces plastiques encore vierges ouverts par les outils d’aujourd’hui. Là aussi, la stratégie de la contrainte se justifie, et devient même une revendication. Enfin, Le Lionnais suggère de recourir « aux bons offices des machines à traiter l’information. » En 1981, Jacques Roubaud et Paul Braffort fondent l’Atelier de Littérature assistée par la Mathématique et les Ordinateurs, ou ALAMO, comme prolongement de l’Oulipo. Eu égard à notre objet de recherche, nous ne pouvons pas ne pas mentionner cette initiative. Par contre, il faut dire en quoi elle ne nous intéresse que peu. L’ALAMO ne s’occupe que de deux pratiques, qui se recoupent : la combinatoire* et la génération* – plus ou moins automatique ou paramétrable – de textes. Or, il est difficile pour nous de faire des parallèles avec la bande dessinée. En effet, si nous pourrons voir quelques exemples de combinatoires (Strips aléatoires de Libon), la générativité est la grande absente des figures de la bande dessinée numérique, et nous n’en parlerons qu’en termes prospectifs.

Pour en finir avec les raisons de la contrainte, il faut rappeler qu’elles sont multiples, et que nous ne les avons pas toutes mentionnées. Étienne Lécroart les liste : le fortuit, la ré-création (plaisir de tendre les énigmes et de les résoudre), l’évacuation de l’illusion de maîtrise, la stimulation du lecteur, la facétie, l’explosion des règles du genre, le travail collectif75. Dans ma pratique, si toutes ces raisons sont toutes présentes à des degrés divers, la principale reste l’explosion des règles du genre.

2.2.1.2. Comment opère la contrainte ?

Si la « stratégie de la contrainte » semble fonctionner et se justifier notamment en ce qu’elle est employée à des fins semblables dans des champs artistiques différents, comment opère-t-elle ?

Nous avons vu ci-dessus que la contrainte permettait d’isoler telle ou telle fonctionnalité ou convention de l’outil. La contrainte révèle alors son mode de fonctionnement : elle est restrictive, au sens où elle impose certains éléments – formes et structures – au détriment des autres ; en conséquence, elle restreint, du moins en apparence, ce qu’il est possible de faire. Avec la contrainte, la question posée à l’artiste n’est plus « que faire ? » mais « que faire avec ces éléments ? »76 Pour l’Oulipo, il s’agit de systématiser les jeux sur et avec la langue qui ont déjà été pratiqués par nombre d’écrivains de toute époque, et, en somme, de devenir une fabrique de nouveaux jeux, de nouvelles formes littéraires. Principe au cœur de ces jeux, la contrainte permet d’inventer de nouvelles formes, en

75. Étienne LéCroart, « Se compliquer la vie, mode d’emploi », in Boris Eizykman (dir.), Plates bandes à part : esthétique de la bande dessinée, Bruxelles / Le Kremlin-Bicêtre, La Lettre volée, 2012, pp. 167- 184.

76. Benoît BerthoU, Règles et jeux dans les pratiques artistiques du XXè siècle, thèse de doctorat de l’université Paris 10 Nanterre, 2004, p. 138.

proposant de nouvelles structures, plus ou moins rigides, plus ou moins restrictives. La contrainte dessine un nouveau cadre portant atteinte au matériau : la langue. La langue y sera en effet limitée, dans le sens où tout usage – tout « modelage » du matériau « langue » – ne sera pas autorisé dans ce cadre. En imposant une façon de modeler le matériau, la contrainte exclut toute autre façon : le cadre défini par la contrainte peut exclure telle tournure, telle règle grammaticale, telle lettre (exemple du lipogramme), tel mot ou groupe de mots (en imposant l’utilisation arbitraire de certains substantifs, la méthode « S+7 » exclut les autres), etc. Dans le cadre d’une pratique visant à la transgression d’un outil numérique, la contrainte va plus loin : en élisant telle ou telle fonctionnalité de l’outil, elle la transforme en matériau. En ce sens, l’outil devient un des matériaux de l’œuvre. Thomas Mathieu, quand il fait le choix de mettre en exergue le principe de lecture guidée du ComicComposer, ne fait pas que produire un récit adapté à cet outil, parce que moulé dedans, mais fait de cette fonctionnalité un matériau qu’il façonne. Il modèle cette fonctionnalité à sa guise, selon ses besoins, tordant l’usage conventionnel – le saut d’une zone à la zone adjacente devient un saut à travers l’image. Dans le cadre de la pratique critique, la contrainte apparaît donc aussi comme un « état d’esprit » vis-à-vis de l’outil,

proposant de nouvelles structures, plus ou moins rigides, plus ou moins restrictives. La contrainte dessine un nouveau cadre portant atteinte au matériau : la langue. La langue y sera en effet limitée, dans le sens où tout usage – tout « modelage » du matériau « langue » – ne sera pas autorisé dans ce cadre. En imposant une façon de modeler le matériau, la contrainte exclut toute autre façon : le cadre défini par la contrainte peut exclure telle tournure, telle règle grammaticale, telle lettre (exemple du lipogramme), tel mot ou groupe de mots (en imposant l’utilisation arbitraire de certains substantifs, la méthode « S+7 » exclut les autres), etc. Dans le cadre d’une pratique visant à la transgression d’un outil numérique, la contrainte va plus loin : en élisant telle ou telle fonctionnalité de l’outil, elle la transforme en matériau. En ce sens, l’outil devient un des matériaux de l’œuvre. Thomas Mathieu, quand il fait le choix de mettre en exergue le principe de lecture guidée du ComicComposer, ne fait pas que produire un récit adapté à cet outil, parce que moulé dedans, mais fait de cette fonctionnalité un matériau qu’il façonne. Il modèle cette fonctionnalité à sa guise, selon ses besoins, tordant l’usage conventionnel – le saut d’une zone à la zone adjacente devient un saut à travers l’image. Dans le cadre de la pratique critique, la contrainte apparaît donc aussi comme un « état d’esprit » vis-à-vis de l’outil,