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L'interdiction d'éloigner le contenu de l'ordre juridique interne du contenu commandé par la prescription internationale

Chapitre I. L'objet des prescriptions internationales

A. Le délai d'exécution

1) L'interdiction d'éloigner le contenu de l'ordre juridique interne du contenu commandé par la prescription internationale

Dans un premier temps, quelques illustrations de l'éloignement de l'ordre juridique interne du contenu internationalement commandé sont proposées (i). Un éloignement de ce genre est interdit par un petit nombre de conventions internationales (ii).

574 C.J.C.E., Inter-Environnement Wallonie, 18 décembre 1997, aff. C-129/96, § 45 : « [...] les États

membres ne sont pas tenus d'adopter ces mesures [i.e. les mesures de transposition] avant l'expiration du délai de transposition [...] ».

575 C.J.C.E., Inter-Environnement Wallonie, 18 décembre 1997, aff. C-129/96, Rec. p. I-7411,

§ 45. Voir aussi §§ 35-50 et cc. §§ 11-53. Voir aussi : British American Tobacco, 10 décembre 2002, aff. C-491/01, Rec. p. I-11453, cc. § 43. La partie citée de l’arrêt Inter-Environnement Wallonie est reproduit mais elle n’est pas pertinente pour le fond. Rieser, 5 février 2004, aff. C-157/02, Rec. p. I- 1477, §§ 62-69, spéc. § 66 et § 69, cc. §§ 108-118, spéc. §§ 109-110 (sans pertinence dans la situation d’espèce) ; Adeneler, 4 juillet 2006, aff. C-212/04, Rec. p. I-6057, § 121. (idem).

i. Illustrations de l'éloignement

Voyons d'abord deux exemples fictifs. Premier exemple : à la date 1, entre en vigueur une prescription internationale qui commande l'existence d’une règle interne qui interdit la chasse des animaux A, B et C. Cette prescription prévoit un délai d'exécution qui prend fin à la date 2. À la date 1, dans un ordre juridique interne visé par la prescription internationale, il est interdit de chasser les animaux A et B. Pendant le délai d'exécution, le contenu de l'ordre juridique est modifié : désormais, seule la chasse des animaux A est interdite. Initialement, seule la chasse d'une des trois espèces décrites par la prescription internationale n'était pas interdite. Désormais, la chasse de deux de ces trois espèces est interdite : le contenu de l'ordre juridique s'est éloigné du contenu commandé. Dans le deuxième exemple, à la date 1, entre en vigueur une prescription qui commande l’existence d’une règle qui attribue les droits A, B et C pendant 20 ans au titulaire d’un brevet. À cette date, un sujet de droit international visé par la prescription a dans son ordre juridique une règle qui attribue au titulaire d’un brevet les droits A et B pendant une durée de quinze ans. Il existe un fait internationalement illicite si pendant le délai d'exécution le droit interne est modifié de telle sorte qu'il attribue le droit A pendant quinze ans ou encore les droits A et B pendant une durée inférieure à quinze ans.

L'arrêt ATRAL de la C.J.C.E. du 8 mai 2003 contient un exemple d'une aggravation de la non-conformité du contenu du droit interne pendant un délai d'exécution. Une directive entre en vigueur à la date 1. Elle commande, en simplifiant, l’existence d’une règle qui attribue une présomption de conformité aux produits A et B ayant le marquage « CE ». La directive contient un délai d'exécution. À la date 1, dans l’ordre juridique interne en cause, il existe une règle qui interdit la vente du produit A s'il n’a pas reçu une approbation à la suite d'une procédure propre à l'ordre juridique interne. Pendant le délai d'exécution, le droit interne est modifié de telle sorte qu'il est désormais interdit de vendre et le produit A et le produit B qui n'ont pas reçu l'approbation précitée576.

576 C.J.C.E., ATRAL, 8 mai 2003, aff. C-14/02, Rec. p. I-4431, §§ 20-33 et §§ 55-59. Voir

aussi : Stichting, 14 septembre 2006, aff. C-138/05, Rec. p. I-8339, §§ 10-14. D’après une directive, à l'issue d'une période transitoire, il doit exister une interdiction de mettre sur le marché un produit biocide non autorisé et une règle attributive de cette autorisation. Dans l'ordre juridique interne en cause, l’interdiction commandée existe. En revanche, la règle interne permettant d'attribuer l’autorisation ne correspond pas à la règle commandée. Pendant le délai, l’interdiction est

MEUNIER Hugo| Thèse de doctorat | décembre 2012

ii. Étude des conventions internationales

On ne connaît pas beaucoup de conventions internationales qui interdisent formellement d'éloigner le contenu de l'ordre juridique du contenu commandé. Par exemple, d'après l’article 65, § 5, de l’ADPIC de 1994 : « Un Membre qui se prévaut des dispositions des paragraphes 1, 2, 3 ou 4 pour bénéficier d'une période de transition fera en sorte que les modifications apportées à ses lois, réglementations et pratiques pendant cette période n'aient pas pour effet de rendre celles-ci moins compatibles avec les dispositions du présent accord ». Le Membre doit « faire en sorte ». Il s'agit d'une obligation de moyen de moyen au sens du droit civil français. Pour cette raison, il est possible que l'existence d’une règle « moins compatible » pendant le délai d'exécution ne soit pas jugée illicite.

D’après l’Observation générale n° 3 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels sur la nature des obligations des États parties : « […] toute mesure délibérément régressive dans ce domaine doit impérativement être examinée avec le plus grand soin, et pleinement justifiée par référence à la totalité des droits sur lesquels porte le Pacte, et ce en faisant usage de toutes les ressources disponibles »577.

Dans plusieurs observations ultérieures, le Comité a confirmé plus nettement l’existence de cette prescription au sein du Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels, comme par exemple, dans son Observation n° 13 à propos du droit à l'éducation : « Tout laisse supposer que le Pacte n’autorise aucune mesure régressive s’agissant du droit à l’éducation, ni d’ailleurs des autres droits qui y sont énumérés. S’il prend une mesure délibérément régressive, l’État partie considéré doit apporter la preuve qu’il l’a fait après avoir mûrement pesé toutes les autres solutions possibles et qu’elle est pleinement justifiée eu égard à l’ensemble des droits visés dans le Pacte et à l’ensemble des ressources disponibles »578. Dans un premier temps le Comité dit modifiée. Désormais, il est interdit de mettre sur le marché un produit biocide qui n’a pas été autorisé

sauf si le produit a été exempté par le ministre concerné. Autrement dit, désormais, un produit peut

être licitement mis sur le marché sans même avoir à passer une procédure d’autorisation.

577 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale n° 3 : La nature des

obligations des États parties (art. 2, par. 1, du Pacte), 1990, E/1991/23, § 9 (reproduit in

HRI/GEN/1/Rev.9, p. 13).

578 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale n° 13 : Le droit à

l’éducation, (art. 13 du Pacte), 1999, E/C.12/1999/10, § 45 (reproduit in HRI/GEN/1/Rev.9,

p. 76). Voir aussi : Observation générale n° 14 : Le droit au meilleur état de santé susceptible d’être

que toute mesure régressive est interdite. Mais dans un deuxième temps, le Comité prévoit la possibilité de démontrer que la mesure régressive est « pleinement justifiée ».

Comme on a pu le constater, les quelques interdictions d'introduire, pendant la durée du délai d'exécution, une règle plus éloignée du contenu interne internationalement commandé prévoient des exceptions579. La pratique connue est

trop faible pour que les circonstances dans lesquelles cette introduction est licite puissent être identifiées précisément. Devrait être une circonstance de ce genre le fait que la nouvelle règle interne ne menace pas l'exécution en temps et en heure de la prescription internationale qui commande l'existence d'une règle interne. Voici un exemple fictif inspiré des conclusions d'un Avocat général580. Une prescription

internationale adoptée en 1997 commande l'existence, pour le début de l'année 2001, d'une taxe d'un certain montant maximal. En 1997, dans l'ordre juridique d'un État membre, le taux est supérieur au taux commandé. Pour les années 1999 et 2000 uniquement, le taux est encore augmenté pour préparer les pertes de recettes consécutives à l'abaissement du taux à partir de 2001. Pendant le délai d'exécution, l'ampleur de la non-conformité est aggravée mais l'exécution de la prescription internationale qui commande l'existence d'une taxe n'est pas compromise. En effet, l'existence du nouveau régime est temporaire et doit prendre fin avant la fin du délai d'exécution.

p. 93) ; Observation générale n° 15 : Le droit à l’eau (art. 11 et 12 du Pacte), 2002, E/C.12/2002/11, § 19 (reproduit in HRI/GEN/1/Rev.9, p. 115) ; Observation générale n° 17 : Le droit de chacun de

bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur (art. 15 du Pacte), 2005, E/C.12/GC/17, § 27

(reproduit in HRI/GEN/1/Rev.9, p. 144). Plus accessoire : Observation générale n° 4 : Le droit à un

logement suffisant (art. 11, par. 1, du Pacte), 1991, E/1992/23, (reproduit in HRI/GEN/1/Rev.9,

p. 18). Doctrine, Commission internationale de juriste, Les directives de Maastricht relatives aux

violations des droits économiques, sociaux et culturels, 26 janvier 1997, E/C.12/2000/13, art. 14,

§ e. La possibilité d'une exception n'apparait pas. HACHEZ (I.), Le principe de Standstill dans le

droit des droits fondamentaux : une irréversibilité relative, Athènes-Bruxelles-Baden-Baden,

Editions Ant. N. Sakkoulas-Bruylant-Nomos Verlagsgesellschaft, 2008, xxix-693 p., pp. 25-26 et pp. 195-256.

579 Voir aussi pour les directives du droit de l'Union : C.J.C.E., Inter-Environnement Wallonie, 18

décembre 1997, aff. C-129/96, Rec. p. I-7411, cc. § 45 : « [...] l'imposition d'une obligation de « standstill » empêchant les États membres de renforcer les disparités entre les règles nationales et les règles communautaires serait, selon nous, inappropriée en dehors de circonstances spéciales telles que celles qui ont été décrites ci-dessus ».

580 C.J.C.E., Inter-Environnement Wallonie, 18 décembre 1997, aff. C-129/96, Rec. p. I-7411,

MEUNIER Hugo| Thèse de doctorat | décembre 2012

Le sujet de droit international qui viole l'interdiction internationale d'éloigner, pendant la durée du délai d'exécution, son ordre juridique du contenu internationalement commandé doit uniquement retirer la règle responsable de cet éloignement pour mettre fin à la violation du droit international. L'absence de la règle interne décrite par la prescription internationale qui commande l'existence d'une règle interne est illicite à l'expiration du délai uniquement.

En définitive, l'interdiction d'éloigner, pendant la durée du délai d'exécution, l'ordre juridique interne du contenu commandé par une prescription internationale est présente dans quelques conventions internationales. Cette interdiction n'est pas une interdiction absolue, c'est-à-dire qu'elle comprend des exceptions : tout éloignement ne donne pas naissance à un fait internationalement illicite.

2) L'interdiction de prendre des dispositions de nature à compromettre