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Illicéité et annulabilité comme conséquences de l'inobservation d'une habilitation

Chapitre I. La confusion entre pouvoir et devoir

Section 2. Illicéité et annulabilité comme conséquences de l'inobservation d'une habilitation

D'après une partie de la doctrine, on peut dire d'une norme qu'elle fonde la validité d'une règle, qu'elle confère un pouvoir, une compétence, qu'elle habilite à introduire ou à retirer des règles si la règle « contraire » est nulle, annulable ou bien si son édiction est un fait illicite dont la cessation suppose le retrait de la règle. On peut diviser la doctrine selon que cette définition est explicite ou implicite.

D'après KELSEN : « Le fait que la validité d'une norme fonde, d'une manière ou d'une autre, la validité d'une autre norme, constitue le rapport entre une norme " supérieure " et une norme " inférieure ". Une norme est avec une autre norme dans un rapport de norme supérieure à norme inférieure, si la validité de celle-ci est fondée sur la validité de celle-là »223. « La norme d'une catégorie supérieure ne peut p. 67 ; MAREK (K.), « Les rapports entre le droit interne et le droit international à la lumière de la jurisprudence de la Cour permanente de Justice internationale », op. cit., pp. 278-285 ; MOLINIER (J.), « Primauté du droit de l'Union européenne » in POILLOT-PERUZZETTO (S.) et SIMON (D.) (dir.),

Répertoire de droit communautaire, t. 3, Paris, Dalloz, 2011, 22 p. (dernière mise à jour de 2012 disponible sur

le site internet de DALLOZ), pp. 5-7, §§ 19-26 ; ROUSSEAU (Ch.), « Principes de droit international public », op. cit., p. 474. Plus implicitement : STARKE (J. G.), « Monism and Dualism in the Theory of International Law », B.Y.B.I.L., 1936, pp. 66-81, pp. 78-81 ; « The Primacy of International Law »

in ENGEL (S.) (ed.), Law, State, and International Legal Order, Essays in Honor of Hans Kelsen,

Knoxville, The University of Tennessee, 1964, x-365 p., pp. 307-316, passim.

223 Doctrine, KELSEN (H.), Théorie générale des normes (trad. BEAUD (O.) et MALKANI (F.)),

Paris, PUF, 1996, x-604 p., p. 345. Voir aussi : Théorie pure du droit : introduction à la science du

droit, op. cit., p. 123 ; Principles of International Law, op. cit., p. 411 : « A legal order is a dynamic

system of norms. Since, as pointed out, the law regulates its own creation, a norms belongs to a definite national legal order if it is created in a way determined by another – a superior – norms of this order » ; Théorie pure du droit, 2e éd., op. cit., p. 224. ; « Droit et compétence : Remarques

prévoir, pour le cas de la création d'une norme inférieure, qui se trouverait en contradiction avec elle, que deux sortes de réaction : soit la nullité ou l'annulabilité de la norme non-conforme, soit la mise en œuvre d'une sanction contre l'organe responsable de la création de cette norme [...] »224. La nullité ou l'annulabilité et la sanction peuvent se cumuler225. Au contraire, une seule de ces deux conséquences

peut-être applicable, notamment la sanction : « Le fait que la norme supérieure détermine la procédure ou le contenu d'une norme inférieure peut [...] seulement signifier que l'organe qui est l'auteur de la norme inférieure « ne correspondant pas » à la norme supérieure est passible d'une sanction »226. « [...] [T]el est [...] le cas dans

les rapports entre droit international et droit étatique »227. Chez A. ROSS, un disciple

de KELSEN, la norme supérieure apparaît sous la forme d'une « norme de critiques sur la théorie du droit international de Georges Scelle », op. cit., p. 111 : « Une norme est supérieure à une autre si la dernière est créée (ou doit être créée) d'après la disposition de la première et si par conséquent la première – c'est la norme inférieure – trouve la raison de sa validité dans la dernière, dans la norme supérieure ».

224 Doctrine, KELSEN (H.), « Droit et compétence : Remarques critiques sur la théorie du droit

international de Georges Scelle », op. cit., p. 116. Voir aussi : « Les rapports de système entre le droit interne et le droit international public », op. cit., p. 317 : « La contrariété d'une règle de degré inférieur à une règle de degré supérieur donne lieu soit à sa nullité ou à son annulabilité, soit à une sanction contre un organe responsable ». « Théorie générale du droit international public : Problèmes choisis », op. cit., p. 188 : « Cette limitation du domaine de validité des normes d'un degré inférieur par les normes d'un degré supérieur peut se faire de telle sorte que le dépassement des limites ainsi tracées ait l'une des deux conséquences suivantes : la nullité absolue ou relative de la norme qui excède le domaine de validité qui lui a été assigné ou bien une sanction contre l'organe qui a émis la norme dépassant ce domaine de validité ». Théorie pure du droit : introduction à la science du droit,

op. cit., p. 177 ; Théorie pure du droit, 2e éd., op. cit., p. 320 : « [...] la « contrariété à une norme

(Normwidrigkeit) » [...] signifie seulement que la norme inférieure est annulable ou qu'un organe responsable de son édiction est punissable ». « Théorie du droit international public », op. cit., p. 194.

225 Doctrine, « Théorie générale du droit international public : Problèmes choisis », op. cit.,

p. 132 ; Théorie pure du droit, 2e éd., op. cit., p. 271.

226 Doctrine, KELSEN (H.), Principles of International Law, op. cit., p. 422 : « The fact that a higher

norm determines the creation or the content of a lower norm [...] may signify only that the organ which created the lower norm "not corresponding" to the higher norms is liable to a personal sanction ».

227 Doctrine, KELSEN (H.), Théorie pure du droit 2e éd., op. cit., p. 320. Voir aussi : Principles of

International Law, op. cit., p. 423 ; « Sovereignty », op. cit., p. 532. Il semble a priori étrange que

l'on puisse dire d'une norme qu'elle fonde la validité d'une autre norme, si l'inobservation de la première n'a aucune conséquence sur la validité de la seconde. Il y a dans les écrits de KELSEN une réponse à cette objection : si une norme ne prévoit dans le cas de l'édiction d'une norme qui lui est « contraire » qu'une sanction, alors il faut comprendre qu'elle habilite à édicter cette norme : Théorie

pure du droit : Introduction à la science du droit, op. cit., pp. 175-176 ; « Droit et

compétence : Remarques critiques sur la théorie du droit international de Georges Scelle », op. cit., pp. 115-117 ; Théorie pure du droit, 2e éd., op. cit., pp. 270-271 et pp. 320-321: « Il est pareillement

possible que la Constitution qui habilite des organes administratifs à édicter des règlements complémentaires des lois prévoie qu'ils pourront être frappés d'une peine s'ils ont édicté un règlement illégal – sans que le règlement « illégal » doive nécessairement être annulé. [...] [C]ela signifie que l'organe administratif reçoit également le pouvoir d'édicter des règlements « illégaux » [...] » (pp. 270-271) . « Théorie du droit international public », op. cit., pp. 193-195 ; Principles of

International Law, op. cit., pp. 422-423. Pour une critique de cette interprétation dans le cadre des

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compétence » : « Les normes de compétence définissent les conditions nécessaires pour créer une nouvelle norme juridique »228. D'après A. ROSS, l'inobservation d'une norme de compétence peut avoir deux conséquences : la norme « contraire » est annulable ou, plus modestement, son édiction constitue un fait illicite qui engage la responsabilité de son auteur229.

En faveur de ce concept de norme supérieure ou de norme de compétence, on peut citer l'arrêt Simmenthal de la C.J.C.E. : « En vertu du principe de la primauté du droit communautaire, les dispositions du traité et les actes des institutions [...] ont pour effets, dans leurs rapports avec le droit interne des États membres [...]

d'empêcher la formation valable de nouveaux actes législatifs dans la mesure où ils

seraient incompatibles avec des normes communautaires » (italiques ajoutés)230. Dans

cet arrêt, le droit communautaire semble se présenter comme un ensemble de normes fondant la validité du droit des États membres231. Pourtant, une autorité

communautaire n'a pas le pouvoir d'annuler une règle d'un État membre incompatible avec une norme du droit communautaire. D'après la C.J.C.E. : « [...] Si la Cour constate dans un arrêt qu'un acte législatif ou administratif émanant des autorités d'un

228 Doctrine, ROSS (A.), Directives and Norms, London, Routledge & Kegan Paul, 1968, ix-188 p.,

p. 96 : « Rules of competence define what are the necessary conditions for creating a new legal norm ».

229 Doctrine, ROSS (A.), On Law and Justice (trad. DUTTON (M.)), London, Stevens & Sons

Limited, 1958, xi-383 p., p. 51. D'après ROSS, les « véritables normes de compétence » sont celles qui peuvent être reformulées comme des ordres à destination des juges. « This construction is possible if the norms of competence have the effect of voidability [i.e. les juges doivent appliquer les prescriptions qui ont été édictées conformément à la norme de compétence] [...]. The construction is possible also even in the absence of any effect of voidability, if the norms of competence have the effects of responsibility. This means that the courts – perhaps a special court – are directed to order sanctions against the person responsible for excess of competence ». Voir aussi : KOPELMANAS, « Du conflit entre le traité international et la loi interne : Quelques remarques au sujet des rapports du droit interne et du droit international », op. cit., pp. 130-131 et p. 354 : « Lorsqu'un acte juridique émane d'un organe compétent, il existe dans le monde du droit. Si cet acte viole une règle de l'ordre supérieur, il en provoque une réaction sous forme de punition de l'organe ou d'annulation de l'acte » (p. 354). LENAERTS (K.), « L'encadrement par le droit de l'Union européenne des compétences des États membres » in Chemins d'Europe : Mélanges en l'honneur de

JEAN PAUL JACQUÉ, Paris, Dalloz, 2010, xxxii-787 p., pp. 421-442, pp. 422-423. La compétence

est « principe d'attribution » qui correspond à une « perspective constitutionnelle verticale » (p. 422). La C.J.U.E. sanctionne les incompétences « dans le cadre d'arrêts en annulation ou en manquement » (p. 423).

230 C.J.C.E., Simmenthal, 9 mars 1978, aff. 106/77, Rec. p. 629.

231 Voir aussi : C.J.C.E., Commission c. Grand-Duché de Luxembourg et Royaume de Belgique, 13

novembre 1964, aff. 90/63 et 91/63, Rec. p. 1223, p. 1232 : « [...] le traité ne se borne pas à créer des obligations réciproques entre les différents sujets auxquels il s'applique, mais établit un ordre juridique nouveau qui règle les pouvoirs, droits et obligations desdits sujets [...] » (italiques ajoutés).

État membre est contraire au droit communautaire, cet État est obligé [...] aussi bien de rapporter l'acte dont il s'agit que de réparer les effets illicites qu'il a produit »232.

Voyons maintenant la définition implicite de la norme attributive d'une compétence ou d'un pouvoir comme une norme dont l'inobservation a pour conséquence l'annulabilité d'une norme et/ou l'engagement de la responsabilité de son auteur. La doctrine du droit administratif français décrit souvent des normes de compétence ou des normes attribuant des pouvoirs – compétence et pouvoir sont utilisés comme synonymes par cette doctrine –. D'après EISENMANN : « une règle de compétence est une règle qui habilite un certain sujet à faire valablement un certain acte »233. D'après JÈZE : « Déterminer la capacité d'un individu ou la

compétence d'un agent, c'est-à-dire ce que pourra juridiquement vouloir l'individu ou l'agent, dans quelles conditions [...] il devra vouloir pour que la manifestation de sa volonté ait une valeur juridique [etc.] »234. L'observation des normes de compétence

est mise en cause dans le cadre des recours pour excès de pouvoir. Si le juge constate que la norme de compétence n'a pas été observée, il annule la règle édictée, voire constate son inexistence235.

La doctrine de droit international décrit également des normes internationales de compétence visant les actes juridiques des États. D'après le Dictionnaire Salmon, la compétence est l'« ensemble des pouvoirs reconnus ou conférés par le droit international à un sujet de droit [...] les rendant aptes à remplir des fonctions

232 C.J.C.E., Humblet, 16 décembre 1960, aff. 6/60, Rec. p. 1125, p. 1146 (interprétation du traité

CECA).

233 Doctrine, EISENMANN (Ch.), Cours de droit administratif, t. 2, op. cit., p. 239.

234 Doctrine, JÈZE (G.), Les principes généraux du droit administratif, 3e éd., t. 1 : La technique

juridique du droit public français, op. cit., p. 7. Et aussi : « Essai de théorie générale de la

compétence pour l'accomplissement des actes juridiques en droit public français », R.D.P., 1923, pp. 58-76, p. 58 : « En droit public, la première condition pour qu'un acte juridique produise ses effets juridiques est que l'agent public soit compétent pour accomplir l'acte [...]. La compétence de l'agent public et la capacité du particulier ont manifestement la même nature juridique : la compétence et la capacité sont des situations juridiques générales, impersonnelles, consistant dans le

pouvoir légal de faire des actes juridiques » (les italiques ne sont pas ajoutés). Voir aussi, par

exemple : WALINE (J.), Droit administratif, 23e éd., Paris, Dalloz, 2010, xix-728 p., p. 396.

235 Doctrine, UBAUD-BERGERON (M.), « L'incompétence » in La compétence : Actes du colloque

organisé les 12 et 13 juin 2008 par l'Association française pour la recherche en droit administratif à la faculté de droit, sciences économiques et gestion de Nancy, Paris, Litec, 2008, xiv-272 p., pp. 145-

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déterminées et à accomplir les actes juridiques qui en découlent »236. D'après BOURQUIN : « Quand elle [i.e. la Constitution] édicte des règles de forme ou de fond que le Parlement devra respecter en faisant les lois, elle règlemente l'exercice de sa compétence »237. « L'ordre juridique international [...] soumet également leur exercice [i.e. celui des compétences] à certaines règles de fond, voire de forme »238.

D'après SCELLE : « On appelle compétence le pouvoir conféré aux individus

membres de la société d'émettre des actes de volonté qui se réaliseront dans le milieu social » (les italiques ne sont pas ajoutés)239. « L'État est un ordre juridique

immédiatement subordonné à l'ordre juridique international [...] et dont les gouvernants disposent de la compétence majeure telle que le Droit international l'établit »240. Pourtant, contrairement à l'inobservation des normes de compétence

internes, l'inobservation des normes internationales de compétence ne donne pas lieu à une annulation par une autorité internationale de la norme interne édictée par un État incompétent. Autrement dit, l'absence d'annulabilité d'une règle interne « contraire » à une norme internationale n'empêche pas une partie de la doctrine de définir cette dernière comme une norme de compétence.

236 Doctrine, SALMON (J.) (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant et

AUF, 2001, 1198 p., p. 210. Même page : « La compétence législative s'entend du pouvoir de l'État d'édicter des normes juridiques d'application générale ou limitée » (citation d'un projet de résolution de l'Institut de droit international). Voir aussi : Dictionnaire de la terminologie du droit international, Paris, Sirey, 1960, xv-756 p., p. 132 : « Compétence : Pouvoir juridique conféré ou reconnu par le droit international à un État [...] de prendre une décision, de faire un acte [...] ».

237 Doctrine, BOURQUIN (M.), « Règles générales du droit de la paix », op. cit., p. 101. 238 Doctrine, BOURQUIN (M.), « Règles générales du droit de la paix », op. cit., p. 135.

239 Doctrine, SCELLE (G.), Précis de droit des gens : Principes et systématique, première partie,

Introduction, Le milieu intersocial, Paris, Sirey, 1932, xv-312 p., pp. 7-8 (réedité chez Dalloz en

2008, même pagination).

240 Doctrine, SCELLE (G.), Manuel de droit international public, Paris, Domat-Montchrestien, 1948,

1008 p., p. 104 (souligné dans l'original). Et aussi : « Règles générales du droit de la paix »,

R.C.A.D.I., 1933-IV, t. 46, pp. 331-703, p. 564. Voir aussi : STARKE (J.G.), « The Primacy of

International Law », op. cit., pp. 314-316 ; REISMAN (W.M.), ARSANJANI (M.H.), WIESSENER (S.) et al., International Law in Contemporary Perspective, New York, Thompson West, 2004, lvii- 1585 p., p. 1381. La septième et dernière partie de ce manuel a pour titre : « Jurisdiction : allocations of Competence [par le droit international] to make and apply Law ». Par ailleurs, on sait que le « transfert de compétence de l'État » ou « la répartition des compétences » apparaît fréquemment dans la doctrine du droit de l'Union bien que la compétence soit rattachée par cette doctrine - en tout cas une partie d'entre elle - à la validité des actes juridiques : CONSTANTINESCO (V.),

Compétences et pouvoirs dans les Communautés européennes : contribution à l'étude de la nature juridique des Communautés, Paris, L.G.D.J., 1974, xvii-492 p., passim et notamment

p. 78 : « L'exercice de la compétence débouche nécessairement sur la création d'actes juridiques car la fonction de la règle de compétence est d'habiliter un titulaire à agir, donc à modifier par les actes juridiques l'ordonnancement juridique » ; ISAAC (G.) et BLANQUET (M.), Droit général de l'Union

En conclusion, il est courant que l'illicéité de l'édiction d'une règle interne et son annulabilité soient imputées à une seule norme décrite tantôt comme une prescription, et tantôt comme une habilitation. Dans le premier cas, on dira qu'il est interdit à telle personne d'édicter telle règle. Dans le deuxième cas, on dira que telle personne n'est pas habilitée à édicter telle règle, qu'elle n'est pas compétente pour introduire telle règle, qu'elle n'a pas le pouvoir de le faire. De ce fait, on doit s'attendre à ce que ces deux normes soient souvent employées comme synonymes. Voici, en effet, trois d'exemples.

D'abord, comme on a pu le constater, la doctrine décrit les normes appliquées dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir comme des interdictions de légiférer241. Ensuite, dans son arrêt Alitalia du 3 février 1989 le Conseil d'État

français pose que « les autorités nationales » « [...] ne peuvent légalement [...] édicter des dispositions réglementaires qui seraient contraires à ses objectifs [i.e. ceux de la directive] » (italiques ajoutés). La terminologie est celle du pouvoir. Néanmoins, d'après le professeur ALBERTON, le Conseil d'État a introduit une « interdiction d'adopter des actes contraires au droit communautaire » (italiques ajoutés)242. « La

répression de l'interdiction [...] s'avère relativement simple. Elle consiste en effet en l'annulation de la mesure [...] »243. L'arrêt du Lotus de la C.P.J.I. est le troisième exemple. L'instrument international appliqué par la C.P.J.I. se présente comme une norme de compétence : « En toutes matières [...], les questions de compétence judiciaire seront, dans les rapports entre la Turquie et les autres Puissances contractantes, réglées conformément aux principes du droit international »244. Certaines parties de l'arrêt semblent en effet décrire le droit international en cause comme tel : « [...] si [...] on trouvait que [...] la compétence de l'État de pavillon n'est pas consacrée comme exclusive par le droit international pour le cas d'abordage en haute mer, il ne serait pas nécessaire [etc.] »245. D'après le professeur CAHIN,

241 Voir supra p. 54 et s..

242 Doctrine, ALBERTON (G.), « L’applicabilité des normes communautaires en droit interne. Les

autorités administratives françaises : obligations de faire et de ne pas faire », op. cit., p. 6.

243 Doctrine, ALBERTON (G.), « L’applicabilité des normes communautaires en droit interne. Les

autorités administratives françaises : obligations de faire et de ne pas faire », op. cit., p. 8.

244 C.P.J.I., Affaire du « Lotus » (France c. Turquie), arrêt, 7 septembre 1927, Rec. série A, n° 10,

p. 4, p. 16.

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les « [...] motifs [de cet arrêt] posent les principes continuant [...] de régir la constitution des compétences internationales de l'État »246. Pourtant, les passages les plus connus du Lotus utilisent la terminologie de l'interdiction ou de son absence (i.e. permission ou liberté). Par exemple : « Loin de défendre d'une manière générale aux États d'étendre leurs lois et leur juridiction à des personnes, des biens et des actes hors du territoire, il leur laisse, à cet égard, une large liberté, qui n'est limitée que dans quelques cas par des règles prohibitives [...] » (italiques ajoutés)247. « Y a-t-il

dans le droit international général [...] une règle qui défende à la Turquie d'exercer des poursuites pénales [...] ? » (italiques ajoutés)248.

En définitive, en principe, l'illicéité de l'édiction d'une règle interne et son annulabilité sont imputées à l'inobservation d'une seule et même norme qui se présente tantôt comme une prescription et tantôt comme une norme attributive d'un pouvoir. Pourtant, plusieurs théoriciens ont démontré, de façon convaincante, que ces deux normes étaient différentes.

p. 4, p. 21.

246 Doctrine, CAHIN (G.), « La notion de compétence internationale de l'État : Rapport » in S.F.D.I.,

Les compétences de l'État en droit international : colloque de Rennes, Paris, Pedone, 2006, 320 p.,

pp. 9-52, p. 33.

247 C.P.J.I., Affaire du « Lotus » (France c. Turquie), arrêt, 7 septembre 1927, Rec. série A, n° 10,

p. 4, p. 19. Voir aussi l'ensemble de cette page.

248 C.P.J.I., Affaire du « Lotus » (France c. Turquie), arrêt, 7 septembre 1927, Rec. série A, n° 10,

p. 4, p. 22. Voir aussi, par exemple : AMSELEK (P.), « Réflexions critiques autour de la conception kelsénienne de l'ordre juridique », R.D.P., 1978, pp. 5-19, pp. 13-15 ; CONSTANTINESCO (V.),

Compétences et pouvoirs dans les Communautés européennes : contribution à l'étude de la nature juridique des Communautés, op. cit., p. 74 et p. 78.