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C. Les acteurs et les lieux de la médiation culturelle

1. Les institutions culturelles

Les institutions culturelles constituent le cadre le plus important du développement des activités de médiation culturelle, à la fois par leur pouvoir normatif et parce qu’elles constituent les principaux employeurs des médiateurs culturels. On regroupe ici sous le terme d’institutions culturelles l’ensemble des établissements et des organismes qui œuvrent à la production et la diffusion des objets culturels et dont le fonctionnement (administratif et financier) est assuré par l’Etat (par le biais du ministère de la Culture, et éventuellement d’autres ministères) ou par les collectivités territoriales382.

Les institutions sous tutelle du ministère de la Culture et de la Communication sont dans l’obligation de suivre les grandes lignes d’orientation de la politique culturelle du gouvernement et de contribuer, entre autres objectifs, à la démocratisation de l’accès aux arts et à la culture. Ce projet est régulièrement rappelé dans des textes officiels, directives ou chartes adressés aux institutions culturelles. Ainsi la loi sur les musées de France du 4 janvier 2002 mentionne-t-elle explicitement l’obligation pour les musées qui recevraient le sigle « musées de France » de satisfaire à des missions de démocratisation et de diffusion de l’accès aux œuvres383. Sur le même principe, la « Charte des missions de service public pour le spectacle vivant » adressée par le ministère de la Culture en juillet 1998 à l’ensemble des établissements de spectacle vivant insistait-elle sur la « responsabilité sociale » des organismes et rappelait-elle la nécessité de « modifier les comportements dans cette partie largement majoritaire de la

382 Dans ce champ extrêmement varié, nous appellerons « grandes » les institutions qui sont dotées de

moyens humains et financiers relativement plus importants que les autres. Pour ce qui nous intéresse, l’usage du qualificatif « grande » permet simplement de distinguer les institutions dotées de services de publics composés de plusieurs agents (et non pas de un ou deux membres seulement). A titre indicatif, l’enquête d’Aurélie Peyrin sur les données quantitatives fournies par les musées de France établit que la moitié des musées de France (223 sur 428) disposent d’un service de public, et que 21% des musées de France (soit 90 musées) disposent d’un service des publics composés d’au moins 3 personnes. « Lorsque la taille du service des publics augmente, la part de l’effectif consacré aux postes de médiateurs tend à diminuer au profit du support technique et du poste de responsable de service », PEYRIN Aurélie, Faire

profession de la démocratisation culturelle, op. cit., p. 88.

383 Loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France parue au journal officiel n°4 du 5

janvier 2002. L’article 2 de la loi définit les quatre « missions permanentes » des musées de France dont deux relèvent du projet de démocratisation (« rendre leurs collections accessibles au public le plus large », et « concevoir et mettre en œuvre des actions d'éducation et de diffusion visant à assurer l'égal accès de tous à la culture »). L’article 7 de cette loi est entièrement consacré à la définition des moyens nécessaires à la mise en œuvre de ce projet et porte sur la tarification d’une part et l’action des services de publics d’autre part : « Les droits d'entrée des musées de France sont fixés de manière à favoriser leur accès au public le plus large. (...) Chaque musée de France dispose d'un service ayant en charge les actions d'accueil des publics, de diffusion, d'animation et de médiation culturelle. Ces actions sont assurées par des personnels qualifiés. Le cas échéant, ce service peut être commun à plusieurs musées ».

173 population qui n’a pas pour habitude la fréquentation volontaire des œuvres d’art »384.

Par sa dimension normative – « modifier les comportements » – ce projet est trop ambitieux pour ne pas faire l’objet d’appropriations variées, parfois distanciées et relativistes, et ce d’autant plus que dans les institutions, et notamment dans les établissements de spectacle vivant, les services de publics se sont également constitués sur des missions de fidélisation du public, de promotion et de vente des spectacles. Néanmoins si le métier de « relations publiques » s’est construit de façon souvent ambivalente sur le caractère complémentaire et potentiellement concurrentiel de ces missions, c’est bien le projet de démocratisation, tel qu’il fut formulé et retravaillé par les différentes administrations de la culture, qui constitue le cadre normatif de développement des services de publics et des services de médiation.

Il faut souligner à cet égard le pouvoir singulier de quelques institutions célèbres, perçues comme emblématiques d’une certaine façon d’envisager les politiques de publics et le projet de démocratisation. Ainsi le Théâtre National Populaire de Jean Vilar, le Festival d’Avignon et le centre Georges Pompidou dans leurs premières années – respectivement dans les années 1950 et 1970 – font figure de référence dans l’histoire des politiques de publics385. Plus récemment, le Palais de Tokyo ou le MacVal ont tenté de mettre en avant la singularité et le caractère novateur de leurs actions de « médiation ». Le cadre général défini par les directives ministérielles n’a interdit ni le développement de cultures institutionnelles fortes, ni la construction d’histoires singulières. La prégnance de ce modèle institutionnel a une fonction normative dans le travail des médiateurs culturels, contraints de se couler partiellement dans des habitudes institutionnelles et de se positionner face à ces dernières. Certains trouvent dans la culture des institutions qui les emploient – du moins telles qu’ils se les représentent – la réalisation d’un idéal d’action qui les motive, légitime leur action et leur investissement dans le travail (c’était le cas, par exemple, des médiateurs de la Villette). D’autres tiennent à se distinguer des habitudes de travail de leurs institutions, et adoptent des stratégies d’infléchissement sur le long terme des modes d’organisation ou de réflexion

384 « La responsabilité sociale s’exerce, au-delà des relations que chaque organisme entretient avec le

public le plus fidèle, par tous les modes d’action susceptibles de modifier les comportements dans cette partie largement majoritaire de la population qui n’a pas pour habitude la fréquentation volontaire des œuvres d’art. (…) La sensibilisation, dans le cadre de l’éducation, de nouvelles classes d’âge aux réalités de la pratique et de l’offre artistique doit être une priorité stratégique. (…) Elle doit être une composante régulière et prioritaire de l’activité des institutions, au plus près de leur projet artistique », extrait de la « Charte des missions de service public pour le spectacle vivant », ministère de la Culture et de la Communication, juillet 1998.

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des actions. Plus fréquemment encore, les médiateurs culturels manifestent la volonté de se distinguer d’un « légitimisme » dont ils ont accepté qu’il constitue le défaut ordinaire des politiques de démocratisation des grandes institutions culturelles386.

Les institutions culturelles ont ainsi tendance à fonctionner, dans le domaine des politiques de publics et des actions de médiation, comme des références qui structurent le développement de la médiation culturelle. Leurs fonctions normatives sont d’ailleurs relayées par d’autres types d’acteurs. Certaines collectivités territoriales ont commencé à développer des actions de médiation qu’elles mènent en leur nom propre, parallèlement à une contribution financière au projet de démocratisation de la culture387. Des structures culturelles privées se sont dotées, lorsqu’elles en avaient les moyens ou qu’elles pouvaient le corréler à l’obtention de subventions particulières, de services de médiation similaires à ceux que l’on peut trouver dans des structures publiques388.

Les acteurs de la médiation culturelle employés par les institutions peuvent avoir presque tous les noms disponibles dans ce champ professionnel. Dans le secteur des musées, on parle de services des publics ou de service de médiation : les agents qui y travaillent peuvent être des « chargés de public » spécialisés, des « chargés d’actions éducatives » ou « d’action culturelle », des « chargés de médiation », plus simplement des « médiateurs » (ou encore des « accompagnateurs-médiateurs », au MacVal), des « conférenciers », des « intervenants ». Les mêmes appellations sont à l’œuvre dans le secteur du cinéma (à la cinémathèque par exemple, il y a une responsable des relations avec les publics, un responsable de l’action culturelle, et une responsable des actions éducatives), tandis que le secteur du spectacle vivant s’est globalement peu approprié le terme de « médiation » : on y trouve plus fréquemment des services de « relations avec le public » et des « chargés de relations publiques », plus souvent appelés par abréviation « RP ». Dans ce secteur, l’adoption d’un nouveau nom – comme « chargé de médiation » au Centre National de la Danse, ou de façon plus significative encore, comme « chargé du liens aux gens » au théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis 389 – est

386 Ainsi lors de la présentation de la « Charte de la médiation culturelle » à la Villette en janvier 2008,

une médiatrice tenait à préciser que ce « n’était pas parce qu’on travaillait dans les musées qu’on avait une vision d’en haut de la culture » et que la vision de la culture proposée par la Charte, était issue « d’une pratique du terrain et d’un travail avec le public ».

387 Par exemple le dispositif « Chèque culture » mis en place par la Région Ile-de-France offre à des

classes de lycées, en plus d’une tarification privilégiée auprès de certaines institutions culturelles, la possibilité de participer à des ateliers, des rencontres, des visites guidées etc.

388 Notamment dans la proposition d’activités et d’ateliers pour les enfants. Cf. par exemple les

propositions de la Fondation Cartier, offre présentée sur le site : http://fondation.cartier.com

175 toujours la marque d’une volonté de rééquilibrer les missions des services de publics au profit du projet de démocratisation.

Le champ institutionnel des politiques publiques de la culture se présente comme relativement cloisonné. Si les différents secteurs disciplinaires des institutions culturelles ont en commun un certain nombre de problématiques, ils ont tendance à développer des réponses particulières, locales et spécifiques à leur champ. Dans le secteur de la médiation, on voit apparaître des tentatives de regroupement et de mutualisation des réflexions sur les pratiques au sein de chaque secteur artistique (Beaux-arts, spectacle vivant, cinéma et audiovisuel etc.) : les propositions de rassemblement interdisciplinaires demeurent rares, pour le moment du moins, et peu fructueuses. En revanche, les actions de médiation proposées par les institutions culturelles se mènent souvent sur des territoires conjoints à ceux de l’éducation artistique en milieu scolaire, du travail social et incluent de plus en plus fréquemment un partenariat avec des associations issues des mouvements d’éducation populaire.

Comme le tableau de présentation des entretiens le montre, la majorité des médiateurs interviewés dans le cadre de cette recherche sont employés par des institutions culturelles (le Centre Georges Pompidou, le Festival d’automne, le Palais de Tokyo, le musée du Louvre, le MacVal, la Cinémathèque, la Halle Saint-Pierre, le Centre National de la Danse, le Parc de la Grande Halle de la Villette, les Rencontres Chorégraphiques de Seine-Saint-Denis, l’Opéra de Paris, le théâtre de l’Odéon, de la Commune, de Chaillot, la Comédie Française, et le théâtre de l’Est Parisien).

Les médiateurs employés par les institutions culturelles sont les seuls dont nous puissions établir a priori que les actions de médiation qu’ils développent s’inscrivent dans le cadre de leur activité professionnelle. Dans les autres champs que nous allons évoqués maintenant, la question est moins simple : la médiation culturelle peut faire l’objet d’un engagement bénévole de plus ou moins longue durée, qui peut occuper les bénévoles à plein temps (comme les animateurs CEMÉA en Avignon le temps d’un Festival) ou très ponctuellement (comme pour la « responsable culture » du Secours Populaire sur Paris), ou être initiée dans le cadre d’une activité professionnelle tout en demandant un investissement temporel supplémentaire et non rémunéré (cela peut être le cas, pour les enseignants, mais parfois aussi pour les intervenants et les artistes qui animent les projets d’éducation artistique à l’école, c’est également souvent le cas des projets culturels initiés dans le secteur du travail social par des animateurs, directeurs de centre etc.).

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