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Médiateurs et dispositifs de médiation culturelle : contribution à l'établissement d'une grammaire d'action de la démocratisation de la culture

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Academic year: 2021

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Médiateurs et dispositifs de médiation culturelle :

contribution à l’établissement d’une grammaire d’action

de la démocratisation de la culture

Nathalie Montoya

To cite this version:

Nathalie Montoya. Médiateurs et dispositifs de médiation culturelle : contribution à l’établissement d’une grammaire d’action de la démocratisation de la culture. Sociologie. Université de la Sorbonne nouvelle - Paris III, 2009. Français. �NNT : 2009PA030002�. �tel-01342257�

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Ecole doctorale ASSIC n°267

U.M.R. 8070 CERLIS CNRS – Paris III – Paris Descartes 45 rue des Saint Pères – 75 006 Paris

THÈSE

pour l’obtention du doctorat

Discipline : Sociologie

Titre :

MÉDIATEURS ET DISPOSITIFS DE MÉDIATION CULTURELLE

CONTRIBUTION A L’ÉTABLISSEMENT D’UNE GRAMMAIRE

D’ACTION DE LA DÉMOCRATISATION DE LA CULTURE

Présentée et soutenue publiquement par

Nathalie MONTOYA

le 13 janvier 2009

Directeur de thèse :

M. Bruno PÉQUIGNOT, Professeur des Universités, Université de Paris III

JURY :

M. Emmanuel WALLON, Professeur des universités, Université de Paris X, M. Laurent FLEURY, Professeur des universités, Université de Paris VII,

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Remerciements

« La gratitude est bien ce motif qui nous incite intérieurement à répondre au bienfait lorsqu’il n’est pas question de nécessité objective. Et le bienfait n’est pas seulement un don matériel d’une personne à une autre : nous avons de la gratitude envers l’artiste et le poète qui ne nous connaissent pas, et ce fait crée un nombre infini de liens idéels et concrets, plus ou moins étroits, entre ceux qui éprouvent cette gratitude envers le même donateur. Bien plus, notre gratitude ne va pas seulement à ce que quelqu’un fait : seul ce concept permet de définir le sentiment avec lequel nous réagissons souvent à la simple existence de personnes ; nous leur sommes reconnaissants d’être simplement là, d’être entré dans notre vie. Et les relations les plus fines et les plus solides se rattachent souvent à ce sentiment indépendant de tout don particulier, qui offre justement toute notre personnalité à l’autre, comme par une dette de gratitude, parce que cette dette va aussi à l’ensemble de sa personnalité ». SIMMEL Georg, « Excursus sur la fidélité et la gratitude », in Sociologie.

Etudes sur les formes de la socialisation (1908), PUF, Paris, 1999.

C’est avec une grande joie que je signe ici une longue reconnaissance de dettes, et que j’exprime ma gratitude à l’ensemble des personnes dont la présence a permis à cette thèse de s’achever.

Mes remerciements vont en premier lieu à Bruno Péquignot qui a dirigé cette thèse avec une générosité et une ouverture d’esprit stimulante. L’infaillibilité de sa bienveillance et de sa disponibilité tout au long de ces années a été pour moi un objet d’admiration et une source d’encouragements sans cesse renouvelés. Outre les conseils du directeur de recherche avisé, j’ai pu bénéficier de sa grande connaissance des acteurs de la médiation culturelle qu’il contribue à former, à l’université, aux plaisirs et aux difficultés du raisonnement sociologique.

Ma gratitude va en second lieu à Laurent Fleury qui a orienté la formation des premiers questionnements de ce travail et encouragé l’émergence d’un désir de recherche et d’une envie d’apprendre – à lire, à écrire, à « comprendre et expliquer ». Cette thèse doit beaucoup à sa présence, à ses remarques sensibles et généreuses, à l’originalité, féconde pour la pensée, du regard qu’il porte sur les institutions culturelles et les politiques de démocratisation de la culture, ainsi qu’aux qualités propres de son écriture, soucieuse de réfléchir la complexité des formes et des places que prennent parfois, dans nos vies, les œuvres d’art.

Je tiens à remercier également Marie-Madeleine Mervant-Roux qui m’a permis de me confronter pour la première fois aux bonheurs imparfaits de l’enquête anthropologique en milieu théâtral. Une partie des questionnements qui ont présidé au début de cette thèse sont issues des réflexions menées durant un DEA d’études théâtrales réalisé sous sa direction, sensible, exigeante et stimulante.

C’est avec une grande joie que je remercie Serge Chaumier et Claude Patriat, qui m’ont accueillie chaleureusement comme ATER à l’I.U.P. Denis Diderot de Dijon, et m’ont permis d’enseigner dans un lieu où l’action culturelle fait l’objet d’un apprentissage tout à la fois vivant, riche, militant et joyeux.

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Je remercie les nombreux chercheurs et enseignants qui m’ont permis durant ces années de thèse d’assister à leur séminaire et d’y forger des lignes d’analyse et de compréhension de mon objet : Antoine Hennion et Luc Boltanski mais également les nombreux autres sociologues ou philosophes des universités et de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales qui ont permis que je me fasse, de façon ponctuelle mais précieuse, la passagère clandestine de leurs cours et de leurs enseignements. A cet égard les colloques et les journées de rencontres organisés par le GDR Opus ont été des occasions fructueuses de rencontres et de mises à l’épreuve de mes hypothèses – que les différents organisateurs de ces journées en soient remerciés.

Il me faut également rappeler que la volonté de comprendre, la curiosité pour les objets d’art et de culture et le goût (parfois malmené) des mots qui ont présidé à l’écriture de cette thèse ont été forgés bien avant le début de cette recherche, sur les bancs des écoles, des collèges, des lycées et des universités, où nombre d’enseignants se sont faits les passeurs d’un désir de comprendre, « porteurs d’éthiques » et médiateurs d’un rapport au monde dans lesquels la connaissance et la culture occupaient une place centrale. Je suis heureuse d’avoir une occasion de leur exprimer ici ma gratitude et ma reconnaissance.

Cette thèse est évidemment le reflet, nécessairement incomplet, des différents terrains sur lesquels il me fut permis d’enquêter.

A ceux qui ont bien voulu m’accueillir, et qui ont accepté d’être observés et interrogés, va toute ma gratitude et la reconnaissance de tout ce que ce travail leur doit. Merci en particulier aux médiateurs, aux chargés de relations avec le public et aux responsables associatifs que sont Jean-Noël Bruguière aux CEMÉA à Avignon, Nicolas Wagner et Anne Chéneau du Parc de la Villette, Edgar Garcia de Chroma-Zebrock, Elizabeth Pelon du Théâtre de l’Odéon, Véronique Boursier d’Enfances au Cinéma, Olivier Demay des Enfants de cinéma, Cyril Seassau de la Ligue de l’Enseignement, Pascale Tabbart du Festival d’Automne. Ce travail rend hommage également à la mémoire de Jean Benezech, décédé en mai 2007, qui a œuvré tout au long de sa vie professionnelle au sein du Ministère de l’Education Nationale pour le développement de l’éducation artistique à l’école et qui m’avait accueillie très chaleureusement sur le dispositif « Devenir spectateur » en Avignon.

Je remercie les nombreux professeurs des écoles, des collèges et des lycées qui ont bien voulu répondre à mes nombreuses questions et accepté ma présence dans leur classe et lors de leurs sorties.

Merci aux participants anonymes, spectateurs, auditeurs, visiteurs et élèves, membres provisoires des publics éphémères des actions de médiation, qui m’ont fait part de leurs regards sur ces dispositifs et de leurs expériences de spectateurs, de visiteurs ou d’amateurs.

Ma gratitude va également à ceux qui ont bien voulu relire une partie de cette thèse et qui m’ont fait profiter de leurs remarques et de leurs conseils. Merci à Frédéric Chateigner pour ses commentaires judicieux, et pour avoir manifesté à l’égard de ce travail une distance critique salutaire; merci à Aurélie Peyrin pour ses recommandations et pour les précisions qu’elle a apporté à ce travail; merci à Ariane Martinez pour la patience et l’extrême attention avec laquelle elle a lu une grande partie de travail ; merci à Anne Bory, Eve Brenel, Céline Leclère et Axelle Guillausseau pour avoir très

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5 encore à Alexandra, Fabienne, Cécile, Jeanne et Eric-John pour l’aide précieuse et indispensable des derniers jours.

Merci à celles et ceux qui ont bien voulu entourer de leur amitié la progression de ce travail.

La présence de Perrine Boutin, généreuse et infaillible, a été un soutien indéfectible de ces dernières années de recherche. Par quelques tours de passe-passe dont elle a le secret, elle fut à la fois une relectrice attentive, la compagne d’infortune des derniers mois d’écriture, la co-enquêtrice avec qui de nombreux entretiens dans le champ cinématographique furent réalisés, une médiatrice qui me permit d’entrer sur le terrain d’« Ecole et cinéma », l’hôtesse d’une vivifiante résidence d’écriture, et rien moins que la discrète fée de longues journées de bibliothèque.

Cécile Rousset a hissé haut le bonheur de pouvoir enquêter sur des terrains où l’expérience collective des œuvres partagées avec des enfants fut belle et réjouissante tout en soutenant les heures les moins glorieuses de ce travail de la force d’une irréductible et salutaire ironie.

Merci à toutes deux, ainsi qu’à Alexandra Von Bomhard pour l’amitié qu’elle a bien voulu me témoigner tout au long de mes séances d’observation dans sa classe et lors de ses sorties.

Merci à mes amies embarquées sur le même navire pour avoir partagées les heurs et malheurs de ces années de recherche, et les avoir ponctuées d’échanges fructueux et stimulants : Alexandra Nacu, Lamia Zaki, Ariane Martinez, Sophie Falguères, Axelle Guillausseau et Héloïse Durler.

A mes amis, qui regardaient de loin passer ce navire, et n’ont rien fait, sinon constitué les mailles du filet entre lesquelles je ne suis finalement pas passée, il me faut donc « dire merci » : Fabienne Bego, Eric-John Bretmel, Thomas Gabison, Vincent Giboin, Cécile Mille, Jeanne Paturle, Vanessa Rousselot et Louis de la Taille.

A celui qui voulut bien répondre à mon incessant « qui vive ? », Christophe Becker, va, s’il est besoin de le dire encore, toute ma gratitude.

Enfin je remercie ma famille – ou ceux sans qui ce travail n’aurait pas été possible : ma sœur Valérie, mon oncle Amor, et mes parents.

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MÉDIATEURS ET DISPOSITIFS DE

MÉDIATION CULTURELLE :

CONTRIBUTION A L’ÉTABLISSEMENT

D’UNE GRAMMAIRE D’ACTION DE LA

DÉMOCRATISATION DE LA CULTURE

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REMERCIEMENTS 3

INTRODUCTION GENERALE 13

A. La médiation culturelle : propositions de définition et construction d’un objet d’étude 15

B. De quelques enjeux d’une recherche sur la médiation culturelle 24

1. La m édiat ion cult urelle : un objet à replacer dans les débat s sur les polit iques cult urelles

françaises 24

a) La m édiat ion cult urelle et les débat s sur la dém ocratisat ion de la cult ure 24 b) Le développem ent de l’éducat ion art ist ique à l’école : un nouveau territ oire pour les

disposit ifs de médiation cult urelle 30

2. La m édiat ion cult urelle : condit ions de possibilités et limit es d’une approche

sociologique 38

a) Appréhender la m édiat ion comm e une form e d’act ion cult urelle 38 b) La sociologie de l’art et les m édiat eurs : une appropriation incom plèt e 41 c) Les sciences sociales face aux pratiques cult urelles et à l’expérience est hétique 44

C. Autour des notions de « grammaire d’action » et de « dispositif » : l’élaboration du

questionnement 50

1. « Sociologie de la m édiat ion » et « sociologie pragm at ique » : fécondit é d’une post ure

épist ém ologique et usage de quelques not ions 51

2. Apport de la notion de « dispositif » : un usage à circonscrire 57

3. Com prendre les valeurs et le sens des actions 60

D. M ultiplicité des terrains d’enquête et construction d’une méthode 64

1. Précisions sur la pratique de l’observat ion participant e et sur l’usage des entretiens

sem i-directifs 65

2. Circonscrire les t errains d’enquêtes d’une recherche sur la m édiat ion cult urelle 72 3. Tableau récapit ulat if des médiateurs int errogés et des disposit ifs observés 79

E. Repères pour l’établissement d’une grammaire d’action de la médiation culturelle

(annonce du plan) 85

1. Trois axes de développem ent 86

2. Précisions sur quelques conventions d’écrit ure 87

I. MEDIATEURS ET DISPOSITIFS DE MEDIATION CULTURELLE :

TABLEAU D’UN CHAMP PROFESSIONNEL EN COURS DE CONSTITUTION 89

Introduction 91

A. La « médiation culturelle » : une définition circonscrite dans le champ des politiques

culturelles 96

1. La « m édiat ion » : de quelques définitions disponibles 98

2. « M édiat eurs » et « m édiat ion cult urelle » : de quelques accept ions possibles 102 3. Politiques cult urelles et dém ocrat isation de la cult ure : de quelques problèm es

persist ant s 110

Conclusion partielle - La m édiation cult urelle et la dém ocratisat ion de la cult ure sous bénéfice

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B. Formation, trajectoire et processus de professionnalisation 132

1. Engagem ent dans l’act ivit é : port rait du m édiat eur en am ateur 134 2. La form at ion des médiat eurs cult urels : filières universit aires et apprentissage « sur le t as » 142

3. Form es d’em plois et possibilit é de carrière 154

4. Un groupe professionnel en const ruct ion 159

Conclusion partielle : la force d’at traction et de répulsion d’un agrégat flou 166

C. Les acteurs et les lieux de la médiation culturelle 171

1. Les inst it ut ions cult urelles 172

2. L’éducation art ist ique et cult urelle en m ilieu scolaire 176

3. Les m ouvem ent s d’éducation populaire 183

4. La m édiat ion cult urelle dans le sect eur du travail social 189

Conclusion partielle : confusion, concurrence et com plém ent arit é des différent s champs de la

m édiat ion cult urelle 193

Conclusion : la construction d’un champ d’activités professionnelles autour du projet de

démocratisation 196

II. LES FORMES DE L’ACTION : UNE GRAMMAIRE PLURIELLE ET

INACHEVEE 203

Introduction 205

A. Le médiateur et l’activité de mise en relation : problèmes de place et de reconnaissance

209

1. « Et ablir un lien » : concurrence entre différent s régim es de visibilité de l’act ion 211

2. Const ruire un espace d’action bipolaire 220

3. La personnalisat ion de l’activité : le don et la possibilité d’une relation de

reconnaissance 229

Conclusion partielle : l’évolution lat ent e m ais incert aine des rôles du m édiat eur 239

B. Autour des œuvres : diversité des objets de la médiation culturelle 241

1. De l’œuvre « saint e » au goût du fragm ent 242

2. Le faire et le voir 248

3. Approcher l’artist e et la création : l’horizon part icipatif d’un « public créat eur » 254

4. Faire aim er l’œuvre et la culture : les figures de l’am ateur 258

5. Parler des œuvres : le développem ent d’une fonction int erprét at ive 265 Conclusion partielle : de l’objet au sujet de l’expérience est hét ique 271

C. Le public : une catégorie d’action incertaine 275

1. Trouver le(s) dest inat aire(s) des politiques des publics et du projet de dém ocrat isat ion 278

2. « Travailler avec des groupes » : les divisions du public et l’organisation du travail 290 3. Une act ivit é face public : la scène dépréciée du travail, plaisir et inconfort de

l’int eract ion 298

Conclusion partielle : une cat égorie d’action à conquérir 304

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Introduction 319

A. Des objets de qualité : les pouvoirs éthiques de l’offre artistique 325

1. Le m odèle du choc est hét ique ou la m édiation superflue 327

2. Les écart s des m ondes de l’art : les m édiat eurs de la crit ique artist ique 333 3. Pluralité des form es et des genres : les m édiat eurs de l’ouvert ure 343

Conclusion partielle : Le choc, la critique et l’ouvert ure 350

B. Le renouvellement du rapport à la vérité : l’acte éthique de la médiation 353

1. La figure du dévoilem ent ou l’illusion d’une m édiation im médiat e 354 2. La post ure int errogat ive et le m ouvement dialectique de la m édiat ion 360 Conclusion partielle : le rapport à la vérit é, du dévoilement à la dialectique 368

C. Le travail de l’expérience esthétique 369

1. L’ém otion est hét ique : la m at ière m ouvant e de la médiation 372

2. Le jugem ent de goût : la m édiation et l’exercice de la raison subject ive 382

3. La m édiat ion et l’inst aurat ion du m onde comm un de la culture 393

Conclusion partielle : la « krisis » et la quest ion polit ique des dispositifs de m édiat ion 403

D. Le médiateur, l’artiste, le public : éthique de la rencontre 406

1. La rencont re avec l’art ist e et la t ransform at ion du rapport aux valeurs 408

2. Le m édiat eur, port eur d’ét hique 415

3. Le disposit if ou l’ét hique im plicit e des act ions de m édiation 421

Conclusion partielle : l’ét hique paradoxale du disposit if 429

E. Croire en l’action : valeurs du travail, idéologie médiatrice et figures possibles de

l’épreuve de réalité 432

1. Registres axiologiques de l’engagem ent dans l’activité 436

a) Les valeurs est hétiques 436

b) L’ét hique de l’act ivit é de travail 439

2. Les m odalit és de la croyance « en la vict oire finale de la cause » 444

a) Le m odèle milit ant : une form e de plus en plus réflexive 444

b) Le m odèle carit atif : « il faut y croire » 450

3. L’horizon de l’act ion : figures de l’épreuve de réalit é 457

a) Les lent es t ransform ations de la figure de la conversion 457

b) « L’ét incelle » : une quêt e ordinaire 464

Conclusion partielle : des raisons de croire 468

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CONCLUSION GENERALE 479

Scène conclusive : le m inist re et l’écho de Cassandre 481

A. Repères pour l’établissement d’une grammaire d’action de la médiation culturelle 486

1. Pour une com préhension hist orique de la m édiation cult urelle 486

2. Pluralité des form es de l’act ion 490

3. La t opique ét hique et le sens de l’act ion 492

4. Fondem ent s et possibilit é d’une action de m édiation 494

5. Une gramm aire inachevée 498

B. Propositions et hypothèses pour quelques prolongements 502

1. Valeur(s) d’une act ion de dém ocratisat ion de la cult ure 502

2. La synt axe du désir 508

3. Une connaissance « un peu poét ique » du m onde 515

4. Subject ivit é et sociologie de la récept ion : la force du soupçon 520

BIBLIOGRAPHIE 525

REPERTOIRE DES SIGLES UTILISES 547

LISTE DES ENCADRES, TABLEAUX ET PORTRAITS 549

INDEX DES DISPOSITIFS ET DES INSTITUTIONS CITES 551

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Introduction générale

Le temps serait donc venu de goûter, avec un plaisir d’esthète et la curiosité d’un citoyen inquiet, le récit détaillé des scènes étonnantes qu’abritent parfois les murs des écoles françaises. Celle-ci se passe dans un collège de Bondy (93). Elle voit un musicien américain, noir, âgé de 60 ans, fabriquer devant une classe de 5ème SEGPA (Section d'Enseignement Général et Préprofessionnel Adapté) des instruments de musique avec des bouts de papiers et des crayons. Entre deux inventions, et deux morceaux improvisés sur ces instruments bricolés, la classe et Cooper Moore – c’est le nom du musicien –, échangent des questions et des réponses, par l’entremise d’un interprète et sous les regards attentifs de l’enseignante et de la chargée de projet de l’association qui préside à cet événement. Les élèves de cette classe sont en train de participer à « une rencontre avec un artiste », l’un des moments importants du projet dans lequel ils sont engagés.

Cooper Moore est installé au centre de la classe, il gonfle lentement un ballon. Puis il le laisse se dégonfler à un rythme variable, en appuyant sur le trou d’air, créant ainsi différents types de sonorité. Les élèves l’écoutent attentivement.

- CM: That’s how I play with my balloon1.

Un long silence suit ce moment. Puis un élève se risque à poser une première question : Un élève : Est-ce qu’à 14 ans, en Amérique, il y en a qui sont en prison ?

CM : Non, pas si on est mineur.

Un autre élève : Est-ce que vous avez déjà été en prison ?

CM : Oui, pour m’être assis avec les blancs, quand j’étais jeune, on n’avait pas le droit. (...)

Un élève : Est-ce que tu peux inventer d’autres instruments ?

Un autre : C’est possible que là, vous fassiez un instrument avec les crayons par exemple ?

Cooper Moore se retourne, il prend le bouchon d’un stylo et improvise quelque chose en sifflant dedans. Les élèves applaudissent.

Une jeune fille : Est-ce qu’il a ressenti de la tristesse hier soir pendant le concert?

CM : Parfois. Tu as ressenti ça hier ?

La jeune fille : Oui.

Un garçon : Est-ce qu’il aime bien le jazz de Richard Gere ?

CM : De qui ?

Le garçon : L’aveugle, là.

L’enseignante : Ray Charles. Une partie de la classe rit.

1 Les autres réponses de Cooper Moore sont transcrites en français, directement dans les termes que

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14

CM : Oh yeah.

(...) Après quelques questions sur ses goûts musicaux, les artistes qu’il connaît et qu’il fréquente :

CM : Les gens que vous devez écouter sont ceux qui ne passent pas à la radio. Pourquoi on ne les entend pas à votre avis ?

Des élèves : Parce qu’ils sont pauvres.

CM : Non, non, parce que les médias sont détenus par des gens très puissants. Des grosses compagnies, des majors. Je veux entendre une question d’une jeune fille maintenant. Un long silence.

Une jeune fille : Est-ce que son père était chanteur ?

CM : Non mais il allait à l’église, il écoutait la musique.

Un élève : Il est mort ?

Une dizaine d’élèves s’énervent contre le garçon qui vient de poser cette question. L’un d’eux à celui qui vient de poser la question : Vas-y toi, pourquoi tu dis ça, ça se fait pas (...).

Une élève : A quoi vous pensez quand vous chantez ?

CM : Je pense au public quand je joue. (...)

L’enseignante : Allez, on prend une dernière question.

Un élève : Est-ce qu’il peut chanter quelque chose ?

Silencieusement, Cooper Moore fait une succession rapide de grimaces avec son visage. Il s’arrête brusquement. Les élèves rient, l’applaudissent, et commencent à s’agiter avent de quitter la salle.

Cette thèse procède, entre autres, de l’un de ces désirs, persistants et tenaces, que l’on s’autorise à avouer dès les premières pages d’une recherche en sciences sociales – désir heuristique donc, d’expliquer et de comprendre la scène que nous venons de décrire.

Dans une salle de classe, des élèves de cinquième sont assis autour d’un musicien américain. Sous le regard vigilant de leur professeur, ils écoutent alternativement les mélodies que ce musicien compose devant eux et les réponses que celui-ci formule à des questions qui portent sur ses séjours en prison, son rapport avec sa famille, ses goûts musicaux ou encore ses pensées durant un concert. Les protagonistes de cette scène – les élèves, le musicien, l’enseignante, le traducteur – sont engagés dans un dispositif de « médiation culturelle », qui vise à « cultiver le désir de musique en Seine-St-Denis ». Une jeune fille discrète et attentive, « chargée de projet » pour l’association responsable de ce dispositif, semble veiller au bon déroulement de cette rencontre. Cette recherche se propose d’essayer de comprendre ce que cette jeune fille fait dans cette salle de classe, au milieu d’un groupe d’adolescents et d’un musicien qui joue devant eux et évoque, en anglais, quelques éléments de sa vie et de son travail à New-York2.

2 Cette rencontre fut organisée par l’association Zebrock (cf. présentation du dispositif « Zebrock au

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15

A. La médiation culturelle : propositions de définition et

construction d’un objet d’étude

En matière de critiques portées à la médiation culturelle, les attaques contre la plasticité du « nom » sont parfois difficilement démêlables des critiques portées à la légitimité de la « chose ». Tout au long de mes années de thèse, lors de rencontres professionnelles consacrées aux politiques culturelles, de colloques ou même parfois de discussions informelles avec des acteurs proches du secteur culturel ou artistique, je dénombrais inlassablement les différentes marques de circonspection et de défiance que ne manquait pas de susciter l’énoncé de mon « objet » de thèse. Indirectement, il arrivait aussi que j’entende des critiques d’arts ou des responsables culturels affirmer avec fracas leur refus d’utiliser un terme « trop en vogue » ou « trop mal défini » – les remarques sur le caractère plastique des acceptions reçues par le terme de médiation, la multiplication exponentielle de ses usages et le caractère potentiellement très général de sa définition servaient implicitement la contestation de la nécessité des actions dites de « médiation »3. Si l’on ne sait pas très bien ce que désigne le terme de « médiation »,

c’est peut-être que la plasticité du mot sert de cache à une réalité indéfinie, mal cernée, et superflue.

L’indéfinition suspecte dans laquelle est perpétuellement tenue la « médiation culturelle » fut donc l’un des premiers objets de cette thèse. Travailler sur la médiation culturelle implique de se confronter à la multiplicité des définitions qui parcourent et travaillent ce champ de l’action culturelle, d’en repérer les points d’intersections, mais aussi les points sombres, mal éclairés, les lacunes et les vides – là où les définitions peuvent bouger, où les approches conceptuelles et les définitions empiriques négocient leurs places respectives, là où les perspectives disciplinaires se font poreuses, là où se renouvellent les manières de dire et de faire l’activité, là enfin où peut s’inventer un certain type de regard sur les activités de « médiation culturelle ». L’objet de cette thèse est le produit conjoint d’un ensemble de propositions et de critiques émises par les acteurs à propos d’une activité sociale décrite comme « activité de médiation

3 « La médiation je ne sais pas ce que c’est, je ne vois pas ce que ça veut dire, ni à quoi ça sert » – pour

être relativement médiatique, ces propos de critiques (d’art) était emblématiques du caractère relativement répandu de cette attitude devant le terme même de « médiation » (France Culture, Tout arrive, émission du 1er avril 2008). Face à Elisabeth Caillet et Catherine Perret, invitées à l’occasion de la publication des

actes d’un colloque sur l’exposition de l’art contemporain (CAILLET Elisabeth, PERRET Catherine, (dir.), L'Art contemporain et son exposition (2), L’Harmattan, Paris, 2007) les critiques d’art faisaient part de la défiance qu’ils entretenaient à l’égard du terme et de l’entreprise de « médiation ».

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16

culturelle » et d’un constant travail d’interrogation et de réassemblage de ces propositions.

Il convient de décrire ce que fut ma perspective initiale sur un objet dont les contours étaient a priori explicitement confus, vagues et mal établis.

Le choix de travailler sur les activités dites de « médiation culturelle » s’inscrit plus largement dans un questionnement sur la possibilité de transformer, par une action publique volontariste, le rapport aux œuvres d’art et à la culture4. Plus précisément, la définition de l’objet de cette thèse procède d’une volonté de décrire et de comprendre quelques manières contemporaines de contribuer au projet politique de « démocratisation de la culture ».

En France, ce projet fut explicitement élaboré et mis en œuvre par les pouvoirs publics à partir de 1959, date de création du ministère des Affaires Culturelles. Mais « l’invention »5 ou la « genèse » de cette « catégorie d’intervention publique »6 est bien

plus ancienne, bien plus longue et bien plus complexe que ne le laisse supposer cet acte de naissance officiel. En réalité, le projet de « démocratisation de la culture » a connu plusieurs déclinaisons et continue aujourd’hui à être visité de différentes façons7. A la fin des années 1980 apparaissent dans certaines institutions culturelles – tout d’abord dans les musées – des fonctions et des postes liés aux « activités de médiation culturelle » : ces activités s’inscrivent dans le prolongement des « politiques de publiques » et concernent – pour le dire dans un premier temps de façon très large –, les relations du ou des public(s) actuel(s) ou potentiel(s) avec l’institution et avec son offre artistique et culturelle. A partir du milieu des années 1990, les termes dérivés de la « médiation culturelle » se sont multipliés, désignant ou re-qualifiant des postes dans différents types d’institutions culturelles – non plus seulement les musées, mais également les établissements de spectacle vivant, les bibliothèques, et même les

4 Action que l’on qualifiera dans les pages de cette thèse, et conformément à un usage répandu, quoique

lui aussi sujet à débat, de « culturelle ». On reprendra à cette fin la définition proposée par Jean-Claude Passeron : « l’action culturelle » se définit « comme une stratégie calculée et armée pour aménager un contact accru avec toutes les formes de la culture. (...) L’action culturelle contient dans son principe volontariste, un constat sociologique : elle ne présuppose pas la capacité intrinsèque d’une œuvre à faire seule le travail de l’expérience des œuvres ». PASSERON Jean-Claude, Le Raisonnement sociologique.

L’espace non-poppérien du raisonnement naturel, Albin Michel, Paris, 2006 (1991) , p. 464.

5 URFALINO Philippe, L’Invention de la politique culturelle, Hachette Littératures, Paris, 2004 [1996]. 6 DUBOIS Vincent, La Politique culturelle. Genèse d'une catégorie d'intervention publique, Belin, Paris,

1999.

7 Nous reviendrons sur l’histoire de ce projet, et sur l’inscription de la médiation culturelle dans cette

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17 cinémas –, dans le secteur associatif également, scolaire et social. Si la plasticité du terme de « médiation » a pu faciliter son succès et la multiplication de ses occurrences dans différents secteurs de l’action publique, force est de constater que dans le champ de l’action culturelle, l’usage du terme de « médiation » renvoie toujours à l’ambition de contribuer au développement de la relation aux œuvres d’art ou à l’art, et à la culture. C’est donc à cet ensemble de pratiques multiformes, se développant à un moment précis de l’histoire des politiques de démocratisation de la culture en France, et relevant toutes d’une même visée (à condition de la définir de façon large), que je voulais m’intéresser en choisissant de faire des « activités de médiation culturelle » l’objet d’un travail de recherches doctorales.

Inscrire la « médiation culturelle » dans un projet général qui consiste « développer le rapport aux œuvres d’art et à la culture », n’est pas sans poser un certain nombre de questions compte tenu de l’ampleur des notions que ce projet mobilise, et de la multiplicité des acceptions qu’il peut recevoir. Encore une fois, devant ce second problème de définition, une première solution a été de revenir à mon questionnement initial, qui procédait d’un intérêt pour un champ de l’action publique déjà constitué, et déjà plus ou moins distinctement nommé. Je me suis ainsi intéressée à la « médiation culturelle » comme manière de développer le rapport aux œuvres d’art et à la culture, au sens où « art », « culture », « rapport » et « développement » peuvent être entendus par les acteurs des politiques culturelles françaises. Cela ne résolvait évidemment pas les questions de définition posées par la mobilisation de ces notions, y compris dans le champ de l’action culturelle où les débats concernant les significations de ces termes peuvent être particulièrement tendus, mais cela permettait d’éliminer certaines questions, et de circonscrire relativement le champ d’interrogation des définitions. Ainsi « art », « œuvres d’art » et « culture » était entendus au sens où l’entendent de façon traditionnelle – mais ce terme est problématique – les politiques dites « culturelles » en France8. Etait donc exclue a priori de cette définition la culture au sens anthropologique

8 Nous reprenons à propos des œuvres d’art l’empirisme d’usage dans les travaux de philosophie

esthétique : « Est œuvre d’art tout ce qui est reconnu comme telle et proposé comme telle à notre assentiment », DUFRENNE Mikel, Phénoménologie de l’expérience esthétique, PUF, Paris, 1992, Tome I, p. 17. Cette définition empirique n’interdit pas par ailleurs de s’interroger dans un second temps sur la définition de cette notion, le processus de reconnaissance sociale des « œuvres » etc. De toute façon, comme le souligne Jean-Claude Passeron à propos de la notion de culture, reprenant des termes de Freud : « Il est en effet impossible, de définir complètement les “mots-premiers” dans une science de l’homme, pour la bonne raison qu’ils concentrent dans leur ambivalence sémantique les question irrésolues qui font agir et penser le psychisme humain (FREUD Sigmund, Uber den Gegensinn der Urworte, 1910, trad. Dans Standard Edition, The Antithetical Meaning of Primal Words (1957)) », Cité in PASSERON Jean-Claude, « Consommation et réception de la culture, La démocratisation des publics », in DONNAT

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du terme, ainsi que les formes artistiques qui ne feraient pas du tout l’objet d’une intervention des pouvoirs publics. Le « public » des activités de médiation était de même compris comme celui auquel s’adressent les politiques de démocratisation de la culture – c'est-à-dire en réalité un public « indéfini », qualifié de « pluriel » et désigné dans sa potentialité, englobant également, non sans un certain nombre de contradiction, le « non-public » de la culture9. De même le « développement du rapport à l’art » concerne a priori la fréquentation et la connaissance des œuvres, et secondairement seulement les pratiques artistiques. Nous reviendrons plus loin sur les questions posées par chacune de ces définitions, que je tenais pour provisoires, mais utiles à la circonscription de mon objet.

Le questionnement initial dont procède cette thèse portait donc sur une définition construite, non sans contradictions, débats et heurts par les acteurs du champ culturel. Des médiateurs culturels du secteur des musées, réunis en association, se sont essayés lors d’une journée de réflexion qu’ils organisaient en janvier 2008 à proposer une définition de la médiation culturelle (élargie aux autres secteurs artistiques). Celle-ci, selon eux, procède d’une « intention » particulière, d’un « engagement sur une posture éthique »10. « L’intention de médiation » dit la Charte de la médiation culturelle proposée à l’occasion de ces journées, « doit correspondre à une véritable volonté de favoriser la rencontre autour de l’objet, du lieu ou de l’exposition, afin de rendre possible une pleine appropriation par les personnes de ce qui est proposé »11. Si cette définition reprend les termes du projet décrit précédemment, elle se distingue néanmoins par l’accent qu’elle porte à « l’intentionnalité » de la « posture de médiation ». La prééminence du projet sur l’activité pose à nouveau une question de délimitation du champ de la « médiation culturelle ». Entendu comme tel, tout agent impliqué dans la mise en œuvre des politiques culturelles peut se réclamer d’une activité Olivier, TOLILA Paul (dir.), Les Public(s) de la culture : politiques publiques et équipements culturels, Presses de Sciences Po, Paris, 2003, pp. 361-390, p. 369.

9 La catégorie de « non-public » apparaît dans une déclaration célèbre, faite par un certain nombre de

metteurs en scène et de responsables d’institutions culturelles à Villeurbanne le 25 mai 1968. Le « non-public » désigne dans ce texte « d’énormes quantités d’hommes et de femmes exclus de la culture ». Contrairement à ce que laisse sous-entendre le texte – l’action culturelle serait inéluctablement destinée à exclure « une immensité humaine composée de tous ceux qui n’ont encore aucun accès ni aucune chance d’accéder prochainement au phénomène culturel sous les formes qu’il persiste à revêtir dans la presque totalité des cas » – les militants de l’action culturelle n’ont pas renoncé à inclure les « non-cultivés », et les « exclus » de la culture, de leur stratégie d’action. Cf. JEANSON Francis, L’Action culturelle dans la

cité, Seuil, 1972, et URFALINO Philippe, L’Invention de la politique culturelle, op. cit., p. 241.

10 « Charte de la médiation culturelle », proposée par l’association Médiation Culturelle le 11 janvier

2008, parc de la Villette, consultable sur le site http://mediationculturelle.free.fr, présentée en annexe.

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19 de « médiation ». Cette acception large de la médiation culturelle se retrouve dans quelques discours de responsables culturels, ainsi que dans des documents produits par des acteurs extérieurs au champ culturel. Ainsi un ouvrage de 1996, publié à l’initiative de la Fondation de France et consacré à « l’art et à la médiation », propose-t-il des entretiens avec des « médiateurs culturels » que sont selon ce point de vue Jean-Jacques Aillagon (alors Directeur des affaires culturelles de la Ville de Paris), François Barré (alors directeur du Centre Georges Pompidou), Bernard Faivre d’Arcier (alors directeur du Festival d’Avignon), Alain Crombecque (alors directeur du Festival d’automne), Georges Frèche (alors maire de Montpellier), Marcel Bozonnet (acteur et metteur en scène, alors directeur du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris), Yves Michaud (philosophe et critique d’art), Catherine Millet (critique d’art)12. En tant que « décideurs de projets » comme le présente l’introduction de cet ouvrage, « critiques » ou « interlocuteurs médians »13, ces personnalités participent à un processus de diffusion et de promotion de la création artistique en France, que l’on peut voir en ce sens comme l’une des modalités de la « médiation culturelle ». Mais l’action de ces grands responsables culturels ne concerne que partiellement les politiques de public – en cela leur rôle ne correspond pas à celui des médiateurs culturels tels qu’ils apparaissaient dans les services de relations avec le public des institutions culturelles, et des musées en particulier. Cette acception élargie de la médiation culturelle en dépit de l’éclairage qu’elle peut apporter sur certains aspects de la médiation, excède donc le cadre de définition initiale de notre objet. On peut donc dire de ce dernier qu’il ne suffit pas de le définir par son ambition de « développer le rapport aux œuvres d’art et à la culture ». Il faut ajouter comme critère de circonscription de la « médiation culturelle » – telle du moins qu’elle est apparue dans les institutions culturelles – le fait que ses activités soient principalement et directement adressées au « public ».

Mais cette définition plus circonscrite de la médiation culturelle ne coïncide pas encore exactement avec les limites des activités désignées sous le nom de « médiation ». Avant que le terme n’apparaisse dans le secteur culturel, les institutions et les associations avaient déjà développé une longue histoire des actions en direction du public, dont on peut dire qu’elles étaient des actions de « médiation » avant la lettre. Aujourd’hui, compte-tenu du succès différentiel du terme selon les secteurs artistiques

12 Art médiation société, témoignages : entretiens avec dix neufs médiateurs et investigation : le rôle des

médiateurs culturels dans cinq régions françaises, La Fondation de France, Les presses du réel, 1996.

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et culturels, beaucoup d’actions qui visent à « développer le rapport aux œuvres d’art et à la culture » du ou des publics sont menés par des agents qui ne sont pas des « médiateurs culturels » et qui ne se reconnaissent pas du tout dans le terme de « médiation ». Ainsi des chargés de relations avec le public dans le secteur du spectacle vivant – dans lequel le terme de médiation est peu répandu – , des animateurs socio-culturels de certaines associations, des travailleurs sociaux investis sur des actions de type culturel ou artistique, d’artistes effectuant des interventions en milieu scolaire, et même dans le secteur des musées de guides ou de conférenciers qui tiennent à se distinguer des « activités de médiation culturelle ». Le caractère inachevé de la définition de la « médiation culturelle » favorise à la fois des usages décomplexés du terme, dont les occurrences peuvent parfois se démultiplier très rapidement, et une certaine attitude de défiance vis-à-vis d’un terme trop vague pour être pris comme objet de reconnaissance professionnelle. Pourtant, une grande part des actions menées par les agents que nous venons de décrire relève de la « médiation culturelle » telle que nous avons tenté de la définir plus haut : elles visent à développer le rapport à l’art, aux œuvres, ou à la culture et agissent prioritairement auprès du ou des publics. En tant que telles, je les ai considérées comme relevant de la médiation culturelle et du territoire d’investigation de mes recherches : la pluralité des appellations possibles des « actions de médiation », et les mouvements contradictoires de reconnaissance et de distinction autour de ce terme sont devenus du même coup de nouveaux objets à interroger à l’intérieur de ce champ de recherche – champ qui inclut désormais une forme de « médiation » qui tait son nom.

Le problème de coïncidence entre la définition de la médiation culturelle et les réalités sociales désignées par ce terme n’est pas seulement d’ordre sectoriel : qualifier un agent de « médiateur culturel » peut également aller à l’encontre de la façon dont les agents se représentent la place hiérarchique des « activités de médiation ». Dans les musées, les postes de médiateurs culturels couvrent partiellement les fonctions de guides ou de conférenciers : ils comprennent inévitablement une part de contact avec le public. Ces postes sont généralement subordonnés à des directions, ou lorsque les niveaux hiérarchiques peuvent se subdiviser, à des sous-directions, chargés de projets, coordinateurs etc. Parfois, ceux-ci sont exclusivement dévolus à l’encadrement d’activités de médiation culturelle, et comportent peu de contact avec le public. Le problème réside alors dans l’ambivalente présence du « public » dans la définition de la médiation culturelle : est-il nécessaire que l’activité comporte une part de contact avec

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21 le public pour pouvoir être qualifiée de « médiatrice » ? Dans la pratique, cette question recouvre de façon partielle et ambivalente des enjeux de distinction hiérarchique : lorsqu’il n’y a pas de subdivision hiérarchique, des coordinateurs de projets peuvent occuper des postes de « médiateurs culturels » alors que leurs contacts avec le public sont rares et indirects – c’est le cas dans quelques établissements de spectacles vivant. Lorsque le travail connait une division poussée, ou lorsque, comme dans les musées, le terme de médiateur culturel a été depuis longtemps travaillé et affecté à un certain type de tâche – au contact du public – la tendance est à qualifier exclusivement de « médiateurs culturels » les agents concrètement en charge de favoriser « la rencontre entre ce qui est proposé et le public ». Mais cette logique est d’ordre tendanciel, et n’interdit pas que, dans de grands établissements muséaux, quelques fois, des responsables de services se réclament d’une fonction de médiation culturelle. Cette question – de la connotation hiérarchique de la dénomination de « médiateur culturel », liée à la présence ou à l’absence de « contact avec le public » – travaillée différemment par les agents, selon les secteurs et les établissements, s’ajoutait donc au nombre des questions irrésolues constitutives de l’ambiguïté de la notion de médiation culturelle. En tant que telle, elle devenait un objet à inclure dans mon terrain d’investigation.

Les débats théoriques quant à la définition exacte de la médiation culturelle étaient donc nombreux. Que comprenait donc, concrètement, ce terrain d’investigation dont les contours étaient mouvants et incertains ? La « médiation culturelle », comme le rappelle Bruno Péquignot, n’est pas ou « pas encore au sens strict d’une sociologie des professions, une profession »14, et pourtant s’intéresser à la « médiation culturelle » dans l’histoire des politiques culturelles françaises, c’est prendre pour objet un ensemble d’activités et de questions qui apparaissent comme des « pratiques professionnelles », et s’interroger sur un « secteur professionnel d’application des disciplines fondamentales »15 en cours de constitution. La « médiation culturelle » ne constitue pas un « cadre d’emploi » défini par l’INSEE mais elle correspond concrètement à un ensemble hétéroclite de métiers, d’actions, d’objets et de discours : le travail de délimitation des objets, dans un champ professionnel qui semble en cours de constitution, est toujours à faire, et participe pleinement du processus de construction de

14 PEQUIGNOT Bruno, « Sociologie et médiation culturelle », in L’Observatoire, la revue des politiques

culturelles, n°32, septembre 2007, p. 3.

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l’activité professionnelle16. Ce secteur professionnel excède les cadres stricts des

activités officiellement désignées sous le terme de « médiation culturelle » : il inclut potentiellement toutes les activités développées dans les secteurs culturel, social, et éducatif qui visent à favoriser et développer la rencontre avec les œuvres d’art et la culture par des actions spécifiques en direction du public. Concrètement, les agents investis dans cette activité se nomment « médiateurs », mais aussi selon les secteurs et la polyvalence des postes : « chargés de relations publiques », de « projet », de « médiation », « d’accueil », « d’action éducative » et/ou « culturelle », « guides », « conférenciers », « animateurs », « responsables » ou « directeurs » des « publics », « intervenants », « enseignants », mais aussi « bénévoles » ou « militants » d’associations17. Cette liste incomplète mêle des statuts et des fonctions de natures extrêmement diverses, issus de secteurs distincts (le champ social, le champ culturel, le champ éducatif), mais tous potentiellement impliqués dans des « actions de médiation culturelle ». En tant que tels, je les ai inclus dans mon champ d’investigation comme des objets dynamiques qui continuent à travailler le secteur de la médiation culturelle, à la fois dans ses contours et dans la détermination de ses contenus.

L’analyse des dynamiques à l’œuvre dans un champ dont les limites sont potentiellement très étendues impose de distinguer entre des cercles plus ou moins actifs, plus ou moins représentatifs de ce qui se donne à voir comme des actions de médiation culturelle. Si mon terrain d’enquête était potentiellement très vaste, je n’ai pas accordé le même statut aux actions et aux individus officiellement placés sous l’enseigne de la « médiation culturelle » et à ceux qui ne reconnaissaient que partiellement contribuer, parfois, à quelque chose comme de la « médiation culturelle ». Ainsi dans le champ associatif et social, je ne me suis intéressée qu’à des actions explicitement orientées vers le « champ artistique », en refusant d’y inclure les

16 Selon Vincent Dubois, « si cette professionnalisation tient pour une part de la manipulation ostensible

des signes extérieurs de la professionnalité, elle n’en est pas moins réelle dans ses modalités et ses conséquences. En revendiquant pour eux l’identité de professionnel, les agents qui exercent les fonctions hybrides et non codifiées de la “médiation” ou de l’administration culturelle contribuent bien ce faisant à dessiner les contours d’une identité professionnelle, agrégeant un ensemble de positions quand bien même elles demeurent objectivement hétérogènes. Comme souvent, cette identité professionnelle individuellement et collectivement revendiquée se définit d’abord contre en se constituant des repoussoirs », DUBOIS Vincent, La Politique culturelle. Genèse d'une catégorie d'intervention publique, Belin, coll. Socio-histoires, Paris, 1999, p. 214.

17Ainsi, lors de la journée de présentation de la Charte de la médiation culturelle déjà évoquée plus haut,

les organisateurs de la journée (médiateurs principalement issu du secteur muséal) définissaient la liste possible des « professionnels de la médiation culturelle » : « Guide – Guide interprète – Conférencier – Responsable des publics – Chargé de Relation Publiques – Intervenant – Professeur relais – Coordinateur de projet – Animateur – Chargé de médiation ».

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23 « pratiques artistiques » qui ne mobilisent pas explicitement de rapport aux œuvres, aux artistes ou aux institutions, ainsi que les animations qui travaillent la « culture » au sens anthropologique du terme (rencontres entre les « cultures » de différentes populations, etc.). Dans le champ scolaire, de la même façon, je me suis intéressée aux actions d’éducation artistique dans la mesure où elles s’inséraient dans des dispositifs de médiation culturelle proposée par des acteurs extrascolaires et mobilisaient un rapport aux œuvres, aux institutions ou aux artistes. Cela ne signifie pas pour autant que toutes les autres pratiques scolaires ayant un rapport avec l’art et la culture, comme les enseignements artistiques mais également les cours de français, aient été absolument exclues de mon champ d’interrogation : elles sont présentes de façon périphérique, comme des éléments qui permettent de comprendre dans quels processus s’inscrivent les actions de médiation, mais qui ne peuvent être appréhendés comme des pratiques représentatives de la médiation culturelle. J’ai ainsi défini comme champ d’interrogation du secteur de la médiation culturelle un ensemble de cercles dont certains sont concentriques – d’un « médiateur culturel » explicitement désigné comme tel à un « chargé de relations publiques » qui mène seulement quelques actions de médiation – tandis que d’autres se chevauchent – ainsi de l’éducation artistique en milieu scolaire, qui m’intéresse prioritairement dans sa dimension extrascolaire, lorsqu’elle s’inscrit dans des dispositifs de médiation proposés par le secteur culturel.

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B. De quelques enjeux d’une recherche sur la médiation

culturelle

1. La médiation culturelle : un objet à replacer dans les débats sur les politiques culturelles françaises

a) La médiation culturelle et les débats sur la démocratisation de la culture

La définition de ce champ d’investigation, comme lieu possible de description, de compréhension et d’analyse de la « médiation culturelle », peut faire l’objet de nombreuses remises en question. Comme ses contours procèdent de réponses provisoires à des questions mouvantes et en évolution, ce champ d’investigation n’a pas prétention à valoir comme définition de la médiation culturelle : il circonscrit simplement un territoire d’objets et d’actions signifiantes pour ma recherche. Au sein du terrain d’investigation que l’on vient de définir, qui se construit autour de pratiques de plus en plus nommées comme « activités de médiation culturelle », les agents, les objets, les lieux, les activités et les discours peuvent potentiellement nous renseigner sur ce qu’est ou ce que devient « la médiation culturelle ».

La délimitation de ce terrain procède de la manière dont ce travail s’inscrit dans un certain champ de la recherche en sciences sociales. En termes d’objets, cette recherche est déterminée par un point de vue dirigé sur les politiques culturelles françaises d’une part, et le processus de réception des œuvres d’art d’autre part – ou plutôt sur les expériences esthétiques et le rapport aux œuvres d’art en tant qu’ils peuvent faire l’objet d’une action politique. En termes de « savoirs disciplinaires », au sens universitaire du mot, les interrogations propres à cette thèse procèdent d’un regard, ou d’une « imagination » de nature sociologique18 ; la formulation des questions qui seront les nôtres dépend étroitement de la façon dont les sciences sociales, et particulièrement la sociologie des arts et de la culture, les ont construites, travaillées, déplacées.

Un conservateur de musée italien faisait remarquer que dans son pays, le mot de « médiation » n’était pas en usage – on y parle plus volontiers, disait-il,

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25 « d’éducateurs »19. Il soulignait également que si le terme était nouveau, il venait

nommer « un des plus vieux métiers du monde », ou plutôt une fonction qui était à « l’origine même du musée » et qui était née avec lui. Il finissait par mettre en garde l’assemblée de professionnels auxquels il s’adressait : le « médiateur ne doit pas repousser les autres fonctions dans les fonctions autres que la médiation, qui sont le pire de leurs métiers ». Ces remarques touchaient très justement à certains des points importants de cette recherche. Les trois points relevés par ce conservateur portent sur des éléments caractéristiques de la médiation culturelle, et révèlent la façon dont elle s’inscrit dans une certaine tradition de l’action culturelle20 en France.

Une manière d’aborder la médiation culturelle consiste donc à comprendre comment le surgissement du terme et la promotion des activités qu’il désigne s’insèrent dans les débats français sur les politiques culturelles. Celles-ci sont généralement présentées sur la scène médiatique, qui diffuse les prises de positions publiques d’artistes, de responsables culturels mais aussi parfois de sociologues, de politistes ou d’historiens, sous le signe de leurs « échecs », de leur « crise » ou de la nécessité de leurs « refondations ». Comme le formule de façon emblématique un essai qui reprend l’angle sous lequel les journalistes abordent régulièrement la question de la démocratisation culturelle, les politiques culturelles sont, selon ces perspectives, « en panne », confrontées à de « piteux résultats »21. D’après Antoine de Baecque, l’ambition du ministère d’André Malraux s’est « fracassée contre les écueils de ses propres contradictions », « l’Etat culturel(s) des années Lang s’est confronté à l’échec définitif de la démocratisation de la culture » et les « crises », « démultipliées et accélérées », de la culture, « illustrent depuis avril 2002 les limites et les démissions de la politique culturelle à la française »22.

Le succès du thème de l’échec de la démocratisation culturelle est en partie dû à la façon dont la plus grande enquête quantitative disponible sur les « pratiques culturelles des Français » a été travaillée et présenté par les sociologues du département d’études et de prospective du ministère de la Culture à la fin des années 198023. Le

19 A l’occasion de la journée déjà évoquée plus haut consacrée à la présentation de la « charte de la

médiation culturelle » et organisée par l’association Médiation Culturelle le 11 janvier 2008 à la Villette.

20 Cf. la définition qu’en donne Jean-Claude Passeron, reprise dans la note n°2.

21 BAECQUE Antoine de, Crises dans la culture française, anatomie d’un échec, Bayard, Paris, 2008. 22 Ibidem, p. 18.

23 Ainsi dans l’ouvrage cité précédemment, les enquêtes du DEP sont-elles convoquées pour appuyer, si

besoin en était, la thèse de la rupture « avérée » entre le pays réel, et « les élites de la culture » : « Au département des Etudes et Prospective du ministère, personne n’est dupe, puisqu’on y estime plus de 40 % de la population représentent les exclus culturels. Il n’y a pas eu, ou marginalement, de nouveaux

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discrédit porté à la possibilité de démocratiser l’accès aux arts et à la culture avait commencé à se propager à la fin des années 1960, avec la communication de plus en plus large faite autour des enquêtes et des thèses de Pierre Bourdieu, qui expliquait dans

L’Amour de l’art en 1969 et dans La Distinction près de 10 ans plus tard, que « l’amour de l’art » et l’accès à la culture étaient le fruit de déterminismes sociaux d’autant plus forts qu’ils étaient déniés24. Le fait qu’au fur et à mesure des années, la seule grande enquête quantitative menée à un niveau national sur les pratiques culturelles des Français renouvelle régulièrement le constat qu’une grande part de la population française continuait à ne pas aller au théâtre, à l’opéra, au musée, a accrédité l’idée que « les politiques de démocratisation de la culture avaient échoué »25.

Cette idée fut relayée par des historiens et des sociologues des politiques culturelles, qui ont voulu éclairer l’actualité des politiques culturelles des analyses qu’ils avaient pu faire de leur « genèse » ou de leur « invention »26. Ainsi, selon Philippe Urfalino, le modèle malrucien fondateur de la politique culturelle française est désormais caduc : selon lui, les oppositions conceptuelles d’antan entre « culture et éducation, modernité et tradition, culture et divertissement », sont aujourd’hui périmées, et il n’est plus possible de définir la politique culturelle comme au temps de Malraux sur un projet construit « contre les effets supposés désocialisants de la consommation de masse »27.

publics pour la culture tout au long des années Lang, et la démocratisation culturelle a rencontré ses limites ». BAECQUE Antoine de, op. cit., p. 181.

24 BOURDIEU Pierre, DARBEL Alain, L’Amour de l’art, Les musées d’art européens et leur public,

Minuit, 1969 ; BOURDIEU Pierre, La Distinction : critique sociale du jugement, Minuit, Paris, 1979.

25 Cf. DONNAT Olivier, « Démocratisation culturelle : la fin d’un mythe », Esprit, mars-avril 1991, pp.

65-82 et la présentation des résultats de ces enquêtes in DONNAT Olivier, COGNEAU Denis, Les

Pratiques culturelles des Français. 1973-1989, La Découverte, La Documentation française, Paris, 1990. La dernière publication rendant compte de ces enquêtes date de 1998 : DONNAT Olivier, COGNEAU Denis, Les Pratiques culturelles des Français, Enquête 1997, La Documentation française, Paris, 1998.

26 Selon les termes respectifs de Vincent Dubois (DUBOIS Vincent, La Politique culturelle. Genèse d'une

catégorie d'intervention publique, Belin, coll. Socio-histoires, Paris, 1999) et de Philippe Urfalino (URFALINO Philippe, L’Invention de la politique culturelle, Hachette Littératures, collection Pluriel, Paris, 2004 [1996])– la qualité de ces travaux a permis d’éclairer d’une façon aiguë et heuristique pour cette recherche la façon dont les politiques culturelles françaises se sont structurées autour de certains idéaux et certaines habitudes pratiques. Si les conclusions de ces recherches sont peu mises en avant ici, c’est que l’on se contente dans cette introduction de décrire le point de vue, différentiel, selon lequel a été conçu cette thèse. Les contributions de Vincent Dubois et de Philippe Urfalino à l’histoire et à la compréhension des politiques culturelles ont été par ailleurs largement mobilisées, visitées, réemployées dans d’autres parties de cette thèse.

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27 L’ensemble des attaques portées à la démocratisation de la culture relève selon Laurent Fleury de trois types de procès : illégitimité, iniquité et inefficacité28. Nous reviendrons plus loin sur les débats liés à la légitimité et l’équité du projet de démocratisation dans le champ de la médiation culturelle. Le « procès d’inefficacité » est celui qui a été majoritairement investi par certains experts, ainsi que par les essayistes et les journalistes, il constitue aujourd’hui la perspective dominante sous laquelle les politiques de démocratisation de la culture sont abordées. Cette perspective s’appuie sur le constat d’inégalités persistantes en matière d’accès à l’art et à la culture, et sur l’assimilation hâtive des politiques de démocratisation au seul objectif de faire disparaître complètement les inégalités devant l’art et la culture. Cette logique oublie que les politiques de démocratisation visent également, à diminuer les inégalités, ou à éviter que celles-ci ne s’accentuent trop fortement. Ainsi s’opère un « glissement » entre un constat sociologique et un discours « plus idéologique d’invalidation du projet même de démocratisation de la culture »29. « La résurgence du mythe laïcisé de la

prédestination sert alors d’argument pour expliquer l’absence de réflexion politique sur les moyens les plus efficaces d’atténuer (à défaut de supprimer) l’effet des obstacles symboliques limitant l’accès de la plupart à la culture »30.

Dans ses travaux sur le Théâtre National Populaire de Jean Vilar et le Centre Georges Pompidou, Laurent Fleury a montré que l’une des issues des débats relatifs à l’efficacité des politiques de démocratisation de la culture résidait dans un changement d’échelle. « Analyser la démocratisation de la culture au plus près des institutions culturelles permet de découvrir que celles-ci peuvent définir des espaces de diminution, plutôt que d’exacerbation, des différences sociales »31. Deux enquêtes menées auprès de deux institutions culturelles prestigieuses, connues pour avoir expérimenté, durant un temps, des politiques de publics innovantes lui ont permis de conclure au « pouvoir » des institutions culturelles. Laurent Fleury montre ainsi que les institutions culturelles peuvent se doter d’un pouvoir cognitif et normatif sur les individus : « loin d’être impuissantes devant les effets de l’habitus cultivé, les institutions culturelles possèdent le pouvoir de modeler la relation des individus à l’art ainsi que la capacité à produire des effets sociaux dont celui de confirmer ou, à l’inverse, d’infléchir les effets de

28 FLEURY Laurent, Sociologie de la culture et des pratiques cultures, Armand Colin, collection 128,

Paris, 2006.

29 Ibidem, p. 86. 30 Ibid.

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l’habitus. Parce que la mise en œuvre des politiques de public peut se définir comme une action des institutions sur l’action des individus, alors l’institution exerce un pouvoir de structuration des pratiques à l’origine d’un début de réalisation de l’idéal de démocratisation de la culture »32. Les institutions constituent des espaces de socialisation, qui « informent des activités », et instaurent des « régimes de familiarité entre les individus et la culture ». Selon Laurent Fleury, ce pouvoir des institutions culturelles est un pouvoir « ignoré », qui représente « la part invisible des politiques de la culture »33.

Le champ de la médiation culturelle, dont on a vu qu’il s’était constitué en partie du moins sur les territoires culturels du projet de démocratisation, est traversé par ces questions. En premier lieu parce que la médiation culturelle a hérité de cette double ambition, contenue dans l’idéal de démocratisation de la culture, qui fait de la culture non seulement un bien commun dont l’accès doit être garanti pour tous, mais également un vecteur d’émancipation et d’éducation à la citoyenneté. En second lieu parce que la médiation culturelle a hérité en partie des expériences menées dans le champ culturel en faveur de la « démocratie culturelle », ou du moins, dans la droite ligne des mouvements d’éducation populaire, des expériences visant à promouvoir d’autres cultures ou d’autres rapports à la pratique artistique que ceux qui furent légitimés par l’action du ministère des Affaires Culturelles. Produit de ce double idéal, et des différentes entreprises qui furent menées en leurs noms, les activités de médiation culturelle sont également marquées au sceau du désenchantement et du relativisme34.

Les acteurs culturels, et parmi eux les médiateurs, ont fortement intégré le discours d’échec de la démocratisation de la culture, sans toutefois renoncer complètement à cet idéal : le champ de la médiation culturelle se distingue par une certaine instabilité quant à la place relative de l’idéal de démocratisation et de son pendant de scepticisme. A Maryvonne de Saint-Pulgent qui attribuait au ministère Duhamel l’introduction du « relativisme » en matière d’action culturelle35, Jacques Rigaud répondait que selon lui,

32 Ibid., p. 89. 33 Ibid., p. 92.

34 « Mieux vaut admettre plutôt que née avec l’Etat moderne, et ayant prospéré avec lui, la politique

culturelle française partage désormais aussi sa sécularisation et son mal-être, et que nous en soyons tous, comme de lui, désenchantés », SAINT-PULGENT Maryvonne de, Le Gouvernement de la culture, Gallimard, Paris, 1999, p. 367.

35 Le « relativisme » est employé de façon péjorative par certains observateurs des politiques culturelles

qui accusent ces dernières, notamment depuis les ministères Lang (Jack Lang, ministre de la Culture de 1981 à 1986, et de 1988 à 1993), d’avoir favorisé l’essor et la reconnaissance de genres artistiques peu légitimes et d’avoir encouragé une forme de nivellement des jugements de valeurs sur les œuvres.

Figure

Tableau 1 - Récapitulatif des entretiens semi-directifs effectués avec des  médiateurs ou les responsables des dispositifs de médiation suivis
Tableau 2 - Entretiens réalisés dans le champ du travail social
Tableau 3 – Entretiens auprès d’enseignants, observations et suivi des dispositifs  dans les classes
Tableau 4 - Tableau récapitulatif des formations initiales des médiateurs  interrogés

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