• Aucun résultat trouvé

Circonscrire les terrains d’enquêtes d’une recherche sur la médiation culturelle

D. Multiplicité des terrains d’enquête et construction d’une méthode

2. Circonscrire les terrains d’enquêtes d’une recherche sur la médiation culturelle

Le choix des terrains et des médiateurs à interroger a été déterminé par la prise en compte de plusieurs critères et par l’adoption d’une logique spécifique de navigation d’un terrain à l’autre.

En ce qui concerne le choix des domaines artistiques sur lesquels enquêter, je souhaitais investir un maximum de disciplines, afin de me confronter à la possibilité d’une différentiation sectorielle des activités de médiation. Ces choix furent établis en prenant en compte à la fois la place occupée par chacun de ces secteurs dans le développement de la médiation culturelle, et la présence d’affinités personnelles ou de connaissance plus ou moins grande de certains secteurs qui me prédisposaient à les visiter lors de mes enquêtes. Il convient de présenter ici ces logiques et « de projeter au dehors ces fractions décroissantes » de moi163 – ou plutôt de l’enquêtrice que j’étais.

- Le secteur du spectacle vivant m’était le plus familier. Mon passage par les études théâtrales à l’université de Paris 3, les stages que j’avais pu faire dans certaines institutions théâtrales, et une pratique de spectatrice relativement développée me permettait de m’introduire assez facilement dans certains services de relations avec le public (notamment au théâtre de l’Odéon et au théâtre de la Colline). - Le secteur de la danse, que je connaissais moins, se présenta rapidement comme

un terrain relativement proche du secteur théâtral qui offrait pourtant une toute autre façon d’aborder la médiation culturelle. La danse est en effet un secteur dans lequel les termes dérivés de la « médiation » sont apparus bien plus tôt que dans les institutions théâtrales, initiant ainsi une réflexion spécifique sur ces problématiques, réflexion précieuse pour mes enquêtes.

- Je me suis intéressée à l’Opéra de Paris seulement dans l’espoir de pouvoir y suivre un dispositif qui tient souvent lieu, par son exposition médiatique et sa convocation récurrente dans les discours d’hommes politiques, de figure exemplaire : « 10 mois d’école et d’opéra » que je ne pus observer que

163 « L’observation sociologique s’en tire grâce à la capacité du sujet de s’objectiver indéfiniment, c’est-à-

dire (sans parvenir jamais à s’abolir comme sujet) de projeter au dehors des fractions toujours décroissantes de soi », LEVI STRAUSS Claude, « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss », in MAUSS Marcel, Sociologie et anthropologie, PUF, Paris, 1985 (1950), p. XXVII.

73 ponctuellement, à l’occasion de la présentation officielle et ouverte au public des spectacles du dispositif.

- Le secteur muséal m’a semblé s’imposer comme un terrain d’enquête inévitable, étant le lieu initial de développement et d’apparition des activités explicitement nommées comme appartenant à la « médiation culturelle ». Les centres d’art contemporain ont développé une réflexion spécifique autour des questions de médiation à l’art contemporain. Je me suis donc attachée à équilibrer les visites et les enquêtes entre les lieux dévolus à l’art contemporain, et les autres types de musées. J’ai exclu cependant les musées dits « de société »164, plaçant arbitrairement – car cela aurait pu être un lieu de comparaison intéressant – une limite à mon investigation en renonçant aux problématiques de médiation qui n’avaient pas à voir avec les œuvres d’art.

- Le cinéma m’est apparu comme un terrain d’exploration intéressant. Tout d’abord à titre personnel, pour avoir fréquenté avec goût et curiosité les salles de cinéma, j’ai voulu interroger la possibilité et la nature spécifique des activités de médiation qui pouvaient y être menées. De façon plus déterminante, j’ai souhaité m’intéresser aux dispositifs d’éducation à l’image, lieux d’investissement privilégiés des promoteurs de l’éducation artistique en milieu scolaire, sous- secteur de la médiation culturelle qui tend aujourd’hui à s’imposer, dans les discours officiels, sous l’angle de la nécessité165. Le fait d’être employée par l’association Enfance au cinéma de février 2006 à septembre 2008 en qualité de médiatrice sur le dispositif « Ecole et cinéma » sur Paris a largement facilité les enquêtes sur ce dispositif.

- Enfin la musique, qui est un secteur relativement moins constitué d’intervention des politiques culturelles – de façon différentielle selon les genres de musique cependant – m’a intéressée moins pour ses spécificités sectorielles que parce qu’il abritait un dispositif qui me semblait original (Zebrock au Bahut).

J’ai donc exclu complètement la possibilité de m’intéresser à l’action culturelle dans les autres domaines dans lesquels elle a pu se développer. Celui de la lecture par

164 L’appellation « musées de société » est apparu au début des années 1990 pour désigner « l'ensemble de

ce qui s'intitule en France écomusées, musées d'Arts et Traditions populaires, musées d'Ethnographie, d'Histoire, d'Industrie ou musées de plein air ». LIGOT Jack, Article « musées de société », Encyclopédia Universalis, 2008. Consulté sur :

http://www.universalis.fr/encyclopedie/UN97088/MUSEES_DE_SOCIETE.htm#03000000)}

165 En 2007-2008, 8,7% des élèves de primaire participaient au dispositif « Ecole et cinéma ». Source Les

74

exemple, fait l’objet de mesures spécifiques, prises dans un ensemble de politiques – du livre, de l’éducation etc. – complexes qui nécessitent qu’une recherche complète leur soit consacrée et qui les éloignaient de mon champ de problématisation initial. Cette distance est au reste relative, et tout domaine de développement de la médiation culturelle aurait pu, dans la perspective qui était la mienne de me confronter à la multiplicité des modes d’appropriation et de définition de l’activité, constituer un lieu de comparaison fécond. Mais la circonscription de mes terrains d’enquêtes devait également à la nécessité de rester dans les limites de ce qui était envisageable d’aborder dans le cadre d’une recherche de doctorat.

Une fois circonscrits les secteurs d’enquêtes possibles, il fallait déterminer quels lieux, quels organismes, quelles institutions investir.

- Dans chacun des domaines artistiques, les institutions culturelles qui se sont parfois dotées d’un service de médiation, ou qui offrent au moins un service des publics dans lequel certains de ses agents se reconnaissent dans l’exercice d’activités de médiation culturelle, sont apparus comme des lieux d’enquêtes à la fois nécessaires et privilégiés.

- L’hypothèse selon laquelle le développement actuel de la médiation doit également à l’héritage des mouvements d’éducation populaire et à l’action de certaines associations m’a imposé de m’intéresser au cadre associatif de développement de la médiation culturelle. J’ai donc mené des enquêtes dans une association explicitement rattachée à l’éducation populaire (les CEMÉA), et dans quelques autres associations qui œuvraient dans le secteur social et culturel (Secours Populaire, Cultures du Cœur etc.). Compte tenu du caractère emblématique de l’action des CEMÉA au Festival d’Avignon166, et de la connaissance que j’avais des acteurs et des lieux de ce dispositif (j’avais effectué un stage auprès du directeur des CEMÉA en Avignon en juillet 2001), j’ai choisi d’enquêter sur le dispositif d’accueil des spectateurs des CEMÉA en Avignon. - Enfin certaines enquêtes m’ont entraînée dans des lieux qui ne sont pas

institutionnellement consacrés au développement d’activités de médiation, et qui

166 Sur la particularité du dispositif d’accueil des CEMÉA en Avignon, cf. l’histoire retracée par Jean-

Louis Fabiani de « cette institution dans l’institution » in L’Education populaire et le théâtre, op. cit. Selon les mots de Jean-Louis Fabiani, les CEMÉA ont accompagné le Festival depuis sa création, « incarnant sa dimension la plus sociale et la plus civique » (p. 48). Pour la description du dispositif, cf. encadré 3.

75 pourtant, assurent la mise en place de certains dispositifs. Ainsi les écoles, les collèges, les lycées, ainsi que des lieux voués à l’action sociale (maison de quartier, centre social etc.) se sont offerts comme des terrains d’enquêtes importants, d’où il est possible d’observer à la fois la mise en place et le fonctionnement des dispositifs de médiation, leur insertion dans une démarche plus large d’éducation artistique et d’action culturelle, et le prolongement de ces actions dans des activités de médiation culturelle que développent en leur nom propre les agents de ces institutions (ainsi d’un instituteur ou d’un animateur de maison de quartier prenant la charge d’un atelier, d’un ensemble de sorties au théâtre etc.).

Ces enquêtes ont été principalement réalisées entre septembre 2003 et septembre 2006. Les enquêtes menées en Avignon ont été effectuées en juillet 2004 et 2005.

En terme de détermination géographique, l’ensemble de mes enquêtes, à l’exception notable de celles qui furent menées pendant le Festival d’Avignon sur deux dispositifs (les stages CEMÉA et « Devenir spectateur »), furent réalisées à Paris ou en région parisienne. Il est difficile de statuer sur le biais éventuel que constituerait cette localisation géographique. Il est vrai que la densité de l’offre culturelle parisienne rend possible l’adoption d’un certain nombre d’attitudes face à la médiation culturelle – possibilité de multiplier la participation aux dispositifs de médiation, ou de les comparer et de les faire entrer dans une certaine forme de concurrence. De même au sein des services de médiation, Paris pourrait apparaître comme un environnement fortement concurrentiel puisque les « grandes » institutions (qui ne sont « grandes » que relativement, compte tenu de l’importance des moyens humains et financiers dont elles sont dotées par rapport à l’ensemble des institutions) s’y concentrent, et que la vie associative y est relativement développée. J’ai fait l’hypothèse qu’une dimension éventuellement concurrentielle des modes de développement de la médiation culturelle n’était pas déterminante pour les réponses aux questions que j’avais formulées : s’il devait y avoir une nécessité pour les institutions de se distinguer les unes des autres en terme d’offre de médiation, cette logique concurrentielle pouvait être appréhendée comme un facteur de diversification du champ de la médiation culturelle et de la grammaire de l’activité. Le seul territoire d’enquête non parisien, Avignon, constituait

76

du fait des caractéristiques propres du Festival un territoire si particulier167 qu’il ne

pouvait tenir lieu de deuxième terme de comparaison.

A l’intérieur de chacune des institutions ou des organismes que j’avais sélectionnés, j’ai fait le choix de ne pas déterminer a priori le type d’actions ou de publics auxquels m’intéresser. Je n’ai pas non plus distingué entre les postes plus ou moins directement liés aux activités de médiation : j’ai tâché d’équilibrer la répartition des séances d’observation entre les moments de rencontre avec le public, auxquels j’avais cependant plus facilement accès, et le « travail de bureau » consacré à l’organisation, la conception et la gestion des actions. L’accès à l’observation de ces tâches étant plus rare, j’ai compensé ce déséquilibre par des entrées sur le terrain opérées par des personnes aux fonctions différentes : je réalisais tantôt un entretien avec un médiateur rencontré sur le terrain, tantôt avec un/une « chargée de projet », ou de relation avec le public, ou encore avec le responsable ou le directeur d’un service de public.

Malgré cette volonté d’observer les services de médiation selon une logique multidirectionnelle, mes enquêtes ont fini par se distribuer de façon inégale entre les actions menées auprès des scolaires, qui occupaient une large part de mon attention, et les autres actions (ouvertes à tous ou destinées à des publics spécifiques comme celui que certains médiateurs appellent « public du champ social », ou celui que compose l’ensemble des abonnés ou des fidèles etc.). Si j’ai voulu équilibrer mes objets d’attention entre différents types de public et d’action, je n’ai pas cherché à remodeler le profil d’ensemble que semblait prendre la constitution de mes terrains – d’une part au nom de l’impossibilité de constituer, sur un champ aussi multiple que la médiation culturelle, un échantillon véritablement représentatif de sa diversité, d’autre part en faisant l’hypothèse que l’inclinaison que semblait prendre « naturellement » mes terrains pouvait constituer à elle seule un objet d’analyse intéressant. En effet, il était aisé de s’apercevoir que le « naturel » avec lequel mes enquêtes semblaient prendre le chemin des écoles, était le double produit du mode de développement et de construction des actions auprès des publics – majoritairement adressées, dans la plupart des institutions, au public scolaire – et de l’attitude que j’adoptais sur le terrain, résolument disponible et attentive aux pistes que les médiateurs me désignaient comme « exemplaires », « représentatives », ou « intéressantes ».

77 La constitution de mes terrains relevait également d’une logique spécifique, que je n’ai pas adoptée de façon systématique mais qui fut cependant suffisamment importante et heuristique dans cette recherche pour être décrite ici. J’ai choisi en effet de faire des jugements que les médiateurs pouvaient émettre sur l’action des uns ou des autres, non seulement un objet d’étude pour mes recherches, mais également un guide d’orientation dans le choix de mes terrains. J’ai tâché d’être attentive, en allant parfois jusqu’à les solliciter, aux expressions d’admiration que certains médiateurs attachaient à l’action ou aux propositions faites par l’un des leurs, surtout si celui-ci officiait dans une autre institution. Les dispositifs de médiation ayant tendance à multiplier les niveaux de médiation, il est relativement aisé de recueillir des jugements sur ces actions de la part de ceux qui occupent des positions intermédiaires, tels que les enseignants ou ceux que certains services appellent des « relais ». Ces derniers sont potentiellement en contact avec différents types d’institutions et de médiateurs qu’ils sont parfois amenés à comparer ou à évaluer. J’ai donc orienté mes enquêtes vers les pistes que désignaient ces relais, et parfois des médiateurs, dans l’idée de prendre également comme objet d’étude le potentiel écart que pouvait présenter la réalité de ces terrains avec les descriptions enthousiastes et admiratives qui avaient pu m’en être faites. Ainsi par exemple, la responsable des actions menées auprès du champ social au musée du Louvre, m’avait été fortement recommandée – pour les actions « très intéressantes qu’elle menait » – par quelques responsables associatifs. De la même façon le service de la médiation de la Villette m’avait été désigné par une responsable de centre social, non sans nuances critiques apportées à cette évaluation, et par une chargée de relation publique dans le spectacle vivant, comme des lieux où « l’action était de qualité ». Parfois, une forme d’intimidation devant des institutions prestigieuses semblaient avoir une part active dans la formulation de jugements admiratifs : la prise en compte de cette dimension n’enlevait pas tout crédit à l’expression de ces jugements qui ont pu constituer des guides précieux d’orientation sur le terrain. Inversement, il est arrivé que certains médiateurs critiquent l’action d’autres institutions : si les types d’arguments avancés dans ces jugements dépréciatifs m’ont intéressée, j’ai décidé de ne pas les prendre pour guide dans le choix de mes terrains.

78

L’ensemble de ces choix a progressivement constitué les terrains d’enquêtes de cette thèse, composés d’entretiens avec les médiateurs et du suivi de certains dispositifs – ensemble présenté dans le tableau suivant.

79

3. Tableau récapitulatif des médiateurs interrogés et des