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professionnel en cours de constitution

B. Formation, trajectoire et processus de professionnalisation

3. Formes d’emplois et possibilité de carrière

Les cadres d’emploi des activités de médiation culturelle sont extrêmement variés, et couvrent, en excluant l’intérim, tout l’éventail des régimes d’emploi permis par le droit du travail. Ils comprennent donc des contrats à durée indéterminée, des engagements dans la fonction publique d’Etat ou territoriale, des contrats à durée déterminée, parfois rémunérés en cachets dans le cadre d’un engagement comme intermittent du spectacle, des emplois jeunes, des contrats aidés, des vacations, et des formes très variées de stages avec ou sans convention.

La thèse d’Aurélie Peyrin sur la professionnalisation des médiateurs dans le secteur muséal326 fournit un éclairage précis sur la répartition des médiateurs de musées entre les différents cadres d’emplois. D’après l’exploitation de l’enquête réalisée sur les musées de France, les personnels des services de publics comptent 46% d’emplois instables (qui comprennent 21% de vacataires, 7% de Contrats à Durée Déterminée, 17% d’emplois aidés), 37 % d’emplois stables (35% fonctionnaires, 2% de Contrats à Durée Indéterminée), et 17 % tendresse de professeurs tendresse mis à disposition de l’amour327.

Si les questions de salaires et d’emplois n’ont pas fait l’objet d’un questionnement spécifique lors des entretiens que j’ai menés, elles étaient néanmoins souvent abordées par les médiateurs culturels. Au-delà de la population enquêtée par entretiens, les enquêtes (observation des actions et des différents agents, discussions informelles menées avec d’autres médiateurs culturels croisés dans les institutions etc.) m’ont permis de recueillir un certain nombre d’informations sur les conditions d’insertion dans l’activité professionnelle. Cet ensemble de renseignements permet d’établir quelques remarques sur les cadres d’emploi et les possibilités de carrière des médiateurs culturels, au-delà des analyses que l’on pourrait tirer de l’observation de l’échantillon non-représentatif que compose l’ensemble des médiateurs enquêtés328.

326 PEYRIN Aurélie, Faire profession…, op. cit.

327 La population de référence comprend 1530 agents. Source : enquête « Publics » auprès des musées de

France, 2001, exploitée par Aurélie Peyrin. Cf. Faire profession…, op. cit., p. 69.

328 Les choix des terrains d’enquêtes et des entretiens ont été effectués conformément au projet d’établir

une « grammaire de l’activité » en diversifiant les secteurs disciplinaires et institutionnels, et en privilégiant les médiateurs expérimentés, susceptibles de tenir un discours réflexif sur leurs pratiques et sur les activités de médiation. Cette logique d’enquête ne favorise pas la constitution d’un échantillon représentatif des médiateurs culturels en termes de cadres d’emploi, de carrières ou de rémunération. Sur les 60 « médiateurs » ou assimilés, présentés dans le tableau récapitulatif en introduction, 36 sont employés en CDI depuis plus de deux ans, 5 sont en CDD, 4 sont engagés comme vacataires, 2 sont en

155 Les rétributions financières dans le champ de la médiation sont généralement peu élevées, et dans le cas des emplois à durée limitée, très incertaines et potentiellement insuffisantes. Les actions de médiations étant souvent conçues sur le modèle d’un agencement d’événements ponctuels, les médiateurs qui n’assument pas les charges de conception, d’organisation et d’administration, sont amenés à intervenir ponctuellement. Le titre « d’intervenant » recouvre des cadres d’emplois extrêmement variés ; la généralisation de son usage à tous les dispositifs révèle néanmoins le caractère prégnant et majoritaire d’un cadre d’emploi limité et ponctuel. Cette situation correspond à des formes d’engagement dans le métier précaires et temporaires ; notamment sur le terrain, au contact direct du public (intervention en classe, visites conférences, animation d’ateliers), les médiateurs employés en vacation ou en CDD exercent ces activités en complément de leurs études, ou en attendant de trouver un poste plus stable. Ainsi sur les 6 médiateurs affectés au dispositif « Accueil Groupe » des Rencontres Urbaines de la Villette en 2004, 4 étaient en CDD (de 6 mois en moyenne) et 2 étaient des permanents du service de médiation. Dans les services de publics de grandes institutions (grandes au sens où elles sont dotées de moyens importants relativement aux autres institutions), il est assez courant de voir des stagiaires qualifiés (BAC + 5) se succéder sur des stages de longue durée (6 mois), assumer des charges nécessaires au fonctionnement du service sans réelle perspective d’embauche. Ces premières expériences professionnelles, qui peuvent apparaître dans leurs premiers mois comme des phases d’insertion nécessaires, sont souvent source de découragement et de frustration, comme le rappelait cette stagiaire d’un Festival de spectacle vivant parisien, titulaire d’un master 2 professionnel de médiation culturelle :

« Evidemment, elle [la chargée de relations publiques avec qui elle travaille] me dit toujours que je peux développer des projets de médiation intéressants, j’avais eu une idée, elle m’avait dit que ça l’intéressait (...). Au début j’y croyais (...). En fait, je ne fais que de la prospection, j’appelle des gens toute la journée, c’est tout ».

Aurélie, 24 ans, stagiaire dans un service de relations publiques d’un Festival parisien

Pour certains, l’engagement dans des cadres d’emploi précaires (en vacation ou en CDD) se pérennise, soit que l’activité de médiation soit conçue comme complément

stage, 4 sont bénévoles, 2 sont des professeurs détachés de l’éducation nationale dans une association (les autres sont non renseignés) : ces chiffres, comme nous allons le voir, ne sont pas représentatifs de la répartition des cadres d’emploi dans le champ professionnel de la médiation (notamment si l’on considère la surreprésentation des emplois stables dans cet échantillon).

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d’une autre activité (artistique principalement) soit que le conjoint assure des revenus complémentaires suffisants329.

La diversification des activités est en effet la règle pour tous les agents qui ne sont pas en emploi stable et à plein temps dans des institutions : cette diversification est généralement instable, vécue sur le mode de la nécessité comme une période transitoire avant l’insertion durable dans une forme d’emploi stable (ou dans l’activité artistique). Tous les conférenciers rencontrés sur le terrain déclaraient avoir plusieurs employeurs, et menaient une activité parallèle (artistique, ou alimentaire) à l’animation des visites. La multiplication de mes enquêtes de terrains sur plusieurs années me permit de vérifier empiriquement les effets de cette situation d’emploi lorsque d’institutions en institutions, je retrouvais les mêmes médiateurs : ainsi un membre de l’équipe des relations publiques du théâtre de l’Odéon, chargé de gérer les invitations, menait des visites guidées au Centre Georges Pompidou dans le cadre de contrats de vacation ; une chargée de l’accueil du public sur le dispositif Accueil Groupe de la Villette travaillait quelques années plus tard comme chargée d’actions éducatives à la Cinémathèqe. Cette situation est parfois valorisée au nom de la diversité des actions, du renouvellement des thématiques et des cadres institutionnels qu’elle entraîne; elle est le plus souvent déplorée pour l’incertitude dans laquelle elle plonge les médiateurs, et la très forte contrainte qu’elle fait peser sur le travail : un jeune conférencier (artiste plasticien par ailleurs) que j’avais suivi lors d’une visite avec une classe de primaire au Grand Palais, et que j’avais retrouvé deux jours plus tard à Beaubourg, animant une visite pour les adultes, m’expliquait qu’il ratait souvent des visites car il ne possédait pas de téléphone portable ; ces engagements ponctuels étaient nombreux mais relativement peu anticipés, si bien qu’il avait décider de se procurer un téléphone, regrettant que la qualité de préparation de ses visites soit dans tous le cas amenée à souffrir de cette organisation.

Face à l’incertitude de l’engagement dans la carrière et au sentiment d’être faiblement rémunéré, comme le souligne Aurélie Peyrin, la rétribution est essentiellement symbolique et les médiateurs tendent à adopter une « attitude proche du travail scolastique »330 tel que le décrit Bourdieu :

329 Cf. PEYRIN Aurélie, « Les usages sociaux des emplois précaires dans les institutions culturelles. Le

cas des médiateurs de musées » in Sociétés Contemporaines, n°67, 2007, pp. 7-26.

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« L’expérience du travail se situe entre deux limites, le travail forcé, qui n’est déterminé que par la contrainte externe, et le travail scolastique, dont la limite est l’activité quasi ludique de l’artiste ou de l’écrivain. Plus on s’éloigne de la première, moins on travaille directement pour l’argent et plus l’intérêt du travail, la gratification inhérente au fait d’accomplir le travail s’accroit – ainsi que l’intérêt lié aux profits symboliques associés au nom de la profession ou au statut professionnel et à la qualité des relations de travail qui vont souvent de pair avec l’intérêt intrinsèque du travail »331

Selon Aurélie Peyrin, « le concept de travail scolastique ainsi défini s’applique partiellement au cas des médiateurs, car les profits symboliques qu’ils retirent de leur activité sont essentiellement liés au travail et à son accomplissement »332. Au-delà du secteur muséal, les médiateurs enquêtés, dans toutes les disciplines, tenaient très spontanément un discours qui articulait le « plaisir qu’ils retiraient à faire ce qu’ils aiment » d’une rémunération souvent perçue comme insuffisante. « Dans cette optique », écrit Aurélie Peyrin, « la trajectoire professionnelle des médiateurs ressemblerait alors à une “course d’obstacles” pour parvenir à vivre de sa passion, c’est- à-dire à être rémunéré pour faire ce qu’on “aime” »333.

Car les perspectives de carrière, dans ce champ professionnel en cours de constitution, demeurent pour le moment très limitées. En raison de cette possibilité restreinte de progresser, et de l’absence de perspective sur des trajectoires longues d’insertion professionnelle, il est impossible de mener des analyses de carrières au sens strict334. A cet égard, nous pouvons cependant citer les conclusions que tire Aurélie Peyrin de son enquête sur les médiateurs de musées : « La trajectoire de carrière désigne ceux qui évoluent vers plus de responsabilité en prenant la tête des services des publics »335, sachant que dans les musées comme dans les autres secteurs, le « nombre de places est limité ». « L’avenir le plus probable d’un médiateur de musée est de devenir un “vieux” médiateur »336. Dans la population que j’ai enquêtée, on ne trouve

331 BOURDIEU Pierre, Les Méditations pascaliennes, Seuil, Paris, 1997, p. 241. 332 PEYRIN Aurélie, Faire profession…, op. cit., p. 213.

333 PEYRIN Aurélie, Faire profession…, op. cit., p. 213.

334 Selon Charles Everett Hughes, « pour ceux qui étudient les carrières, il s’agit de mettre au jour ces

régularités, de trouver l’ordre, quel qu’il soit, que peut suivre la vie des personnes à mesure que celles-ci grandissent et étudient ; à mesure qu’elles font des choix ou en subissent qu’elles sont mises sur la touche ou bousculées par les circonstances ; à mesure que leur énergie, leur talent et leur sagesse croissent ou déclinent : à mesure qu’elles se consacrent à leur travail et qu’elles s’y attachent plus profondément, ou à l’inverse, qu’elles s’y ennuient, s’y sentent frustrées et, peut-être, qu’elles abandonnent un type de travail pour un autre, ou bien fuient tout travail (ce qui dans notre société est défini comme une psychose). L’étude des carrières a pour objet la dialectique entre ce qui est régulier et récurrent d’un côté, et ce qui est unique de l’autre : une telle étude, comme toute étude qui a pour objet la société, vise ainsi à se placer au point de rencontre entre une société stable mais néanmoins changeante et l’être humain unique, qui n’a que peu d’années à vivre » HUGHES Charles Everett, article « Carrières » in Le Regard sociologique, op. cit., pp. 176-185

335 Faire profession…, op. cit., p. 223. 336 Ibidem, p. 210.

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pas (sauf une exception) de « vieux médiateurs » sur le terrain ; les plus âgés des agents rencontrés dans le cadre de mes enquêtes étaient tous, sauf une exception, employés à la direction d’un service ou d’une association (avec peu de contact direct avec le public). Il faut noter à ce sujet que la progression dans la hiérarchie de la médiation culturelle tend à éloigner les agents du contact avec le public et à les rapprocher des tâches de gestion, d’administration et de conception. Un double phénomène joue dans l’éviction du métier des médiateurs les plus âgés : le caractère incertain du cadre d’emploi – associé à une rémunération perçue comme insuffisante –, et le caractère répétitif, et à la longue non gratifiant, des activités sur le terrain. L’un des médiateurs interviewés dans le cadre de l’enquête d’Aurélie Peyrin formule très bien en quoi l’ennui et la répétition peuvent constituer, dans des activités d’interactions, un écueil important au travail :

« [Après 10 ans à faire ce métier] je commence à avoir un peu trop la posture… et donc à avoir de moins en moins de désir… je disais avoir la posture, on voit bien qu’on a toutes les réponses, qu’on connaît les cas de figure, qu’on sait quand un adolescent va râler en demandant le prix d’une œuvre. Bien sûr chaque classe et chaque groupe est différent, il n’empêche qu’à un moment j’ai l’impression d’être un professionnel compétent et ça m’ennuie parce que du coup il n’y a plus tellement de surprise (...) ».

Médiateur au musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, interviewée par Aurélie Peyrin337

L’absence de perspective d’évolution amène certains d’entre eux à envisager, de façon relativement distante cependant, la reconversion dans le monde de l’entreprise privée. Si ces possibilités ont parfois été évoquées dans les entretiens comme une échappatoire possible à des perspectives de carrière limitées, elles étaient relativement vite éludées, au nom d’un principe de réalité – passé un certain âge, la reconversion est de plus en plus délicate à négocier – ou, plus souvent, du plaisir et de la satisfaction pris dans l’exercice des fonctions de médiation. Pour les médiateurs de musées, comme pour ceux des autres secteurs de la médiation culturelle, le métier, comme le formule Aurélie Peyrin « présente le paradoxe d’accueillir d’une part des trajectoires de professionnalisation et de stabilisation, et d’autre part des trajectoires d’échec et de précarité »338.

337 Ibid., p. 219.

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