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La soude joue depuis longtemps un rôle important dans l’économie locale. Elle entre dans la fabrication du savon à hauteur de 30 % et dans celle du verre pour 15 %.

Avant la Révolution, Marseille reçoit entre 13 000 et 15 000 tonnes de soude par an.

Le commerce méditerranéen de la soude est alors entièrement contrôlé par une cinquantaine de maisons de négoce marseillaises. Jusqu’en 1808, les industriels emploient exclusivement de la soude dite végétale obtenue par la calcination partielle des plantes salées poussant dans les zones marécageuses du littoral méditerranéen. Si des cargaisons arrivent parfois de Sicile ou du Levant, la plupart proviennent du littoral espagnol où les qualités produites permettent d’obtenir de meilleurs rendements.

La publication, en 1791, du procédé Leblanc, n’a pas bouleversé l’organisation géné-rale de ce marché ce qui, de prime abord, peut paraître surprenant. Nicolas Leblanc est en effet parvenu à produire du carbonate de soude en décomposant le sel marin avec de l’acide sulfurique ; cet acide est lui-même obtenu en faisant brûler un mélange de soufre et de salpêtre dans des fours spéciaux adossés à des chambres de plomb où s’opère la condensation des gaz. Les savonniers marseillais auraient pu être intéressés par l’industrialisation de ce procédé pour au moins deux raisons : d’une part, parce que cela leur aurait permis de ne plus dépendre de la soude végétale importée d’Espagne ; d’autre part, parce que toutes les matières premières nécessaires à l’industrialisation de ce procédé sont déjà présentes à Marseille et dans ses environs : de nombreux salins sont exploités autour de l’étang de Berre ; le charbon est extrait des mines de lignite du bassin de l’Huveaune ; le soufre brut est régulièrement importé de Sicile pour les besoins des raffineries de soufre et la fabrication de l’acide sulfurique par la technique des chambres de plomb est une activité bien connue à Marseille depuis les essais réalisés en 1786-1789 par les frères Janvier.

Le procédé Leblanc a, il est vrai, deux inconvénients qui freinent son industrialisation. Il produit, tout d’abord, de grandes quantités de gaz chargés d’acide chlorhydrique que l’on ne sait pas encore condenser et valoriser du point de vue industriel et qui sont rejetées dans l’atmosphère au détriment de la santé des ouvriers, des riverains et de l’environnement. C’est surtout un procédé qui n’est pas encore rentable. Ses importants besoins en soufre et en plomb laminé, deux matières premières onéreuses, font que le prix de revient de la soude Leblanc est toujours plus élevé que celui de la soude d’origine végétale importée d’Espagne : la

fluidité du marché méditerranéen des soudes végétales bloque l’industrialisation du procédé Leblanc. On perçoit bien, cependant, que la situation peut rapidement évoluer car tout, depuis les connaissances scientifiques jusqu’aux différents réseaux commerciaux et techniques, est déjà en place pour que la soude Leblanc puisse prendre le relais.

Le coup de pouce des circonstances intervient dans les dernières années du Premier Empire. Plusieurs éléments se combinent alors pour provoquer une industrialisation rapide et durable du procédé Leblanc :

- interruption des échanges avec l’Espagne, une rupture de plus d’un an provoquée en 1808 par la guerre déclenchée par Napoléon 1erpour tenter d’écraser la rébellion de ceux qui s’opposent à la nomination de son frère Joseph sur le trône d’Espagne ; - politique industrialiste du même empereur qui décide de protéger l’essor de cette nouvelle branche à travers les décrets du 13 octobre 1809 (détaxation du sel employé dans les soudières) et du 11 juillet 1810 (interdiction d’importer des soudes végétales d’origine étrangère).

Après s’être approvisionnés pendant quelques mois auprès de soudiers parisiens, les industriels marseillais se lancent à leur tour dans l’industrialisation du procédé Leblanc. La chronologie des créations d’usines est très révélatrice de l’intensité de ce « boom » industriel : 4 premiers établissements sont fondés entre janvier 1809 et le 13 octobre de la même année ; 17 entre le décret du 13 octobre 1809 et celui du 11 juillet 1810 ; encore 5 entre le 11 juillet 1810 et décembre 1811. Un phénomène similaire se produit à Rouen et à Paris, deux villes où la production de savon est également importante.

Toutes ces initiatives – dont certaines sont purement spéculatives – ne débouchent pas sur des réussites industrielles durables. A l’issue de la crise économique qui marque les dernières années du Premier Empire, moins de dix unités sont encore en activité. La reprise se manifeste ensuite avec le rétablissement de la paix et en 1819, la branche est stabilisée autour de seize établissements. Cela représente alors un effectif de près de 600 ouvriers, un parc d’une cinquantaine de chambres de plomb, près de 180 fours et une production de 16 700 tonnes de soude d’une valeur de l’ordre de 5 millions de francs. Si l’on se fie au ratio adopté par Jean-Baptiste Fressoz, les rejets de gaz chargés d’acide chlorhydrique s’élèvent alors à 8 350 tonnes. En 1844, le département possède toujours le même nombre de

soudières mais l’effectif ouvrier est désormais supérieur à 1 300 personnes tandis que la valeur de la production atteint 12,2 millions de francs. Dans ce panorama, le poids des soudières du pourtour de l’étang de Berre ne cesse de progresser : trois usines en 1819 (Fos, Istres et Vitrolles) ; six en 1844, avec les nouveaux sites de Berre, Martigues et Lavéra/Ponteau. A cette date, la part de la valeur de la production des soudières de l’étang de Berre représente à elle seule près de la moitié – 43,5 % – de celle du département, contre 28 % en 1819. Les usines de soude de l’étang de Berre constituent le principal foyer de production de soude des Bouches-du-Rhône et du Midi méditerranéen, loin devant Marseille (24 %) et le village industriel de Septèmes (21,5 %).

Qui sont les entrepreneurs de cette nouvelle industrie ? Leurs origines géographiques sont variables. On trouve des Allemands, des Valenciennois, des Rouennais, des Strasbourgeois, des Lyonnais, des Parisiens et des Marseillais.

L’industrie marseillaise de la soude est une sorte de creuset où les compétences et les capitaux de l’Europe du Nord viennent se joindre et se mêler à ceux de l’Europe du Sud. Les Marseillais et les Parisiens sont toutefois plus nombreux. Sur 145 noms de gérants et de commanditaires répertoriés pour les années 1809-1844, liste non exhaustive, ces derniers représentent respectivement 51 % et 32 % de l’effectif retenu. Leurs origines professionnelles sont aussi très diverses. L’industrie de la soude attire des producteurs de sel, des négociants, des courtiers, des banquiers, des concessionnaires de mines de lignite, des rentiers, des professeurs de mathématiques, des médecins, des constructeurs de machines à vapeur, des militaires... Les industriels de la chimie (savonniers, raffineurs de soufre, fabricants d’acide, raffineur de soude venus d’autres régions) sont toutefois les plus nombreux.

L’organisation de la branche s’effectue autour de plusieurs types d’entreprises.

Schématiquement, trois catégories peuvent être distinguées. Au sommet de la hiérarchie, on trouve des unités de production intégrées présentes à tous les stades de la filière : elles possèdent leur propre salin, produisent du sel, de l’acide sul-furique et du carbonate de soude. Des participations financières croisées leur assurent aussi des débouchés au sein de la savonnerie. Elles emploient généralement plus d’une centaine d’ouvriers, logés à proximité des ateliers avec leur famille. C’est dans ces sociétés que les investissements sont les plus importants : entre 300 000 et 500 000 francs dans les années 1809-1811, puis bien au-dessus de 500 000 francs au cours des décennies suivantes. Au début du XIXe siècle, le record des investissements est détenu par la Compagnie des salines et produits chimiques du Plan d’Aren de Jean-Baptiste Chaptal : 500 000 francs en 1809, 1,2 million en 1819 et 2,4 millions de francs en 1824. C’est aussi la première

Usines de Rassuen et du Plan d’Aren

Usines de Ponteau, de Lavera, de Martigues QUELQUES SOUDIÈRES DU