• Aucun résultat trouvé

I. INTRODUCTION

II.3. A Incompatibilité

Étudiant, Fukami Shinsuke occupe de fait une place particulière dans son rapport au

monde extérieur. Au bénéfice d’une autonomie appréciable, laquelle lui procure la

possibilité d’un certain recul intellectuel, cet adolescent nourrit une vision de la société

plutôt pessimiste, essentiellement indue par l’emprise de contingences auxquelles il

peine à se résoudre. Dépendant financièrement de son père, un petit fonctionnaire

d’Ôsaka qui rechigne à lui verser la somme mensuelle nécessaire à sa subsistance, il

affiche ainsi un mépris consommé de ce matérialisme ambiant, auquel il ne peut

néanmoins se soustraire entièrement. Courant antagonique constitutif de son

environnement immédiat, le marxisme diffusé par une partie du milieu académique

semble en outre ne pas pouvoir apporter de solution convaincante à la relation

conflictuelle qu’il entretient avec le système en place. Cette idéologie paraît en effet ne

pas répondre à des dispositions personnelles auxquelles il demeure attaché. C’est sous le

prisme de cette double mouvance constitutive de son extériorité que nous tenterons

donc d’appréhender la problématique du personnage.

Triste et peu enclin à poursuivre, en cette soirée de 1937, ses exercices d’allemand,

Fukami Shinsuke décide de se rendre chez son ami, Nagasugi Eisaku, afin de

s’immerger, une fois encore, dans la contemplation des tableaux de Bruegel. Arrivé à la

hauteur de la cantine, non loin de l’appartement de son compagnon, il se rappelle alors

la dette qu’il s’est vu contraint, faute d’aide paternelle, de contracter auprès du tenancier

[...] 再び金の問題に出会い、そしてさらに、その当時の思想運動と呼ばれる小さな哀れ な動きに出会わなければならなかった。街の金貸しと街の思想運動家達が彼の途中に待 っていたのである。そしてそれは金貸しと思想運動家と、こういう風に二つを並べて書

いても少しも不思議ではないほどどちらも哀れな汚れた存在であった。1

[...] là, il retrouva une nouvelle fois son problème d’argent et dut, en outre, se confronter au petit et misérable frémissement que l’on pouvait qualifier de mouvement idéologique de cette époque. Usurier et activistes l’attendaient ainsi au tournant. Et bien que cela soit quelque peu étrange de mettre ainsi en parallèle les usuriers et les activistes, ces deux types d’existence étaient tous deux pareillement misérables et souillés.

Synthétique, cette phase conclusive du premier chapitre de la nouvelle résume, sous une

forme anticipative, l’évolution du récit à venir, marquée par la structure duale de la

problématique du protagoniste, seul face à deux tendances de prime abord opposées : les

« usuriers » et les « activistes ». La narration établit en effet, contre toute attente – elle

s’en dédouane d’ailleurs –, une apparente équivalence quant à la nature de ces deux

groupes. S’abstenant de verser dans tout manichéisme, se tenant à l’écart de toute

idéalisation d’une dissidence dont elle minimise d’emblée l’ampleur et la valeur,

l’écriture paraît dès lors revêtir un point de vue éthique, au-delà de conventions morales

traditionnelles. Fort d’un regard rétrospectif sans complaisance relayé par la voix

narrative, l’auteur nous fait ainsi pénétrer dans un monde aux repères indistincts, qui

arbore une texture composite gris sombre, résolument purgée, semble-t-il, de noir et de

blanc.

Entré dans le réfectoire, Fukami Shinsuke est aussitôt accueilli par le tenancier dont

l’affabilité de façade ne parvient pas à masquer la motivation bassement mercantile de

ses intentions. Démuni, l’étudiant laisse alors son créancier se lancer dans un long et

1

vain monologue dans lequel pointe, çà et là, un mépris stéréotypé envers les étudiants.

Silencieusement retranché dans son for intérieur, le protagoniste patiente, irrité. Le

jugement porté sur l’aubergiste n’en est que plus cinglant :

[...] こうした疲労を伴う興奮がかえって彼の背骨をしっかり内から支えてくれるよう な感じが彼に少しの後悔も起させず、いっそう彼を駆り立てて彼の内の残り少ない「人 間」を奪い去って行くのである。こういう一銭銅貨の色にも似た顔色を持った男は日本 の社会にはしばしば見られる。これは日本の社会の奥底にある造幣局で製造される多く の人間の一人に過ぎない。そして先刻深見進介がこの親父の鼻を見ながら彼の父の顔を 思い出したというのも、彼の父とこの親父とが一方は金貸しであり、一方は借り手に廻 るほうでありながら、社会の同じ場所で製造された人間であることに変りはなく、彼ら の顔には同じ銅貨の模様が打ち出されていたからであるとも言えるのである。1

[...] son excitation, qui s’accompagnait de lassitude, réapparut et donna l’impression que l’épine dorsale, qui le soutenait solidement de l’intérieur, venait ôter, sans le moindre remords, le chassant encore plus, le peu d’« humanité » qui lui restait. Dans la société japonaise, on pouvait voir fréquemment ce genre d’homme dont la couleur du visage ressemblait à celle d’une pièce d’un sen. Il n’était pas le seul parmi un grand nombre d’êtres humains à avoir été fabriqué par l’hôtel des monnaies de la société nippone. Et, l’instant d’avant, en fixant le nez de ce vieil homme, Fukami Shinsuke se rappela le visage de son père ; l’un et l’autre, prêteur ou emprunteur, étaient en fait des hommes produits au même endroit de la société, et l’on pouvait dire que leur visage était frappé de la même pièce de cuivre.

Incisive, cette appréciation à portée généralisante de la voix narrative permet d’étendre

la critique du tenancier à l’ensemble de la société. Cette considération dénonce ainsi

l’étendue de la déshumanisation de gens conditionnés, corps et âme, par l’argent.

Fondée sur cet aperçu d’une société figée, uniforme et purement mercantile, cette vision

passablement radicale conduit Fukami Shinsuke à imaginer son père sous les traits d’un

vulgaire usurier. Cette négation de toute sensibilité filiale atteint son paroxysme à

1

travers la dernière image de cet extrait, dans laquelle le visage paternel, élément

fondamental de l’expression individuelle – un motif déjà présent dans l’épisode

bruegelien – se voit remplacé par une grossière et impersonnelle pièce de monnaie.

Cette défiance foncière du matérialisme ambiant ne saurait cependant se comprendre

comme une sorte de dandysme dédaigneux inhérent à la seule position privilégiée de

l’étudiant. Fukami Shinsuke demeure en effet pleinement soumis à cette dépendance

financière qui l’empêche par conséquent d’échapper à un environnement auquel lui

aussi, malgré tout, appartient. C’est à partir de cette impossibilité de rupture initiale que

la construction romanesque nomaïenne va dès lors s’édifier.

Mis en présence de ce tenancier rebutant aux préoccupations bassement financières,

Fukami Shinsuke éprouve une impression singulière sur laquelle revient la narration :

それは侮辱でもなく羞恥でもなく、その何れでもあり、自分の金銭に対する安易な学生 達に共通の考え方を烈しく揺すぶられたのである。金は社会の骨格であると論じながら 金になった心の存在を知り得ない学生達の心を持つ深見進介は、日ごろ金銭については 他の学生達よりもはるかに深い身に痛みを感じる考え方を持っていると自負していた が故に彼は資本論や労働階級の状態など、こういう種類の書物を読みながら俺は結局何 も知らないのだとその後もこの時のことを考えて思うことがあった。1

Ce n’était ni de la honte ni de la pudeur, mais un peu des deux, qui remuait violemment cette manière simple, commune aux étudiants, qu’il avait d’envisager l’argent. Fukami Shinsuke qui, tout en dissertant sur l’argent, cette ossature de la société, était animé d’un coeur estudiantin ignorant tout d’une existence entièrement accaparée par l’argent, se vantait d’avoir toujours eu, sur le sujet, plus que tout autre étudiant, une réflexion imprégnée de la profonde souffrance de sa personne ; en conséquence, malgré ses lectures du Capital ou de ce type de traités concernant, entre autres sujets, la situation de la classe prolétarienne, il avait finalement estimé, même en repensant plus tard à cette expérience, ne rien savoir.

1

Dans ce passage, la répulsion de Fukami Shinsuke manque à première vue de clarté, le

narrateur absent se soustrayant une nouvelle fois à une délimitation verbale précise. La

nature de ce sentiment est cependant perçue, sans équivoque, comme représentative

d’une classe estudiantine caractérisée par un écart considérable entre le savoir

académique et la réalité sociale. Ce fossé, le protagoniste croit – à tort – l’avoir comblé

en intégrant à sa réflexion la douleur inhérente à son impécunieuse position. Or, à

travers sa considération des thèses marxistes, cette incompréhension fondamentale,

notamment à l’endroit de la condition prolétarienne, se fait patente. Fort éloignées des

implications relatives à une situation personnelle somme toute enviable, ces idées

révolutionnaires révèlent en effet la différence entre une compréhension basée sur une

sphère personnelle et celle, globalisante, d’une théorie du déterminisme social. En

d’autres termes, le questionnement de Fukami Shinsuke repose donc, au préalable, sur

un décalage manifeste entre une sensibilité individuelle révélatrice d’un certain mal-être

d’une part et le matérialisme du monde alentour d’autre part. Une incompatibilité qu’il

n’est pas en mesure, pour l’heure, de surmonter.