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D Début de cheminement

I. INTRODUCTION

II.4. D Début de cheminement

À nouveau seul, Fukami Shinsuke retrouve la nature environnante. Il gravit alors un

sentier pentu, avant de contempler, une fois encore, le ciel étoilé. C’est sur son

observation du mouvement des constellations que s’amorce, étape conclusive de

Sombres Tableaux, le monologue intérieur qui va décider de l’orientation qui sera

désormais sienne tout au long de la guerre. Résolument ouverte, comptant sur la

capacité du lecteur à établir, à l’aide des différentes clefs qui ponctuent l’écriture, une

interprétation homogène et personnelle – un geste qui n’est pas sans rappeler, à certains

complexe. Nous nous efforcerons toutefois de lui donner sens, en prêtant notamment

une attention particulière à l’un des traits romanesques favoris de Noma : le

déplacement spatial et ses implications métaphoriques.

俺はいよいよ独りになった。そう、俺はもう一度俺のところへ帰ってきたのだ。まさに 俺のいるところへ。あの空の星々の運行のみが、あの高みから宇宙の全力を持って俺の 背骨を支えてくれるところに帰ってきたのである。俺はもう一度、俺自身の底からくぐ り出なければならない。と深見進介は考えた。そう、常に俺自身の底から俺自身を破っ てくぐり出ながら昇って行く道、それを俺は世界に宣言しなければならない。彼は、今 彼の中に帰ってきた若者の若々しい大きな呼吸を持った荒々しい力に、頭の真上から鷲 掴みにされながら歩いて行った。背骨がのび、筋肉の隅々にその若者の心が満ち拡がっ ているようなのびのびとした感情が彼を捉え、彼の頬は明るい夜の空気の中に内から輝 き出して来る。「そうだ。」と彼は思う。「やはり、仕方のない正しさではない。仕方の ない正しさをもう一度まっすぐに、しゃんと直さなければならない。それが俺の役割だ。 そしてこれは誰かがやらなければならないのだ。」1

Enfin, je suis seul. Oui, je suis une fois de plus revenu chez moi, là où je suis, justement. Je suis revenu là où seule la révolution des astres du ciel peut me soutenir du haut de toutes les forces de l’univers. Ainsi songeait Shinsuke Fukami. Je dois plonger encore une fois dans ma propre profondeur pour remonter vers la surface. Ce chemin montant du fond de moi et qui me déchire en me traversant, oui, je dois l’annoncer au monde entier. Il marchait en proie à une énergie sauvage dont le souffle, ample et jeune, était celui du jeune homme qui à ce moment était revenu l’habiter. Il étira son dos comme si cet esprit de jeunesse s’étendait à la moindre fibre de ses muscles et, envahi par ce sentiment reposant, son visage s’éclaira de l’intérieur dans l’air lumineux du soir. « Mais oui ! Bien sûr ! » pensa-t-il, « Après tout, ce n’est pas vrai de dire qu’on ne peut plus rien y faire. Il s’agit une fois encore de rectifier, bien droit, cette idée comme quoi on n’y peut plus rien. Voilà mon rôle. Et puis, il faut bien que quelqu’un le fasse. »2

Décisif, cet extrait commence par une réaffirmation du point d’origine, étape initiale

vouée à rétablir, au niveau de l’être, une parfaite cohésion. Ce mouvement est soutenu

1

Op. cit., p. 254.

2

Basé essentiellement sur la traduction de Yves-Marie Allioux, in NISHIKAWA Nagao, op. cit., pp. 164-165.

par un axe vertical qui relie intimement le protagoniste au cycle revigorant des

constellations, lequel confirme bien l’idée fondamentale d’un retour à soi authentique.

Afin de mieux discerner ce repérage primordial, la voix narrative adopte par ailleurs un

angle de vue interne, à même de saisir le cours intime de la pensée de Fukami Shinsuke.

En droite ligne de cette fixation individuelle préalable survient ensuite, sur un mode

injonctif, l’impulsion volontaire d’un commandement moral, qui va indiquer à

l’étudiant la direction qu’il s’agira de suivre. La nature de l’orientation qui en découle

se révèle alors double : approfondissement, histoire de retrouver les racines de son

individualité, puis ascendance, début d’une édification conquérante. Cette tendance

débouche ainsi sur l’ardent désir du jeune homme de communiquer la problématique de

son intériorité. Le fait d’exprimer le dilemme, intraduisible jusqu’alors, de sa personne,

imagé par une trajectoire qui le transperce, constituerait ainsi le moyen de résoudre ses

hésitations, en regagnant de l’emprise sur son devenir.

Ravivé par la nette formulation de son projet individuel, le protagoniste paraît donc

pouvoir s’extirper de la logique allégorique sombre et atrophiée du « trou », comme

l’indique, à travers la matérialisation à la fois interne et externe de son visage réjoui, son

regain psychique et corporel. Cette dynamique se trouve du reste confirmée par la forme

exclamative du discours direct de Fukami Shinsuke. Fort de sa détermination à dire les

difficultés d’une situation qu’il tient, en l’occurrence, pour quasiment universelle,

celui-ci réussit ainsi à déjouer l’inertie fataliste que reportait sur lui, comme sur ses

camarades, l’absence de perspective favorable dans le Japon impérialiste, évoquée

précédemment par Kiyama Shôgo. Il se donne dès lors pour mission de redresser, tel un

d’une issue proprement individuelle. Inédit, ce rôle vers lequel il tend désormais

l’inscrit par conséquent dans un rapport enfin positif avec le monde extérieur. Bien que

légèrement atténuée par la reconnaissance de sa nécessité, la portée de cette raison

d’être représente, selon nous, le point de départ du personnage.

Ragaillardi, Fukami Shinsuke reprend sa route. C’est ce que narrent les lignes

conclusives de Sombres Tableaux :

彼はようやく山道の高みに出ていた。彼は底の松の木の傍に立って、下に拡がっている、 盆地のような拡がりの中に静まっている屋根屋根を見下ろしていた。そして木山省吾を 加えた永杉や羽山や、その他の若者のことを深く悲しみにとらわれながら考えていた。 するとこれらの苦悩に満ちた意思が何か激しい苦しい光が放つかのように彼の苦悩に 満ちた心に強烈に照りかえってきた。同じ道だ、それだのに別れねばならない。と彼は 思った。すると、永杉や羽山や木山の心が、急行列車のような速度で、彼の傍から遠く 彼の手のとどかぬところへ走り去りながら、彼の心を、前へつき出し、つき出しした。 前へ出る前へ出ると彼は思った。彼は、右手に握りしめているブリューゲルの画集を、 まるで哀れなしかし、いとおしいけだものを撫でるかのように、しばらく左手でなでさ わっていた。そして、再び山道を向うへ彼の下宿のある方へ、下って行った。1

Il revint avec peine sur les hauteurs du chemin de montagne. Se tenant debout à côté d’un pin, il regarda les toits silencieux qui s’étendaient horizontalement en contrebas comme dans une cuvette. Puis, en proie à une profonde tristesse, il pensa à Nagasugi, à Hayama auxquels s’ajoutait Kiyama Shôgo, ainsi qu’à d’autres adolescents. Alors, leur volonté pleine de souffrance vint irradier, comme les rayons d’une lumière violente et douloureuse, son coeur empli de peine. C’est le même chemin, mais il faut se séparer. Ainsi songeait Fukami Shinsuke. Alors, les coeurs de Nagasugi, Hayama et Kiyama vinrent à sa hauteur, puis s’éloignèrent, désormais inatteignables, à la vitesse d’un express, entraînant en avant son coeur saillant. Devant, devant, pensa-t-il. Il promena un instant les doigts de sa main gauche sur le recueil d’images de Bruegel qu’il serrait dans sa main droite, comme s’il s’agissait d’une chose pitoyable, mais précieuse. Puis, il descendit une nouvelle fois, là-bas, le chemin de montagne, en direction de sa pension.

1

Du haut de la petite montagne sur laquelle il s’est engagé, le protagoniste porte son

regard sur la ville, en contrebas. De cette position dominante, il perçoit alors les

velléités résistantes de ses amis dissidents, ainsi que l’inévitable souffrance dont

s’accompagne cette action désespérée. Une douleur pour laquelle Fukami Shinsuke

éprouve une vive empathie. Mais il se sait désormais appelé à suivre sa propre direction.

Ébranlé au moment romanesque de leur fatidique séparation par le souffle fulgurant de

la lumineuse aura de ses compagnons, le personnage sent son coeur comme happé vers

l’avant. Déterminé à suivre ce mouvement, il se livre alors à une double exhortation qui

l’encourage, dès cet instant, à suivre l’orientation qu’il s’est fixée. C’est sur l’album des

reproductions de Bruegel, dépositaire symbolique d’un itinéraire commun qui appartient

dorénavant au passé, que s’achève cette scène d’adieux. Un livre témoin sur lequel

veillera le personnage jusqu’à sa destruction, en août 1945, lors du bombardement

d’Ôsaka.

Le protagoniste poursuit donc son chemin. Descendant, celui-ci le ramène à son studio.

Cette direction tend ainsi à évoquer la décision du Fukami Shinsuke de replonger

profondément en lui, pour pouvoir, par la suite, résolument avancer. C’est également ce

que suggèrent les principaux idéogrammes de son propre nom, un artifice nomaïen que

nous retrouverons dans d’autres oeuvres de notre corpus : « fuka » (深 : « profond ») ; « mi » (見 : « voir ») ; « shin » (進 : « avancer »). Le personnage renonce ainsi à suivre la voie des martyrs en lutte contre l’avènement totalitaire nippon, sans aspirer pour

autant à s’y fondre. Contrairement à la funeste montée du Christ sur le Golgotha,

Située dans une cuvette – une déclinaison du « trou » –, cette entité représente, à notre

avis, le peuple et ses destinées sous la domination militariste. Selon notre interprétation,

l’étudiant souhaite donc en partager la condition, afin de pouvoir témoigner de ses

souffrances, au cours des terribles années qui s’annoncent. La perspective d’un fort long