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Incompatibilité de Adj avec certaines classes : causes sémantiques

Chapitre 4 : Portée de l’adjectif invarié sur une classe en position ∅ OD

4.2. Comment interpréter ∅ OD dans [Vtr+Adj.Inv.] ?

4.3.2. Incompatibilité de Adj avec certaines classes : causes sémantiques

Quand le verbe est en emploi absolu, il existe la possibilité d’envisager des SN dénotant différentes classes d’entités à sa droite. Il se peut que dans certains cas l’adjectif ne soit pas compatible avec toutes les classes prévues et opérer une première sélection, sur la base d’un critère d’ordre sémantique. C’est ce qui se produit dans les énoncés suivants :

(16) Les astuces pour cuisiner

ODléger.

(17) Comment cuisiner

OD végétarien ?

(18) Buvez

OD rouge.

Afin de mieux comprendre ces trois énoncés, nous indiquons les éléments contextuels les accompagnant : l’énoncé (16) est le titre d’un article sur le site www.weightwatchers.fr

expliquant comment faire pour mieux cuisiner : « Vous avez souvent la main un peu lourde sur les matières grasses quand vous cuisinez ? Vous ne savez pas comment relever le goût d’un plat sans abuser d’huile d’olive ? Voici une liste d’ingrédients (…). ». L’énoncé (17), issu du site

www.lepalaissavant.fr propose à ses lecteurs de suivre une « évolution vers un régime végétarien ». Enfin, (18), trouvé sur www.oserlescouleurassiette.com, est suivi d’une photo d’un verre posé sur une bande rouge. Le rédacteur de l’article explique que les couleurs des aliments et des boissons que nous absorbons sont, selon la philosophie ayurvédique, comme autant de sources d’énergie. Il propose ensuite de consommer « des eaux colorées », ou « des boissons rouges ».

Reprenons la définition lexicale du verbe cuisiner (TLFi) : ‘Préparer, accommoder (un plat, des mets)’. Emploi absolu, ‘faire la cuisine’. Partant de là, on peut envisager plusieurs classes d’entités qui peuvent subir l’action exprimée par le verbe, avec au sommet de leur hiérarchie les entités dites comestibles, un peu comme à droite de manger50, et diversifiables au

niveau inférieur au moins en les trois classes suivantes : les aliments, les sauces, et en fin les plats. On peut d’ailleurs considérer que sont exclues les classes des pâtisseries, par exemple, pour lesquelles le verbe pâtisser est idoine, et ainsi de suite. Il est d’ailleurs significatif de noter que ces trois classes ont à leur tête des entités qui ne sont pas au niveau le plus bas de la hiérarchie des entités : on peut encore « descendre » d’un cran pour accéder enfin aux entités

subordonnées, pour obtenir par exemple des plats. Le « chili con carne » désigne ainsi une entité subordonnée par rapport à ‘plat’, qui lui-même appartient à la classe superordonnée des ‘comestibles’.

À l’intérieur des classes qui sont déclenchées par l’emploi absolu du verbe transitif

cuisiner dans les exemples (16) et (17), les adjectifs léger et végétarien se trouvent dans

l’incapacité de créer de façon systématique des sous-catégories, notamment à cause de leur sémantisme. Autrement dit, il n’y a pas d’interprétation « par défaut » déclenchée par la combinaison du verbe et de l’adjectif. Ce cas de figure est donc en nette opposition aux autres cas jusqu’ici rencontrés, où l’adjectif pouvait sous-catégoriser toutes les classes d’entités attendues à droite du verbe transitif en emploi absolu. En ce sens, (16) implique que l’on cuisine des plats, et il semble peu pertinent dans ce contexte d’opposer des aliments légers à des aliments qui ne le sont pas. La classe ‘plats’ (à laquelle on peut ajouter la classe des sauces) est donc sélectionnée par l’adjectif parmi les multiples classes d’objets possibles à droite du verbe

cuisiner en emploi absolu. De ce point de vue, l’énoncé (17) impose le même type de

restriction : il est impossible d’envisager de cuisiner

OD végétarien en utilisant des aliments

végétariens. Ce sont les plats, et uniquement les plats, qui sont porteurs de la propriété exprimée par l’adjectif. C’est donc uniquement à l’intérieur de cette seule classe que l’adjectif peut opérer sa sous-catégorisation, ultime étape du parcours interprétatif de la construction [Vtr +

OD+

Figure 11 : Cuisiner léger/végétarien : la classe d’entités ciblée est celle des plats, à l’intérieur desquels l’adjectif opère une sous-catégorisation.

L’énoncé (18) semble quant à lui interprétable de deux façons : soit on peut envisager que le verbe boire est suivi d’un

ODgénérique, comme le suggère la suite de l’énoncé (il est

question de « boissons rouges »), soit on envisage l’entité particulière qu’est l’eau, et qui subit une transformation pour devenir colorée en rouge, auquel cas le verbe n’est plus dans son emploi absolu, mais suivi d’un objet latent (extra)co(n)textuel51. Nous n’envisageons dans cette

section que l’hypothèse selon laquelle le verbe boire est en emploi absolu : il ne prévoit ainsi aucune entité susceptible d’être son objet syntaxique en particulier, et l’adjectif opère une simple bipartition de l’entité superordonnée ‘liquide buvable’ (il ne peut pas s’agir de n’importe quel liquide) en +/- rouge (Cf. la figure 10, pour Acheter français).

Une nouvelle contrainte apparaît ici à cause de la propriété ‘rouge’ appliquée à la classe ‘liquide’ : elle implique de nouvelles classes d’entités inférieures hiérarchiquement à la classe ‘liquide’ : l’allocutaire a immédiatement en tête les jus de fruits rouges (jus de raisin, de

51 La question peut être posée, dans la mesure où sur le site internet les deux cas de figure sont évoqués : soit

il s’agit de boire tout ce qui peut être rouge par nature, soit on peut boire de l’eau qui se colore en rouge selon deux procédés : en ajoutant un colorant (sirop, etc.), soit, ce que suggère la photo en bandeau sur la page web, en posant le verre d’eau sur un set rouge, même si ce dernier procédé nous semble peu convaincant.

papaye), les alcools rouges (en particulier le vin, ou ses dérivés), ou encore les jus de légumes

rouges (jus de tomate, etc.).

Il semble qu’il s’agit là d’une contrainte sémantique supplémentaire apportée par l’adjectif, qui pourrait être rapprochée de la stéréotypie. L’adjectif véhicule en effet un apport sémantique qui impose des classes d’entités particulières, très nettement inférieures aux entités en principe déclenchées par l’emploi absolu du verbe transitif, qui sont donc identifiables plus directement. C’est ce que nous montrons dans la sous-section suivante.

4.3.3. Incompatibilité de Adj. avec certaines classes en

∅OD

: le cas de la stéréotypie